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traduire chris ware

Anne Capuron

[Juillet 2015]

Je ne connaissais pas Chris Ware quand on m’a fait lire Jimmy Corrigan. Cri du cœur : « Je n’aimerais pas être celui qui va traduire ça. » C’était avant qu’on me le propose. C’est un honneur, et un défi, qui ne se refusent pas.

Deux modes de pensée

L’ellipse versus

L’anglais a la particularité d’être une langue elliptique, plus ramassée mais aussi moins explicite que la nôtre. Là où le français dit tout (« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »), l’anglais fait l’économie de ce qui va de soi, et ne s’oppose pas à une certaine liberté d’interprétation du lecteur. L’ellipse touche autant les idées que les mots.
L’une des tâches du traducteur français est de boucher les trous, d’exprimer ce qui va être perçu par le lecteur comme l’intégralité de l’idée, alors qu’une traduction littérale donnerait une impression de flou et de manque d’assise.
Une partie de ces chaînons manquants, liés à la structure même de la langue, est induite. L’exercice est alors quasi automatique, comme lorsque l’on complète inconsciemment les sons brouillés d’une conversation téléphonique.
Le niveau suivant s’apparente à l’adaptation à un mode de pensée. Ainsi, les anglophones parlent volontiers de « choses », mot banni dans les rédactions des petits Français. On s’efforcera donc de préciser de quelles « choses » il s’agit.
Le troisième niveau d’intervention, très variable selon les auteurs, demande de trouver le bout du fil et de tirer, de dégager et de mettre à plat les sous-entendus, de rétablir liaisons et articulations ; en résumé, de rationaliser l’idée, d’en rendre la logique apparente pour satisfaire aux exigences cartésiennes du français. Tout en évitant, dans les cas les plus lacunaires, de faire dire à l’auteur ce qu’il n’a pas dit.
Plus un texte est « lâche », plus le traducteur a à la fois l’obligation de chercher son chemin et la liberté de le tracer, en s’appuyant sur les indications fournies ailleurs dans le texte et, nécessairement, sur sa logique personnelle. Et plus les traductions possibles se multiplient.

… la pensée analytique

Chris Ware, lui, s’impose. Le mot et l’idée sont donnés. Son écriture est d’une précision rare pour un auteur anglophone, aussi chirurgicale que ses constructions de page. (On ne se refait pas.) Chaque mot est pesé, nécessaire, pertinent, sans jamais sacrifier à l’élégance, avec un sens du rythme lui aussi métronomique. Il ne s’agit plus pour le traducteur de clarifier une expression ou une idée, mais de trouver LA formulation qui restituera celle de Ware sans rien trahir, à l’exclusion de toutes les autres.
Là où il faut parfois s’égarer et débroussailler pour se frayer un chemin dans une phrase ou un paragraphe, l’objectif devant un texte de Chris Ware est au contraire d’éviter tout écart sur une voie taillée à la serpe.
Ce souci de précision et de clarté ne pardonne pas les approximations et le chemin semble parfois étroit. Mais le moindre couac détonne, et se signale aussitôt. C’est aussi d’un grand confort. D’une part, le mode de pensée analytique de Ware, qui lui donne des structures d’expression plus proches du français que la plupart de ses compatriotes, rend le passage entre les deux langues étonnamment évident et fluide. D’autre part, et c’est tout aussi rare, rien n’est jamais à rectifier dans l’écriture de Ware, et cette justesse, outre le plaisir qu’elle procure, « porte » beaucoup la traduction.
Ce luxe est d’autant plus appréciable qu’il permet de se concentrer sur les points épineux. Car en limitant la marge de manœuvre du traducteur, cette précision de la langue, si jubilatoire quand on traduit Chris Ware au kilomètre dans certaines pages d’Acme, ne fait qu’ajouter au casse-tête dans le cadre inflexible du roman graphique version Chris Ware.

Chris Ware, Jimmy Corrigan, 2002.

