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pour une approche littéraire des dialogues de bande dessinée

Benoît Glaude

[Août 2014]

Aussitôt qu’elle représente des personnages en interaction, la bande dessinée révèle sa narrativité. Qu’elle passe ou non par du texte, cette interaction est le plus souvent verbale. En ce sens, comme l’a montré Michel Chion (La Toile trouée, Cahiers du cinéma, 1988) pour d’autres médias narratifs à dominance visuelle (cinéma et télévision), la bande dessinée apparaît fondamentalement dialogale. Pourtant, elle a été peu étudiée sous cet angle.

L’analyse de ses dialogues a longtemps éveillé des réticences, qui tiennent essentiellement au caractère mixte (scriptovisuel), fictionnel (inauthentique) et populaire (illégitime) de leur production. Jusqu’à récemment, peu de linguistes avaient pris en considération cet objet hétérogène (il n’est pas seulement textuel), construit (il est le produit d’une intentionnalité comme toute œuvre de création artistique) et méprisé (il reste suspecté de futilité et d’infantilisme). Aujourd’hui, malgré la diversité épistémologique de la stripologie, force est de constater que le discours critique reste marqué de cette incomplétude qui touche à l’identité médiatique de son objet, la bande dessinée. Le présent article suggère une lecture littéraire de quelques « bandes dialoguées » du premier siècle de la BD – chez Töpffer, Christophe et Hergé –, à la recherche de modèles dialogaux qui ont façonné le média que nous connaissons aujourd’hui. En considérant le dialogue au-delà de ses phénomènes verbaux (discours rapportés) ou médiatiques (phylactères), ce travail plaide en faveur d’une prise en compte de la nature fondamentalement dialogale et dialogique de la bande dessinée.

Modèles pour une relecture des dialogues de bande dessinée

Depuis quarante ans, si la recherche sur la bande dessinée tend à négliger l’étude de ses dialogues, elle a quand même posé quelques jalons en ce domaine. Les études pionnières des années 1970, menées dans une perspective sémiotique directement influencée par la linguistique structurale, ont permis des avancées dans l’étude des textes de la B.D. Plusieurs travaux linguistiques de cette époque ont exercé une influence internationale, comme ceux de Manfred Welke (Die Sprache der Comics, Francfort-sur-le-Main, Dipa, 1972) et de Pierre Fresnault-Deruelle (Récits et discours par la bande, Hachette, 1977). Ces études ont cédé la place, dès les années 1980, à une néosémiotique accordant une attention croissante à l’image, en réaction contre les impasses d’une conception logocentrique appliquée à un média visuel. Depuis lors, la narratologie médiatique, qui considère le média artistique comme un tout racontant, privilégie l’approche du dialogue dans son contexte médiatique, que ce soit son cadre énonciatif (Philippe Marion, Traces en cases, Louvain-la-Neuve, Academia, 1993) ou son espace séquentiel (Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, PUF, 1999), en délaissant l’analyse du texte pour lui-même.
Entre-temps, seules la didactique des langues et la traductologie, de leurs points de vue spécifiques, n’ont jamais cessé de s’y intéresser. En particulier, Catherine Delesse et Bertrand Richet (Le Coq gaulois à l’heure anglaise, Arras, Artois Presses Université, 2009) ont proposé une analyse rigoureuse de la traduction anglaise des albums d’Astérix parus avant 1980. Leur ouvrage témoigne d’un renouveau des approches linguistiques de la bande dessinée, qu’a initié Daniela Pietrini par sa thèse sur la langue des fumetti de Disney (Parola di papero, Florence, Franco Cesati, 2007). Ce renouveau linguistique a été récemment confirmé par la parution simultanée de deux ouvrages collectifs consacrés à la BD : le premier sous la direction de la même chercheuse italienne (Die Sprache(n) der Comics, Munich, Martin Meidenbauer, 2012) et le second sous celle de Frank Bramlett (Linguistics and the Study of Comics, New York, Palgrave Macmillan, 2012).
Ce regain d’intérêt des linguistes pour la bande dessinée réveille le spectre des impasses, rencontrées dès les années 1980, inhérentes à l’approche strictement linguistique d’un média non exclusivement verbal, telles que la priorité accordée au texte au détriment d’une vue d’ensemble du média et l’instrumentalisation des dialogues de B.D. dans un projet linguistique qui les dépasse (en les assimilant abusivement aux interactions verbales authentiques). Partagée entre des approches linguistiques et médiatiques restées jusqu’ici inconciliables, l’analyse des dialogues de bande dessinée se trouve à la croisée des chemins. Sans ignorer les acquis variés de la tradition stripologique, cet article explore une piste d’étude littéraire ouverte par Jan Baetens (Hergé écrivain, Bruxelles, Labor, 1989) et empruntée à leurs manières par Harry Morgan (Principes des littératures dessinées, Angoulême, L’An 2, 2003) et par Jacques Dürrenmatt (Bande dessinée et littérature, “Classiques Garnier”, 2013).

