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krazy kat : une chronologie

Thierry Groensteen

Cette chronologie est reprise du catalogue de l’exposition Krazy Herriman montée par Thierry Groensteen au CNBDI en 1997. Elle a fait l’objet d’une brève actualisation.

20 juin 1910 Herriman crée la série The Dingbat Family, qui paraît quotidiennement dans le New York Journal. Ce « family strip » d’abord assez insipide met en scène la vie domestique de l’employé de bureau E. Pluribus Dingbat (dont le nom signifie « plusieurs fois imbécile »), de sa femme Minnie et de leurs enfants Imogene, Cicero et Baby. La famille possède un chat.

26 juillet 1910 Une souris lance un projectile (de nature non identifiable) à la tête du chat.

1er août 1910 The Dingbat Family est rebaptisée The Family Upstairs, de mystérieux voisins ayant emménagé à l’étage supérieur. Dès lors, les Dingbats seront à peu près exclusivement préoccupés de percer à jour les activités de ces voisins bruyants, qui reçoivent incessamment les visiteurs les plus inattendus. Agacés et envieux, ils chercheront à s’en débarrasser par tous les moyens. Le ton de la série vire à l’absurde.

Fin août, le chat et la souris disposent désormais d’un mini-strip indépendant, situé sous The Family Upstairs. On se trouve alors devant cette situation paradoxale : le titre de la série, et l’intérêt des protagonistes eux-mêmes, semblent focaliser l’attention vers ce qui se passe à l’étage supérieur, alors que c’est en dessous que, déjà, se joue l’essentiel.
Dès ce moment, en effet, le chat est amoureux de la souris, et interprète chaque jet de brique comme « un missile affectueux ». Le chien Bull Pupp, qui n’a pas encore grade d’officier et ne s’implique pas dans cette relation amoureuse, fait bientôt son apparition.

25 septembre 1910 La souris (encore anonyme) accole pour la première fois l’épithète « krazy » au nom du chat, dès l’origine désigné comme « kat » (l’orthographe « kat » était déjà apparue en 1909 dans un épisode de la série Baron Mooch).

Début 1911 La souris reçoit le nom d’Ignatz.

15 novembre 1911 L’immeuble dans lequel habitent les Dingbats est démoli. Débarrassée de leurs voisins par la grâce d’un déménagement forcé, la famille retrouve le cours normal de sa vie domestique, et la série son titre d’origine.

1912 The Dingbat Family’s Joke Book, supplément au New York Sunday American, est une sorte de comic book dans lequel Krazy et Ignatz, non seulement apparaissent en couverture, mais bénéficient, pour la première fois, d’une séquence de 12 vignettes, développée sur une page entière.

28 octobre 1913 Après avoir déjà, pendant l’été 1912, temporairement remplacé les Dingbats « en vacances », Krazy Kat devient, de façon permanente, un strip indépendant. The Dingbat Family n’en continue pas moins à paraître jusqu’au 4 janvier 1916. Pendant quelque temps, les vignettes qui composent l’épisode quotidien de Krazy Kat seront disposées à la verticale les unes des autres, sous la forme d’une colonne occupant l’un des côtés de la comics page.

Février 1916-mai 1918 Les premiers dessins animés d’après Krazy Kat sont produits par l’International Film Service, réalisés par Leon
Searl et Frank Moser. Herriman n’est pas impliqué dans leur conception. L’ambiguïté sexuelle de Krazy ─ entretenue dès les origines de la bande dessinée ─ est levée : il s’agit ici bel et bien d’une chatte.

23 avril 1916 Première Sunday page (si l’on peut la nommer ainsi, puisqu’elle paraît un samedi), en noir et blanc, dans le nouveau supplément « City Life » du New York Journal, consacré à l’actualité des arts et des spectacles. Pupp porte désormais son costume d’officier de police.

2 juillet 1916 Première apparition de Kolin Kelly, le marchand de briques.
La semaine suivante, Ignatz est présenté comme « perdu dans les déserts de Coconino ». C’est en effet cette année-là qu’Herriman situe progressivement l’action de Krazy Kat dans les paysages de l’Arizona et de l’Utah, s’inspirant en particulier des célèbres formations rocheuses de Monument Valley. Toutefois, le nom de « Coconino » (qui désigne réellement une région de l’Arizona) était apparu dans son œuvre dès 1911, et les métamorphoses incessantes du décor étaient déjà caractéristiques du strip avant qu’il ne reçoive sa localisation géographique définitive.

20 août 1916 Première planche se terminant par l’image d’un personnage emprisonné. Toutefois, il ne s’agit pas d’Ignatz mais d’une autruche (Walter Cephus Austridge) et l’inscription lisible sur la façade n’est pas encore Jail mais bien El Carcel. L’incarcération d’Ignatz n’aura pas lieu avant le 7 octobre 1923, et ne deviendra une « chute » récurrente qu’à partir de la fin des années 1920.

7 janvier - 11 mars 1922 À titre expérimental, Hearst publie un supplément BD en couleur dans les éditions du samedi du New York Journal. À cette occasion paraissent les dix premières planches de Krazy Kat en couleur. Pendant cette brève période, des planches différentes, en noir et blanc, n’en continuent pas moins à paraître le dimanche.

20 janvier 1922 Première du ballet Krazy Kat, au Town Hall de New York. La musique (du jazz symphonique) est de John Alden Carpenter (1876-1951), la chorégraphie d’Adolph Bolm qui interprète lui-même le rôle de Krazy. Herriman a écrit le livret (qui suit d’assez près le scénario de la planche du 31 juillet 1921), dessiné les costumes et illustré la partition − suggérant des tempi inédits, tel que le pizzi-kat-to.

Août 1925 Le Syndicate impose à Herriman une mise en page régulière, permettant un redécoupage de la planche en deux strips de 4 cases. Krazy Kat se pliera à cette contrainte jusqu’en septembre 1929, puis Herriman sera autorisé à revenir à une mise en page plus libre. C’est au cours de cette période que l’amour d’Offissa Pupp pour Krazy devient explicite.

1926-29 Deuxième série de dessins animés, toujours aussi peu fidèles, supervisés d’abord par William C. Nolan (qui avait déjà été impliqué dans la première version) puis par Sid Marcus. Parmi les réalisateurs figurent Ben Harrison et Manny Gould. La diffusion est assurée successivement par Paramount puis Columbia.

1er juin 1935 Krazy Kat paraît désormais en couleur, dans le supplément BD au format tabloïde qu’adoptent les quotidiens du groupe Hearst. Il en sera désormais ainsi, chaque semaine, jusqu’en 1944. Au cours de cette dernière période, Herriman modifie à chaque planche le design du logo-titre de la série.

1936-37 Herriman introduit le thème du « Tiger Tea ». Ce thé est une variante très rare et onéreuse du « Katnip Tea » (Katnip = herbe à chats) ; il transforme en tigre quiconque l’ingurgite, décuplant son agressivité. Le caractère de Krazy, d’ordinaire si doux et pacifique, en sera momentanément métamorphosé. Rompant avec la formule du strip à épisodes, Herriman bâtit autour du Tiger Tea un feuilleton qui se prolongera pendant plusieurs mois (Spiegelman en a donné une réédition partielle en 1991 dans Raw, vol. 2, No.3).

TG