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les histoires vraies de ted benoit et yves cheraqui

Nicolas Tellop

[Juin 2014]

À plus d’un titre et malgré leur peu de notoriété, les Histoires vraies de Ted Benoit et Yves Cheraqui constituent une œuvre charnière. Du point de vue éditorial, d’abord, elles suivent un parcours chaotique caractéristique de l’effervescence des années 70 et 80. Leur genèse ne se limite pas aux prépublications dans (A Suivre) mais s’inscrit plus généralement dans la triangulaire transgressive que la revue de bandes dessinées va former avec ses homologues Métal hurlant et L’Écho des savanes.

« Je vais donc raconter des faits que je n’ai pas vus, des aventures qui ne me sont pas arrivées et que je ne tiens de personne ; j’y ajoute des choses qui n’existent nullement, et qui ne peuvent pas être : il faut donc que les lecteurs n’en croient absolument rien. »
Lucien, Histoires vraies.

En 1977, même si Ted Benoit n’a travaillé qu’une seule fois pour Métal hurlant, il entretient de très bonnes relations avec son rédacteur en chef, Jean-Pierre Dionnet. C’est d’ailleurs lui qui a incité le dessinateur à présenter son travail à Nikita Mandryka, qui dirige alors L’Écho des savanes, où sera publiée la majorité de ses premiers récits courts en bande dessinée. Cette même année, Dionnet présente Yves Cheraqui à Benoit. Le projet des Histoires vraies se met aussitôt sur les rails, mais aucun contrat n’est encore signé. Simultanément, l’ambiance à L’Écho se dégrade en raison du caractère de Mandryka et de l’irruption dans l’équipe du collectif artistique Bazooka. C’est pourquoi Ted Benoit propose ses services à Jean-Paul Mougin. Celui-ci a été recruté par les éditions Casterman pour diriger, aux côtés de Didier Platteau, une nouvelle revue qui marquera « l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature [1] » : (A Suivre). À ce moment, Ted Benoit n’a rien d’autre à lui proposer que le premier épisode des Histoires vraies, dont Cheraqui a commencé l’écriture. Il est publié dans le premier numéro de la revue, en février 1978, attaché à cette nouvelle aventure éditoriale dès les premières heures. La parution des six chapitres suivants s’échelonnera jusqu’à 1982. Le point final apporté au récit, Didier Platteau ne se révèle pas intéressé par une publication en album. Apprenant cette déconvenue, Jean-Pierre Dionnet intervient aussitôt et récupère les droits de l’œuvre. Par ce revers ironique du destin, Histoires vraies finit donc édité par les Humanoïdes Associés au premier trimestre 1982, comme les deux livres précédents de Ted Benoit, Vers la Ligne claire et Hôpital.

Un projet ambitieux et déconcertant


Si les Histoires vraies s’inscrivent à la confluence de plusieurs lignes éditoriales, elles illustrent aussi un moment de permutation dans l’histoire de la bande dessinée. Le projet tire ses origines dans les fondements underground des années 70, essentiellement définis par Métal hurlant. Sans surprise, il s’agit de science-fiction, genre privilégié par la revue de Jean-Pierre Dionnet, dont on a dit le rôle d’entremetteur dans la collaboration entre Benoit et Cheraqui. Il y est question de voyage dans l’espace et de robots meurtriers, forgés dans ce « métal hurlant » qui fut alors en France le sésame à une nouvelle forme d’expression. Mais en se voyant prépubliées dans (A Suivre), et surtout en franchissant le cap d’une nouvelle décennie, les Histoires vraies vont changer de nature. Les auteurs n’ont pourtant pas changé leur fusil d’épaule au milieu du récit – tout porte à croire au contraire que les grandes lignes étaient déjà déterminées dès 1978. Cependant, le projet, s’il naviguait encore dans les eaux humanoïdes de la contre-culture débridée, regardait déjà dans une autre direction. Quand Mougin vante le choc d’une rencontre entre bande dessinée et littérature, l’hybridation recherchée ne dit qu’une seule chose : le besoin d’une forme qui renouvelle le genre et qui, accessoirement, lui apporte une légitimité. Bien sûr, avant (A Suivre) il existait déjà une exigence de cet ordre, mais elle n’était pas revendiquée. On privilégiait la teneur du récit et sa dimension transgressive, sans oublier une émancipation hallucinée du dessin. (A Suivre) va transférer en partie la jouissance libertaire propre au sous-genre vers la recherche d’une approche plus noble qui a à voir avec la littérature et en particulier avec le roman.

