La caresse dans la littérature et la bande dessinée contemporaines
Thèse
par
Irene - Le
Sous la direction de Garric, Henri
thèse de doctoraten cours depuis 2015- Université Bourgogne Franche-Comté- Littérature comparée
Besançon- France
« Immense dossier romanesque » que celui de la « pression des mains », souligne Roland Barthes. La caresse, est tour à tour dans lhistoire littéraire symbole ou métonymie dune promesse amoureuse et plus encore, charnelle. Maupassant dans Les caresses, nouvelle en forme de lettres, évoque « La Nature (qui) nous donne la caresse pour nous cacher sa ruse, pour nous forcer, malgré nous à éterniser les générations. Eh bien, volons lui la caresse, faisons la nôtre, raffinons la, changeons la, idéalisons la, si vous voulez . » Métonymie qui voile la crudité de lacte de chair aux yeux de la destinataire, farouchement opposée à la rencontre des sexes, le mot de caresse est utilisé comme prête-nom à des réalités obscènes. Là où la littérature utilisait la pudeur de la caresse, du contact ou du toucher comme révélation ambiguë de sentiments ou de moments sublimes dextases, la transgression a pris la place dans les récits et aveux contemporains de la jouissance sexuelle. La révolution sexuelle a fécondé toute la littérature. Au moment même où les uvres sèches des années structuralistes se sont effondrées pour laisser place à un retour au réalisme, parfois direct, parfois compliquée de jeux spéculaires et de trucages au troisième degré, le sexe a naturellement colonisé les pages des romans de la rentrée - la littérature peut-elle prétendre dire quelque choses du monde sans parler de cette extraordinaire mutation des murs ? La littérature blanche est donc devenue de plus en plus sexualisée, obligeant la littérature galante à monter en gamme si lon peut dire et offrir des textes trash ou nerveux pour se démarquer . Selon Olivier Bessard-Banquy, il ny aurait rien de plus aride et déshumanisé que la « littérature-viande » celle de confessions sexuelles quont ouvertes les décennies contemporaines. Elle se contente de décrire le sexe en vidant la littérature de lérotisme. Les « X-elles » auteures pornographiques, les hérauts du trash en tout genre auraient-ils démodé la caresse, sa douceur et son mystère ? Aux balbutiements de ce genre éditorial on peut pourtant lire dans les récits au féminin dAlina Reyes de longs paragraphes de massage, de palpation. Lérotique de la surface y est déployée dans toutes ses potentialités : toucher lintérieur et toucher lextérieur dans une dévoration des chairs anime le désir du Boucher et de son amante de passage. Alors quOlivier Bessard-Banquy voit dans la froide gymnastique des héros de la littérature pornographique, les caresses se multiplient à linsu du lecteur, autant deffleurements qui passent inaperçus. En adoptant une perspective anthropologique, on constate avec David Lebreton que la caresse est associée au féminin. Relayant les analyses dAshley Montagu, lauteur souligne que lapanage du tact, comme marque de la délicatesse, revient aux filles. « La socialisation différenciée des garçons et des filles confirme des choix de société et imprime leur sensibilité sensorielle, notamment leur attitude face aux contacts corporels. La peau est toujours l’enjeu inconscient de la relation à l’autre . » Lunivers pornographique, quil soit littéraire ou iconographique, se saisissant dune vision de la sexualité que lon pourrait rapidement qualifier de virile, laisserait par conséquent peu de place au toucher. On peut cependant noter quavec des bandes dessinées comme Elles de Frédéric Boilet ou encore Le bleu est une couleur chaude on assiste souvent à un déplacement des lignes du genre de la caresse. En effet, la découverte sexuelle de Clémentine dans la bande dessinée de Julie Maroh est abondamment représentée par des scènes érotiques lesbiennes, faisant de léchange sexuel un jeu de toucher et de caresse que le bleu unique couleur de lalbum vient colorer. Même si lon peut difficilement parler de pornographie, cet ouvrage qui traite de la découverte érotique et amoureuse se détache de toute représentation virilisée de la sexualité, ce que ne feraient pas les « X-elles » dOlivier Bessard-Banquy comme Virginies Despentes, pour lesquelles, les personnages féminins