Un espace restreint

Les contraintes d’espace de la bande dessinée

Tout d’abord, ce n’est pas parce que l’écriture de Ware est plus précise que celle de la plupart de ses compatriotes qu’elle s’étale.
Or le passage de l’anglais au français s’accompagne d’un phénomène joliment appelé « foisonnement », une augmentation du volume. À texte équivalent, le français occupe en moyenne 15 % d’espace en plus que l’anglais. Ce qui devient une contrainte dès lors que l’espace disponible est préétabli, comme c’est le cas en bande dessinée.
Alors on aménage. Le traducteur opte d’instinct pour les formulations les plus concises, et s’assure de fournir une version directement exploitable. Et il est courant qu’au lettrage, le graphiste s’autorise à tricher en étroitisant et/ou en diminuant le corps des textes.
Mais on ne touche pas à la maquette de Chris Ware. On ne rompt pas un tel équilibre. Chacun des trois titres parus chez Delcourt (Jimmy Corrigan, Acme et Building Stories) respecte au millimètre la version d’origine, au point que, après des mois passés le nez dans les versions originales, je les confonds visuellement avec mes exemplaires en français. Et quand bien même on le voudrait, le corps du texte anglais ne permet pas d’envisager une diminution, même subtile. (En réalité, un peu quand même, en particulier dans les titres. Le travail de Franck Debernardi, le graphiste, a été d’autant plus colossal qu’il devait passer inaperçu.)

Roman, mais graphique : la tyrannie du mot

Je foisonne peu, mais mon premier réflexe est de traduire now par « maintenant » (foisonnement : 250%). Avec Jimmy Corrigan, ma première incursion dans le monde warien, il a fallu tout remettre en cause pour réfléchir aux divers sens et synonymes de ces petits mots (conjonctions, adverbes…) qui rythment les planches et remplissent littéralement les cartouches de la V.O. Avec le souci très terre à terre du nombre de lettres des mots (ni trop, ni trop peu), tout en veillant à respecter les jeux d’écho qui peuvent s’établir entre ces gros cartouches, et qui sautent aux yeux en s’interpellant sur une double page.
Le cas de figure atteint les extrêmes lorsqu’il s’agit de traduire bee par un mot de quatre lettres maximum commençant par B dans Building Stories. Sur celui-là, l’éditeur Vincent Bernière, le graphiste Franck Debernardi et moi avons jeté l’éponge… et gardé l’anglais.

Chris Ware, Building Stories, 2014.

Un nouveau type de problème se pose lorsque les mots, tout en s’insérant dans un groupe de mots ou une phrase, font l’objet d’un traitement particulier et occupent une place figée dans la mise en page. Dans Jimmy Corrigan, par exemple, Chris Ware répartit fréquemment des phrases sur plusieurs cases, en mettant à l’occasion un mot seul en exergue dans la dernière case. Les chances sont maigres pour que le mot en question tombe à la fin de la phrase dans une traduction spontanée. Une fois celle-ci effectuée (sans déborder), on passe donc à l’étape suivante qui consiste à agencer la phrase de manière à respecter l’organisation graphique, tout en conservant la formulation la plus naturelle possible.

Chris Ware, Jimmy Corrigan, 2002.

Cette problématique de l’ordre des mots revient en fanfare dans les divers titrages, affiches et encarts publicitaires d’Acme. Aucun graphiste n’accomplira de miracle sur une version française qui ignore ces impératifs. Mais il va de soi que son talent jouera un rôle primordial pour aplanir les irrégularités inévitables et contourner à son tour les chausse-trappes. À chacun des deux membres de l’équipe de prendre en compte et de composer avec les servitudes de l’autre.

Chris Ware, Acme, 2007.

Concentration maximale

Voilà pour le spectaculaire.
Quand arrive Building Stories, on joue les blasés. Il y a bien cette page de garde aux phrases serpentines dont l’avant-dernière, une fois traduite, devra faire entre 48 à 52 signes et où le mot « dieu » devra être placé aux deux tiers avant la fin, tout en se croisant avec un mot de trois lettres de la phrase suivante, comprenant un « d » en position centrale.
Ah, et la « brève biographie de Benedict B. Bee », le brave… bourdon (?) qui boit et se bagarre beaucoup. D’ailleurs, va-t-on garder le « b » ? Ou la logique du français appelle-t-elle une autre lettre en vedette ? À tester.