Selon l’hypothèse à l’origine du présent plaidoyer pour une approche littéraire des dialogues de bande dessinée, ces derniers reposent – davantage que sur le fantasme d’une oralité authentique – sur des modèles culturels conventionnels, notamment littéraires, présents à trois niveaux textuels. Au niveau macrotextuel, le dialogue qualifie parfois un genre discursif regroupant des textes au fonctionnement divers. Cette étiquette vaguement institutionnalisée constitue « un bon exemple d’hypergenre il suffit de faire converser au moins deux personnes pour pouvoir parler de “dialogue” » [1]. Au niveau microtextuel, le dialogue comme alternance des tours de parole est un lieu privilégié d’observation de l’interaction verbale, dont la BD donne une forme de représentation fictionnelle. À un niveau textuel intermédiaire entre les deux précédents, la séquence dialogale constitue un type de discours élémentaire de nature prototypique et à valeur universelle, observable notamment dans la bande dessinée. Une recherche sur les modèles textuels déterminant ses dialogues nécessite une approche diachronique du média, entendu comme « ne sorte de bricolage évolutif de séries culturelles “fédérées” qui se reflèteraient à travers un prisme identitaire dont l’existence ne serait que temporaire » [2]. En l’occurrence, le statut culturel et l’identité médiatique de la bande dessinée francophone ont traditionnellement été appréhendés à l’aune des productions de l’âge d’or franco-belge.

Des normes génériques, notamment pour la réalisation des dialogues, se sont instituées à cette époque (1925-1968), après avoir été annoncées par les histoires en images de Töpffer, Christophe, Forton, Pinchon, etc. La dynamique de récupérations successives qui sous-tend l’histoire de la bande dessinée conditionne les caractéristiques formelles de ses productions à travers un jeu d’influences entre les générations d’auteurs. Le transfert des traits esthétiques d’une génération à l’autre est facilité par plusieurs facteurs le caractère sériel de l’œuvre (éventuellement animée par plusieurs auteurs successifs), le contexte artisanal d’apprentissage des métiers d’auteur, la production collective (à plusieurs mains, voire en studio), la répétition qui se trouve elle-même au principe de la narration séquentielle, enfin la capacité exceptionnelle de la bande dessinée à s’approprier des contenus intersémiotiques. Les cas d’intertextualité simple, comme la déclamation d’un extrait du Lac de Lamartine par le capitaine Haddock s’observent relativement tôt. Ce choix d’une œuvre consacrée par l’école dénote, de la part d’Hergé, moins une volonté de distinction (ou un désir postmoderne de se réapproprier un matériau littéraire dans un média dévalué), qu’un souci de partager des références culturelles avec la masse scolarisée de ses lecteurs. Cette récupération est facilitée par la puissante fonction métatextuelle de la bande dessinée, qui cumule les capacités métasémiotiques de l’image et du texte et qui présente une propension au dialogisme, c’est-à-dire une aptitude à mettre plusieurs énonciations en relations interdiscursives [3]

Cent ans de bandes dialoguées

Bien que les histoires en estampes de Rodolphe Töpffer, telles que l’Histoire de monsieur Cryptogame, ne contiennent quasiment pas de discours rapporté, elles peuvent se prêter aux distinctions « monologal/dialogal (un ou plusieurs locuteurs) et monologique/dialogique (un ou plusieurs énonciateurs) » [4].

La planche ci-dessus apparaît fondamentalement dialogique (vs monologique), puisqu’elle multiplie les voix énonciatives à différents niveaux de l’énonciation : intra-textuel, cotextuel et contextuel. Au niveau intra-textuel, M. Cryptogame « dit adieu aux rivages » dans un soliloque (relation personnage-personnage) qui n’est pas adressé au rameur, bien qu’entendu par lui. Au niveau cotextuel, le dialogue qui suit entre M. Cryptogame et Elvire apparaît encadré par l’abondant commentaire narratif (relation narrateur-personnages). Ainsi, la seconde vignette (No.34) prête un discours narrativisé au personnage, lorsque le locuteur « s’approche avec bonté d’une dame au désespoir » à laquelle il tente visiblement d’apporter des paroles réconfortantes. La légende suivante (v. 35) présente bien un discours transposé, mais peu à peu repris en main par le narrateur : « C’est Elvire !... » (discours direct libre), « Mr Cryptogame trouve que sa situation change du tout au tout » (discours indirect), « et il regrette presque l’ancien monde » (conditionnel de discours rapporté). Au niveau contextuel, le dialogue apparemment produit par les personnages, mais que le lecteur impute à une instance énonciative responsable du récit (le méga-narrateur), voit sa polyphonie renforcée dans sa réception (relation auteur-lecteur). Le lecteur identifie ainsi une ritournelle ironique qui rythme le récit, « untel trouve que la situation change du tout au tout », établissant une connivence avec le narrateur. À ce niveau, le lecteur est pris en compte au titre de destinataire (co-énonciateur, en fait) du récit. Deux logiques antagonistes se disputent donc cette séquence (fig. 1) : celle du récit cherche à établir une relation avec le lecteur, scellant tacitement un pacte de lecture de type narratif, tandis que celle du dialogue l’ignore conventionnellement.