En effet, Histoires vraies adopte un format et un rythme de lecture tout à fait singuliers, très éloignés de l’image qu’on peut se faire d’une bande dessinée de science-fiction. D’abord le récit compte peu d’action, au sens commun de péripéties. Pas de grandiloquence ni d’héroïne voluptueusement dénudée non plus, comme c’était souvent le cas chez Métal hurlant. Au lieu de cela, la narration se fait volontiers obscure, refusant obstinément de prendre le lecteur par la main – sauf à l’égarer dans un dédale rigoureusement alambiqué. Les auteurs ne s’attardent jamais à planter le décor, sinon a posteriori, laissant plutôt s’installer une certaine sécheresse narrative. Les ruptures de ton se multiplient, les épisodes s’enchaînent sans logique clairement apparente et déconcertent le lecteur non averti. Ce dernier est d’ailleurs soumis à une fréquence de prépublication pour le moins irrégulière, qui affiche une forme de mépris pour sa nature feuilletonesque [2]. Détail assez révélateur : Ted Benoit parle de chapitres plutôt que d’épisodes pour désigner les sept segments d’Histoires vraies.

L’hétérogénéité stylistique du dessin de Ted Benoit n’arrange pas les choses. Entre le premier et le dernier chapitre, le trait n’a cessé d’évoluer, ce qui nuit à la cohérence d’un album. On comprend que l’éditeur ait pu craindre une réaction négative de la part du lectorat, ainsi placé dans une situation d’inconfort assez inhabituelle. Pourtant, ne serait-ce qu’à titre documentaire, cette disparité n’est pas sans intérêt. Ted Benoit est autodidacte. Après des études de cinéma et un court début de carrière à la télévision, il décide de s’orienter vers la bande dessinée, mais sans réelle notion de dessin. Au cours des années 70, ses premières tentatives s’appliquent à imiter des modèles graphiques : d’abord les auteurs underground américains comme Gilbert Shelton, et puis le choc Moebius, dont les hachures exercent sur l’apprenti dessinateur une grande fascination. Le deuxième chapitre des Histoires vraies en est assez représentatif, puisque Ted Benoit y renoue avec un style dans lequel il s’épanouit depuis 1976. La ligne du dessin est riche en raies qui ébauchent les ombres et donnent de la consistance aux volumes. L’influence de Moebius semble tout à fait digérée, comme Ted Benoit le signale lui-même à propos d’un récit de cette époque : « Je trouve original [de] me démarquer de lui en traçant mes hachures parallèlement – et non perpendiculairement – aux contours des volumes » [3]. Se superpose à cela un travail sur la trame, auquel on a déjà pu voir le dessinateur se confronter pour les toutes premières apparitions de Ray Banana dans L’Écho, avec « Le Jeu du déjà-vu », « Ray Banana » et « Le Principe du futur antérieur », sans doute influencées par le travail de certains graphistes du groupe Bazooka, lui-même en partie héritier du Pop art. Une réelle densité du dessin qui s’exerce dans ce jeu des textures. Ted Benoit varie sans cesse l’espacement des hachures et le maillage des points de trame pour créer des effets de profondeur et de matière.

Pour le chapitre 3, la trame se fait beaucoup plus discrète, et les hachures ont, elles, complétement disparues. L’effort s’exerce davantage sur les noirs, dont Ted Benoit n’est d’ailleurs pas satisfait : il le qualifie de « mauvais ersatz de style ‘‘à la Milton Caniff’’ ». Les traits sont dessinés au rapido, tandis que les noirs sont appliqués au pinceau, et c’est peut-être en partie ce métissage qui donne au récit une impression tenace d’étrangeté. Toujours est-il que la continuité entre les deux chapitres témoigne d’une volonté de stylisation dans la représentation des personnages et de l’espace, ramenant les nuances de texture à l’essentiel.

Un seuil est franchi au chapitre 4, puisque trame et hachures ont alors complètement disparu, de même que les noirs. La profondeur de l’espace et les jeux d’éclairage sont assumés par un lavis tout en nuances de gris très tranchés. Le trait a abandonné sa dimension réaliste pour entrer de plain-pied dans ce que Joost Swarte nomme à la même époque la « Ligne claire ». La chose est encore plus évidente au chapitre suivant, où l’ensemble des traits est ramené à une épuration géométrique frappante. Premier plan et arrière-plan sont traités de la même façon, dans une forme de neutralité technique qui confine à l’abstraction. Plus aucun doute n’est permis au chapitre 6, dans lequel le dessin évoque formellement Hergé, Joost Swarte, mais aussi les futures aventures de Ray Banana : Berceuse électrique et Cité lumière. Au fil des Histoires vraies, on peut donc suivre le cheminement graphique de Ted Benoit « vers la Ligne claire » (pour rappeler le titre de son premier livre, qu’illustre tout aussi bien celui-ci), style aujourd’hui indéfectiblement lié à l’auteur. Il aura fallu cinq à six récits pour y parvenir, avec une résolution de schématisation stylistique toujours repoussée. Les modèles se sont succédés (Moebius, Caniff, Hergé) dans une recherche d’épure et de maîtrise graphique exigeante.