réinvestissent la violence masculine dans la liberté quelles expriment par leur corps. Dans le même ordre didées, Le bleu est une couleur chaude se détache aussi de toute volonté pornographique, cest-à-dire chercher à créer lexcitation sexuelle, bien que les images soient très sensuelles. Frédéric Boilet, quant à lui, met en scène un personnage à la Truffaut, un homme qui aimait les femmes, ses rencontres, ses amours de passage. La banalité que lauteur revendique au travers de ces relations parfois fugaces, parfois plus profondes, induit comme un empire de la caresse. Un des récits consiste à décrire le bruit que fait la peau respective des amants. Renversant les attentes masculinisées dune violence sous-jacente dans la relation sexuelle, dun fétichisme du corps féminin, le personnage principal, un homme perpétuellement amoureux, fait de la quotidienneté de lamour le siège principal des émotions véritablement érotiques. Il semble que, parallèlement au marché très vivace de la pornographie dans la bande dessinée et des récits érotiques crus de la littérature contemporaine, se développe toute une réserve de représentations alternatives de la sexualité, sans fard, sans pruderie, et sans le caractère frontalement subversif que sattribue le versant le plus tapageur de ces productions . Enfin, il est étonnant de constater que le contact tactile, la caresse, habituellement relégué à des domaines érotiques, soient de plus en plus associés à un bien-être, dont le manque peut induire de graves conséquences. Clémentine, dans la BD de Julie Maroh meurt davoir perdu le contact avec Emma, premier amour. Lhéroïne de La pianiste dElfriede Jelinek sentaille les veines de la main, alors quelle est pianiste, faute de ne pouvoir sentir le monde autrement que comme une agression permanente. Toucher, caresser, sont des actes qui prennent une dimension de care ce qui les placent loin de la sexualité la plus primaire, de la caresse au care, il ny a quun pas. Cest cette invention dune représentation alternative, cette recherche dun érotisme autre dans la caresse, en marge de la production pornographique et de la crudité sexuelle, cest ce geste qui touche au souci de lautre, qui sera le fil conducteur de notre recherche. - voir sur theses.fr
mots-clés : corps ; littérature
« Immense dossier romanesque » que celui de la « pression des mains », souligne Roland Barthes. La caresse, est tour à tour dans lhistoire littéraire symbole ou métonymie dune promesse amoureuse et plus encore, charnelle. Maupassant dans Les caresses, nouvelle en forme de lettres, évoque « La Nature (qui) nous donne la caresse pour nous cacher sa ruse, pour nous forcer, malgré nous à éterniser les générations. Eh bien, volons lui la caresse, faisons la nôtre, raffinons la, changeons la, idéalisons la, si vous voulez . » Métonymie qui voile la crudité de lacte de chair aux yeux de la destinataire, farouchement opposée à la rencontre des sexes, le mot de caresse est utilisé comme prête-nom à des réalités obscènes. Là où la littérature utilisait la pudeur de la caresse, du contact ou du toucher comme révélation ambiguë de sentiments ou de moments sublimes dextases, la transgression a pris la place dans les récits et aveux contemporains de la jouissance sexuelle. La révolution sexuelle a fécondé toute la littérature. Au moment même où les uvres sèches des années structuralistes se sont effondrées pour laisser place à un retour au réalisme, parfois direct, parfois compliquée de jeux spéculaires et de trucages au troisième degré, le sexe a naturellement colonisé les pages des romans de la rentrée - la littérature peut-elle prétendre dire quelque choses du monde sans parler de cette extraordinaire mutation des murs ? La littérature blanche est donc devenue de plus en plus sexualisée, obligeant la littérature galante à monter en gamme si lon peut dire et offrir des textes trash ou nerveux pour se démarquer . Selon Olivier Bessard-Banquy, il ny aurait rien de plus aride et déshumanisé que la « littérature-viande » celle de confessions sexuelles quont ouvertes les décennies contemporaines. Elle se contente de décrire le sexe en vidant la littérature de lérotisme. Les « X-elles » auteures pornographiques, les hérauts du trash en tout genre auraient-ils démodé la caresse, sa