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l’Iran sonne toujours deux fois

Si je vous parle d’une dessinatrice iranienne qui a raconté son histoire en bande dessinée, comment elle a grandi sous le régime des mollahs et comment elle a quitté son pays pour un exil européen, vous me répondrez d’une seule voix : Marjane Satrapi.

Eh bien, une autre réponse est possible. Curieusement, la France n’a pas encore découvert Parsua Bashi, née en 1966 (trois ans avant Satrapi) et qui vit en Suisse depuis 2004. Son album autobiographique, Nylon Road (la route du nylon, en tant qu’elle s’oppose symboliquement à la route de la soie, c’est-à-dire au voyage vers l’Orient), a été initialement publié à Zürich, en novembre 2006, chez Kein & Aber. Il existe à présent aussi dans des éditions américaine (St Martin’s Press) et espagnole (Norma). Gageons qu’avec un peu de retard, il se trouvera un éditeur français pour s’y intéresser.

Dans sa composition, le livre de Parsua Bashi systématise un procédé devenu un lieu commun du récit d’introspection : la confrontation entre l’auteur et son ou ses moi passé(s). La dessinatrice se présente à nous comme une jeune femme équilibrée, tolérante, large d’esprit, bien intégrée dans sa communauté d’accueil, qui réussit professionnellement (elle est créatrice de mode et illustratrice) et qui a su faire la part des choses entre les vices et les vertus des modèles de société différents qu’elle a connus. Mais elle est incessamment prise à partie par des « fantômes » qui la représentent tour à tour à six, seize, dix-huit, vingt-et-un, vingt-trois et trente-cinq ans. Chacune de ces confrontations est l’occasion d’un dialogue serré, le plus souvent conflictuel : Parsua doit se désolidariser d’elle-même, elle n’est plus la militante communiste qu’elle fut adolescente, ni la jeune femme naïve qui contracta avec un musulman plus âgé un mariage qui allait vite se révéler désastreux.

Le propos de Nylon Road est plus ouvertement politique que celui de Persepolis : le livre aborde de façon frontale des questions telles que la théocratie iranienne, les conflits entre Perses et Arabes ou la condition de la femme en terre islamique et en Occident. Parsua Bashi démonte nombre de préjugés et avance sans crainte des opinions prêtant à controverse.

Son témoignage vaut, à mon sens, celui de Satrapi. Malheureusement son livre pèche sur le plan de la forme. L’auteure n’a pas su comment finir son récit et s’en tire par une pirouette peu convaincante ; son dessin est parfois plaisant mais souvent un peu maladroit ; son style manque d’unité, hésitant entre réalisme et caricature, et cède quelquefois à la tentation de la joliesse (formation de styliste oblige) ; sa gestion de l’espace est hasardeuse ; de plus, le lecteur doit affronter des plâtrées de textes trop abondantes sur certaines pages… De sorte que l’intérêt que l’on prend au propos de Bashi est un peu gâché par une réalisation encore empreinte d’un certain amateurisme.