Par cet exemple töpfférien, le dialogue et le dialogisme apparaissent caractéristiques de la bande dessinée dès l’origine, soit un siècle avant la généralisation de l’usage de la bulle. L’un des disciples de Töpffer à la Belle Époque, Christophe, s’inscrit également dans la tradition de l’imagerie populaire en produisant quelques planches narratives pour la Maison Quantin. L’une d’entre elles, racontant la mésaventure de Deux pêcheurs (fig. 2), porte des légendes elles aussi majoritairement dépourvues de discours rapporté. Les rares transcriptions des répliques des personnages en discours direct (vignettes No.4, 6, 9 et 10) ne suffisent pas pour une analyse du dialogue en tant qu’« échange continu de répliques entre deux ou plusieurs personnages ». Pourtant, dans la grande majorité des vignettes, la mise en séquence narrative et la représentation iconique des corps, soulignée par le cadrage constant en plan moyen, permettent de repérer une interaction verbale au sens de « dialogue comme succession et échange d’actes de langage » [5]. La planche met en scène deux conversations successives présentant des types d’échanges propres au dialogue romanesque. Tout commence par une dispute entre les deux pêcheurs (v. 1-7), qui « veulent connaître le plus habile » parmi eux dans leur art. Dès le départ, ils apparaissent en position d’égalité et ils produisent alternativement les mêmes actes de langages assertifs, selon un schéma d’interaction polémique. Ils « se félicitent d’avoir eu la même idée », se promettent mutuellement une bonne pêche, avant de se mettre au défi d’être « le plus habile ». Lorsque leurs lignes mordent simultanément, les amis affirment tous deux avoir pêché le même poisson, sans pouvoir « savoir à qui il appartient ». « La discussion s’échauffe » et se solde sans surprise par une double noyade, puisque ces deux postures polémiques sont inconciliables. La réconciliation des pêcheurs (v. 8-11), toujours en relation pragmatique d’égalité, suit un autre schéma d’interaction, dialectique, visant à résoudre le conflit.

Le récit de ces deux conversations apparaît tantôt dialogué (v. 4, 6, 9 et 10), c’est-à-dire rapportant dans les légendes les paroles prononcées par les personnages, tantôt seulement dialogal (vs monologal), c’est-à-dire mettant en scène plusieurs locuteurs en interaction. Sont considérées comme telles des vignettes dont les légendes signalent sans la retranscrire une interaction verbale que confirme l’image (v. 1 et 2), mais aussi toute scène de discussion figurée uniquement par l’image (v. 5 et 11) [6]. Comme dans le roman, les dialogues de cette histoire en image, médiatisés par un narrateur, semblent prononcés par les personnages. Toutefois, leur communication « pluricanal » (comparable, en cela, à celles du théâtre et du roman-photo) livre visuellement leur dimension non-verbale, à la différence des descriptions forcément verbales complétant le dialogue de roman « monocanal » [7]. L’expressivité du non-verbal apparaît d’ailleurs exacerbée à travers les postures théâtrales, dignes de la pantomime, des personnages de Christophe.

Dans ces deux exemples du XIXe siècle, l’abondance du commentaire de régie destine l’étude des dialogues à un modèle d’analyse plus proche du récit que du drame (selon les catégories poétiques d’Aristote), par exemple à un modèle d’analyse romanesque. En effet, leur voix-overcontinue fait apparaître la domination énonciative d’un narrateur modalisant constamment son propos avec ironie. Il donne une narration simultanée des événements, se mettant en cela « au diapason du dessin qui, par définition, ne connaît pas d’autre temps que le présent » [8]. L’emploi du présent dans les légendes ancre le récit dans sa situation d’énonciation linguistique. Il représente une trace de la présence de l’énonciateur, au même titre que le travail graphique (y compris le lettrage) « constitue, pour le lecteur, l’indice de la présence métonymique d’un sujet graphiateur » [9]. Quel que soit le nombre des intervenants dans la production de l’œuvre, le lecteur (en tant que co-énonciateur) relie le résultat, qu’il lit, à une seule instance d’énonciation qui lui insuffle un style idiosyncrasique : l’« artiste » au sens romantique, ou plus exactement le « méga-narrateur » au sens énonciatif. Par conséquent, le lecteur lit les dialogues de bande dessinée comme s’ils étaient le fait des personnages, tout en attribuant in fine leurs paroles à une seule intentionnalité énonciative. Autrement dit, il joue le jeu des deux situations d’énonciation, sans ignorer que les discours des personnages produisent un effet d’authenticité soigneusement mis en scène. Il en va de même de la lecture des dialogues romanesques.

