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dans l’atelier de... golo

Thierry Groensteen

[Octobre 2014]

Âgé de 66 ans, Guy Nadaud, dit Golo, est installé à Angoulême depuis mai 2014, pour une résidence d’un an. Il travaille à une biographie en bande dessinée de l’écrivain roumain Panaït Istrati.
La carrière de Golo a commencé dans les années 70. Il est l’auteur d’une vingtaine d’albums, dont Ballades pour un voyou (avec Frank, 1979), Le Bonheur dans le crime (avec Frank, 1982), Mendiants et orgueilleux (d’après Albert Cossery, 1991) ou encore Mes mille et une nuits au Caire (2 vol., 2009 et 2010).

NeuvièmeArt : Peut-être pouvons-nous commencer par rappeler quel était ton dernier album en date, avant celui auquel tu travailles ?


Golo : Le dernier, sorti en mai 2011 chez Futuropolis, c’était Chroniques de la nécropole, un récit à quatre mains, conçu avec ma compagne du moment. Nous y racontions notre installation à Gournah, un village de Haute Égypte, mes souvenirs du moment où j’avais découvert ce lieu vingt-cinq ans plus tôt, et la destruction de ce village par les autorités égyptiennes entre 2006 et 2010. L’album a été fait juste avant la révolution et est sorti juste après, ce qui nous a permis d’avoir un peu de presse, en particulier en radio et télévision…

Tu as gardé ta maison là-bas ?

Oui, je suis toujours domicilié en Égypte. Mais la vie y est devenue difficile, puisque le village sur les hauteurs est devenu une sorte de cimetière. Il reste quelques maisons autour, de gens qui, dans les années quatre-vingts, avaient choisi de descendre s’installer au bord des cultures. Mon propriétaire m’a demandé de récupérer le vaste atelier que nous avions construit pour y organiser, chaque vendredi, un atelier d’arts plastiques pour les enfants. Au lieu de cent enfants, nous n’en avions plus qu’une vingtaine. Nous lui avons donc cédé l’atelier et nous en avons construit un plus petit dans notre jardin.

Ce village se trouve à côté de la Vallée des Rois, n’est-ce pas ?

Oui, la Vallée des Rois est juste de l’autre côté de la montagne. Cette montagne n’est pas difficile à gravir quand on aime marcher, et de chez moi jusqu’à la Vallée, à pieds, la promenade prend une heure au grand maximum.

Trois ans et demi se sont écoulés depuis la parution de Chroniques de la nécropole. C’est le temps qui t’est nécessaire pour mûrir un nouveau projet ?

En temps normal, je réalise plutôt un album par an. Pour les derniers livres que j’ai faits chez Futuropolis, je revenais en France une fois par an, livrer le livre que j’avais fini et présenter le suivant, que je livrerais un an après. Mais dans le cas présent j’ai rencontré pas mal d’obstacles. Je crois que s’il n’y avait pas eu la Maison des Auteurs, je serais encore en plus mauvaise situation pour terminer ce livre. Je ne me voyais pas rester tout seul dans ma maison de Gourah, le village ayant disparu et la situation générale dans le pays étant difficile, et en France je n’ai plus de résidence, donc il me fallait un lieu pour travailler. Qui me stimule aussi, parce que je n’étais pas dans le meilleur état psychologique pour reprendre et mener à bien mon projet de livre sur l’écrivain Panaït Istrati, qui avait été interrompu.

Tu avais déjà consacré un album à un autre écrivain, Traven…


Oui, et il y a bien sûr des points communs avec cet album-là (B. Traven, portrait d’un anonyme célèbre, 2007). Dans les deux cas, ce sont des écrivains que je fréquente depuis très longtemps. Traven, je l’ai découvert quand j’avais vingt et quelques années, et Istrati pareil. Les premiers livres que j’ai lus d’eux m’ont été offerts. Pour Istrati, je pense que c’est Frank, le compère de mes premières années dans la bande dessinée, qui m’avait fait cadeau de Présentation des haïdoucs. Dès ce premier contact, j’ai été séduit par ce dont ils parlaient et par leur écriture, donc je suis allé vers leurs autres œuvres et j’ai essayé d’en apprendre davantage sur ces personnages.

Tu as toujours cette démarche d’essayer d’approcher l’homme dont les écrits t’intéressent ?

