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le sport

Thierry Groensteen

Daniel Goossens, Le sport | planche 1 | encre de Chine et encres de couleur |57 x 38 cm |paru dans Rigolo No.13 |album Laisse autant le vent emporter tout, Les Humanoïdes associés, 1985 | Inv. 97.8.1

[novembre 2013)

Le titre, en grosses lettres rouges, correspond davantage à l’annonce d’un sujet documentaire, d’un dossier ou d’une rubrique, qu’à celle d’une histoire, d’une fiction. Fils spirituel de Gotlib, Goossens s’inscrit ici dans la veine des Dingodossiers et de certaines Rubrique-à-brac : délirer autour d’un thème, enfiler les gags sans grand souci de cohérence ou de continuité narrative. (On trouve ainsi, dans le même album, des pages sur « Le tennis », « La drogue », « Les cocus », « Les 2 roues » ou encore « L’éducation sexuelle ».)

Pas d’intercesseur, ici, façon Professeur Burp ou Georges et Louis : ça commence in media res, par une de ces trouvailles dont l’auteur de La Vie d’Einstein a le secret. Double trouvaille, en vérité. C’est d’abord celle du « 100 mètres promenade », une épreuve non répertoriée parmi les disciplines de l’athlétisme, et dont le lecteur mesure tout de suite l’absurdité : la promenade ne réclame pas d’effort et paraît antinomique avec toute idée de compétition. C’est ensuite le fait que les concurrents sont les membres d’une même famille. D’ailleurs ils ne sont pas en tenue de sport mais en vêtements de ville tout ce qu’il y a de plus chic, et se comportent en tous points comme s’ils arpentaient, non la piste d’un stade, mais quelque sentier bucolique pour une sortie dominicale, effectuée à un rythme tranquille, pour ne pas dire « pépère ».
La course s’annonce monotone, soupire à juste titre le commentateur.

La présence de celui-ci, en voix off, tend à faire passer les vignettes de Goossens pour des images participant d’une retransmission télévisée. Nous regardons un meeting sur petit écran. Si l’enthousiasme du public n’est pas montré, en revanche Goossens s’amuse à pasticher la rhétorique si typique des journalistes sportifs, et surtout leur exaltation. C’est très opportunément dans la vignette centrale que le dessinateur concentre l’image la plus dynamique, avec un personnage détaché à l’avant-plan, et le pic d’excitation du commentateur, qui se marque à la taille des caractères (indiquant le volume de la voix) et au lettrage plus chaotique. Hervé, le jeune concurrent qui s’est échappé, lève les bras sans que l’on puisse décider si c’est pure dépense physique ou s’il fait déjà le geste de l’athlète qui franchit la ligne d’arrivée en vainqueur. Mais il suffit à son père de le rappeler pour qu’il rentre dans le rang et pour que retombe l’exaltation du reporter, devenue sans objet. Le retour à un lettrage normal et l’absurdité du commentaire versant l’admonestation paternelle au compte d’une « technique » sportive constituent, à mon sens, le deuxième moment le plus drôle de cette planche, après la découverte de la situation initiale.

À partir de la septième vignette, nous quittons abruptement le « 100 mètres promenade », qui semble avoir déjà épuisé ses promesses, pour d’autres épreuves ; le saut en hauteur, tout d’abord, avec une improbable « image arrêtée » − dont la facture en noir et blanc signale un document d’archive, un cliché supposément pris « vers les années 1926 » (sic) −, puis, dans les six pages suivantes, le saut à la perche, le football (qui ne relève pas de l’athlétisme) et le 400 mètres haies. Le gimmick du commentateur qui « rend l’antenne » sert à plusieurs reprises de transition.

Le sport selon Goossens est beaucoup plus drôle que le vrai, et puis on se fatigue moins à lire une bande dessinée qu’à se dépenser dans un stade.

Thierry Groensteen