Des robots et des hommes

Le récit des Histoires vraies rappelle, on le verra, certains ouvrages de Philip K. Dick, comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de science-fiction affichant une réelle exigence sur le fond. Mais le premier chapitre évoque surtout le film de Stanley Kubrick 2001, L’Odyssée de l’espace. En sortie à l’extérieur d’un immense vaisseau spatial, l’Eden-A, trois techniciens cosmonautes se débarrassent d’un quatrième en programmant un robot pour exécuter le meurtre. L’analogie avec HAL 9000, même si elle est limitée, semble évidente : un robot commet un assassinat, et c’est le déclencheur d’une humanité qui s’éveille en lui [4]. Ce point de départ amorce dans la suite du récit la progressive émancipation des robots, à l’intelligence et à la conscience de plus en plus affinées.

À partir du chapitre 3, on comprend que les habitants du vaisseau sont confrontés à des anomalies dans le comportement des automates. Leur mission est à l’origine celle de tout robot, inscrite dans son étymologie. Le terme est né en 1923, de la plume de l’écrivain tchèque Karel Capek. Dans sa langue natale, « robot » veut dire « serviteur » ou encore « travailleur asservi ». Les trois astronautes du début ont utilisé le robot de cette façon : pour lui faire exécuter le sale boulot. Dans ce troisième segment, un ingénieur tente désespérément de trouver l’origine technique du dysfonctionnement détecté chez certaines machines. « Altération des fonctions logiques », peut-on lire sur un document, mais le problème est plus complexe. Un de ses collègues soumet un robot à un interrogatoire, et ses questions tournent autour de la personnalité et de la vie. Telle est la véritable altération qui se produit chez les machines : elles sont soudainement dotées d’une vie propre, d’une personnalité, autrement dit d’une individualité et d’un libre-arbitre.

C’est ainsi que le récit charrie des réminiscences du roman de Dick Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? [5], à la différence que les robots gardent jusqu’au bout leur apparence mécanisée. Chez le romancier américain, l’humanité des androïdes est d’autant plus troublante qu’ils allient à leur conscience artificielle mais profonde une forme humaine parfaitement contrefaite. Avec Benoit et Cheraqui, les robots possèdent certes une morphologie humanoïde, mais sans aucune dissimulation de leur apparence machinique. L’E-GENE 18 du chapitre 4 et le modèle 300 du chapitre suivant ont des bras, des jambes, une tête et un tronc, mais leur rapport à l’anatomie humaine s’arrête là. Ce détail est fondamental, parce qu’il montre les robots s’affirmant en tant que machines. Il ne s’agit pas de la résistance larvaire d’un simulacre qui tient à se faire passer pour réel, d’un mécanisme artificiel qui voudrait paraître naturel, mais de machines qui tentent d’être reconnues comme telles. Les robots ne tiennent pas à être pris pour des êtres humains ; ils veulent être perçus comme des machines égales aux êtres humains – et même, par la suite, supérieures. L’humanité n’y est plus un modèle dominant, mais seulement un mode d’existence secondaire.

Le nom du modèle qui pose problème au chapitre 4, E-GENE, est révélateur. Le jeu de mot avec « eugénisme » n’est pas difficile à reconstituer. Les origines du terme sont liées aux théories de l’évolution de Charles Darwin, puisque celui qui a forgé le néologisme, Francis Galton, était le cousin du naturaliste. Son étymologie est héritée du grec : eu (« bien ») et gennaô (« engendrer »). Il s’agit de faire évoluer l’espèce vers son amélioration. On connaît les dérives idéologiques du concept, et le jeu de mot signale le danger que représente l’affranchissement des robots. Cela ne veut pas tant dire que la machine est l’avenir de l’homme, sa version améliorée (encore qu’il y ait déjà là matière à inquiétude), mais que, soumis aux lois de l’évolution, le développement de la vie mécanique risque de faire émerger sa suprématie sur la monde et ses habitants. L’écrivain-philosophe Samuel Butler, profondément marqué lui aussi par la lecture de L’Origine des espèces, développe explicitement cette idée dans une célèbre lettre intitulée « Darwin parmi les machines ». Au XIXe siècle, il écrivait ces mots qui pourraient très bien s’appliquer à Histoires vraies : « Jour après jour, les machines gagnent du terrain sur nous ; jour après jour nous leur sommes asservis ; chaque jour de plus en plus d’hommes sont liés à elles comme des esclaves pour s’en occuper, chaque jour un plus grand nombre d’hommes consacrent leur existence au développement de la vie mécanique » [6]. C’est pourquoi l’émancipation des robots est immédiatement perçue comme une menace par les habitants de l’Eden-A, qui tentent d’en endiguer le développement dans le chapitre 3, de traquer les déviants dans le quatrième, d’entreprendre d’une ségrégation discriminante dans le cinquième, et enfin d’entrer dans une résistance désespérée et sanglante dans le sixième. Ce dernier segment répond même littéralement aux vœux de Samuel Butler qui pensait « qu’une guerre à mort devrait être déclarée sur-le-champ. Toute machine de n’importe quel type devrait être détruite par celui qui se soucie de son espèce. Ne faisons aucune exception, pas de quartier ! » Ibid., page 17.


