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retour du Japon (2) : les mangas à l’université

Quand je dis à mes hôtes japonais que nous n’avons, en France, qu’un seul musée de la bande dessinée, celui d’Angoulême, alors qu’il existe au Japon, en plus du Manga Museum de Kyoto, plusieurs musées d’artistes, consacrés à Kitazawa Rakuten, Tezuka Osamu, Yokoyama Ryuichi ou Hasegawa Machiko, leur réponse est qu’ils nous envient le fait que nous disposions d’un établissement à caractère national, largement subventionné par la puissance publique. En effet, le Manga Museum dépend, lui, de fonds privés, en l’occurrence ceux de l’université Seika. Fondée à Kyoto en 1968, cette université participait à sa création de la contre-culture ; elle se flatte, aujourd’hui encore, de son anticonformisme et d’être un espace où la pensée est libre. Le Dalaï-lama, Noam Chomsky et Yoko Ono, entre autres, y ont été reçus comme conférenciers.

L’université compte aujourd’hui quatre facultés, dont une faculté dédiée à l’enseignement des mangas, instituée en 2006, la même année qui a vu l’ouverture du Manga Museum (il existait déjà une classe de cartoon depuis 1973, et une classe de manga depuis 2000). Cette Manga Faculty propose actuellement quatre filières différentes : le cartoon (on y enseigne le dessin politique et l’illustration) ; le story manga proprement dit ; l’animation ; enfin, la « production de manga » (filière destinée à former des éditeurs, des scénaristes et des critiques). J’ai pu visiter plusieurs salles de classe de la faculté, et j’y ai vu les étudiants – qui m’ont semblé être surtout des étudiantes – penchés sur leurs tables à dessin (le cours portait sur la mise en couleur à l’aquarelle).

L’université Seika n’est pas la seule à enseigner les techniques du manga : il en existe deux autres dans le pays, et plusieurs suivront bientôt. Sans compter les cours, nombreux, dispensés dans les filières professionnelles non universitaires. Mais il ne faut pas s’y tromper : même au sein de l’université, c’est l’apprentissage d’un métier qui prime, non la formation académique.

À Seika, les cours de la filière story manga sont assurés par des mangakas professionnels, pour certains très réputés, les uns professeurs à temps complet ou à temps partiel, les autres artistes invités. Dès la troisième année, les étudiants ont le pied mis à l’étrier : ils travaillent auprès de professionnels en qualité d’assistants. L’enseignement vise donc avant tout à insérer les étudiants dans la profession et à les « formater » pour répondre aux attentes du marché (même si nombre d’entre eux se dirigeront ensuite vers le graphisme ou l’industrie du jeu vidéo). Il y a peu de place faite à l’expérimentation (je me suis laissé dire que les étudiants les plus créatifs vont plutôt vers la filière du cartoon) ; quant aux cours théoriques, optionnels, ils ne sont suivis que par une très petite minorité d’étudiants.

À la vérité, le développement de l’enseignement des mangas à l’université ne doit pas être vu – en tout cas pas au premier chef – comme une étape nouvelle vers la légitimation culturelle des littératures dessinées. C’est une opération où l’université trouve d’abord un intérêt financier. Car ces études coûtent cher : les droits d’inscription sont de l’ordre de 1 570 000 yens par an, soit environ 13 000 euros ! Et malgré cela, la demande afflue. Seika n’accepte « que » soixante-dix étudiants par an en story manga, sur cinq cents dossiers de candidature. Les études durent quatre ans (un master de deux années supplémentaires ouvrira à la rentrée prochaine), et elles accueillent, pour l’heure, une cinquantaine d’étudiants étrangers – principalement chinois et coréens – dans l’ensemble du cycle. L’université a bien compris que le manga attire ; il contribue désormais à sa richesse.

Il reste que si, au Japon, les chercheurs spécialisés ont longtemps été, comme en France, free lance, c’est-à-dire œuvrant dans des publications culturelles, en dehors de l’institution académique, les universités les « récupèrent » depuis quelques années et leur offrent des postes, pour assurer l’encadrement pédagogique des nouvelles formations mises en place.

Parmi ces chercheurs récemment promus professeurs, et réputés de longue date pour la sagacité de leurs réflexions sur les mangas, je retiendrai tout particulièrement le nom de Fusanosuke Natsume, qui, non content d’écrire des livres et des articles, intervient aussi à la télévision. Fusanosuke n’est autre que le petit-fils de Natsume Sôseki (1867-1916), le grand romancier évoqué par Jirô Taniguchi dans Au temps de Botchan. J’ai, personnellement, beaucoup lu Sôseki, et je confesse que ce n’est pas sans émotion que je me suis retrouvé à discuter manga, à Kyoto, avec son petit-fils.

Fusanosuke Natsume attablé devant le Manga Museum, le 18 décembre 2009.