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cynisme et clitoris

Au fait, comment les dessinateurs de bande dessinée vivent-ils la féminisation croissante de leur profession ?

Yann et Simon Léturgie en ont témoigné dans Spirou, sur un mode qui se veut humoristique. Le duo y anime une série intermittente intitulée Spirou Dream Team, qui met en scène, à travers un casting animalier, la vie supposée de l’hebdomadaire. Dans le n° 3746, paru le 27 janvier, ils nous faisaient assister à un bouleversement dans la conception des bandes dessinées maison. « Le règne puéril et obsolète des superhéros gorgés de stéroïdes et des gros nichons siliconés dans la BD, c’est TER-MI-NÉ ! Place à la subtilité, à la séduction, aux états d’âme et à l’introspection… » Certains collaborateurs s’étonnent de ce revirement annoncé. Mais où donc trouvera-t-on des auteurs intelligents ? Eh bien, les voici qui font leur entrée. Ce sont…

© éditions Dupuis

Et pour diriger cette équipe, entre à son tour en scène la nouvelle rédactrice en chef. Surnommée Naphta la survireuse, elle défonce la porte à cheval sur sa moto, sa silhouette (cheveux rouges et tenue outrageusement sexy) rappelant – mais sans doute pas au lectorat supposé jeune de Spirou – certaine héroïne pop de Guy Peellaert.

Cette nouvelle orientation du journal ne plaît pas à tout le monde, et l’un des rédacteurs (un paon !) proteste : « Je refuse de remplir mon beau journal avec des histoires de nanas, des papotages intempestifs et autres monologues du clitoris ! À quand un spécial maquillage ? »

À l’époque où, âgé de neuf ou dix ans, je commençais de lire Spirou, la seule héroïne du journal était la petite souris de Macherot, Sibylline. On ne risquait pas de lire les mots « gros nichons » dans cet illustré catholique et bienséant, encore moins celui de « clitoris » (fût-ce pour glisser une allusion à la pièce à succès de madame Eve Ensler). C’est peu dire que les temps ont changé ! [Soupir du blogueur qui se sent soudain devenu très vieux…]

La subtilité n’est pas vraiment le fort de Yann et Léturgie. Dans un épisode précédent (Spirou n° 3741), ils raillaient gentiment Boule et Bill, une série « où il n’y a jamais d’humour cynique ». À force de faire du cynisme et du mauvais esprit sa marque de fabrique, le scénariste Yann (qu’on a tout de même connu mieux inspiré au temps des Innommables, de Bob Marone et de La Patrouille des libellules) tend malheureusement à ne mettre dans la bouche de ses personnages que les opinions les plus navrantes et les lieux communs les plus gras.

Il reste que ces pages montrent que la féminisation de la profession d’auteur de bande dessinée est un phénomène qui ne passe pas inaperçu dans les rangs des auteurs mâles en place. On ne discerne pas très bien si les deux cyni-comiques de service y voient une chance pour la bande dessinée ou une concurrence qui pourrait devenir menaçante pour eux. Ils pointent en tout cas du doigt ce qui est effectivement le front sur lequel la bande dessinée de femmes doit aujourd’hui se porter : apporter la preuve qu’elle n’est en aucun cas confinée dans la sphère de l’intime, de la confession, de la frivolité et du nombrilisme.