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hommage de miguel ángel martín à herriman

Antonio Altarriba

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Miguel Ángel Martín avait porté son regard sur une planche de Krazy Kat de George Herriman. Son hommage est commenté par Antonio Altarriba.

traduction
— Je te répète, « Souris », tu te trompes.
— Et je le répète pas, « Flikard ».
— Si je courais à soixante miles à l’heure et que tu courais à quarante… je te rattraperais, non ?
— Peut-être.
— « Peut-être », mon œil. Je peux le prouver.
— D’accord, tu cours à soixante à l’heure dans cette direction.
— Allez, reprends-toi. Lève-toi…
— Et moi, je file à quarante dans cette direction.

La vitesse compte beaucoup pour l’agent Pupp. Quand la vie se passe en trio et que Krazy Kat, l’objet du désir, est continuellement menacé, il est important de courir plus vite que son agresseur. S’il arrive à atteindre les soixante miles à l’heure face aux quarante d’Ignatz la souris, Pupp sera sûr de l’attraper et de lui faire vivre son destin carcéral, juste punition des briques jetées sur Krazy. Mais, à Coconino, on ne peut jamais être sûr de rien. Dans la première case, les personnages se trouvent au bord d’un chemin et, dans la dernière, alors qu’ils devraient courir, au milieu de nulle part. Mais il n’y a pas seulement l’instabilité surréaliste du décor. Nous ne pourrons savoir lequel des deux court plus vite, s’ils courent dans des sens opposés. Et quelle que soit sa vitesse, Pupp n’atteindra jamais celle d’une brique. Il préférera s’évanouir dans les bras de Krazy plutôt que de vaincre Ignatz. Car telles sont les contradictions de l’amour et la ronde indéniable du désir.

En marge de la planche de référence, Miguel Ángel Martín [1] se concentre sur l’argument même de la série, soit un chat / chatte aimant une souris qui lui lance, pour son plus grand bonheur, des briques, et un policier amoureux qui tente de mettre la souris en prison. L’inépuisable circularité du trio est abordée par Martín avec une trompeuse douceur du trait et des tons rouge brillant. Séduit sans aucun doute par le fond équivoque de l’œuvre d’Herriman, un trio qui prolonge de manière infinie des relations sadomasochistes, il sexualise Krazy, qui devient une irrésistible petite chatte. Non content de cela, il en fait une fragile porcelaine. Ainsi, le jet de brique d’Ignatz devient définitif, mortel, et non plus amoureux. La chatte folle se brise en mille morceaux. Est-ce ainsi que le jeu se termine (« Game Over », écrit Martín à la fin de ses histoires) ? Que va maintenant faire la souris ? Pupp, au moins, n’aura plus à la poursuivre inlassablement.

Antonio Altarriba

[1Miguel Ángel Martín, né en 1960, Espagne
Miguel Ángel Martín débute dans la bande dessinée au milieu des années 1980 et devient, à partir de 1993, l’un des piliers de la revue El Víbora dans sa dernière période. On distingue dans le parcours de cet auteur prolifique des albums comme Brian the Brain (1995), Psychopatia sexualis (1999) et Playlove (2008). La lisibilité de son trait contraste avec le contenu de récits qui explorent les pulsions enfouies de notre sexualité ou de nos comportements inavouables.