hommage de lorenzo mattotti à alberto breccia
En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Lorenzo Mattotti avait porté son regard sur une planche du Cthulhu d’Alberto Breccia. Son hommage est commenté par Jacques Samson.
Mattotti rend hommage à Breccia [1] en tant que peintre d’abord. Sa planche frappe par l’intense brossage de couleurs, comme détrempées encore sur le support. Bien qu’à peine figurée, chaque case de Mattotti reprend le geste iconographique de Breccia, mais dans un nouveau registre expressif. Les personnages retrouvent les mêmes positions. Et les éléments informes y reprennent une plastique similaire. Ainsi, la forte sensation de perte de repères se réduit aux images, sans contaminer le récit. Un peu comme s’il avait validé en totalité le découpage de Breccia. En revanche, il a préféré une narration muette, comme si l’écriture de Lovecraft, ses ambiances indescriptibles, ne pouvaient trouver meilleure traduction que dans un langage différent de ce qu’il était à l’origine. Sans même ses mots. C’est à la sombre teinte, couleur de sang coagulé, qu’est confiée la tâche de rendre l’épouvantable atmosphère lovecraftienne.
la planche d’alberto breccia
H.P. Lovecraft, le maître de l’épouvante, n’aurait pu rêver d’une plus formidable adaptation de son Cthulhu en bande dessinée. Les mondes terrifiants dont il a le secret procèdent de la pure révélation. Pour les traduire en images, il ne fallait pas moins qu’un visionnaire du 9ème art, capable d’en pousser les limites dans une étrangeté encore jamais ressentie. L’imaginaire de Cthulhu tenant à une façon particulière de décrire sans montrer, et surtout de faire éprouver les choses du dedans, Breccia a conçu un idiome expressionniste, à peine figuratif, où tout est suggestion sensorielle. En contrepoint d’une narration fidèle au texte original, c’est l’image de ses ressources graphiques elles-mêmes qu’il a mise à contribution pour cette écriture. Giclures, délayages, coulures, striures, brossage, grattage : aucune technique n’a échappé à son inventivité. Faisant écho aux cauchemars enténébrés de Lovecraft, c’est aux seules valeurs du noir et blanc qu’il a confié ses climats et atmosphères.
Jacques Samson
[1] Alberto Breccia, 1919-1993
Né en Uruguay, Breccia a passé toute sa vie en Argentine. D’abord ouvrier dans des abattoirs puis boxeur, il se mit au dessin en autodidacte. Comme Hugo Pratt, avec qui il a enseigné la bande dessinée, c’est un maître du noir et blanc. Au fil des œuvres et de son travail avec les scénaristes Hector Oesterheld et Juan Sasturain, il s’est émancipé de l’influence première de Milton Caniff pour aller vers un expressionnisme constamment novateur.