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paroles de dessinateur

Cabu

[1996]

Cabu n’est hélas plus en mesure de donner d’interview. Avec l’accord de l’éditeur – qu’il soit chaleureusement remercié –, nous avons choisi de reprendre ici quelques passages du livre Cabu passe aux aveux ! (propos recueillis et présentés par Jean-Paul Tibéri), Paris : Jean-Cyrille Godefroy, 1996.

L’armée

[Cabu part effectuer son service militaire en 1958, à l’âge de vingt ans, et restera vingt-sept mois en Algérie.]

À cette époque, je n’étais pas vraiment politisé, bien sûr je réagissais en fonction des événements, mais il n’y avait de ma part aucun engagement véritable. Je n’avais pour les militaires aucune sympathie particulière, pour les avoir vus à l’œuvre dans les rues ou dans les bistrots de Chalons.
(…)
Je crois que malgré les menaces guerrières qui planaient au-dessus de ma tête, ce qui m’embêtait le plus, c’était de ne plus pouvoir dessiner à un moment où, justement, je comptais orienter ma carrière vers le dessin publicitaire, car j’envisageais de quitter le studio et ses boîtes de camembert, et ma participation à Ici-Paris, où je travaillais depuis peu, était trop épisodique pour me permettre de vivre. Ceci dit, j’avais quand même la trouille.
Je n’avais pas voulu faire la préparation militaire afin d’éviter d’être gradé ; de toute façon, n’étant pas diplômé, je ne pouvais pas être officier ; car pour être officier, il faut avoir des diplômes !

Tout de suite, j’ai compris qu’il ne fallait pas être bon au tir, car les bons tireurs devenaient « estafettes » et montaient en première ligne. Alors, durant les exercices de tir, je visais carrément la cible d’à côté si bien que mon voisin, lui, devenait remarquable puisqu’il avait plus d’impacts que de balles !
En arrivant au pas de tir, je chaussais mes petites lunettes d’intello qui me valaient de la part de l’adjudant des réflexions du genre : « C’est à cause de mecs comme toi qu’on va perdre la guerre ». Tu parles !
En raison de ma déficience au tir, je ne me suis donc pas retrouvé en première ligne. Une situation peu enviable et particulièrement dangereuse car on précède des hommes armés, il y eut quelques accidents aussi célèbres que regrettables. Ceci ne m’empêchera pas, dès le troisième mois, de participer à des opérations de bouclage, c’est-à-dire qu’on encerclait une région d’environ 5 km de diamètre ; au milieu, dans la zone d’opérations proprement dite, sautaient la Légion et les paras. Nous avions pour mission de tirer sur les hommes qui s’enfuiraient. Nous n’avons jamais eu l’occasion de tirer sur qui que ce soit car nous n’avons jamais vu personne s’enfuir.


(...)
Malgré mes occupations toutes guerrières, j’envoyais à Bled (le magazine de l’armée) des dessins humoristiques et les aventures de la fille du colonel (le proviseur des bidasses), ce qui me valut d’être muté au 5e bureau d’action psychologique. J’y ai réalisé des tracts pour « la paix des braves », pour le référendum, pour appeler à voter De Gaulle, qui représentait une chance de paix et alors soutenu par l’armée. Celle-ci ne pouvait pas se douter qu’il allait la trahir et brader l’Algérie, selon les propres dires des militaires. Puis je me suis retrouvé au quartier général (quartier Velver à Constantine) où la vie se déroulait comme si de rien n’était, de tranquilles généraux déambulaient en automobile conduite par leur chauffeur. Quand on se rendait en ville, on rencontrait une agitation urbaine tout à fait normale, la ville n’était pas en état de guerre, il y avait même du commerce avec des soldats français. De temps à autre, une rue était barrée à cause d’un attentat, mais la vie continuait...
(...)