Cette vision de la machine s’inscrit pleinement dans l’œuvre de Ted Benoit, qui a toujours porté un sur elle regard équivoque : le robot instrument de la technocratie dans « Trahi par Beethoven » (1976), le simulacre androïde d’Eisenhower que manipule Ray Banana pour conquérir le pouvoir dans « Le Principe du futur antérieur » (1978), sans compter les altercations suivantes du célèbre personnage aux ray-bans avec des robots dans Berceuse électrique – une hostilité qui reste prégnante encore aujourd’hui, comme en témoigne la couverture du prochain livre de l’auteur, La Philosophie dans la piscine, qui rappelle certaines images d’Histoires vraies. Cette défiance face aux machines s’inscrit dans une critique plus générale contre la modernité et le progrès. L’odyssée de l’Eden-A, à la destination incertaine, traduit symboliquement la volonté de poursuivre une utopie du progrès fondée sur l’espérance en un paradis terrestre au sein duquel l’humanité serait libérée du poids du travail perçu comme malédiction. Les robots – serviteurs, travailleurs asservis – assument ce rôle dans le vaisseau, laissant aux hommes tout le loisir de leur destinée. Mais cet asservissement mécanique a son revers et menace de se renverser, comme l’enseignent les philosophies dites des « anti-Lumières ». Le penseur Gilbert Simondon explique ainsi que « la machine est un esclave qui sert à faire d’autres esclaves. Une pareille inspiration dominatrice et esclavagiste peut se rencontrer avec une certaine requête de liberté pour l’homme. Mais il est difficile de se libérer en transférant l’esclavage sur d’autres êtres, hommes, animaux ou machines ; régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c’est encore régner, et tout règne suppose l’acceptation des schèmes d’asservissement » [7]. Il se dégage de la bande dessinée un discours propre à l’underground et aux philosophies contre-culturelles des années 70, refusant la tyrannie des sociétés robotisées, dominées par la « mégamachine » du progrès, comme la nomme Serge Latouche [8], dernier avatar travesti du despotisme, dissimulé derrière le bien commun.

Le premier chapitre de la bande dessinée est peut-être celui qui exprime le mieux cette ambivalence du progrès. Sont apposées à un discours du président J.F. Kennedy des images montrant les différentes étapes du meurtre exécuté par les cosmonautes. Les résonnances épidictiques et galvanisantes du message, vantant la nécessité d’un investissement national des États-Unis dans la conquête spatiale, entrent en totale contradiction avec le récit qui se trame sous nos yeux. Le procédé rappelle la courte bande dessinée intitulée « Ray Banana », parue dans L’Écho la même année, et dans laquelle les fragments d’une histoire sordide digne des meilleurs polars désenchantés alternaient avec une série d’aphorismes du président chinois Mao. À chaque fois, on assiste à un court-circuit des discours mis en présence l’un de l’autre, un parasitage idéologique qui offre le contre-champ d’une utopie mensongère. Il s’agit de discerner les non-dits silencieux contenus dans une doctrine politique. On perçoit toute l’ironie acerbe des auteurs quand les paroles de Kennedy, arguant que le pays « ira de l’avant, avec toute la vitesse que donne la liberté, dans la passionnante aventure de l’espace », sont mises en regard avec la dérive mortelle du pauvre cosmonaute dans les profondeurs obscures de l’infini. Tout esprit de conquête se double fatalement d’un envers meurtrier, et le progrès n’échappe pas à la règle.

L’ascension émancipatoire des robots signifie la chute de l’humanité. Histoires vraies croise l’influence dickienne de Do Androïds dream of electric sheep ? avec un autre roman moins connu de l’auteur : Le Bal des schizos, auquel on préférera le titre original We can build you (1972). Les robots ne sont pas les seuls dont on construit la conscience artificiellement et mécaniquement, les êtres humains eux aussi peuvent être l’objet d’une manipulation de cet ordre. Au sein d’un monde saturé par le simulacre androïde, le héros du roman de Dick en arrive à douter de lui-même et de sa propre humanité. Dans le chapitre 5 d’Histoires vraies, le professeur Filou tente d’isoler la cause de la déviance chez les robots émancipés. Croyant l’avoir découverte, il essaie de la susciter chez un robot neutre mais il ne parvient qu’à provoquer sa propre aliénation. Il est aussitôt victime du « zombisme ». Son humanité semble lui avoir été ôtée, remplacée par une torpeur somnambulique. Sa personnalité est comme retranchée en dehors de lui-même, tel que le signale sa réplique finale : « Tu peux appeler je E 406, je préfère ». Une phrase de Dick pourrait résumer l’idée ici à l’œuvre : « En leur donnant la vie, nous nous vidons nous-mêmes » [9]. La domination technocratique des machines est inséparable d’un asservissement de l’humanité, qui confine à l’aliénation. On en trouve une autre image dans le chapitre 6, avec le robot de contrôle qui promène un homme zombifié comme un chien (policier), totalement nu à ses côtés. L’allégorie du pouvoir despotique qui soumet l’individu à sa loi est éloquente.