Non, ce n’est pas systématique. Et ça peut mettre beaucoup de temps. Istrati, je ne me suis vraiment intéressé à sa vie que depuis quelques années. Pour fouiller sérieusement, il faut sans doute déjà avoir l’idée de faire un livre. Il faut se lancer dans des recherches, passer de longues heures en bibliothèque. Ce genre de projet peut aussi être à l’origine de voyages. Pour Traven, je suis allé au Mexique parce que j’avais besoin de connaître les lieux où il avait vécu ; pour Istrati je me suis rendu, il y a deux ans, à Istanbul, Bucarest et Brăila, sa ville natale.

Pourrais-tu présenter Istrati à ceux qui ne connaissent pas ton « héros » ?

Il est donc né en Roumanie, en 1884. Brăila est construite sur un rocher, un peu comme Angoulême, sauf qu’au lieu que ce soit la Charente qui coule en bas, c’est le Danube. À l’époque, c’était un port extrêmement important pour le commerce entre l’Europe centrale et la Méditerranée. Istrati est né dans une famille de paysans pauvres. Il n’a pas connu son père, qui était grec, plus ou moins contrebandier, et qui est mort alors que Panaït avait neuf mois. Il n’a poussé ses études que jusqu’à l’âge de treize ans. Le premier emploi qu’il ait exercé, c’était dans une auberge grecque, à Brăila, fréquentée par les marins, parce qu’il voulait apprendre la langue de son père. Dans plusieurs de ses livres il raconte cette vie très dure de gamin travailleur, à la fin du XIXe siècle ; il travaille seize ou dix-huit heures par jour, ne sort jamais de l’auberge ; il ressent comme une libération le jour où on le charge d’aller faire les courses : il peut enfin sortir, voir l’animation des rues…

Par la suite il fera plein de petits métiers et mènera une vie de vagabondage. Il s’engage très jeune dans les mouvements sociaux. Avec un noble russe qui est devenu son ami, il va partir en Égypte. Pendant des années, il quittera chaque hiver la froide Roumanie pour aller en Égypte. C’est évidemment un aspect de sa vie qui a éveillé quelque écho en moi, puisque j’ai longtemps fait pareil entre Paris et le Caire. Ses voyages se sont arrêtés en 1912 parce qu’il y a eu la guerre des Balkans, puis la guerre entre la Turquie et l’Italie à propos de la Lybie.

Son mentor littéraire fut Romain Rolland…

Oui. Sur le conseil d’un autre ami, Istrati se rend à Paris où il retrouve un camarade devenu bottier, un certain Ionesco, qui aura un rôle très important dans son accès à l’écriture : il lui trouvera un endroit pour travailler, y viendra chaque semaine pour voir ce qu’Istrati avait écrit. Son premier séjour parisien est relativement court, de février 1913 à mai 1914. Il ne parlait pas du tout français. Il va l’apprendre tout seul, en Suisse romande, pendant la Première Guerre mondiale, en dévorant les livres. Tuberculeux, il séjourne en sanatorium. Un jour, son compagnon de chaise longue lui conseille de lire Romain Rolland. Il se plonge aussitôt dans cette œuvre, qui le passionne. Apprenant que Rolland doit venir séjourner dans un certain hôtel, il lui écrit une lettre à cette adresse. La lettre lui revient car, finalement, Rolland ne s’était pas arrêté dans cet hôtel. Des années plus tard, à Nice, fou de solitude, Istrati tentera de se suicider en se tranchant la gorge avec un rasoir. On le sauve in extremis ; on trouve sur lui la lettre à Romain Rolland, on la fait parvenir à l’intéressé qui, immédiatement, va répondre. C’est lui qui poussera Istrati à écrire, qui le guidera, l’aidera à mettre ses projets littéraires en forme et qui, plus tard, l’affublera de ce surnom qui lui restera : le « Gorki des Balkans ».

On peut dire qu’Istrati a déjà eu plusieurs vies avant de devenir écrivain…

Oui, et c’est ce qui le rend fascinant. Cette vie d’errance, son rapport à l’Égypte, et puis cet écrivain qui se fait tout seul. Tous ses livres, il les écrira en français. Cela a été une lutte terrible pour lui de réussir à maîtriser cette langue. Et ses livres sont étroitement liés à la chose vécue, soit d’un point de vue biographique soit parce qu’il parle du monde qu’il a connu. Istrati est d’abord un conteur. Il a su, par l’écriture, faire partager la joie d’écouter des histoires… Les gens qui l’ont connu ont dit que lorsqu’il racontait des histoires, c’était encore plus fabuleux que ce qu’il écrivait.