Durant cette période, j’ai aussi côtoyé bon nombre de militaires non-actifs, mécanos, cuistots, bureaucrates… Mais pour moi, ce sont quand même de vrais militaires, on ne peut pas passer une vie dans le contexte de l’armée sans en épouser les idées. S’ils étaient pacifistes, ils ne seraient pas là !
Peut-être leur fibre militaire vibre-t-elle moins que celle des paras ? Ce qui m’a frappé dans l’organisation de la vie militaire, c’est la déresponsabilisation totale. L’armée materne ses hommes, elle les habille, les nourrit, les loge, leur dit ce qu’ils doivent faire... Il n’y a aucune responsabilité, il n’y a qu’à se laisser aller, un bon bourrage de crâne et le tour est joué, allons enfants de la Patrie ! Ce qu’il y a de paradoxal, c’est que l’armée veut donner une image exemplaire de discipline, d’ordre, de rigueur et c’est en son sein que l’on assiste aux pires scènes de connerie élémentaire, à l’exaltation des instincts les plus primaires, y compris les scènes de beuverie effroyables, des concours de canettes de bière, l’affichage de pin-up dignes des meilleures carlingues de nos routiers, la lecture assidue de romans-films, sans parler des grossièretés ordurières de tous poils (jeu de mots !). Est-ce un système basé sur la brimade qui dépersonnalise ? Je me pose la question.
(…)
Le ciment du moral des troupes c’est la bêtise !

« Droit de réponse »

[Michel] Polac, amateur de dessins, avait envie d’employer des dessinateurs. Il m’avait demandé d’animer son émission, sans pour cela que j’y sois définitivement attaché. Il pensait son émission un peu statique (la suite lui prouva que non) et le dessin provoquait une rupture de ton. L’idée était excellente et le principe était celui de l’intervention directe et spontanée. Bon nombre de dessinateurs m’ont succédé pour ce travail.
J’étais en régie et sur un cadran de 20 cm de côté, je dessinais à l’aide d’un stylet électronique ; le dessin s’inscrivait directement sur l’écran en superposition de l’image.
Comme un bon potache qui barbouille son livre d’histoire, je me suis amusé à affubler les invités de moustaches, de lunettes et autres accessoires. J’ai orné d’une moustache, d’un képi et de menottes, Pastre, le représentant CGT des gardiens de prison. Cette innocente plaisanterie a été très mal vue, d’abord par les invités qui ne se sont aperçus de rien pendant l’émission (il y a pourtant de nombreux écrans de contrôle) et qui se sont plaints ensuite d’avoir été ridiculisés publiquement, ainsi que par la presse qui, comme Jacques Lanzmann dans VSD, trouvait scandaleux que l’on se paye la tête des invités.
C’est incroyable ce que la télé sacralise !
Elle sert à transmettre les informations, la messe (peut-être est-elle la messe des temps modernes !) et on ne peut pas bafouer l’image qu’elle donne, chacun doit y apparaître sous son meilleur jour, glorifié !

Dès la deuxième émission, mes dessins ne passaient plus en direct mais étaient mis en mémoire, si bien que je n’intervenais que quelques minutes plus tard, pour ne pas couper la parole à l’intervenant, ce qui occasionnait un décalage gênant entre les paroles prononcées quelques minutes plus tôt et le dessin. Le système sophistiqué perdait son impact puisque je n’intervenais plus directement, autant dessiner sur du papier et être filmé.
Il y avait là un moyen technique formidable qu’on aurait pu employer au cours d’un journal télévisé, mais qui fait tellement peur qu’on le banalise.
C’est fou ce que la télé effare et comment un peu de vie, un moment de quotidien peut devenir un authentique scandale.

Je me souviens d’un « Droit de réponse » auquel participaient des militaires haut gradés. Polac, connaissant mes convictions antimilitaristes, me demanda de me modérer au vidéographe où j’opérais, au moins pendant la première demi-heure, afin d’éviter que les invités quittent le plateau.
Progressivement j’ai mis le paquet et ces messieurs les gradés ont encaissé avec le sourire et n’ont pas eu le moindre geste de mauvaise humeur. Leur conseiller en communication les avait mis en garde et les avait préparés à toutes éventualités, au cours d’une véritable répétition. Avec Cabu au pupitre, on pouvait effectivement entrevoir le pire.
Très dignes, ils ont donné de l’armée l’image sereine qu’ils voulaient faire passer et rien ni personne ne pouvait les empêcher de délivrer leur message de propagande.