Si le prototype du discours narratif encadrant ces histoires en images (fig. 1 & 2) est vraisemblablement romanesque (bien qu’elles ignorent la narration ultérieure chère au roman du XIXe siècle), il ne faut pas croire que leurs parcimonieux recours au discours rapporté suivent un autre modèle. Jusqu’à aujourd’hui, les paroles des personnages de B.D. présentent un style oralisé, d’origine littéraire, qui ne correspond pas à la transcription de traits linguistiques authentiques. Les dialogues de bande dessinée sont des constructions de l’imagination, ce sont des fictions au même titre que les dialogues de roman. Par conséquent, ils ne présentent pas les caractéristiques de la conversation quotidienne : ils sont « écrits », comme on dit. Contre toute attente, Robert Martin a montré que les légendes des histoires illustrées de Christophe, destinées à une large diffusion, ne sont pas plus orales que la « grande littérature » [10]. On connaît le soin apporté par l’auteur à la rédaction de ses légendes. Dans les archives de la Maison Quantin, conservées à Angoulême au Musée de la bande dessinée, un document préparatoire de la planche des Deux pêcheurs présente le même découpage agrémenté d’autres légendes notées au crayon. L’ironie s’y fait plus implicite et les dialogues y sont rares et narrativisés. Tout discours direct a disparu, remplacé par des descriptions verbales de l’image, telles que « Alors la discussion s’échauffe… » (v. 6) ou « Revenu à lui, Guibollard regarde avec stupéfaction Robinet qui le contemple avec ahurissement » (v. 9). Même si les légendes définitives de ces vignettes (fig. 2) sont entièrement retravaillées sous une forme dialoguée, elles apparaissent elles aussi « littérarisées », comme l’observait François Caradec.

Ainsi, c’est le texte qui retient tous les soins de Christophe, plus que l’image. Les fans de la B.D. ont raison : Christophe, ce n’est pas de la bande dessinée (il n’utilise d’ailleurs jamais de ballons dans ses dialogues, mais toujours des légendes sous l’image) ; c’est de la littérature dessinée [11].

En réalité, le français des « ballons » d’une « véritable » bande dessinée telle que Le Trésor de Rackham le Rouge (fig. 3 & 4), second tome du diptyque de La Licorne dans Les Aventures de Tintin, apparaît tout autant standardisé que celui des légendes de Christophe. Débarrassée de toute trace ou presque de son contexte de production belge [12], « la langue des personnages est laminée entre […] le penchant pour l’académisme et le purisme (Tintin et Haddock se vouvoient comme Sartre et Beauvoir) et la propension à l’exagération baroque (l’insipidité absolue des dialogues de Tintin est structuralement nécessaire à mettre en valeur les dérapages et vociférations du capitaine Haddock) » [13]. Bien entendu, cette transparence insipide des mots obéit également à un souci de clarté narrative.

On peut dire des textes d’une telle bande dessinée comme de ceux du roman-photo sentimental que, « du fait de l’extrême stylisation que ce genre opère sur les structures discursives », ils sont « immédiatement compréhensibles : ce sont des condensés de signification » [14]. En effet, l’organisation conversationnelle de nos deux strips (fig. 3 & 4) apparaît minutieusement réglée. La plupart des locuteurs en présence (Haddock, puis Tintin et l’un des Dupondt) produisent au moins une intervention à l’intérieur de séquences d’échanges verbaux. Contrairement à la planche de Christophe, ces deux strips hergéens donnent l’impression que les personnages ne prononcent pas d’autres propos que ceux rapportés dans les phylactères (hormis l’un ou l’autre cri de surprise). Les tours de paroles sont brefs – une petite dizaine de mots, sauf la citation de Lamartine – et clairement délimités par le code médiatique : une réplique par bulle et une bulle par case. Hergé évite délibérément les chevauchements de tours de paroles, pourtant constamment rencontrés dans la conversation authentique. En outre, il ne fractionne pas ses phylactères, préférant l’emploi de points de suspensions pour y ménager des pauses prosodiques. Ce signe de ponctuation abondamment utilisé peut éventuellement produire un effet d’interruption dans des répliques à la syntaxe fragmentaire : « Là, encore un !... Et là, un autre encore !… » (v. 7). Encore employé en fin d’intervention, il fonctionne alors comme suture typographique entre deux interventions ou tours de parole successifs, c’est-à-dire (ici) d’une case à l’autre. La retranscription de ces dialogues apparaît, pour le moins, lacunaire : d’une part, certains échanges sont incomplets (l’un des deux termes Question-Réponse étant éludé), d’autre part, certaines longues interventions contiennent plusieurs échanges (selon le découpage prosodique signalé par les points de suspension).

