Consulter Neuvième Art la revue

paratexte

Benoît Mitaine

Le paratexte est, selon la double étymologie du préfixe grec para-, l’ensemble des pages et messages qui entourent et protègent le texte. Sa fonction relève autant de la protection physique (couverture, pages de gardes) ou symbolique (prologue, préface, postface, épigraphe, etc.), que de l’identification (nom de l’auteur, titre de l’ouvrage, nom de l’éditeur, lieu et date d’édition, lieu d’impression, nom de la collection, code barre, etc.), de l’organisation (table des matières, bibliographie, répertoire, index, annexes), de la distinction (couverture souple ou rigide, format du livre, choix du papier) ou de la séduction (jaquette, illustration de surface, graphisme, etc.).

[Novembre 2013]

Le paratexte est, selon la double étymologie du préfixe grec para-, l’ensemble des pages et messages qui entourent et protègent le texte. Sa fonction relève autant de la protection physique (couverture, pages de gardes) ou symbolique (prologue, préface, postface, épigraphe, etc.), que de l’identification (nom de l’auteur, titre de l’ouvrage, nom de l’éditeur, lieu et date d’édition, lieu d’impression, nom de la collection, code barre, etc.), de l’organisation (table des matières, bibliographie, répertoire, index, annexes), de la distinction (couverture souple ou rigide, format du livre, choix du papier) ou de la séduction (jaquette, illustration de surface, graphisme, etc.).

Cet hors-texte a longtemps été sous-estimé, voire ignoré, par la critique au motif qu’il était bien souvent étranger à l’influence de l’auteur et qu’il n’était guère plus qu’un emballage commercial et éditorial dévolu à faire vendre et à contenir des informations factuelles sans lien direct avec le contenu du livre.
L’erreur commence à être corrigée à partir des années 70, notamment avec la publication du Pacte autobiographique (1975) de Philippe Lejeune, dans lequel l’auteur démontre que cette « frange du texte imprimé » (le mot paratexte n’existe pas encore), « en réalité, commande toute la lecture » (Pacte : 45). Cette observation qui vaut tout d’abord pour l’autobiographie est rapidement reprise par Gérard Genette, qui forge en 1981 dans Palimpsestes la notion de « paratexte », qu’il décrit alors comme un des « lieux privilégiés de la dimension pragmatique de l’œuvre, c’est-à-dire de son action sur le lecteur – lieu en particulier de ce que l’on nomme volontiers, depuis les études de Philippe Lejeune sur l’autobiographie, le contrat (ou pacte) générique. » (Palimpsestes : 10).
C’est toutefois en 1987, dans un essai-somme intitulé Seuils, que Gérard Genette dresse l’inventaire des composantes et des fonctions du paratexte. Il en vient même à élargir de façon significative la portée du préfixe para- en considérant que tout écrit épitextuel (critique d’œuvre, commentaire de texte, correspondance, entretiens, journaux intimes, etc.) relève aussi du paratexte. De la sorte, selon le père de la narratologie, la notion de paratexte regroupe le péritexte (tout ce qui entoure et protège le texte et qui contribue à la composition de l’objet livre) et l’épitexte (l’ensemble des textes qui ont trait à un texte en particulier mais qui lui sont extérieur). Toutefois, dans la pratique, la critique n’a pas pleinement validé l’équation péritexte + épitexte = paratexte. La notion d’épitexte semble n’avoir pas connu le même élan que celle, plus restreinte, de péritexte et, de nos jours, parler de paratexte signifie bien souvent ne parler que du péritexte.

En somme, pour conclure avec cette introduction définitionnelle et historique, en forgeant le néologisme de paratexte en 1981, Gérard Genette ne faisait que donner un nom à un ensemble de messages qui, depuis que l’imprimerie existe, ont toujours accompagné dans une plus ou moins large mesure l’objet livre. Bien que d’origine narratologique et donc pensée d’abord pour servir l’analyse du roman, cette notion est par la force des choses commune à toute publication se présentant sous la forme d’un livre, ce qui inclut ipso facto l’intégralité de la production de bande dessinée, à l’exception peut-être des bandes dessinées numériques qui, de par leur nature multimédiatique, mélangent les codes du paratexte livresque à ceux du générique écranique.

Depuis que l’album est devenu le support roi de ce médium, la bande dessinée a édifié tout un ensemble de codes paratextuels visant à rendre visuellement identifiables en un clin d’œil ses familles et ses genres. Un simple regard sur la couverture suffit en général aussi bien au profane qu’à l’amateur éclairé pour distinguer un album de SF d’un album d’humour, d’aventure, d’heroic fantasy, de super-héros, d’horreur, de récit historique, policier ou érotique, etc.


Ce codage générique au niveau de l’image de surface est également bien connu des lecteurs de romans à genre, mais il faut souligner que la bande dessinée, parce qu’elle est un art fondé sur l’image davantage que sur le langage (par opposition au roman), a, par la force des choses, fait de la couverture un lieu fonctionnellement surinvesti dont va dépendre en bonne partie la fortune de l’album. Là où le roman dépend plus du titre et du résumé figurant en quatrième de couverture que de la couverture elle-même (l’auteur est d’ailleurs rarement impliqué dans sa conception), la bande dessinée mise énormément sur l’illustration de couverture, qui expose au regard de tous un fragment de l’œuvre censé incarner à la fois le titre, le résumé de la quatrième de couverture, le genre et le talent graphique de l’auteur. La concentration des fonctions dans l’image de surface en bande dessinée est donc telle qu’elle est devenue, bien plus que tout autre élément paratextuel, le lieu de tous les enjeux commerciaux et, par voie de conséquence, l’espace de tous les dangers éditoriaux.

