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le fonds pierre couperie : un trésor pour la cité

Catherine Ferreyrolle

[Mars 2014]

À sa mort fin 2009, Pierre Couperie laissait un testament désignant Danielle Alexandre-Bidon comme légatrice universelle. Il avait collecté, tout au long de sa vie une énorme quantité de documents, livres et publications sur chacune des thématiques qui l’intéressaient. La liste en est éclectique puisque, outre la bande dessinée, il faut mentionner l’archéologie grecque, l’astronomie et l’astrophysique (la cosmologie, la Lune), la science-fiction, l’histoire des sciences humaines, l’histoire de Paris, la guerre, la conquête de l’Ouest.

Dans son testament, Pierre Couperie n’avait pas laissé beaucoup de recommandations. Sa collègue et amie Danièle Alexandre-Bidon, en sa qualité d’exécutrice testamentaire, a pris sur elle de s’occuper de cette masse de documents, les traitant et les mettant en cartons pour des dons ultérieurs. Couperie avait pour habitude de photocopier plusieurs fois les mêmes documents, dans le but de constituer des dossiers documentaires. Ce sont donc des mètres cubes de papier qu’il a fallu trier pièce à pièce, les répartissant par thématiques, jetant des copies multiples et mettant en cartons ce qui méritait d’être sauvé.

Les documents personnels ont été restitués à la famille. Selon le souhait du défunt, Danièle Alexandre Bidon a fait don au musée de l’Armée de la documentation concernant la guerre. Elle a également choisi de faire don à la Bibliothèque nationale de France d’un ensemble de romans de science-fiction américains et d’un autre ensemble de livres sur la conquête de l’Ouest. Le Centre de Recherche Historique de l’EHESS a, lui, reçu les papiers liés aux activités de chercheur de Pierre Couperie.

le fonds d’archives déposé à la Cité : un premier inventaire

Fin 2010, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image a reçu un ensemble conséquent, près de 5 m3 de cartons, de livres, périodiques et documents traitant de la bande dessinée, dans des langues très variées majoritairement le français, l’anglais et l’ italien (Pierre Couperie avait des liens forts avec le festival de Lucca) mais aussi le grec ou l’espagnol…
La convention de don stipule que le fonds doit être conservé intégralement et ne peut pas être éclaté au sein des collections de la bibliothèque de la Cité. Un emplacement identifié lui est donc réservé dans les magasins de conservation.

Après une période de quarantaine, un premier dépouillement sommaire a été réalisé en 2011 par un stagiaire de l’Enssib, Fred Paltani-Sargologos. Puis, en 2013, une part importante du fonds − toute la documentation constituée par Pierre Couperie sur la bande dessinée, ainsi que sa correspondance – a fait l’objet d’un dépouillement et d’un traitement archivistique par une archiviste stagiaire, Julie Demange. Le traitement archivistique a commencé par le repérage des dossiers constitués par Pierre Couperie. Ils ont permis de mettre à jour des thématiques qui ont servi ensuite dans l’ordonnancement des documents retrouvés en vrac.

Le plan de classement s’organise en trois grandes parties :
─ Les activités publiques de Couperie : archives concernant ses activités au sein du Club des bandes dessinées (CBD) et de la SOCERLID, archives liées à son séminaire et enfin celles attachées à ses travaux personnels (publications et conférences).
─ La documentation : organisée de manière thématique pour mettre en valeur la diversité des champs d’études de Pierre Couperie, ainsi que la multiplicité des supports, elle est la partie la plus riche en informations et la plus importante en volume du fonds d’archives.
─ Les papiers personnels : écrits et dessins de jeunesse, archives privées de son projet de fiction autobiographique en bande dessinée.

Concernant les activités de Pierre Couperie, la majorité des pièces sont des documents manuscrits. La documentation représente un ensemble varié de supports. Les dossiers documentaires sont dominés par l’usage de la photocopie de tout type de document (extraits d’ouvrage et de magazine, notes manuscrites, bande dessinée, correspondance…). Le reste de la documentation est organisé de manière typologique (coupures de presse, photographies, diapositives, originaux de bande dessinée et objet). Les papiers personnels contiennent différents types de supports (textes manuscrits, aquarelles et dessins…).
Parmi les pièces remarquables de ce fonds d’archives, on retiendra une lettre d’Alain Saint-Ogan évoquant les cahiers dans lesquels il collait sa production – cahiers eux aussi conservés à la Cité, qui les a numérisés et mis en ligne.

En 1967, Pierre Couperie participa, avec la Société Civile d’Etude et de Recherche des Littératures Dessinées (SOCERLID), à la conception de l’exposition Bande dessinée et figuration narrative au Musée des arts décoratifs de Paris en 1967, où il rédigea la plupart des textes du catalogue. Nous conservons la version corrigée de celui-ci, et le chemin de fer de l’ouvrage.