Chez Hergé, les répliques se caractérisent, en principe, par leur efficacité illocutoire : la question du capitaine Haddock à la première case (« Le fétiche !... allons-nous le laisser ici ? ») obtient une réponse dramatique dans la deuxième (l’effigie de François de Hadoque apparaît dans la barque). Pourtant, dans notre second strip (fig. 4), la plupart des répliques sont comme « adressées à la nature », c’est-à-dire au seul lecteur. La licence théâtrale qui naturalise la tendance des personnages à monologuer sur scène a passé dans la bande dessinée, où ce procédé nécessaire au théâtre (en l’absence d’une voix-over) a surtout été retenu par la BD (semble-t-il) pour son potentiel de connivence avec le lecteur. Au théâtre, le spectateur est toléré par l’acteur, en revanche il est un intrus pour le personnage, qui ignore conventionnellement sa présence. Comme le personnage (vs l’acteur) de théâtre, le personnage d’une bande dessinée classique telle que Le Trésor de Rackham le Rouge semble ignorer la présence du lecteur-voyeur. Le soliloque est employé pour clarifier la compréhension du récit en révélant l’intériorité des personnages. Dans ces deux strips d’Hergé, la parole monologuée devient passive : elle ne suscite ni action ni interaction. En effet, les textes des phylactères constatent passivement l’action se jouant à l’image dans la vignette précédente. Cette poétisation ou « autotélisation » des textes dialogués est possible uniquement parce que l’image suffit à réaliser l’action dramatique. Outre la question signalée du fétiche, la seule exception à cette redondance dénotationnelle est la mise en garde efficace de Tintin, « Attention ! Un requin ! », annonçant un danger qui se concrétise dans la case suivante.

Et pourquoi pas une lecture poétique ?

Les dialogues de bande dessinée s’inscrivent dans un système sémiotique mixte, où le code linguistique côtoie les codes iconique, plastique et médiatique ; et l’on sait que l’esthétique de la ligne claire repose sur l’art d’harmoniser l’ensemble de ces codes pour la clarté du récit. L’œuvre hergéenne établit une norme définissant le médium de la bande dessinée francophone moderne, norme qui n’a pas fait l’objet d’un manifeste, mais dont les principes transparaissent dans son classicisme stylistique. Hergé met l’équilibre scriptovisuel au service de la narration, il fait en sorte qu’aucune des composantes de la narration ne perturbe la clarté du récit. Dans son stimulant essai sur Hergé écrivain, Jan Baetens montre que les corps textuels étrangers intégrés dans le style verbal soigneusement standardisé des Aventures de Tintin présentent parfois l’indice d’un code herméneutique. Tantôt un procédé récurrent dans la formation des néologismes onomastiques, tantôt la parenté lexicale du marollien avec le syldave, constituent les clefs d’un supplément de sens, invitant le lecteur à reconsidérer sa lecture de l’œuvre dans son ensemble.

La présence incongrue d’un passage du Lac d’Alphonse de Lamartine sur les lèvres du capitaine Haddock (fig. 3) invite « le lecteur à s’interroger sur les limites de la véracité des discours et des images qui lui sont proposés : si tout est fait [dans le diptyque de La Licorne] pour qu’il puisse avoir confiance en Tintin, il en va autrement de tous les autres personnages qui ne disent que ce qu’ils veulent bien dire » [15]. La citation (avec de légères altérations [16]) du quatrième quatrain du poème, scolaire s’il en est, ne sera peut-être pas identifiée précisément par tous les lecteurs, en l’absence de référence bibliographique, mais elle ne peut manquer de produire un effet d’étrangeté stimulant une relecture globale. La poésie n’est-elle pas comme une traduction du parler quotidien dans une langue étrangère et ne se définit-elle pas par une surdétermination sémantique ou, pour le moins, par une signifiance oblique ? Pourquoi, dès lors, ne pas tenter une relecture poétique de ce passage ?

Le choix effectué par Hergé d’un archétype du romantisme lyrique français n’indique pas seulement une réminiscence de sa scolarité ; il n’illustre pas gratuitement le récit. Sans doute, cette citation dénote une intention de distinction culturelle : la relative naturalité de ces vers dans la bouche d’Haddock (la citation n’est signalée que par un timide guillemet final) révèle au lecteur scolarisé le purisme linguistique des autres répliques du récit. Elle réduit la distance entre le niveau de langue hergéen et un usage littéraire du français, tout en atténuant l’étrangeté de la citation poétique en contexte bédéique. Dans l’œuvre hergéenne point de contradiction, de pléonasme ni d’atermoiement entre ce qui se lit et se qui se voit. Cette transparence narrative est soutenue par de fréquentes reprises du sens, non pas tautologiques (saturant), mais complémentaires (suturant), qu’a montrées Jean-Louis Tilleuil [17]. Il paraît donc pertinent de relire l’extrait (fig. 3 & 4) en considérant les possibilités de résonances avec les autres vignettes de la séquence.

Dans le premier strip, une case clôture l’action précédente (sur l’île), particulièrement animée, tandis que les deux suivantes instaurent un ralentissement du temps narratif, le temps d’un déplacement spatial (de l’île vers le chalutier). C’est dans ce contexte diégétique – dans un lieu transitoire (une barque) approprié aux épanchements intimes – qu’intervient la pause lyrique. Certes, l’aventure n’est pas loin, toujours signifiée par l’image et même contenue dans les connotations du nom du chalutier « Sirius » gravé sur la coque de la barque [18]. Effectivement, l’action perturbe brutalement ce calme dès la première case du second strip (fig. 4).