L’évolution graphique de Ted Benoit y puise toute sa motivation. La progressive déshumanisation des passagers est mise au diapason d’un style de moins en moins dense, de moins en moins fouillé, mais de plus en plus stylisé, schématisé, dépouillé jusqu’à une certaine forme d’épure profondément technique. En perfectionnant sa pratique de la Ligne claire, Ted Benoit atteint une certaine froideur, un détachement qui exclut la vision personnelle, mais qui s’attache à un modèle extérieur, anonyme, objectif, où tout est mis à plat. La mise en page du dernier chapitre à bord de l’Eden-A, le sixième, redonne vie à l’héritage du Bauhaus, ce style architectural et artistique qui naquit en Allemagne dans les années 20, et qui n’est pas étranger à l’orientation graphique d’Hergé. Fidèle aux principes du mouvement, la déconstruction traditionnelle de la planche, très géométrique, signale une attention conjointe au style et à la fonctionnalité. Et il y a, dans ce glissement vers la technique fonctionnelle, tout un discours sur les événements mis en scène dans la bande dessinée. Le dessin y assume de plus en plus le rôle du simulacre, de la contrefaçon, du faux-semblant, de l’artifice controuvé – parce que seulement fonctionnel, et pas vivant. Les hachures et les points de trame apparaissaient déjà comme une forme de décomposition de la réalité, éparpillée et décomposée en fragments. La Ligne claire marque le triomphe final de l’aseptisation mécanique et de l’uniformisation despotique. Symboliquement, au début de chaque chapitre, une fine bande en haut de la première planche mesure l’évolution de cette déperdition du réel : d’abord franchement noire, elle s’éclaircit au fur et à mesure des épisodes, jusqu’au chapitre 6 où elle est composée de traits tracés pêle-mêle, dans une régularité toute géométrique. L’automatisation du dessin reflète celui de la vie, telle qu’elle est désormais subie dans le vaisseau.

Révolution underground

Face à l’uniformisation du conformisme mécanique, la folie semble constituer l’ultime rempart. Dans le chapitre 4, les patients de l’hôpital psychiatrique sont appelés à l’aide pour détecter les robots déviants, parce qu’ils offrent deux qualités essentielles : ils font « preuve d’un coefficient de singularisation hors du commun », et ils pourront avoir l’avantage de la surprise sur les machines, car « une tactique unique s’impose : la spontanéité ». La folie n’est plus un handicap, mais un privilège qui permet de mettre en avant une singularisation. Elle est reconnue en tant qu’elle permet à l’individu de s’affirmer au milieu du groupe, de s’en distinguer et d’échapper à la gangrène sociale. Quand il s’agit de décrire le fonctionnement d’une faction de la résistance face aux machines dans le chapitre 6, on retrouve la même idée : « tous ces gens m’ont l’air un peu dérangés. L’inorganisation est la seule méthode valable contre les robots ». Cette réflexion est représentative de l’underground et des mouvements culturels émergés au cours des années 70. Le chanteur Elvis Costello, alors en pleine période punk, explique en 1978 que sa « vocation ultime dans la vie est d’agacer. Pas de faire quelque chose de foncièrement destructeur, mais d’agaçant, de désorientant. D’être quelqu’un qui perturbe le train-train quotidien juste assez pour laisser penser à sa victime qu’il existe autre chose au-delà de la simple routine de l’existence » [10]. Cette vocation à la désorientation, elle est encore plus clairement formulée par Guy Debord dans ses Thèses sur la révolution culturelle : « la victoire, disait-il, sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans l’aimer » [11]. Le narrateur du chapitre 6 regrette de côtoyer des gens « un peu dérangés », mais il n’en reste pas moins qu’ils représentent un espoir pour vaincre le conformisme technocrate. Désorientation, désordre, dérèglement : il faut perturber la norme, la faire sortir de son carcan logistique pour la plonger dans l’irrationnel – autrement dit dans ce qui fonde véritablement notre humanité.

