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hommage : sherlock time de breccia vu par gabriel ippóliti et diego agrimbau

Antonio Altarriba

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Gabriel Ippóliti et Diego Agrimbau avaient porté leur regard sur une planche de Sherlock Time d’Alberto Breccia et Hector Oesterheld. Leur hommage est commenté par Antonio Altarriba.

traduction
— Allons, debout, espèce de boîte en fer-blanc. Le soleil s’est levé !
— Active tes capteurs ! Ils ne peuvent pas être loin. Ceci est leur territoire. Je préparerai les armes.
— Zzzk ! Capteurs activés. Bio-radars prêts. Analyse des données.
— Processus terminé. Je détecte leur présence dans les cadrans.
— Le grand jour est arrivé, mon ami… À la nuit tombée, le secret de leur pouvoir aura été révélé. Ils ne pourront plus s’échapper.
— Regarde-les, Alberto, que veux-tu faire ?
— Comme toujours, les écraser.

Agrimbau-Ippóliti [1], incarnations contemporaines d’Oesterheld et Breccia, se meuvent dans l’espace extraterrestre de la création en bande dessinée. Tout comme leurs prédécesseurs, ils forment un tandem étroitement uni et aiment à situer leurs fables à coloration sociale dans les espaces fantastiques de la science-fiction. Pour refléter leur soumission aux contraintes du scénario, Ippóliti s’est dessiné en robot. Ils préparent tous deux l’attaque qui leur permettra de dépasser leurs maîtres : à la nuit tombée, le secret de leur pouvoir aura été révélé. Mais l’entreprise est vouée à l’échec. Que peuvent ces deux minuscules créatures face aux deux géants de la bande dessinée argentine ? Comme l’annonce Breccia, ils seront une fois encore écrasés. Dans cet hommage révérencieux, les disciples prennent à peine en compte la page originale. Ils conservent le robot qui n’a plus l’apparence d’une femme et dont le scaphandre abrite un dessinateur. Et surtout, ces deux extraterrestres inaccessibles dont les pensées ne cessent de résonner dans leur tête.

la planche d’alberto breccia

Paru en 1959 dans la revue Hora Cero.

traduction
— Oh ! Ce n’est pas une femme… C’est… c’est un robot !
— Alors…
Deux grandes ombres masquent le soleil… Rob Dillon se retourne…
Deux êtres gigantesques… Rob Dillon ne les entend pas parler. Mais dans son cerveau des mots résonnent. Il comprend que ce sont les pensées qu’ils sont en train d’échanger…

Nous soulevons la peau et découvrons ce que ce beau visage cachait. Ce n’était pas une femme mais un robot. Ceci est, sans aucun doute, l’un des avatars classiques de la science-fiction. Reproduit jusqu’à plus soif dans les romans, films et bandes dessinées, il reflète notre plus grande crainte technologique : la suprématie de la machine sur l’homme. Le fait que le robot soit une femme constitue une circonstance aggravante puisqu’il trompe le désir lui-même. Utilisé par Oesterheld-Breccia en 1959, ce procédé est alors encore nouveau, et sa tonalité poétique renforce la désillusion de Rob Dillon. Mais si les robots sont encore à échelle humaine, les extraterrestres, quasi divins, sont plus grands que les montagnes. Leur pouvoir est tel que leurs pensées retentissent dans la tête de Rob. Masques, robots, gigantisme, anatomies et paysages extraterrestres libèrent Breccia de toute contrainte référentielle et lui permettent d’expérimenter graphiquement une scène dans laquelle le personnage disparaît.

Antonio Altarriba

[1] Gabriel Ippóliti et Diego Agrimbau, nés en 1964 et 1975, Argentine
Gabriel Ippóliti travaille depuis la fin des années 1980 comme publicitaire, illustrateur et caricaturiste pour la presse. Son trait lisible et ses couleurs vives sont au service de diverses collaborations notamment avec le scénariste Diego Agrimbau, avec qui il a réalisé La Grande Toile et La Bulle de Bertold, deux albums qui lui ont apporté une reconnaissance internationale.
Diego Agrimbau, qui a collaboré au cours des dix dernières années avec de nombreux dessinateurs, est l’un des artisans du renouveau de la bande dessinée argentine. Narrateur aux multiples talents, il écrit des récits de science-fiction qui dénoncent le pouvoir, la surconsommation et autres maux de notre société.