douceur et son mystère ? Aux balbutiements de ce genre éditorial on peut pourtant lire dans les récits au féminin dAlina Reyes de longs paragraphes de massage, de palpation. Lérotique de la surface y est déployée dans toutes ses potentialités: toucher lintérieur et toucher lextérieur dans une dévoration des chairs anime le désir du Boucher et de son amante de passage. Alors quOlivier Bessard-Banquy voit dans la froide gymnastique des héros de la littérature pornographique, les caresses se multiplient à linsu du lecteur, autant deffleurements qui passent inaperçus. En adoptant une perspective anthropologique, on constate avec David Lebreton que la caresse est associée au féminin. Relayant les analyses dAshley Montagu, lauteur souligne que lapanage du tact, comme marque de la délicatesse, revient aux filles. « La socialisation différenciée des garçons et des filles confirme des choix de société et imprime leur sensibilité sensorielle, notamment leur attitude face aux contacts corporels. La peau est toujours l'enjeu inconscient de la relation à l'autre . » Lunivers pornographique, quil soit littéraire ou iconographique, se saisissant dune vision de la sexualité que lon pourrait rapidement qualifier de virile, laisserait par conséquent peu de place au toucher. On peut cependant noter quavec des bandes dessinées comme Elles de Frédéric Boilet ou encore Le bleu est une couleur chaude on assiste souvent à un déplacement des lignes du genre de la caresse. En effet, la découverte sexuelle de Clémentine dans la bande dessinée de Julie Maroh est abondamment représentée par des scènes érotiques lesbiennes, faisant de léchange sexuel un jeu de toucher et de caresse que le bleu unique couleur de lalbum vient colorer. Même si lon peut difficilement parler de pornographie, cet ouvrage qui traite de la découverte érotique et amoureuse se détache de toute représentation virilisée de la sexualité, ce que ne feraient pas les « X-elles » dOlivier Bessard-Banquy comme Virginies Despentes, pour lesquelles, les personnages féminins réinvestissent la violence masculine dans la liberté quelles expriment par leur corps. Dans le même ordre didées, Le bleu est une couleur chaude se détache aussi de toute volonté pornographique, cest-à-dire chercher à créer lexcitation sexuelle, bien que les images soient très sensuelles. Frédéric Boilet, quant à lui, met en scène un personnage à la Truffaut, un homme qui aimait les femmes, ses rencontres, ses amours de passage. La banalité que lauteur revendique au travers de ces relations parfois fugaces, parfois plus profondes, induit comme un empire de la caresse. Un des récits consiste à décrire le bruit que fait la peau respective des amants. Renversant les attentes masculinisées dune violence sous-jacente dans la relation sexuelle, dun fétichisme du corps féminin, le personnage principal, un homme perpétuellement amoureux, fait de la quotidienneté de lamour le siège principal des émotions véritablement érotiques. Il semble que, parallèlement au marché très vivace de la pornographie dans la bande dessinée et des récits érotiques crus de la littérature contemporaine, se développe toute une réserve de représentations alternatives de la sexualité, sans fard, sans pruderie, et sans le caractère frontalement subversif que sattribue le versant le plus tapageur de ces productions . Enfin, il est étonnant de constater que le contact tactile, la caresse, habituellement relégué à des domaines érotiques, soient de plus en plus associés à un bien-être, dont le manque peut induire de graves conséquences. Clémentine, dans la BD de Julie Maroh meurt davoir perdu le contact avec Emma, premier amour. Lhéroïne de La pianiste dElfriede Jelinek sentaille les veines de la main, alors quelle est pianiste, faute de ne pouvoir sentir le monde autrement que comme une agression permanente. Toucher, caresser, sont des actes qui prennent une dimension de care ce qui les placent loin de la sexualité la plus primaire, de la caresse au care, il ny a quun pas. Cest cette invention dune représentation alternative, cette recherche dun érotisme autre dans la caresse, en marge de la production pornographique et de la crudité sexuelle, cest ce geste qui touche au souci de lautre, qui sera le fil conducteur de notre recherche.