Selon toi, par quel livre faut-il l’aborder, quand on ne l’a jamais lu ?

On peut commencer par Kyra Kyralina, le premier à avoir été édité, en 1923.

Comment Istrati a-t-il terminé sa vie ?

Il a connu beaucoup de hauts et de bas, il n’a cessé de plonger puis de renaître de ses cendres. Il était devenu extrêmement connu en France, et ses livres étaient traduits à l’étranger. Comme il est considéré comme un grand auteur prolétarien, il est invité en Union soviétique en 1927, pour le dixième anniversaire de la révolution. Il y va avec enthousiasme. Sans être un militant, il adhère à l’idéal communiste. Il va passer un an et demi à bourlinguer à travers la Russie, et il va se rendre compte que la réalité est sans grand rapport avec la propagande. À son retour en France, il écrit ce qu’il a vu, dénonce la dictature et l’arbitraire du régime. Dès lors, toute l’intelligentsia française qui l’encensait jusque-là va le rejeter et le traiter de tous les noms. Il a été obligé de retourner vivre en Roumanie, malade, sans argent. C’est à l’époque un pays complètement fasciste. Il y mourra en 1935, de tuberculose.

À quel moment as-tu conçu le projet de lui consacrer une bande dessinée ?

Après Chroniques de la nécropole, j’ai appris que Futuropolis n’était pas intéressé par le projet de livre suivant que j’avais déposé un an avant. Il fallait que je vienne rapidement avec un projet alternatif. C’est alors que j’ai pensé tout de suite à Istrati et que je me suis lancé là-dedans. Mon éditeur était intéressé par le projet mais ne consentait pas à me donner une avance. Je suis resté un certain temps un peu étourdi puis j’ai cherché d’autres éditeurs.

Ce livre-ci ne paraîtra donc pas chez Futuropolis…

Non, je le fais pour Thomas Gabison, qui dirige, avec Michel Parfenov, la collection « Actes Sud BD ». Le contrat a été signé il y a un an. Il connaissait mes travaux précédents et ce que je lui ai dit de mes intentions concernant Istrati l’a intéressé. Nous avons très vite développé un lien d’amitié.

Quels fils vas-tu tirer dans ce livre, pour lequel il y a, on l’a compris, une matière biographique foisonnante… ?

Comme je l’avais fait pour Traven, je vais essayer d’être le plus précis et le plus vivant possible pour évoquer le parcours de cet homme. Déjà ses origines m’intéressent. Quelques années avant sa naissance, la Roumanie était encore une province ottomane. Il y subsiste donc beaucoup d’éléments orientaux. La bourgeoisie aisée et le prolétariat sont très cosmopolites. Les luttes sociales auxquelles Istrati a participé très jeune m’intéressent aussi, tout comme les distances qu’il a toujours gardées avec les partis, les organisations… Je voudrais essayer de rendre sa recherche de l’autre, son sens de l’amitié, son côté passionné, sa démesure. À fréquenter au quotidien, il devait sûrement être insupportable. Je veux essayer de le ressentir, de l’exprimer à travers un personnage de papier, à travers les mots et les dessins…

Autant qu’une biographie, ce sera un portrait…

Voilà ! D’ailleurs j’avais déjà appelé mon livre sur Traven Portrait. J’espère que les lecteurs intéressés par mon récit iront ensuite vers ses textes.

Ces temps-ci, on peut dire que tu partages ta vie avec Istrati ?