Du point de vue de l’ensemble des deux strips, la répétition des mêmes cadrages permet déjà d’apparier les vignettes : nous distinguons deux plans moyens identiques (v. 3-5), deux plans d’ensemble similaires (v. 2-6) dont deux extraits sont recadrés, l’un rapproché (v. 4) l’autre éloigné (v. 7). Les troisième et cinquième vignettes se font signe avec le plus d’évidence, or c’est la troisième qui contient l’extrait de poème. Selon une interprétation bien connue, Le Lac symbolise pour le poète la fuite du temps : ce décor naturel déclenche les réminiscences des épisodes d’un passé amoureux dont le lac a été le témoin. Certes, la paire de strips du Trésor de Rackham le Rouge peut s’interpréter, elle aussi, sur l’isotopie du souvenir, dans la mesure où la quête des héros est dédiée à la mémoire de François de Hadoque, corsaire du XVIIe siècle, marin comme son descendant (presque) homonyme. Néanmoins, la recontextualisation du poème ajoute inévitablement d’autres dénotations, ainsi qu’il entraîne certaines incongruités spatio-temporelles : « un soir » et « au loin » ne s’appliquent évidemment pas à sa nouvelle situation d’énonciation. Le quatrain s’ouvre sur une question, « t’en souvient-il ? », qui paraît sans objet, à moins de considérer l’océan comme un substitut du lac destinataire du poète. L’évidence de ces incongruités, l’air inspiré du capitaine Haddock, sa solitude dans la vignette et l’insertion de sa question en fin de strip contribuent à l’identification du statut lyrique et citationnel de la réplique et, partant, à l’autotélicité de son propos. Ceci n’empêche pas la question de prendre une valeur thématique dans ce dytique central des Aventures de Tintin (que forment Le Secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge) qui confronte les héros hergéens à leur passé et à l’Histoire. Le fétiche sculpté par les indigènes de l’île à l’effigie de François de Hadoque participe à tout cet épisode par sa présence dans la barque, comme un fantôme du passé. Selon Jean-Marie Apostolidès, la « fratrie » des héros réunis se fonde sur les traces de cet ancêtre commun. Premier concerné, le capitaine Haddock doit « régresser au stade infantile de moussaillon » [19] pour reconstituer un récit des origines partagé par tous, malgré les oracles infantilisants et trompeurs : « Souviens-toi de ce que je t’ai dit, mon garçon ! Tu ne découvriras pas de trésor ! » (p. 10, v. 8, de l’édition définitive (1954) du Trésor de Rackham le Rouge). La réminiscence scolaire du poème de Lamartine participe de cette régression infantile.

La poéticité de la question « t’en souvient-il ? » implique qu’elle ne suscite pas d’interaction verbale, du moins en principe. Dans les faits, ceci ne signifie pas qu’elle ne reçoive pas de réponse du tout ; en effet la cinquième vignette peut se lire comme telle. Une relecture de la première case nous rappelle l’épisode polyphonique de la visite de l’île, qu’elle clôture. En pleine forêt vierge, l’écho des jurons proférés par les héros et la voix de l’ancêtre corsaire, reproduits par les perroquets sauvages, se sont mêlés au bavardage des personnages. Par contraste avec cet épisode bruyant (pp. 28-31), qui avait alors éveillé la célèbre agressivité verbale d’Haddock, le calme de la mer l’apaise et lui inspire son lyrisme (v. 3). Dans la cinquième case, le choc du requin contre la coque n’est pas sonorisé par des onomatopées, mais l’image n’en paraît pas moins sonore. Il provoque l’un des jurons habituels du capitaine : « Tonnerre de Brest ! » (v. 6). En somme, la similitude du cadrage des deux vignettes met en évidence la façon dont elles se répondent par contraste visuel et par annonce du sens textuel.

La bande-son du second strip (fig. 4) se limite aux trois répliques proférées d’abord par Tintin, puis par Haddock, enfin par l’un des Dupondt. Il est vrai que c’est à ces derniers que le capitaine reproche « le bruit des rameurs », et nous savons que les répliques pléonastiques de ces faux jumeaux témoignent souvent du bruit informationnel, au sens linguistique (illustré, par exemple, p. 22, v. 10, du même album). La formule (figure de l’antimétabole) placée ici dans la bouche d’un seul Dupont – « Là, encore un !... et là, un autre encore !... » – reproduit la syntaxe chiasmatique typique de leurs interactions, sans pléonasme pour autant. Elle laisserait penser, au passage, que ce Dupont parle pour deux. En tout cas, elle nous fait remarquer la structure binaire des propositions, que renforcent la ponctuation, la syntaxe et la prosodie. Les six points d’exclamation du second strip (fig. 4) distinguent autant de propositions, juxtaposées deux par deux dans trois phylactères. Une contamination poétique du style des répliques de ces quatrième, sixième et septième vignettes paraît induite par la proximité du quatrain lamartinien. Toute proportion gardée, on observe dans le quatrain une même binarité de la composition (trois fois deux hémistiches plus un rejet), bien que le balancement des hexasyllabes laisse la place à des saccades de termes courts. Même si l’insistance sur l’allitération liquide prend une valeur thématique dans Le Lac qu’Hergé n’a pas conservée, les nasales et les occlusives de « Un soir, t’en souvient-il » et « On n’entendait au loin » résonnent dans ses répliques. Il y a donc une parenté stylistique qui n’efface pas totalement la tendance lamartinienne à la méditation poétique et la précellence hergéenne de l’action dramatique.

