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hommage de françois ayroles à gotlib

Christian Rosset

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. François Ayroles avait porté son regard sur une planche de la Rubrique-à-brac de Gotlib. Son hommage est commenté par Christian Rosset.


Cette planche est la dernière d’un « reportage » de Gotlib sur une « représentation » de nô perturbée par une série d’intrusions étrangères à cet art traditionnel (des figures prétendument classiques des théâtres hindou, arabe, grec, russe, hébreu, égyptien puis, par surenchère et goût de l’improbable, esquimau, africain, préhistorique et, in fine, extraterrestre). Ce qui relie ces personnages, c’est qu’ils utilisent d’autres alphabets que le nôtre. Dans un premier temps, Gotlib trace des idéogrammes, des compositions de signes plausibles, même si ce sont pour la plupart, sans doute, des leurres. Puis, ça délire ouvertement jusqu’à la chute où l’usage retrouvé de la langue française nous permet de comprendre le gag et d’en rire. Dans cette histoire, Gotlib invente un mode très singulier (et particulièrement ambigu) de relation entre image et texte : une bande dessinée quasiment muette et pourtant sonore et même musicale, finalement très parlante car pleine à craquer de (non) sens et semée de détails qui tuent.


François Ayroles [1] fait écho à la planche de Gotlib en remettant en jeu son propre système de symbolisation de la parole et de la pensée (sismographes tremblés d’une parole courante : sinon vaine, plutôt insignifiante ; pictogrammes : langage minimal dont « l’alphabet » se réduit à quelques signes mais dont les combinaisons permettent un certain nombre de variations – voir Les Penseurs et Les Parleurs, publiés à L’Association). Chez Ayroles, l’humour est beaucoup plus réservé que chez Gotlib et une certaine forme de cruauté se laisse deviner. On y trouve parfois ce que l’on nomme la politesse du désespoir, et bien souvent un léger grincement suscitant inquiétude et malaise. Si les lignes sismographiques sont neutres, les pictogrammes matérialisent l’expression d’un désir. Cette planche montre clairement qu’une tournée de bière est plus recevable que l’amitié (ne parlons pas d’amour). La soif, avec toutes ses conséquences physiques, affectives, est un formidable sujet, aussi bien pour le théâtre nô que pour celui du Comptoir ou de la Terrasse.

Christian Rosset

les livres de Marcel Gotlib.
les livres de François Ayroles.

[1] François Ayroles, né en 1969, France.
Ce Parisien de naissance a étudié l’histoire de l’art et la bande dessinée à l’École des beaux-arts d’Angoulême. Membre actif de l’OuBaPo, il a publié une vingtaine de titres (principalement à L’Association et chez Casterman) qui se signalent par le goût de la contrainte formelle, un humour volontiers sardonique et un graphisme au noir et blanc expressif.