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hommage de jean-christophe menu à herriman

Christian Rosset

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Jean-Christophe Menu avait porté son regard sur une planche de Krazy Kat de George Herriman. Son hommage est commenté par Christian Rosset.

traduction
— C’est le moment de mon passe-temps préféré, lancer une brique au chat. Et voilà que ce « flik » se ramène.
— Bien. Cette bonne vieille souris. En plein dans le mille du premier coup.
— Quelle différence, pour toi, entre lancer une brique à la tête du « chat » ou dans un arbre creux, hein ?
— Aucune différence, cher vieux « Flikard ». Ils sont tous les deux creux.
— Plutôt que de mettre dans le coup un troisième parti, j’omets à regret une certaine « Kabeza kaverneuse de Flik ».
— Il y a une terrre heureuse loin, trrrès loin.
— Salut Majesté.
— Salut Minus.
— Lui.

De Krazy Kat, le cartoonist Bill Watterson dit qu’il l’a toujours lu « avec un mélange d’effroi et d’émerveillement ». George Herriman doit être un des auteurs de bande dessinée les plus susceptibles de « tenir le mur » face au regard d’un Picasso ou d’un Marcel Duchamp. Avec les planches du dimanche de Krazy Kat, il a su, de manière magistrale, créer un choc entre invention langagière et expérimentation plastique, ce qui lui donne bien plus qu’une place au musée : une place réservée dans le coeur de tous les amoureux de compositions surprenantes, poétiques et musicales, sans cliché ni mélodie facile, alliant de manière subtilement variée construction savante et improvisation libre, légèreté de ton et puissance de subversion, sans jamais clamer haut et fort que ce qui se passe là, fruit d’une commande de la presse, publié sur du papier ordinaire, est véritablement de l’art. Ce que l’esprit humain et la main souveraine ont pu produire de plus profond, tendu, nerveux, à fleur de peau, sur la surface de la page.

Cette planche de Jean-Christophe Menu [1] est la onzième d’une suite de variations sur Herriman qui propose toutes sortes d’hybridations entre le monde de Coconino, où se joue un ballet ambigu entre chat (chatte ?) masochiste, chien policier et souris perverse, et celui du Mont-Vérité, nocturne et mélancolique, où l’auteur-éditeur de L’Association livre le plus secret de lui-même. Cette série, dont nous ne voyons qu’un état, fait songer à une suite de gravures à la manière d’un Alechinsky – notons le jeu entre le noir et la couleur, la luminosité violente du jaune et la composition d’ensemble –, à ceci près que quelques incongruités propres aux bad boys de la bande dessinée d’aujourd’hui subvertissent le « bon goût » – ou du moins l’absence de mauvais goût – attaché au livre d’art. Souvenir du bon vieux temps du punk, jeu avec le signifiant (initiales KK), langage jeune et grossier, anarchie contre swastika… Mais derrière ce rideau de provocation, on devine, chez Menu comme chez Herriman, la timide et problématique émergence du sublime dans le monde de la bande dessinée.

Christian Rosset

[1Jean-Christophe Menu, né en 1964, France
Jean-Christophe Menu a toujours mené de front ses activités d’auteur et d’éditeur, d’abord dans la presse amateur et, depuis 1990, au sein de L’Association, maison d’édition dont il est l’un des cofondateurs. Autobiographe drôle et sans concession (Livret de phamille), membre de l’Ouvroir de Bande dessinée Potentielle, c’est un grand praticien du noir et blanc qui doit autant aux maîtres de l’underground américain qu’aux classiques de la bande dessinée franco-belge.