Chris Ware, Building Stories, 2014.

Mais on en a vu d’autres ! Pourquoi se méfierait-on de tous ces petits pavés de quatre lignes inoffensifs ? Eh bien, parce qu’ils ont quatre lignes sans espace disponible en dessous, sur des longueurs où le moindre mot de plus de trois syllabes bascule à la ligne suivante. Voilà un exercice inédit : vérifier l’encombrement d’une bonne moitié des pavés de l’ensemble, et triturer sept lignes de français, traduites avec la plus grande concision que j’aurais crue possible, pour les réduire à cinq sans rien perdre des nuances. Moi qui étais devenue phobique des adverbes, un simple « m » et ses jambages à rallonges suffisent désormais à m’affoler.

Chris Ware, Building Stories, 2014.

Je me suis sentie plus d’une fois dans une impasse, coincée entre deux impératifs a priori irréconciliables. J’ai mis du temps, et même appris, longtemps après monsieur Jourdain, à faire du « belle marquise » : en désespoir de cause, on trouve parfois le salut en changeant simplement la disposition des mots, pour, ô miracle, gagner une ligne. Plus globalement, traduire Building Stories a ouvert une nouvelle dimension, où la traduction en soi ne représentait plus qu’une moitié de l’objectif à atteindre. La deuxième étant, surtout pas de réduire, ni de compacter… disons, de concentrer à moins 25 % ce premier jet, pavé par pavé, sans en perdre une goutte ni abîmer (ce que je perçois comme) le style de Ware.
Que ce soit pour des raisons d’emplacement prédéfini ou pour tenir dans un espace donné, ce carcan imposé à la version française à différents niveaux par la mise en page débouche sur un autre rapport au texte, rigoureux et ludique, qui oblige à tordre la langue… avant de lui redonner sa fluidité. Et on s’étonne de constater le degré de souplesse de cet instrument.

Les onomatopées : une para-traduction

La deuxième grande spécificité de la traduction de bande dessinée, outre les contraintes d’encombrement, est le traitement des onomatopées.
Certaines sont codifiées, encore que les codes évoluent et que les pistolets fassent de moins en moins pan ! dans la BD française.
D’autres, spécifiques à un auteur, réclament un arbitrage entre trois grandes options : conserver telle quelle la version originale ; la garder en francisant la phonétique ; ou la modifier. Plus l’onomatopée sera imbriquée dans le graphisme, plus on favorisera la première solution.
Sauf cas particulier, tout changement implique d’harmoniser la traduction d’une onomatopée récurrente sur l’ensemble d’un titre afin que la chasse d’eau y produise le même bruit en page 118 qu’en page 12.

Chaque son à sa place

Cette tâche, assez annexe en général, devient une vraie préoccupation avec Chris Ware, chez qui les onomatopées sont incroyablement nombreuses et variées sur des paginations conséquentes. Dans Building Stories, citons les différents bruits d’eau, entre chasses d’eau, douches, fuites et robinets qui coulent ; ou les bruits de pas : les pantoufles de la grand-mère propriétaire, les baskets du voisin neurasthénique ou le martèlement d’une prothèse. Et il ne s’agit là que de grandes catégories. Faire en sorte que chacune des innombrables situations concernées conserve le même bruitage d’un bout à l’autre d’un titre (ou plusieurs, pour Building Stories), parfois à des semaines de travail d’intervalle, n’est pas une mince affaire.
La deuxième contrainte est d’éviter d’attribuer une onomatopée identique ou trop proche à deux bruits différents, pour ne pas brouiller la lecture (en distinguant par exemple le bruit d’un rideau de celui d’un papier froissé). D’autant que le sens du bruit peut être parfaitement explicité par le contexte dans une case donnée, et devenir beaucoup plus ambigu quelques dizaines de pages plus loin, par exemple lorsqu’elle signale une situation invisible. Dans cette nouvelle occurrence, le lecteur ne peut décoder l’information fournie par le son que parce qu’il a déjà associé ce son à une action précise. Une fois établi que Vlouf est le bruit de la chasse, l’onomatopée suffit à me dire qu’Untel, que je ne vois pas, est aux toilettes.
Il est donc essentiel de déterminer des sons qui soient à la fois pertinents en soi et suffisamment différenciés les uns des autres, et d’en figer l’usage. Quitte à renoncer à certaines traductions a priori « évidentes » parce qu’elles étaient déjà couplées à d’autres situations dans les pages précédentes.