Pour reprendre des termes forgés par Max Dorra, les robots représentent la norme en tant qu’ils fonctionnent comme des mimétons : « signes de reconnaissance d’un groupe. Les mimétons, sans en avoir l’air, nous imposent une image de nous (et un rôle), faux destin en réalité, cliché simpliste, stéréotype du groupe qui, en angoissant, cherche à perpétuer sa domination » [12]. Le terme convient bien au conformisme qui provoque l’aliénation, une mise à distance de soi-même, une zombification. Cette dépersonnalisation apparaît dans la manière dont les robots s’affirment dans le discours. L’emploi du pronom personnel y est désincarné, à l’image de l’ultime phrase prononcée par le professeur Filou : « Tu peux appeler je E 406, je préfère ». Si le « je », sujet agissant qui intervient dans le monde physique, conserve son rôle et sa valeur, le « moi » s’efface complètement, puisqu’il renvoie à l’identité, à la conscience, à l’individuation – qui n’ont plus de sens. « Tu peux appeler je », car le moi n’est pas là, il a disparu, englouti par le miméton. La folie – désorientation, désordre, dérèglement, libre association – va dans le sens inverse, elle est ce que Dorra appelle une transrelle, qui « peut casser les rôles » [13]. « Passerelles de transgression, transrelles, véhicules magiques, indispensables à qui veut, en associant, explorer sa propre mémoire, la banque du sens. Merveilleuses transrelles, antidotes, missiles antimissiles, armes absolues contre les mimétons » [14]. En s’écartant de la norme, la folie jette des ponts pour s’évader vers un monde de singularités qui permet de transgresser la norme. La spontanéité y est une ultime parade car, irrationnelle, libre et décomplexée, elle fait voler en éclat le hiératisme des machines, mimétons mortifères.

Une scène concrétise et en même temps dépasse ce théorème. Dans le chapitre 4, la jeune femme blonde, patiente de l’hôpital psychiatrique qui recrute des chasseurs de robot, se mesure à E-GENE 18 à l’occasion d’une partie d’échec. Alors que le jeu débouche sur un match nul, la demoiselle adresse ces paroles mystérieuses à l’androïde : « Je vous a comprise ». Elle adopte alors la syntaxe spécifique aux machines, qui condense l’expression de la première personne avec un verbe conjugué à la troisième – une affirmation désincarnée de soi. Sauf que la jeune femme, en accordant le COD « vous » avec le participe passé « comprise », signale qu’elle a su voir en E-GENE 18 autre chose qu’un robot : une femme. Mission accomplie : l’individuation de la machine est révélée, la folie l’a emporté sur la froide logique du robot. Le match nul symbolise le degré d’égalité qui rapproche les deux joueuses, si différentes soient-elles. Le masque du miméton vole en éclat sous le choc de la transrelle. E-GENE 18 se défend comme elle peut : « je pense pas », rétorque-t-elle. Mais la jeune femme a réponse à tout : « je non plus ». Il est aisé de saisir l’allusion explicite au « je pense donc je suis » cartésien, dont la jeune femme s’écarte résolument. « Je ne pense pas / je non plus » : Benoit et Cheraqui semblent approcher la formule du « cogito d’un moi dissous » [15] de Gilles Deleuze. « Un court instant nous sommes entrés dans cette schizophrénie de droit qui caractérise la plus haute puissance de la pensée, et qui ouvre directement l’Être sur la différence, au mépris de toutes les médiations, de toutes les réconciliations de concept [16] ». Ne pas être soi et ne pas penser sont les meilleurs moyens pour accéder aux profondeurs de la pensée. Ultime et inattendue transrelle : robot et femme sont mis au même niveau, l’un parce qu’il consent à une aliénation, une volonté de se fondre dans le groupe pour passer inaperçu (miméton), et l’autre parce qu’elle fait l’objet d’une singularisation exacerbée, capable même de s’identifier à un robot et d’avoir de la compassion pour lui (transrelle). « Transrelles et mimétons sont comme deux boutons dépareillés cousus par le même fil [17] ».

Dédoublement

À plusieurs niveaux, les robots sont apparus comme les doubles des êtres humains : en apparence et dans un premier temps esclaves chargés des basses besognes de l’humanité, et puis finalement et en réalité reflet de l’aliénation des hommes, de leur dévoration par les mimétons du groupe, qui annihilent en eux toute trace d’individualité. De cette façon, Ted Benoit et Yves Cheraqui développaient un récit aux résonnances puissamment métaphysiques. Or, « le regard ouvert par la métaphysique sur le monde est louche, dédoublant les choses comme des objets déchirés entre franges ondulantes mais corpusculaires, fluxueuses mais dures » [18]. Et en effet, on n’en a pas fini avec le dédoublement. Un ultime chapitre, le septième, a été volontairement tu jusqu’ici. Il se passe sur Terre, dans le futur. Un homme, Armand, est pris d’un malaise. Il s’agit d’un voyant qui permet de rester partiellement en contact avec l’Eden-A : les visions qui lui parviennent du vaisseau lui montrent la manière dont se déroulent les événements. Mais ce pouvoir a aussi ses limites, car il semble l’épuiser physiquement. C’est pourquoi il est emmené dans un centre médical pour faire l’objet d’une régénération. Son corps est dupliqué et ainsi remis à neuf. L’opération terminée, il se rend à une sorte de conseil qui doit décider du sort de l’Eden-A. Les autres membres sont des voyants comme lui, et tous arrivent à la conclusion que la colonisation entreprise avec ce vaisseau n’a plus de raison d’être, puisque les êtres humains n’y sont plus qu’une « micro-minorité en voie d’extinction ». L’Eden-A, à des années lumières de là, est anéanti sur le champ.

