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les pionniers de l’espérance : le jardin fantastique

Harry Morgan

Épisode « Le jardin fantastique », paru dans Vaillant Nos.363 à 412, en 1952-53 | Scénario de Roger Lécureux | 65 x 50,5cm | encre de Chine sur papier | Inventaire en cours.

[septembre 2012]

Les Pionniers de l’espérance sont l’un des rares récits d’anticipation des illustrés pour la jeunesse d’après-guerre, le genre étant alors très sévèrement critiqué par la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à la jeunesse. Le récit reprend le thème increvable de la descente dans le micro-monde (Jules Renard, Un homme chez les microbes, 1928), ce qui permet au passage de désarmer le censeur, puisque le fantastique n’est que du banal observé à la loupe. À cet égard, la dette du scénariste Roger Lécureux envers les Promenades entomologiques de Jean-Henri Fabre est évidente.

Le modèle graphique et narratif dont s’inspire Raymond Poïvet, ce sont les planches dominicales du Flash Gordon d’Alex Raymond, distribuées par le King Features Syndicate. Le dispositif à six images de taille identique s’inspire lui aussi du modèle des sunday pages américaines, mais il ne paraît guère justifié ici, puisqu’il n’existe, aux États-Unis, que pour permettre un remontage des planches à l’italienne, qui est ici sans objet.

Le choix par Poïvet de l’illustration réaliste lui permet de déployer la virtuosité et l’élégance de son trait. Cependant c’est bien en termes de récit imagier que l’affaire se joue, car Alex Raymond offre une solution « clé en main » pour conduire un récit reposant sur des illustrations, autrement dit des instantanés séquentiels, reliés par les didascalies. Les principales caractéristiques d’un tel récit par illustrations sont une composition imagière savante et des changements de plan dramatiques. Ce choix esthétique se situe aux antipodes d’une bande dessinée plus traditionnelle, basée sur la répétition des figures dans une composition plus ou moins immuable.
Cependant le modèle raymondien est mal adapté aux contraintes de réalisation d’un illustré pour enfants français des années 1950, qui, économiquement, reste une entreprise des plus modestes. Force est donc, pour notre dessinateur, d’en rabattre beaucoup. L’illustration n’est pas exécutée d’après modèle, comme chez Raymond, et on a plutôt l’impression que le dessinateur a, le cas échéant, posé devant un miroir. Le dessin est parfois fragile (le décentrement et la gestuelle du professeur Dickens dans la deuxième case), ou carrément fautif (l’épaule et le bras de Tsin-Lu dans la quatrième).

Plastiquement, le dessinateur semble parfois hésiter entre plusieurs objectifs. On trouve d’une part un trait précis et lisse, qui s’élève jusqu’à l’extrême virtuosité dans le traitement du clair obscur (les silhouettes dans les pommes de pin de la dernière case). Mais Poïvet est par ailleurs adepte du dessin « jeté », volontairement laissé inachevé (deuxième case), et c’est du reste dans cette direction qu’il développera son style au cours des décennies suivantes. De même, le réalisme minutieux, en particulier dans le traitement de la faune insectoïde et de la flore − solution qui paraît s’imposer pour un récit qui tourne sans surprise à la « leçon de choses » − contraste avec l’expressionnisme des hachurages.

L’appareil textuel renonce aux solutions canoniques de la bulle et du récitatif en plafond de case, au profit d’un texte logé dans un coin vacant de l’image. Mais ce texte libre semble parfois bien dense et la coexistence du caractère romain pour le récit et des italiques pour les dialogues l’alourdit encore. De plus, ce lettrage a du mal à s’intégrer dans l’image, car il suppose qu’on laisse le dessin se tarir d’un côté, ce que faisait Alex Raymond avec une habileté consommée. Ici, le dessinateur a plutôt tendance soit à laisser une réserve blanche (c’est le cas dans la moitié droite de la planche), le fait de ne pas la détourer par un filet apparaissant dès lors comme une simple coquetterie, soit à remplir entièrement les endroits du dessin restés libres, telle la diagonale de la troisième case.

Harry Morgan
septembre 2012