Une telle esthétisation du texte, inhabituelle dans une œuvre qui tend au style discret et qui privilégie la linéarité dramatique contre toute recherche décorative, en modifie la lecture. Dès lors que la poéticité du fragment est reconnue, s’enclenche une double procédure de lecture, la fameuse dialectique linéaire/tabulaire mise au jour par Pierre Fresnault-Deruelle, qui se révèle commune à la bande dessinée et à la poésie. En résolvant certains hermétismes sémantiques, la narrativisation bédéique du poème peut générer de nouvelles obliquités de sens. Ceci établit une relation sémiotique privilégiée entre bande dessinée et poésie ; le double processus de lecture favorise l’intégration du quatrain de Lamartine. En effet, la lecture de la poésie, comme celle de la bande dessinée, consiste à mettre des segments en relation, pour cristalliser du sens et pour produire du texte. Autrement dit, comme Brian McHale l’a déjà noté, la bande dessinée et la poésie obéissent à un commun principe de segmentation.

Conclusion

Témoignant de l’accession de la bande dessinée francophone au statut d’objet d’étude légitime, de nombreux travaux ont accordé une attention méritée à la composante iconique du système de la bande dessinée. Grâce à eux, la recherche peut désormais aborder le texte sans négliger l’image, à condition de tenir compte de la mixité scriptovisuelle particulière à ce média artistique, c’est-à-dire dans une approche globale. Les articulations multiples et complexes du texte avec le dess(e)in de l’image ne peuvent pas être négligées. Cette perspective non syncrétique interdit aussi bien d’instrumentaliser le texte pour un projet qui le dépasse (récit, thème ou idéologie), que de réduire le personnage à un rôle de simple porte-parole. Comme l’a tôt montré Pierre Fresnault-Deruelle, loin de se cantonner à la linéarité scripturale, la signification des textes de la B.D. peut se montrer révélatrice de la relation texte-image, ouvrant à sa lecture de nouvelles perspectives poétiques de tabularité. Au-delà d’une approche littéraire de ses dialogues, qui reste à explorer, la bande dessinée nous invite à de multiples lectures littéraires. De telles lectures, faut-il le préciser, ne visent à réduire ni le média artistique ni même le « roman graphique » au statut de genre littéraire, mais plutôt à mieux connaître la bande dessinée et, en retour, à questionner l’identité de la littérature [20].

Benoît Glaude
Université catholique de Louvain
benoit.glaude@uclouvain.be

[1] Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Armand Colin, coll. “Lettres Sup”, 2009, p. 81. L’approche textuelle évoquée ici renvoie également à l’analyse de la séquence dialogale comme prototype discursif à valeur universelle, ou type de discours, proposée par Jean-Michel Adam (Les Textes : types et prototypes, Armand Colin, coll. “Cursus”, 2008, pp. 18 et 30).

[2] André Gaudreault et Philippe Marion, La Fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Armand Colin, coll. “Cinéma/Arts visuels”, 2013, p. 213.

[3] Malgré lui, Hergé modifie le ton du poème qu’il fait déclamer par le capitaine Haddock dans ce strip du Trésor de Rackham le Rouge (1943) : « un tel texte dans le médium populaire de la BD produit inévitablement soit un effet involontaire de kitsch, soit un effet délibéré de parodie » (Brian McHale, « Narrativity and Segmentivity, or, Poetry in the Gutter », dans Marina Grishakova et Marie-Laure Ryan (dir.), Intermediality and Storytelling, Berlin, de Gruyter, coll. “Narratologia”, No.24, 2010, p. 34). Sur le potentiel intersémiotique de la bande dessinée : Benoît Glaude, « The Experience of Intersemiotic Citation in Blutch’s Total Jazz », dans Image & Narrative, No.14.4, 2013, p. 4.

[4] Laurence Rosier, Le Discours rapporté en français, Ophrys, “L’Essentiel français”, 2008, p. 39. Pour une application approfondie de ces distinctions à la même histoire en estampes : Benoît Glaude, « Voyages et aventures dialogiques de l’Histoire de monsieur Cryptogame », dans Stéphanie Delneste, Jacques Migozzi, Olivier Odaert et Jean-Louis Tilleuil (dir.), Les Racines populaires de la culture européenne, Bruxelles, Peter Lang, “Europe des cultures”, No.8, 2014, pp. 59 et suivantes.

[5] Ces deux définitions du dialogue, ainsi que les modèles d’échanges romanesques appliqués à la planche de Christophe, sont empruntés à Sylvie Durrer, Le Dialogue romanesque. Style et structure, Genève, Droz, “Histoire des idées et critique littéraire”, No.330, 1994, pp. 8, 9, 115 et 158).