Nous n’avons pas retrouvé de séries d’albums en édition originale, tant prisés des collectionneurs. Quant aux planches originales, peu nombreuses, celles que nous avons retrouvées ont sans doute été réunies lors d’une exposition : elles sont signées Rudolph Dirks, C.A. Voight, Leonard Starr et Stan Drake.

Il en résulte un fonds d’archives classé et inventorié par grands sous-ensembles, répertoriés dans un instrument de recherche. Julie Demange a également constitué une base de données identifiant les documents les plus intéressants, qui pourra être interrogeable via une interface restant à développer.

Les titres de périodiques ont été cotés selon les cotes déjà attribuées par la Cité, mais un statut spécial « Fonds Pierre Couperie » a été affecté à la collection. Il en va de même pour les ouvrages, auxquels une tranche de cotes sera attribuée. Les Sunday pages ou Comics pages imprimées ont été inventoriés selon le classement qu’en avait fait Couperie. Comme il s’avère que ce classement ne suit pas de règles précises, nous reclasserons ultérieurement ce fonds par titres et dates et le reconditionnerons dans des boîtes de conservation.


Afin d’illustrer ses cours, Pierre Couperie − qui enseignait sans notes − a réalisé des milliers de diapositives, photographiant toutes les références iconographiques pouvant être reliées à une œuvre de bande dessinée. Ses diapositives remplissent aujourd’hui plusieurs dizaines de cartons. Elles sont encore à inventorier et à numériser.

conservation du fonds

Le traitement de ce fonds a soulevé de nombreuses questions concernant sa conservation. Couperie le conservait à l’abri de la lumière, de sorte que les journaux et livres sont en remarquable condition, peu poussiéreux et sans traces d’attaques d’insectes, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre. Par contre, l’historien utilisait toutes sortes de contenants et de boîtes pour classer sa documentation depuis les emballages de chocolat jusqu’aux boîtes à gâteaux métalliques. Certes, ces dernières sont un témoignage des méthodes du chercheur, mais elles sont nocives à la conservation des pièces du fonds, surtout les diapositives. Nous avons donc choisi de systématiquement remplacer les conditionnements d’origine par des boîtes archives en carton neutre ou en polypropylène.

Pierre Couperie n’était pas un collectionneur « fétichiste », il était avant tout un chercheur passionné. Il n’hésitait donc pas, comme nombre d’autres passionnés de son époque, à découper les séries dans les journaux pour les reconstituer artisanalement, par collage, dans des dossiers. Outre la problématique de conservation de ces albums et de leur colle, se pose aussi celle des journaux dont de nombreuses pages ont été découpées et qui restent incomplets et celui du manque de références bibliographiques sur certains découpages qui sont par conséquent impossibles à identifier.
De nombreuses Comics pages sont en mauvais état, victimes de l’acidité du papier. Leur manipulation est problématique ; seule une numérisation de sauvegarde et une restauration associées à une désacidification permettront d’éviter leur désagrègement.

les grands ensembles thématiques

Quelques grands ensembles se dégagent du fonds, laissant apparaître les thématiques qui intéressaient particulièrement Couperie. Julien Baudry, qui, à l’occasion d’un stage, a pu explorer le fonds, en a répertorié certaines.

bandes dessinées et médias
Il s’agit d’un ensemble de revues de bande dessinée britanniques qui sont des démarquages de séries télévisées ou de films. La bande dessinée sert ici à promouvoir et amplifier le succès populaire de héros de l’audiovisuel ; un bon exemple des nombreuses passerelles entre les différents médias du XXe siècle, avec des productions souvent diffusées à l’international.
Ainsi, Film Fun est créé en 1920 et survit jusqu’aux années 1960. On y trouve des versions en bande dessinée de classiques du cinéma comique de l’époque ; les personnages mis en valeur sont par exemple Harold Lloyd pour les années 1920 et Laurel et Hardy dans les années 1940.
TV Comic, comme l’indique son titre, reprend en bandes dessinées les grands succès de la télévision, média incontournable de l’après-guerre. Il est créé en 1951 et connaît sa plus grande notoriété dans les années 1960 avec des séries comme Pink Panther, Tom and Jerry, mais aussi la série policière Charlie’s angels (Drôles de dames en français).
TV Action prend la suite de Countdown en 1972, dans une nouvelle version qui met en avant les héros des séries de la BBC. L’inévitable série de science-fiction Doctor Who est une des principales bandes dessinées mises en valeur.

la presse pour enfants britannique
L’une des richesses du fonds Couperie est la collection de revues britanniques pour enfants, qui comprend un grand nombre de titres : The Hotspur (1933-1981), The Dandy (1937-), The Beano (1938-), Eagle (1950-1969), Lion (1952-1974) et Judy (1960-1991).
Un passionnant aperçu sur un domaine de la création de bandes dessinées moins connu que les domaines franco-belge et américain, mais qui jette une passerelle entre ces deux champs. Les principaux éditeurs représentés sont D.C Thompson et Fleetway. Certains de ces titres sont encore publiés.

le fanzinat américain underground des années 1970
Quelques titres représentatifs du milieu du fanzinat américain des années 1970, en pleine vague underground, sont présents dans le fonds, ainsi que des catalogues de libraires d’ancien répertoriant ces publications, tels que le Bill Thailing’s Catalog.
Promethean Enterprises est une revue créée en 1969, qui disparaît dès 1974. Elle publie des auteurs comme Robert Crumb, Frank Frazetta, Al Williamson, dans un spectaculaire mélange des genres, dont témoigne la diversité des couvertures.