Tout compte fait, l’émission consacrée à la mort de Charlie-hebdo, au cours de laquelle il y eut quelques altercations, une gifle et des bousculades, n’était rien d’autre qu’une bonne empoignade entre gens d’opinions différentes, comme on peut en voir tous les jours dans les bistrots de France et de Navarre. À la télé, ça devient un événement national, il n’y a qu’à voir dès le lendemain l’importance que lui a accordé la presse.
Bernier, un peu éméché et que l’on n’avait pas placé à la table des rédacteurs en chef, ce qui eut le don de l’irriter, face à des gens de Minute : le principe de Polac était de mettre en présence des gens qui, a priori, ne sont pas faits pour se rencontrer et c’était l’inévitable explosion.
Les assistantes étaient catastrophées, elles croyaient que c’était la dernière émission, en réalité, elle y a gagné un terrible regain de publicité car tout le monde s’est mis à la regarder et à attendre la bagarre.
Les intentions de Polac étaient tout à fait louables, il allumait un feu qui devait continuer à brûler après l’émission, c’est-à-dire qu’il pensait que les spectateurs allaient poursuivre le débat chez eux, c’était très ambitieux ! Il donnait la parole à des gens que l’on ne voyait jamais à la télévision, il a invité des régionalistes qui ont enfin pu s’exprimer publiquement.
Cela dit, avec 40 personnes sur le plateau, 90 minutes ne suffisaient pas pour que tout le monde s’exprimât et il planait un sentiment de frustration. Le spectateur, lui, se trouvait frustré quand il n’y avait pas de pugilat.

Depuis la rentrée 82, Siné, Loup et moi-même intervenions dans « Droit de réponse ». Nous réalisions la revue de presse, six dessins chacun, inspirés des titres ou des articles de presse de la semaine, chacun intervenant en toute liberté, selon son humeur. À la projection, cette séquence durait trois minutes, cette rapidité avait l’avantage de « laisser sur place » les « mal comprenants » qui n’avaient le temps ni d’assimiler ni de réagir, alors que pour la réaliser il nous fallait quasiment une journée de travail.

Charlie-Hebdo (première époque)

Cavanna pensait qu’il fallait parler des problèmes généraux parce que l’actualité est fugace et vite oubliée, mais justement un hebdo est fait pour être vite oublié, alors qu’il appartient davantage à un mensuel de traiter des problèmes de société. Hara-Kiri est quasiment intemporel, on se marre toujours en lisant les anciens numéros. Cavanna a raison dans son principe, mais ce principe-là n’est pas bon pour vendre du papier. Nous n’avons pas fait une seule couverture sur le projet de loi « Sécurité et Liberté » qui pourtant a fait couler beaucoup d’encre, or je suis persuadé que les lecteurs attendaient de nous voir prendre position sur ce sujet brûlant, ne serait-ce que pour le plaisir de nous voir nous foutre de la gueule de Peyrefitte. Les changements incessants de formule, en 81, ont précipité la mort du journal, car chaque changement fait perdre des lecteurs (qui ne reconnaissent plus le journal auquel ils sont attachés) et n’en gagne pas pour autant. L’expérience prouve qu’il est toujours dangereux pour un journal de changer de formule, le lecteur s’habitue à un format, même si celui-ci est passé de mode (comme le Canard qui a un papier médiocre et une mise en page dépassée) ; le lecteur a besoin de retrouver le même produit car celui-ci fait partie de ses habitudes.
(…)
Cavanna n’a pas l’esprit soixante-huitard, il n’a jamais admis que l’on puisse donner la parole à tout le monde, y compris aux plus cons, il dit que si c’est bien beau de laisser parler le premier con venu, on en a marre au bout de dix minutes ‒ ce en quoi il n’a pas tort ‒, et qu’il est plus intéressant d’écouter ceux qui ont quelque chose à dire. Il recherche l’intelligence et il a raison, pourtant quelquefois il n’est pas bon de s’arrêter sur un a priori et certaines gens ont besoin de confiance et de temps pour arriver à s’exprimer.
Pour la marche d’un journal, le rédacteur en chef a besoin d’être dirigiste, afin de forger un esprit pour que le journal ait une certaine unité et puisse ainsi trouver sa cible dans les lecteurs potentiels. Pourtant, il me semble bon que le journal puisse de temps à autre profiter d’un bol d’air frais, d’une innovation, d’une trouvaille, de l’apport d’un sang nouveau. (…) Il est vrai que nous avons accueilli Caster et Berroyer, nouveaux arrivés particulièrement talentueux et qui nous permettaient de rejeter l’accusation de « mafia » de copinage et de manque d’ouverture sur l’extérieur. Delfeil de Ton avait proposé quatre pages sous sa direction, un journal à l’intérieur du journal, il aurait fait une sorte de Canard enchaîné plus musclé, un journal en prise directe sur l’actualité. À mon avis, c’était une idée salvatrice qui aurait pu donner un second souffle à un journal qui expirait.