Quand on se plonge dans la vie d’une personne, elle devient tellement présente, tellement réelle… comme une sorte de fantôme qui serait toujours présent. Et on se bat avec elle, quelquefois on ne la supporte plus… Je me mets d’ailleurs moi-même en scène dans certaines séquences du livre, aux prises avec Istrati qui vient me hanter et m’entraîne comme en apesanteur. Donc, tantôt mon personnage sera très vrai, tantôt il deviendra une espèce d’ectoplasme… Je pense que le lecteur fera sans difficulté la part de ce qui est récit factuel documenté et ce qui relève davantage de ma rêverie autour du personnage, même si celle-ci s’appuie aussi sur des choses très réelles. Le sens de l’Histoire, de l’écoulement du temps, est quelque chose de très important pour moi. Mais je pense que nous ne pouvons pas entretenir d’espoir sur le futur si nous ne conservons pas un lien étroit avec le passé. La vie d’un homme comme Istrati est importante par rapport à ce que nous avons à vivre, aujourd’hui, au XXIe siècle.

Quelle importance accordes-tu à ta documentation ?

La documentation est primordiale. J’en ai besoin pour croire à ce que je raconte. S’il me manque une information que je ne réussis pas à trouver, j’enrage et je ne lâche pas l’affaire. Dans cet album, il y a beaucoup de lieux différents à évoquer, et une période assez longue à ressusciter, de la fin du XIXe aux années trente. Autant dire deux mondes différents, avec un bouleversement gigantesque entre les deux qui a été la Première Guerre mondiale. Quand la Roumanie est entrée dans le conflit, en 1916, Istrati est parti s’installer en Suisse, où il a la possibilité d’être accueilli dans des sanas et de se soigner.
À la BnF, j’ai notamment pu consulter la revue que les Amis de Panaït Istrati ont publiée pendant plusieurs années, qui contient beaucoup de choses intéressantes, notamment un reportage extrêmement vivant fait en 1935, juste après la mort d’Istrati, par une jeune femme qui s’appelait Juliette Pary et qui était traductrice de romans policiers. Je ne sais pas si son papier a été publié à l’époque, moi je l’ai trouvé dans une publication plus tardive, des années cinquante. Pary fait parler Ionesco, le bottier, de son ami disparu. Et il raconte leurs rencontres, leurs passions, leurs disputes… C’est un texte qui montre beaucoup de talent, et qui demandait du courage à une époque où la consigne, dans les milieux de gauche, était plutôt de cracher sur Istrati et de lui tirer dans le dos si on pouvait. C’est grâce à ce reportage de Juliette Pary que je vais vraiment être en mesure de faire parler Istrati.

Et pour la documentation visuelle ?

En allant à Brăila, j’ai trouvé des livres avec des cartes postales et des photos de l’époque. L’atmosphère de la ville a dû beaucoup changer : elle était bouillonnante, elle paraît morte aujourd’hui. J’ai retrouvé, intacte, l’auberge grecque où Istrati avait travaillé. C’est devenu un bar très fermé, avec des jeux vidéo. Un escalier mène à la cave, où le jeune Panaït redoutait de devoir descendre, et en y jetant un coup d’œil j’ai vu qu’il y a maintenant une photo d’Istrati dans cet escalier !

Tu t’es d’emblée projeté dans un nombre de pages assez précis, ou tu laisses les choses venir et se préciser à mesure… ?

J’étais parti sur 150 à 200 pages, c’est ce que j’ai annoncé à mon éditeur. Et en fait, j’ai envie de mettre dans le livre plus de choses que ce que j’avais prévu, mais dans moins de pages. De concentrer davantage mon propos, pour aller à l’essentiel.

Quelle sera la scène d’ouverture ?


Istrati sur son lit de mort, dans les vapeurs de la morphine. Autour de lui, une scène de carnaval, une danse un peu folle. J’ai trouvé pas mal de documents sur ce qui existe en Roumanie en fait de carnaval ; il y a de très beaux masques faits avec des écorces, des morceaux de peau, d’autres matériaux… Le carnaval est une des rares occasions où s’exprime encore une création populaire authentique, c’est en cela qu’il m’intéresse énormément. À travers lui je peux évoquer des choses de la vie roumaine : le rapport à la terre, la sortie de l’hiver, le réveil de l’ours… Istrati était extrêmement sensible à la nature et en parlait très bien.
Suivront des petites scènes de la vie d’Istrati, presque sans dialogue et sans explications. Le lecteur ne comprendra pas tout de suite de quoi il s’agit, mais il retrouvera ces éléments dans la suite du récit.

Comment éviter que l’aspect biographique, voire anecdotique, ne prenne complètement le pas sur l’œuvre de l’écrivain ?