[6] Cette interprétation laisse une marge de subjectivité : les personnages des vignettes No.3 et 8 sont-ils représentés en train de se parler ? Une seule vignette (No.7) se révèle certainement muette, puisque les corps des deux pêcheurs ont disparu du champ.

[7] Véronique Traverso, L’Analyse des conversations, Armand Colin, “128”, 2011, p. 105.

[8] Thierry Groensteen, M. Töpffer invente la bande dessinée, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2014, p. 148.

[9] Philippe Marion, Traces en cases. Travail graphique, figuration narrative et participation du lecteur. Essai sur la bande dessinée, Louvain-la-Neuve, Academia, 1993, p. 56. Pour une synthèse sur la situation d’énonciation du « méga-narrateur » dans la BD : Benoît Glaude, Aire libre, Art libre ? Étude de la narration dans le champ de la bande dessinée franco-belge contemporaine, Louvain-la-Neuve, Academia, “Texte-Image”, No.7, 2011, pp. 36 et suivantes.

[10] Robert Martin, « Quelques faits de syntaxe d’après la littérature à grande diffusion », dans Gérald Antoine et Robert Martin (dir.), Histoire de la langue française (1880-1914), CNRS, 1985, p. 229. À partir d’un vaste corpus de bandes dessinées, Daniela Pietrini a décrit les marques d’oralité conventionnelles de la langue des fumetti de Disney, qu’elle situe à la tension entre l’écrit et l’oral, mais aussi entre le registre soutenu et le registre familier (Parola di papero. Storia e tecniche della lingua dei fumetti Disney, Florence, Franco Cesati, “L’Italiano in pubblico”, No.9, 2007, pp. 114-115).

[11] François Caradec, Histoire de la littérature enfantine en France, Albin Michel, 1977, p. 196.

[12] De même, Willy Vandersteen standardisa peu à peu le style oralisé de ses dialogues, au point de rendre possible la vente, dès les années 1970, d’une unique édition des Suske en Wiske [Bob et Bobette] sur tout le marché du livre néerlandophone, Belgique et Pays-Bas compris (Gert Meesters, « To and Fro Dutch Dutch : Diachronic Language Variation in Flemish Comics », dans Frank Bramlett (dir.), Linguistics and the Study of Comics, New York, Palgrave Macmillan, 2012, p. 166).

[13] Jan Baetens, Hergé écrivain, Flammarion, “Champs”, No.728, 2006, p. 185.

[14] Catherine Kerbrat-Orecchioni, « Le fonctionnement du dialogue dans un “genre” particulier. La confidence dans le roman-photo », dans Anne Betten et Monika Dannerer (dir.), Dialogue analysis, t. IX : Dialogue in Literature and the Media II, Berlin, de Gruyter, “Beiträge zur Dialogforschung”, No.31, 2005, pp. 3 et 4.

[15] Jacques Dürrenmatt, Bande dessinée et littérature, Classiques Garnier, “Études de littérature des XXe et XXIe siècles”, No.39, 2013, p. 54.

[16] Altérations qui tiennent probablement à l’imprécision d’une réminiscence des cours de l’enseignement secondaire, qu’Hergé suivit à l’Institut Saint-Boniface d’Ixelles Par rapport au texte des Méditations poétiques, il s’agit de la modification de la ponctuation de la fin du treizième vers (un point-virgule devient un point final), du reclassement de l’article du seizième vers (l’indéfini les pour le possessif tes) et de l’indifférenciation des capitales des initiales des vers. La strophe lamartinienne apparaît sans aucune de ses caractéristiques typographiques originales, par l’effet d’une indifférenciation de la hauteur de casse et d’une retranscription des vers dans la prose continue du phylactère. Si les majuscules sont rétablies dans le lettrage définitif de l’album du Trésor de Rackham le Rouge (1954), les autres altérations y subsistent.

[17] Jean-Louis Tilleuil, « “Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement”. La Reprise du sens comme révélateur du classicisme hergéen », dans Les Lettres romanes, numéro spécial : Création, sens, éthique : la triangulation des enjeux littéraires, 2000, p. 132.

[18] Il évoque, en effet, outre une étoile utile à la navigation, un célèbre transatlantique français, pionnier de la navigation à vapeur, popularisé par le Tour du monde en quatre-vingt jours de Jules Verne, c’est-à-dire l’univers du roman populaire d’aventure.

[19] Jean-Marie Apostolides, « Dans le ventre de La Licorne. L’organisation du monde de Tintin », dans L’Archipel Tintin, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, “Réflexions faites”, 2012, p. 92.

[20] Outre les autres articles de ce dossier de Neuvième Art sur le thème « Bande dessinée et littérature », la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image propose plusieurs ressources en ligne pour prolonger la lecture de cet article : voir notamment la notice « Dialogue » rédigée par François Poudevigne dans le Dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée, ainsi que les dossiers documentaires dirigés par Camille Filliot sur le fonds Quantin du Musée de la bande dessinée.