La destruction d’un monde, l’Eden-A, a donc été subordonnée à des visions, mais aussi à une anticipation calculée : « toutes les idéo-visions ont été confirmée par extrapolation » (exactement comme la partie d’échec avec E-GENE 18). La révélation est fracassante. Tous les chapitres précédents n’ont été que des projections oraculaires, le double illusoire d’une réalité (celle du vaisseau) dont on ignore en fin de compte tout ou presque. Car le regard oraculaire des voyants n’est que partiel. On le comprend quand un des membres du conseil demande à Armand : « Et vous, vous lui avez fait quelle tête, au capitaine ? » L’ironie de la question réside dans le fait que son interlocuteur arbore précisément le visage de l’officier apparu dans le chapitre 6. En tentant de saisir la teneur des événements à venir à bord du vaisseau, le voyant les adapte à son environnement. Ainsi, tous les personnages des chapitres précédents sont des connaissances d’Armand, pour la plupart réunies autour de la table du conseil. Par exemple, la mystérieuse femme blonde, qui revient par-delà les rives du temps au cours de la bande dessinée, s’avère être la femme d’Armand ; l’héroïne en manque de maternité du chapitre 3 possède les mêmes traits qu’une standardiste précisément enceinte, etc. Même au sein de ses visions, la réalité d’Armand reste prégnante.

Le septième segment d’Histoires vraies lève ainsi le voile : « Comme vous le savez déjà, cette septième et dernière réunion sera suivie d’une prise de décision », annonce le président du conseil. Les sept réunions coïncident avec les sept chapitres, et tout un réseau de correspondance s’établit entre celui-ci et les six précédents. Le trouble de cette révélation tient à la prise de conscience que tout ce qui a précédé n’était qu’une forme de simulacre, un vision louche, double, dans laquelle se superposent deux mondes – celui de la Terre et celui de l’Eden-A. Comme Clément Rosset, on pourrait dire que la profondeur et la vérité de la parole oraculaire sont moins de prédire le futur que de dire la nécessité asphyxiante du présent, le caractère inéluctable de ce qui arrive maintenant [19] ». Le parasitage qui se joue entre la réalité et les visions, entre le présent et le futur, entre la terre ferme et le vaisseau spatial déploie toute l’ambiguïté du titre de la bande dessinée : Histoires vraies. Finalement, le récit est doublement faux, deux fois artificiel. D’abord parce qu’il s’agit de science-fiction, et que le genre repose sur des extrapolations parfaitement chimériques (tout le contraire de la « vérité » promise). Et puis parce que les six premiers récits reposaient sur une autre forme d’extrapolation, au sein de laquelle les acteurs ne concordaient pas avec leurs rôles. Si ces personnages ne sont pas censés être eux-mêmes mais des autres, alors on peut aller jusqu’à douter aussi des événements, copies falsifiées du réel.

Mais la contradiction est peut-être plus retorse qu’en apparence. Ces histoires sont doublement fausses, parce qu’elles s’identifient comme une illusion renfermant des illusions. Or, si ces histoires sont néanmoins et finalement vraies, c’est justement qu’elles sont dédoublées. « Dans l’illusion, [l’]espoir [du retour du réel] est vain : le réel ne reviendra jamais, puisqu’il est déjà là » [20]. Derrière le simulacre se cache en fait une vérité plus profonde. Ted Benoit et Yves Cheraqui utilisent « la technique de l’illusionniste [qui] escompte le même effet de déplacement et de duplication […] : tandis qu’il s’affaire à la chose, il oriente le regard ailleurs » [21]. Alors que les auteurs nous montrent la comédie humaine et robotique qui se joue à bord du lointain Eden-A, ils s’intéressent en réalité à un tout autre théâtre, celui du réel. Tous les chapitres précédents appartiennent à un autre monde, que ce monde-ci vient remplir [22]. Pour paraphraser de nouveau Clément Rosset, tout le mystère des Histoires vraies et d’Armand en particulier est « de renvoyer à soi-même, et non à l’autre » [23]. En somme, le voyant assume la narration externe des chapitres précédents, et il vient ainsi en doubler la réalité, comme on ferait le doublage d’un film, mais en en escamotant jusqu’aux images. Lui-même est double, puisque son identité vient à son tour remplir un autre corps, à côté du sien. Ainsi, dans les Histoires vraies, « le sens n’est pas donné par soi-même, mais par un autre » [24].