Une dernière nuance à ces lignes de conduite.
Dans une œuvre où les onomatopées jouent un rôle aussi pointu, tous ces principes ne dispensent pas d’une réévaluation au coup par coup. On ne commet pas d’erreur flagrante en traduisant kiss par smack. Mais survenant tout à coup dans un contexte romantique, on laisse peut-être plus de place au rêve en gardant le premier… Si l’harmonisation est essentielle pour éviter au lecteur de s’interroger sur ce qui se passe, et pour garder à l’onomatopée sa fonction d’information, il reste souhaitable de conserver assez de souplesse pour qu’elle s’insère dans une scène le plus naturellement possible.

Ces onomatopées qui n’en sont pas

Ce « kiss », tiens, parlons-en.
Pardon à ceux pour qui ce rappel est une évidence, mais il y a entre les onomatopées anglo-saxonnes et françaises une distinction fondamentale. Ces dernières sont censées reproduire le son lui-même, tandis que l’anglais n’hésite pas à reprendre simplement le verbe qui indique l’action en cours.
Il doit cette liberté à des verbes courts aux sonorités souvent éloquentes, voisines du principe de l’onomatopée. SLAM n’est pas le bruit d’un claquement de porte tel que l’entend un Anglais, mais le verbe qui signifie « claquer ». Même s’il n’est pas exclu que le verbe lui-même s’inspire du son…
Cette pratique n’est pas la norme chez nous. Question d’habitude peut-être, mais il faut admettre que la longueur (sonore et visuelle) du vocabulaire français ne se prête guère à l’exercice, au risque de sombrer dans le ridicule. En conséquence, que la version originale propose un son ou un verbe, on traduira généralement par une onomatopée au sens strict.
Or Chris Ware pousse ce recours aux verbes à ses extrêmes, jusqu’au détournement. Ces fausses onomatopées lui permettent de décrire à peu près n’importe quel geste ou action… fussent-ils silencieux.

Chris Ware, Building Stories, 2014.

Si Jimmy mangeait des biscottes au petit déjeuner, peut-être ferait-il scrunch scrunch, que l’on traduirait à peu près à l’identique. Or il fait chew chew, ce qui nous indique qu’il mange, qu’il mâchonne même, sans nécessairement que cela s’entende. D’où la nécessité de passer de l’onomatopée classique à un terme a-sonore, descriptif, quitte à rompre les usages français. Sans basculer dans l’excès qui consisterait à tout traduire ainsi. Ce qui a donné mâche mâche dans la VF.
Dans les grandes lignes, tant que l’on peut proposer en français un son suffisamment descriptif, allons-y. Si le son ou les sons envisageables sont trop ambigus, ou qu’ils ne suffisent pas à restituer les informations véhiculées par la version originale, va pour le principe du calque consistant à utiliser un verbe. La question n’est pas toujours facile à trancher.
Au moins, le choix s’impose lorsque le verbe anglais ne transcrit nullement un son. (Ce qui, répétons-le, est une spécialité warienne. On ne mesure peut-être pas à quel point cette pratique en apparence discrète chez Chris Ware ajoute en détails et en subtilités dans une planche.)
À condition de disposer d’un équivalent adéquat. Je serais bien en peine de me rappeler la façon, sans doute discutable, dont je m’en suis sortie dans la case de Building Stories où un personnage féminin de dos, en pleine discussion, est surmonté d’un petit tuck (littéralement, « faire rentrer », « glisser », « fourrer »… j’avais l’embarras du choix !). Par lequel on nous signale qu’elle ajuste son chemisier dans son pantalon. Je me souviens juste des longues minutes de perplexité et des tentatives de bruitages suscitées par ce petit mot.

