Consulter Neuvième Art la revue

hommage de josé muñoz à hugo pratt

Christian Rosset

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. José Muñoz avait porté son regard sur une planche du Ticonderoga d’Hugo Pratt. Son hommage est commenté par Christian Rosset.


Faisant bien plus qu’une relecture avec calque, table lumineuse ou une improvisation sur le modèle à main levée, José Muñoz semble prendre une empreinte de la planche d’Hugo Pratt, un frottage. Ou bien, si l’on préfère, c’est une carte qui aurait pris un chemin d’eau, comme enroulée dans une bouteille insuffisamment étanche, en partie effacée par la mer qui l’aurait transportée. Devant un tel hommage d’un maître, l’autre, on se prend à rêver que, faisant face à ces pages, le temps se déroule autrement et que la résonance la plus récente, celle de Muñoz, se révèle infiniment plus ancienne que l’original de Pratt, même si sa fraîcheur, son éclat, sa grâce ne peuvent se percevoir, comme tout ce qui rayonne, qu’au présent du regard. Belle méditation sur l’héritage, belle résistance aux outrages du temps. Et peut-être la page la plus lumineuse de l’auteur d’Alack Sinner et du Bar à Joe, davantage connu pour la noirceur de ses histoires baignant dans la clarté mélancolique et nocturne des mégapoles.

la planche d’hugo pratt


Hugo Pratt avant Corto Maltese : tout est déjà là, en place, juste en attente d’un tour d’écrou, ou d’un lâcher de bride libérant des réserves de silence que la bande dessinée, perçue généralement comme étant avant tout une suite d’images illustrant un dialogue et donc assujettie à l’ordre des mots, s’est longtemps effrayée de mettre en espace, de peur de perdre le lecteur dans des abîmes contemplatifs ou, pire, dans la mise en doute du sens premier. Cette planche est muette ou, plutôt, elle l’est devenue car des traces de colle desséchée sont visibles, trahissant la perte de quelques morceaux de papier qui correspondaient sans doute à l’origine à un récitatif ou à une bulle : quelques mots utiles mais qui ne nous manquent pas si nous nous concentrons sur cette seule page. Au-delà du classicisme ou parce qu’il est devenu plus classique que nul autre, Pratt n’a cessé de décrasser le langage de la bande dessinée et d’ouvrir des pistes que l’on fraye encore aujourd’hui avec passion.

Christian Rosset