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hommage à guido buzzelli par edmond baudoin

Christian Rosset

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Edmond Baudoin avait porté son regard sur une planche de HP de Guido Buzzelli, livrant un véritable petit traité de dessin. Son hommage est commenté par Christian Rosset.

traduction
— HAAAAAAH !!
— Par Saint-Georges.
— NOOON !!
— C’est fini pour lui. On le récupérera plus tard. Courage ! En avant et faites attention.
— On y est, Homme libre.
— On va l’avoir, ce phénomène.
— Arrête-toi ! Arrête-toi ! Bougre d’animal !
— Tout doux, tout doux. Maintenant t’es bien obligé de t’arrêter.

Guido Buzzelli [1] est sans conteste l’un des auteurs qui ont su le mieux hybrider réalisme et fantastique en associant, notamment sur le plan de l’anatomie, précision documentaire et recherche d’altérations singulières que son imagination fertile lui commandait d’opérer. Par exemple, dans cette planche apparemment de western classique (ça se passe en réalité dans un futur post-atomique), le cheval mutant qui traverse le canyon au galop en sens inverse de la lecture a la tête noire, à l’exception de quelques réserves blanches correspondant aux yeux et aux naseaux : taches lumineuses qui sonnent graphiquement comme des signaux dans la nuit. Son dessin très dynamique et d’une sensualité remarquable traduit avec force un monde saturé de visions incertaines, voire ambiguës, se déroulant en plein jour comme entre chien et loup, bien plus troublantes que si l’auteur avait voulu les inscrire délibérément dans un genre surcodé comme l’onirisme.

Edmond Baudoin a un trait sensuel animé par une main rêveuse à l’écoute d’un regard pénétrant sur les corps en mouvement. Ses pages traduisent avec une économie très personnelle les métamorphoses du vivant. Il a choisi de s’intéresser à un détail hors cadre de la planche de Buzzelli, les jambes arrière du cheval à tête noire. Jouant de manière amusée le rôle du dessinateur analyste, il épuise cette forme animale qu’il agrémente de pattes dansantes, passant du crayon au pinceau, renforçant les noirs déposés par taches de plus en plus séparées, ce qui le conduit à effacer peu à peu le sentiment de volume jusqu’au moment fatal où l’idée même de cheval s’évanouirait. Réduit à son « essence », l’animal devient un cheval de Baudoin et non de Buzzelli : les trois petites réserves de lumière blanche dans la nuit correspondant aux orifices de la tête ont disparu. Chez Baudoin, les figures sont traversées par des flux violents de lumière du midi qui ouvrent le trait, laissant s’échapper quelque chose de l’ordre de la pensée.

Christian Rosset

[1Guido Buzzelli, 1927-1992, Italie
Ce fils de peintre débute à dix-huit ans comme caricaturiste puis se spécialise dans l’illustration de couvertures de fascicules de bandes dessinées. Il se tourne vers la peinture au milieu des années 1950 et ne revient à la bande dessinée qu’à la fin de la décennie suivante. La Révolte des ratés, publié en Italie, est remarqué par Georges Wolinski et repris dans Charlie Mensuel en 1970. Suivront plusieurs récits d’anticipation qui se signalent par leur noirceur et leur impressionnante maîtrise graphique. Illustrateur pour la presse, Buzzelli exploite aussi une veine comique volontiers grotesque. Il meurt à Rome en 1992.