Les petits jeux de Chris Ware

Ceux qui ont lu Acme en particulier savent combien Chris Ware aime les jeux de cache-cache. Non ? Il est probable que nous en avons tous raté. De mon côté, je me suis d’autant plus égarée dans les recoins que ma méfiance a crû au fil des pages. Au bout de quelques mois, l’éditeur (Benoît Cousin, qui recevait mes pages au fur et à mesure) et moi étions atteints de paranoïa aiguë, pathologie qui n’affecte pas nos professions plus que la moyenne en temps normal. Lui, sur le visuel ; moi, sur le visuel et le texte.
D’abord c’est tout petit et il y en a partout, jusque dans les pages de garde et de copyright et le bandeau qui entoure le livre – ou les bandeaux, Ware en ayant produit quatre versions différentes, d’après mes souvenirs. Si cela peut consoler les lecteurs, j’ai, moi aussi, eu recours au compte-fils plus d’une fois. Me targuant d’une vigilance sans faille, je suis un peu piquée le jour où on me signale un oubli. Page 84 ? Je ne vois pas. C’étaient quatre petits ronds ridicules que j’avais pris pour des boutons, et qui disaient F O O D. Cherchons donc une traduction en quatre lettres…
Ensuite, Chris Ware s’amuse à glisser des clins d’œil dans les recoins les plus improbables, là où l’on n’a aucune raison de les attendre, ni, en conséquence, de les repérer. Dans les initiales de codes postaux des sociétés en bas des encarts publicitaires, par exemple, où, par un coup de chance, on a soudain l’idée de lire UFKD [1] phonétiquement.

Chris Ware, Acme, 2007.

Ça rend fou. Tout juste si on ne vérifie pas les chiffres des codes barres, au cas où… En tombant sur une référence au photographe « Eadweard » Muybridge dans une planche de Dick Public, je passe vingt minutes, peut-être trente, à chercher un équivalent, en me félicitant d’avoir identifié la ruse. (En changeant ‘ward’ en ‘weard’, on obtient phonétiquement weird : ‘bizarre’. Ha ha…) Voilà notre Eadweard portant le doux prénom d’Edzarb dans la version française.
Dans n’importe quel autre contexte, en présence d’une anomalie, j’aurais vérifié. Je n’ai découvert que quelques mois plus tard, au hasard d’une lecture, qu’‘Eadweard’ était réellement le pseudonyme de Muybridge. J’ai dû le signaler à l’éditeur, sans trop insister. Avec l’idée que cette « erreur » était une petite cicatrice des curieux effets psychiques générés par les procédés de Ware, et qu’elle y avait sa place.

Un lecteur japonais a écrit un jour que la lecture de Proust en lecture rapide lui avait procuré des sensations nouvelles, en lui permettant de découvrir À La Recherche du temps perdu dans une espèce de feu d’artifice.
Pour les traducteurs, c’est l’inverse. Notre plus grand privilège est l’intimité qui naît du lent processus d’apprivoisement et de résolution des difficultés d’un texte.
Avec Ware et son art de poser de nouveaux défis à chaque titre, l’apprivoisement reste tout relatif.
En revanche, aucun des auteurs que j’ai eu le plaisir de traduire, en bande dessinée comme ailleurs, n’a exigé une telle approche à la loupe, autant de questionnements, de temps passé à manipuler les idées et les mots.
Et ce temps décuplé d’efforts et de travail du traducteur, proportionnel à la complexité de l’œuvre, fournit peut-être les conditions idéales pour apprécier à leur mesure la profondeur, la justesse et la richesse de ce que Chris Ware donne à découvrir au lecteur.

Anne Capuron

(À lire pour prolonger cet article : un passionnant entretien avec Anne Capuropn sur son métier de traductrice, en ligne à l’adresse http://www.france-comics.com/article.php3?id_article=4473)

[1You’re fucked, traduit de mémoire par quelque chose comme TBZ. Je n’ai pas réussi à retrouver le passage concerné.