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hommage : rocket sam par gabriella giandelli

Matteo Stefanelli

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Gabriella Giandelli avait porté son regard sur une planche de Rocket Sam de Chris Ware. Son hommage est commenté par Matteo Stefanelli.

Dans cette page de Rocket Sam, qui met en scène un astronaute mélancolique, on retrouve quelques-uns des éléments qui sont au cœur de l’œuvre de Chris Ware. Son approche esthétique de la science-fiction, que l’on perçoit dans le costume du personnage et l’apparence « boîte en fer-blanc » du robot, s’inspire d’une imagerie datant d’avant les années 1950. La tonalité du récit est elle aussi caractéristique de la manière de Ware : combinaison satirique de fatalisme et de misanthropie, elle s’accorde avec cette histoire de destruction cosmique causée par les armes de Rocket Sam. Visuellement, on relèvera encore l’importance accordée par l’auteur à la typographie, empreinte de classicisme et inspirée par l’Art déco. L’ordonnancement symétrique et très rythmé de cette planche en tire la composition vers la partition musicale. L’intelligence graphique de l’auteur apparaît également dans la cohérence des éléments décoratifs utilisés pour encadrer les cases, dont le résultat renvoie à l’architecture moderniste de Louis Sullivan.


Dans sa réinterprétation, Gabriella Giandelli [1] a choisi de favoriser la dimension narrative. Recourant à ses crayons de couleur si caractéristiques, l’auteure a pris le parti de simplifier en trois bandeaux la structure de la planche de Ware dont elle retient un motif : la fumée qui sort de la bouche du robot. Ce qui la conduit à imaginer une suite située quelques minutes après les événements rapportés dans le récit initial. La figure centrale en est cette mystérieuse créature qui inspire un nouveau titre pour cette page. L’apparition d’une entité symbolique, élément récurrent dans l’œuvre de Giandelli, tire le récit vers une dimension métaphysique à l’instar de son lapin blanc dans Interiorae, qui visite l’âme et les rêves des locataires d’un immeuble.

Matteo Stefanelli

[1] Gabriella Giandelli, née en 1963, Italie
Sa collaboration au supplément de Linus, Alter Alter, dès 1984, marque ses débuts d’auteure. Son premier roman graphique publié au Seuil en 2000, Silent Blanket, dont les couleurs directes très douces contrastent avec une histoire très sombre, l’identifie comme l’une des auteures les plus importantes de la nouvelle bande dessinée italienne, ce que confirmeront ses ouvrages suivants, Sous les feuilles et le cycle Interiorae. Elle a collaboré avec Lorenzo Mattotti et Stefano Ricci, et a été publiée par de nombreuses revues internationales.