Il y avait à Charlie-hebdo une véritable équipe (au sens de la complémentarité de chacun par rapport aux autres) qui regroupait différentes sensibilités. C’était une véritable démocratie, même si certains ramenaient leur grande gueule pour affirmer que la démocratie n’est un régime idéal que si tout le monde est intelligent, des tendances différentes cohabitaient sans heurts, et la confiance régnait.
C’est quand même le journal où j’ai vu la plus grande liberté, voire la liberté totale accordée à un dessinateur. En ce qui me concerne, je n’ai jamais subi aucune censure ni aucune pression !
(…)
Une équipe (…) conduite par Bernier, seul capable de gérer la survie de la maison, capable de se battre, de rouler des banquiers, de maintenir un équilibre précaire, sans jamais se remplir les poches, suant sang et eau pour la cause, notre cause, jusqu’au jour où, acculé, il nous a vendus à Albin Michel puis à Dargaud.

Pilote

Goscinny m’a refusé en tout et pour tout trois planches, qui honnêtement n’étaient pas très bonnes, on ne peut pas parler de censure car il les avait refusées à cause de leur qualité jugée trop médiocre, et il avait raison, j’avais raté mon coup.
En ce qui me concerne, lorsque je sélectionne des dessins pour les réunir en album, je suis beaucoup plus sévère que lui et je me rends bien compte qu’il y a du déchet. Goscinny, tout en faisant confiance à ses collaborateurs, vérifiait consciencieusement le contenu du journal avant de laisser les machines tourner.
C’était un excellent rédacteur en chef ; peut-être parce que, comme Cavanna, il était dessinateur lui-même et avait pris conscience de ses limites en ce domaine. Il a donné leur chance à des jeunes (Gotlib, Fred, Mandryka, Bretécher, Giraud...), mais a eu plus de mal à accepter Reiser et Gébé comme dessinateurs ; il les a d’abord employés comme scénaristes pendant près de deux ans.
(…)
Il y eut, au cours de mon passage à Pilote, une péripétie journalistique due à un article de Noël-Jean Bergeroux, publié dans Le Monde. Ce journaliste prétendait que Pilote était à la remorque de Charlie-hebdo, que les dessinateurs communs aux deux publications restaient sur leur réserve ‒ il parlait même d’autocensure ‒ quand ils travaillaient à Pilote. Goscinny nous a demandé de publier un démenti et nous avions consacré une dizaine de pages à nous moquer de ce plumitif.
Goscinny, très touché par cet article, était loin de Charlie-hebdo, qu’il trouvait trop outré, et avait pris pour modèle Mad, auquel il avait travaillé durant son séjour en Amérique. Il est vrai qu’il était tout à fait sur les traces du grand frère américain, surtout grâce aux pages d’actualités où se côtoyaient et s’affrontaient deux tendances : les dessinateurs de la BD qui tendaient vers l’actualité et le dessin humoristique, et les dessinateurs de presse qui tendaient vers la BD. Le tout donnait un ensemble assez homogène et souvent détonnant ! Et pourtant, un jour, Reiser et moi-même (Gébé avait déjà rejoint l’équipe du Square) fûmes solennellement convoqués par Cavanna et Bernier, qui en substance nous firent comprendre que l’argument majeur de vente des publications du Square était leur originalité, ce qui signifiait qu’il fallait que nous leur en accordions l’exclusivité ! Cela dit sur le ton : l’exclusivité ou rien !
Après réflexion, nous nous sommes décidés pour le Square où malgré tout, nous nous sentions plus à l’aise, mais vis-à-vis de Goscinny j’ai toujours regretté ce départ. Goscinny l’avait pris comme une trahison et il en avait gardé une certaine amertume, d’autant plus qu’il fut le premier d’une longue série qui devait sonner le glas de Pilote.

