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le retour du format poche

Cette semaine paraissent les deux premiers titres d’une nouvelle collection de « romans graphiques » (attention : on ne parle plus de « bandes dessinées », n’est-ce pas, c’est désuet et ringard !) au format de poche, chez Pocket. Après Mon gras et moi de Gally et Fraise et chocolat, d’Aurelia Aurita, le troisième titre, annoncé pour début avril, sera Moi vivant, vous n’aurez jamais de pause, de Leslie Plée.

Que des filles, oui, vous n’êtes pas sans l’avoir remarqué. N’avais-je pas raison d’écrire ici-même, il y a peu, que la BD au féminin, longtemps dédaignée ou ostracisée, est en train, par un formidablement retournement de tendance, de devenir à la mode ? Pocket n’annonce pas, certes, que sa collection sera réservée aux œuvres de femmes, mais enfin ce premier tir groupé n’est assurément pas le fait du hasard.

(Un coup d’œil sur le site pocket.fr suffit à balayer les derniers doutes quant au fait qu’il s’agit bien d’un positionnement marketing concerté : les lectrices n’y sont-elles pas invitées à se rediriger vers un sous-site dédié – au nom explicite : girlattitude.com – où elles trouveront un large choix de titres propres à les satisfaire ?)

L’autre fait remarquable est que Pocket, au lieu de faire alliance avec Dargaud, Casterman ou Glénat, travaille là avec trois éditeurs relativement marginaux sur le marché de la bande dessinée : Diantre, Les Impressions nouvelles et Jean-Claude Gawsewitch.

On se souvient peut-être que les collections de poche (au premier rang desquelles "J’ai Lu") avaient marqué un fort intérêt pour la bande dessinée dans la deuxième moitié des années quatre-vingt. Des dizaines de titres avaient paru, principalement prélevés dans la bande dessinée d’humour, tant française qu’américaine. Faute d’une rentabilité suffisante, cette floraison de bandes dessinées en poche ne dura que trois ou quatre printemps. Il est vrai qu’il s’agissait alors de soumettre à un format réduit des albums standards, ce qui passait par tout un travail de découpage et remontage des planches, ce navrant charcutage se dissimulant derrière le noble terme d’adaptation.

Je ne sais à quel avenir est promis la nouvelle tentative de Pocket, mais il est certain que, par rapport aux précédentes, elle présente deux avantages : les œuvres publiées ont été déjà conçues pour un format inférieur à celui de l’album cartonné standard, de sorte qu’il suffit de réduire les pages un peu davantage, sans les dénaturer. D’autre part, le prix des romans graphiques est supérieur à celui des albums de série, et par conséquent les versions de poche, vendues 5,90 euros (et qui sont, assure l’éditeur, augmentées de planches inédites), permettent aux lecteurs de faire une appréciable économie.

Il reste que cette nouvelle collection s’inscrit parfaitement dans une tendance générale du marché. De plus en plus d’albums grand format sont désormais repris au format « roman graphique », à la faveur d’intégrales ou tout simplement pour redynamiser le fonds des grandes maisons : les éditions Niffle-Cohen avaient ouvert la voie dans les années quatre-vingt-dix (en proposant Clifton, le Félix de Tillieux, Blueberry, XIII ou encore Largo Winch au format "Anthology" !), Casterman a emboîté le pas avec Corto Maltese et Tintin en petit format, et continue au sein de la collection "Haute Densité", Dupuis propose désormais ses "Romans Aire Libre", etc. Quoi d’étonnant, dès lors, si les romans graphiques, à leur tour, mutent vers un format plus petit, celui du poche ?

C’est un fait : le jour où toutes les bandes dessinées seront disponibles au format « Patte de Mouche » ou dans celui des « mini-récits » du Spirou d’antan, nos bédéthèques prendront considérablement moins de place. Ce sera, vous en conviendrez, je pense, un appréciable progrès.