Rocket’s Blast Comic Collector est un des principaux fanzines underground des années 1970, avec des couvertures spectaculaires. On y trouve des contributions de Neal Adams, Vaughn Bodé ou encore Wendy Pini, ainsi que de nombreux articles d’actualités et de réflexion sur la bande dessinée.

Erb-dom est un fanzine de science-fiction créé en 1960. Il se présente comme un journal abondamment illustré à la gloire des classiques de la pulp literature, Edgar Rice Burroughs en tête. Il propose notamment le Tarzan de Russ Manning.

la belle époque, entre presse satirique et journaux pour la jeunesse
Les journaux de la Belle Époque représentés dans le fonds Couperie oscillent entre la presse satirique et la presse pour la jeunesse, aux productions assez proches. Deux types d’hebdomadaires publiant des histoires en images, et dont les dessinateurs sont parfois les mêmes.

L’Indiscret est une publication hebdomadaire, sans mention de date ni d’éditeur, mais dans laquelle on trouve notamment la signatures du dessinateur Radiguet. C’est un bon exemple des hebdomadaires satiriques illustrés, souvent éphémères, nés de la libéralisation de la presse ; des périodiques qui hésitent entre l’illustration de l’actualité et la « vieille gaieté française » et sa spécialité d’humour discrètement grivois.
L’Intrépide est l’un des nombreux titres pour la jeunesse édités par les frères Offenstadt, créé en 1910. Sous-titré « aventures, voyage, explorations », il s’inspire des publications de voyage pour proposer des bandes dessinées d’aventures extraordinaires, en imitant souvent le propos du faits divers journalistique. Il mélange des bandes dessinées et des romans d’aventures illustrés. Il est représentatif des illustrés à bas prix qui se multiplient au début du XXe siècle.
Mon bonheur est publié par Tallandier à partir de 1906. Il se présente comme un journal de divertissement pour la famille, aussi à bas prix et rempli de romans d’aventures.
Le Petit journal illustré de la jeunesse est créé en 1904 comme un supplément pour enfants au quotidien à grand tirage Le Petit Journal.

quelques périodiques étrangers
On découvre également dans le fonds Couperie un grand nombre de magazines étrangers, plus ou moins connus, comme une démonstration de l’étendue de la publication de bandes dessinées dans le monde.
Babel est un magazine grec de bandes dessinées des années 1980 qui publie, à côté de dessinateurs locaux, plusieurs auteurs français, comme Reiser et Margerin.
Cocotier est une publication gabonaise de langue française lancée en 1985 par le dessinateur Achka. Elle ne vécut que le temps de cinq numéros.
En provenance d’Italie, des éditions transalpines de bandes dessinée américaines : Johnny Hazard, Prince Valiant, Milton Caniff… ainsi que de la presse jeunesse : Corriere dei Piccoli, Corriere dei Ragazzi, et de nombreux ouvrages documentaires.
Étant donné la masse considérable de documents à cataloguer, une partie de ce fonds est aujourd’hui encore en cours de traitement, tri et inventaire.


Lors du traitement du fonds, en collaboration avec le CHR, il a été convenu qu’un portail Pierre Couperie serait ouvert sur le net, qui offrira un libre accès à certains documents, bio-bibliographies de Couperie, articles, photos... Ce portail ouvrira dès que le fonds documentaire aura été traité. En outre, ce fonds servira de source documentaire à de futures recherches universitaires, sur le mouvement bédéphile par exemple. Une partie du fonds est d’ores et déjà intégrée au parcours muséographique du Musée de la bande dessinée et des programmes de numérisation menés par la Cité.

Malgré les difficultés inhérentes à son traitement et à sa conservation, le fonds Pierre Couperie est un trésor. Accueillir ce fonds a constitué une opportunité unique pour la Bibliothèque de la Cité de se positionner en tant que centre de conservation du patrimoine documentaire de la bande dessinée. Valoriser ce fonds représente donc un enjeu à relever, pour que la Cité démontre ses capacités à conserver et valoriser le patrimoine de la recherche en bande dessinée et adresse un signal fort aux autres chercheurs : la preuve qu’ils peuvent en toute confiance déposer leur archives à la Cité où elles seront signalées, conservées et valorisées.

Catherine Ferreyrolle

De grands remerciements à Fred Palatani-Sargologos, Julie Demange et Julien Baudry qui ont contribué à classer et valoriser ce fonds.