En 1968, chez Dargaud, j’avais signé un contrat d’exclusivité de cinq ans pour le personnage du Grand Duduche, qui avait pour conséquence qu’à mon départ je n’avais plus le droit de dessiner mon personnage, ce que, bien entendu, je trouvais absurde. Jugeant ce contrat léonin, je poursuivis les aventures du Grand Duduche dans les publications du Square. Je poussai la provocation plus loin puisque je réunis en album pour les lecteurs du Square des dessins parus dans Pilote, sous le titre Les Vacances du Grand Duduche, et je me retrouvai avec un procès et 6 millions de centimes en moins dans ma cagnotte. (…)
Malgré cette petite anicroche, Bernier, qui cherchait, une fois de plus, de l’argent, avait invité Monsieur Dargaud à dîner. Ils ont sympathisé et ont convenu que si je le désirais, je pouvais retravailler à Pilote. C’est Vidal qui m’a appris la bonne nouvelle et j’ai volontiers accepté cette proposition. Si bien que Duduche a fait son retour dans Pilote, un Duduche très baba cool, complètement décalé par rapport à son entourage ; il est malgré tout resté un potache des années 50. Je voulais accentuer ce décalage du militant écolo par rapport aux punks et autres je-m’en-foutistes bardés de cuir ou de simili.

Le mongolien

Le mongolien ne me valut que des inimitiés, tout comme les rockers, il fait partie de la caste des intouchables.
Pourtant, ce mongolien fut mon voisin pendant 17 ans, nous avions des rapports très sains et, s’il n’était pas d’une intelligence rare, il n’était certainement pas plus con que beaucoup de nos concitoyens dits normaux, c’est ce que j’ai voulu montrer en employant ce personnage. Un mongolien, un beauf : même combat ! À noter qu’un mongolien n’est pratiquement jamais méchant.
Mon modèle a maintenant près de 40 ans, il se porte à merveille et vient de se marier. J’ai reçu beaucoup de lettres d’éducateurs qui disaient ne pas être choqués mais qui comprenaient que des parents, des amis de mongoliens puissent l’être. C’est le coup classique : « Moi je suis intelligent et j’ai de l’humour, mais au nom des imbéciles je vous demande de vous censurer ».
Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas rire des mongoliens alors qu’en toute impunité on peut se moquer des cocus à longueur des pièces de boulevard et de colonnes d’Ici-Paris, la situation des uns ne me paraît pas plus enviable que celle des autres. Dois-je supposer qu’être cocu, c’est bien français, alors qu’être mongolien est une tare venue d’ailleurs ?
Dans le même registre, on peut se moquer des types qui se saoulent la gueule à longueur de journée à coups de gros rouge, alors qu’on déchaîne une levée d’indignation si on se moque des drogués. Pourtant la similitude saute aux yeux.
Moi je crois qu’il faut avoir le courage de la dérision, il est plus facile de se cacher la face plutôt que de dénoncer, même si la dénonciation se fait par le moyen de l’humour.
Ne soyons pas hypocrites et fendons-nous la gueule tant qu’il en est temps !

Mes anciens combattants aussi ont attiré des rumeurs. On devrait me remercier de mettre à la une cette race en voie d’extinction, qu’il faudra penser à protéger, peut-être en ouvrant des réserves, et dont il faudrait se préoccuper de garder un spécimen pour le musée de l’armée. Si les anciens combattants témoignaient de l’horreur de la guerre, j’aurais un grand respect pour eux, mais avec leur(s) jambe(s) de bois et leur batterie de médailles, ils viennent perpétuer l’idée du combat, du patriotisme et témoignent que la guerre est éternelle et inéluctable ; ils méritent d’être bernés. Ils cautionnent l’institution militaire et guerrière qui met en danger notre monde.

(Extraits prélevés aux pages 31 à 45, 71 à 75, 105 à 107, 127 à 132 et 235 à 239.)