En essayant d’être le plus fidèle possible à ce qu’il a écrit et à comment il l’a écrit. Ce que je sais de sa vie vient, pour l’essentiel, de ses livres, dans lesquels il a raconté ce qu’il a entendu et vécu, sous couvert d’un prête-nom : Adrien Zograffi. Chaque fois que je le peux, je compare son récit aux documents extérieurs qui peuvent éclairer la situation évoquée. J’essaie de me sentir libre avec lui, mais de ne pas le trahir.

Quelle méthode suis-tu ? Dans quelles sortes de documents ton travail s’incarne-t-il, avant d’en arriver aux planches ?

Au temps du premier Futuropolis, je ne connaissais rien à la bande dessinée. Je me lançais à l’instinct, poussé par le désir, partagé avec Frank, de raconter des histoires. Par après j’ai appris plein de choses techniques. Maintenant que j’ai acquis une certaine expérience, j’essaie de trouver ce qui me convient le mieux.

J’ai écrit un synopsis complet et, ce qui est plus important, je l’ai complètement dans la tête. Je vois clairement les liens possibles entre toutes les parties de mon récit, tout en me réservant de décider plus tard comment je les raccrocherai. Il y a des scènes incontournables ; peu importe qu’au final elles se retrouvent au début, au milieu ou à la fin. J’ai des débuts de séquences esquissés au crayon, des choses dessinées dans mes carnets de travail, au milieu de mes notes. J’ai quatre carnets pleins. Mais très vite, quand je sens qu’une séquence est prête, j’ai envie de la dessiner et donc je réalise les planches. Peu importe où elle va se situer dans le livre. Je ferai le montage, les raccords, plus tard. Au risque que certaines pages disparaissent de la version finale.

Au jour où nous parlons, combien de planches as-tu déjà réalisées ?

Une trentaine… Je n’ai pas envie de savoir exactement.

Les scènes que je vois esquissées dans tes carnets – qui sont là, devant nous, sur la table ‒, me paraissent dessinées avec la même précision que les planches elles-mêmes. Il n’y a pas de solution de continuité, alors qu’il ne s’agit pourtant que de brouillons…

Pour mon malheur, je dessine avec plus d’aisance dans mes carnets. Dès que je suis face à la planche, je suis contraint par les exigences de la mise en page, et mon trait perd en liberté, en souplesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, désormais, je ne ferme plus mes cases : je fais éclater les cadres, je laisse les images flotter dans le blanc de la page.

Quel instrument utilises-tu pour l’encrage ?

Je travaille à la plume. À l’ancienne. Je maîtrise assez mal l’outil informatique.

Les planches que je vois sont en noir et blanc. Tu vas y ajouter de la couleur ?

Je ne pense pas. Peut-être du lavis… mais dans mes carnets il m’arrive de travailler à l’aquarelle, pour le plaisir…

Quels sont les dessinateurs par lesquels ton travail a été influencé, ceux qui t’ont nourri ?

Il y a beaucoup d’auteurs de bande dessinée que j’aime lire, ou dont j’aime regarder telle ou telle image. Hergé a bercé mon enfance et il reste pour moi une référence incontournable. D’une façon ou d’une autre, il est présent dans tout ce que j’ai fait ‒ même si, à mes débuts, on m’avait catalogué dans la « ligne crade ». Plus tard j’ai découvert Tardi. Dès que j’ai vu ses toutes premières planches paraître dans Pilote, j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’important. C’est d’ailleurs lui qui m’a présenté Robial et Cestac, et m’a permis d’entrer à Futuropolis. Je dois aussi citer Eisner, pour son approche de la bande dessinée comme roman graphique. Je ne me suis aperçu que plus tard que lui aussi faisait sauter les cases ; à cet égard il a pu m’influencer…

Les biographies d’écrivains ou d’artistes sont en train de devenir un genre à la mode dans la bande dessinée. Tu en es conscient ?

Pas trop, non, mais on me le dit. J’avais beaucoup aimé ce que Sfar avait fait avec son Pascin. Pour ma part, j’ai toujours aimé rendre hommage aux gens, aux œuvres qui comptaient pour moi. Déjà Ballades pour un voyou était un catalogue de tout ce que Frank et moi aimions lire, aimions entendre…

Propos recueillis par Thierry Groensteen à la Maison des Auteurs le 24 septembre 2014.