Outre l’enveloppe extérieure (format, couverture, titre…) qui peut déjà s’avérée riche d’enseignements, il convient aussi de prêter une attention soutenue à l’habillage paratextuel interne. Si dans la majorité des cas, économie est faite de préambule et d’autre forme d’introduction, il est en revanche des situations qui incitent tantôt les éditeurs tantôt les auteurs à juger souhaitable, pour la bonne réception de l’ouvrage, l’ajout d’un texte d’appui. Il n’est par exemple pas rare, notamment pour la publication d’auteurs étrangers ou d’œuvres dites patrimoniales, que des éditeurs fassent le choix d’insérer sous la forme d’une préface quelques informations contextuelles ou biobibliographiques, afin d’assurer la bonne compréhension du récit.
C’est toutefois à n’en pas douter dans les œuvres à forte tension référentielle (reportage, récits historiques, biographie et autobiographie) que l’on trouvera le plus fréquemment de semblables textes d’appui. Leur fonction, bien souvent, est de délivrer à l’œuvre l’équivalent d’un certificat d’authenticité et d’inciter le lecteur à lire le texte comme une histoire vraie au lieu d’une fiction. En somme, ces textes préliminaires invitent à demi-mot le lecteur à sceller un pacte de lecture avec l’auteur.
L’un des exemples les plus remarquables à cet égard se trouve dans Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B (Casterman, 2012) de l’auteur Jacques Tardi, œuvre précédée de deux préfaces, l’une signée Dominique Grange, épouse de Jacques Tardi, dont le propre père fut aussi détenu dans un Stalag (p. 5-8) et l’autre de Jacques Tardi lui-même (p. 9-13). À l’abondante iconographie de 15 images (photographies, dessins) qui accompagne ces deux textes préliminaires s’ajoute tout un ensemble documentaire qui débute dès les pages de gardes (recouverts d’extraits des mémoires de René Tardi), qui se prolonge sur la page de faux-titre − agrémentée d’une photographie de René Tardi − pour se terminer, après les deux prologues, par une carte du nord de l’Europe dessinée en double page, sur laquelle figure l’ensemble des Stalags et Oflag de la Wehrmacht en 1942 (p. 16-17). Par cet impressionnant arsenal paratextuel réunissant archives et textes d’appui, Tardi édifie un socle historique des plus solides qui place d’emblée son récit sous le régime du pacte référentiel et de la vérité.

Ce genre de déploiement préliminaire (coûteux pour l’éditeur) n’est pas permis au premier venu. Il est toujours le signe d’un statut privilégié et n’est bien souvent accordé qu’aux auteurs consacrés. Confirmation en est donnée par Joe Sacco qui complète Gaza 1956 d’une bibliographie ainsi que d’une abondante liste d’appendices dans laquelle sont reproduits des entretiens et des documents factuels de 1956, ou par Alan Moore qui s’autorise des ajouts d’annexes pouvant atteindre cinquante (Watchmen), voire soixante pages (From Hell).


Toutefois, en terme d’épitexte (document de type métatextuel externe au texte auquel il se réfère), le champion hors catégorie est sans conteste Art Spiegelman avec MetaMaus, ouvrage de trois cents pages (sans compter le DVD) venu célébrer, à grand renfort d’entretiens et de pièces documentaires, les vingt-cinq ans de la sortie de Maus.

En dépit de son caractère contraignant et obligatoire (juridiquement, l’éditeur et l’imprimeur ont obligation de se faire connaître ; matériellement, le texte ne peut se passer d’une couverture plus ou moins rigide pour le protéger ; commercialement, le code-barres est devenu un impératif), les exemples cités ci-dessus ont montré qu’il est faux de penser le paratexte comme une sorte de « non lieu » éditorial duquel rien de signifiant ne serait à extraire. Cet espace en partie malléable imprime en creux l’air du temps et reflète plus ou moins discrètement l’idéologie portée par les cultures nationales ou les traditions éditoriales. Variant selon les époques, les éditeurs, les collections ou les genres, il doit aussi beaucoup aux auteurs, surtout lorsque ceux-ci s’ingénient à contourner et détourner les invariants de cet espace sous contrôle.

Ainsi en est-il de Marc-Antoine Mathieu qui, dans Le Décalage (2013), sixième aventure de Julius Corentin Acquefacques prisonnier des rêves, opère une migration du texte sur le paratexte. Il ne s’agit pas d’une colonisation de l’un par l’autre, mais d’un « glissement spatio-temporel » du récit (pl. 21, case 2), qui a pour conséquence de faire commencer l’histoire sur la couverture… laquelle n’est plus vraiment la couverture, mais la page 7 du récit, l’illustration de couverture originale se retrouvant, elle, à la page 59, et la première page du récit à la page 65 du volume. Comme une sorte de pied de nez aux narratologues qui avaient démontré dès leurs premiers travaux que si le paratexte « n’est pas encore le texte, il est déjà du texte » (Genette, Seuils, p. 13), Marc-Antoine Mathieu montre qu’il peut arriver, en ajoutant une touche d’onirisme et de surréalisme, que le paratexte soit déjà le texte.

Benoît Mitaine

Bibliographie

Genette, Gérard, Palimpsestes, Seuil, 1982 et “Points Essais”, 1992 ; Seuils, Seuil, 1987 et “Points Essais”, 2002. / Lejeune, Philippe, Le Pacte autobiographique,Seuil, 1975 et “Points Essais”, 1996./ Menu, Jean-Christophe, Plates-bandes, L’Association, 2005.

Corrélats

albumauteurcollectionlettrage – reportage − roman graphiquesérie