De ce point de vue, si ces histoires sont vraies, c’est qu’elles sont le double d’une autre réalité, chapitre 7 y compris. En effet, « ce monde-ci, qui n’a par lui-même aucun sens, reçoit sa signification et son être d’un autre monde qui le double, ou plutôt dont ce monde-ci n’est qu’une trompeuse doublure » [25]. Tout s’éclaire lorsqu’on s’aperçoit que le voyant Armand possède lui-même les traits d’Yves Cheraqui, le scénariste d’Histoires vraies. Si le septième chapitre marquait la révélation du simulacre précédent, il est nécessaire d’en prolonger la lecture jusqu’à un huitième qui n’est écrit nulle part ailleurs que dans notre réalité elle-même. Histoires vraies n’a pas tant pour sujet le futur, l’odyssée de l’Eden-A ou le combat épique contre les machines, mais il parle notre monde et de nous-mêmes. C’est nous qui subissons l’aliénation et sommes trompés par les apparences du simulacre politique. Il faut donc sortir de la bande dessinée pour entrer de plain-pied dans le réel, de la même façon que les membres du conseil renoncent à un autre monde en sacrifiant l’Eden-A. « L’assomption du moi par le moi a ainsi pour condition fondamentale le renoncement au double, l’abandon du projet de faire saisir moi par moi en une contradictoire duplication de l’unique ». Inutile de chercher ailleurs, dans les limbes du temps et de l’espace, ce qui se trouve ici. Le cauchemar de la modernité a déjà commencé dans « un monde qui crée et qui ne se cesse de se multiplier, de se déformer vers sa propre fin spiralée [26] ». Au fond, au fil des simulacres et des dédoublements, Histoires vraies raconte le devenir d’une humanité qui n’en est plus que l’image – qui ne devient plus que l’image d’elle-même, mais qui n’est déjà plus elle-même.

Nicolas Tellop

[1] Jean-Paul Mougin, éditorial du premier numéro d’(A Suivre), février 1978.

[2] Après le premier, les chapitres d’Histoires vraies paraissent dans les numéros 3, 6, 7, 11, 14, 24 et 48 de la revue. Ainsi, quatre segments sont publiés dans la seule année 1978, les deux suivants ont un an d’écart (1979 et 1980), tandis que le dernier date de 1982 – soit deux ans plus tard.

[3] Ted Benoit, à propos de son récit « Carnet de voyage », in Camera obscura, Bruxelles, Champaka, 2013, p. 21.

[4] Parmi d’autres, Isaac Asimov traite lui aussi cette question en termes similaires (le meurtre comme révélateur d’humanité), tout comme Naoki Urasawa avec Pluto, dans lequel il reprend le fameux Astroboy de Tezuka.

[5Do Androïds dream of electric sheep ? (1966), qui inspirera Blade Runner au réalisateur Ridley Scott.

[6] Samuel Butler, Détruisons les machines, Vierzon, Le Pas de côté, 2013, pp. 16-17.

[7] Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier philosophie, édition revue et corrigée, 2012, pp. 176-177.

[8] Serge Latouche, La Mégamachine – Raison technoscientifique, raison économique et mythe du progrès, La Découverte, “Recherche”, 1995.

[9] Philip K. Dick, Le Bal des schizos, Jean-Claude Lattès, “Titres/SF”, 1979, p. 116.

[10] Cité par Greil Marcus dans Lipstick Traces – Une histoire secrète du Vingtième Siècle, Gallimard, “Folio actuel”, 2000, pp. 247-248.

[11Ibid., page 76.

[12] Max Dorra, Le Masque et le rêve – Histoire de l’inimaginable, Flammarion, 1994, p. 236.

[13Ibid., page 196.

[14Ibid., page 236.

[15] Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, 1968, page 82.

[16Ibid.

[17] Max Dorra, op. cit., page 195.

[18] Jean-Clet Martin, Plurivers – Essai sur la fin du monde, PUF, “Travaux pratiques”, 2010, page 103.

[19] Clément Rosset, L’École du réel, éditions de Minuit, 2008, page 35.

[20Ibid., page 14.

[21Ibid., page 18.

[22Ibid., page 47 : « On découvre alors que le sensible n’est autre que la concrétisation progressive de l’au-delà suprasensible, dont il constitue ce que Hegel appelle le ‘‘remplissement’’ ». Dans ce contexte, l’Eden-A correspond à cet au-delà suprasensible, que les sens ne peuvent plus percevoir – à l’exception du sixième.

[23Ibid., page 30.

[24Ibid., page 50.

[25Ibid., page 38.

[26] Jean-Clet Martin, op. cit., page 118.