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uderzo caricaturiste

Carine Picaud

[octobre 2013]

Le talent de portraitiste d’Albert Uderzo se conjugue au pluriel. Il sait être réaliste lorsqu’il peint le grand César, la belle Falbala ou bien le vaillant Comix (Le Grand Fossé). Il excelle également dans l’art des trognes, qu’elles relèvent du registre dramatique – telle la figure inquiétante du devin Prolix (Le Devin) – ou de la charge comique qu’illustre, entre autres, un Salamix (Astérix en Corse, pl. 30.). Plus généralement, Albert Uderzo qualifie ses personnages de « grotesques qui sont loin de l’architecture de l’humain mais qu’on arrive à faire accepter au lecteur, par leur mobilité, par leur aisance dans le mouvement ». À rebours, la caricature, elle, accentue certains traits physiques d’un modèle humain clairement reconnaissable.

On ne dénombre pas moins de trente-deux personnalités caricaturées au gré des aventures d’Astérix [1], la première caricature intervenant dès La Serpe d’or. Sans doute s’en cache-t-il d’insoupçonnées par le lecteur, voire d’inconscientes de la part du dessinateur. N’est-ce point Raymond Oliver qui pointe sous les traits du cuisinier dans Astérix légionnaire [2] ? Les personnalités caricaturées sont pour plus d’un tiers des acteurs de cinéma ; on ne compte qu’un seul sportif (le cycliste Eddy Merckx) et un politique (Jacques Chirac en jeune énarque).

La plupart de ces caricatures sont à l’initiative du dessinateur Albert Uderzo, lorsque l’occasion s’y prête et avant tout pour s’amuser, reconnaît-il [3]. Entrent ainsi en scène, fugacement ou en premiers rôles, Jean Graton (auteur de Michel Vaillant), Jean Marais, Lino Ventura, Jean Richard, Annie Cordy, Sean Connery, Bernard Blier, Jean Gabin, Kirk Douglas. Certaines caricatures sont indiquées dans les scénarios : le préfet de Lutèce, Gracchus Pleindastus, « genre Charles Laughton [4] » ; le propriétaire de l’auberge Au soleil de Massalia, « qui a un air de ressemblance avec Tartarin de Tarascon, ou encore Raimu [5] » ; cet autre cafetier de la Taverne des Nautes, « sosie de Raimu [6] » ; « les Beatles en train de signer des autographes [7] » ; Guilus, décalque de Guy Lux, « souriant et volubile [8] » ; « un légionnaire ressemblant à P[ierre] T[chernia] s’imbib[ant] de vin à même l’amphore [9] », dans le camp de Babaorum, et que l’on retrouve en « légionnaire guilleret (Pierre) » dans celui de Laudanum [10].

Il est vrai que l’ami Pierre Tchernia [11] est de loin la personnalité la plus caricaturée dans la série, avec cette particularité de déchoir dans ses fonctions au fil de ses apparitions : général de César dans Astérix légionnaire (pl. 33), il devient le centurion Gazpachoandalus dans Astérix en Corse (pl. 3, 4, 8 et 9), puis un légionnaire vétéran recevant l’honesta missio dans Le Cadeau de César (pl. 2 à 4), et enfin, le légionnaire ivre mort porté par Goscinny et Uderzo dans Obélix et compagnie (pl. 2). Une cinquième apparition le montre en légionnaire malmené par Obélix dans Astérix chez les Belges (pl. 4).

Le dessinateur n’a pas résisté au plaisir de se représenter avec son complice – en despote et tyran ornant un bas-relief grec [12], en spectateurs du nouveau théâtre joué à Condate [13], ou en légionnaires négligés laissant place à la relève [14]. René Goscinny fait une dernière apparition dans L’Odyssée d’Astérix en incarnant Saül Péhyé, tandis que l’auteur Albert Uderzo vient titiller en personne ses deux héros vieillis de cinquante ans, au prix d’une magistrale châtaigne servie par Obélix [15].

Carine Picaud
Conservateur à la Réserve des livres rares de la BNF

Cet article reprend le texte
« Caricatures »
extrait du catalogue d’exposition

Astérix de A à Z,
Paris, Hazan/Bibliothèque nationale de France,
2013, pp. 35-39.
Avec l’aimable autorisation
de l’auteur et de l’éditeur.

le catalogue.

[1] En comptant les Beatles pour quatre et Laurel et Hardy pour deux, et en laissant de côté les personnages de fiction tels que Don Quichotte, Dupont et Dupond ou Achille Talon. Voir Olivier Andrieu, Le Livre d’Astérix le Gaulois, Paris, Les Éditions Albert René, 1999, p. CXXX-CXXXI.

[2Astérix légionnaire, pl. 21. Je remercie Madeleine Ferrières pour son regard perspicace.

[3] Voir Albert Uderzo et Numa Sadoul, Astérix & Cie, Paris, Hachette, 2001, p. 198.

[4La Serpe d’or, scénario de la planche 16, Archives Anne Goscinny.

[5La Serpe d’or, scénario de la planche 18, Archives Anne Goscinny.

[6Le Tour de Gaule d’Astérix, scénario de la planche 27, Archives Anne Goscinny.

[7Astérix chez les Bretons, scénario de la planche 15, Archives Anne Goscinny.

[8Le Domaine des dieux, scénario de la planche 27, Archives Anne Goscinny.

[9Obélix et compagnie, scénario de la planche 1, Archives Anne Goscinny.

[10Astérix chez les Belges, scénario de la planche 3, Angoulême, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, musée de la Bande dessinée.

[11] Pierre Tchernia fait la connaissance de René Goscinny en 1963. Ensemble, ils travaillent pour la télévision (L’Arroseur arrosé, en 1965, Deux Romains en Gaule, en 1967) puis pour le cinéma (Le Viager, en 1972, Les Gaspards, en 1974). À partir de 1968, Pierre Tchernia participe à la réalisation des dessins animés issus d’Astérix et de Lucky Luke. Ami fidèle des deux auteurs, il sera associé à la conception du Parc Astérix.

[12Astérix aux Jeux olympiques, pl. 25.

[13Astérix et le chaudron, pl. 26.

[14Obélix et compagnie, pl. 2.

[15L’Anniversaire d’Astérix et Obélix, pl. 4.