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50 ans de dessins : l’exposition de la bnf

Yves Frémion

[juillet 2012]

Les grandes expositions Wolinski ont été rares, hormis celle d’Angoulême quand à son tour il en fut président. C’est toute l’importance de la rétrospective 50 ans de dessins à la Bibliothèque nationale de France (site François Mitterrand) du 28 juin au 2 septembre 2012.

Wolinski a été partout, il n’a craint ni les contradictions, ni les contradicteurs, ni les contrariétés, il a laissé sa vie le guider, de L’Humanité à VSD, de Hara-Kiri à Paris Match, sans se poser de questions outre mesure. Il a semé ses dessins partout, des dizaines de milliers de dessins de presse, d’illustrations, de planches de BD, de publicités, de dessins amicaux dont lui-même n’a plus le souvenir. Cette avalanche et cette notoriété (qui ne connaît son nom ?), paradoxalement, ont joué contre sa reconnaissance institutionnelle.

Il y a quelques années, un ministre de la Culture avait chargé Wolinski d’une réflexion sur le dessin de presse et celui-ci fit des propositions dans un rapport, cornaqué par un ancien bibliothécaire manifestement briefé pour ne pas aller trop loin. Plutôt que créer un véritable lieu qui rende justice à ce genre méprisé [1], il en sortit consigne pour le Département des Estampes de la BnF de « s’ouvrir » au genre. Depuis, le dessin de presse entre massivement dans les collections nationales, ce qui est évidemment essentiel.

C’est dans ce cadre que Martine Mauvieux, en charge de cette action dans le Département des estampes, a pu négocier avec Wolinski l’entrée de très nombreux originaux de l’artiste dans son fonds, sans oublier des centaines de cahiers et carnets d’esquisses, de notes, de brouillons, qui font la surprise de tous : chacun pensait que Wolinski, au vu de son « style bâclé » (l’expression est de lui), dessinait d’un premier jet, très vite, sans hésitation, et ceci expliquait l’incroyable profusion de son œuvre. Pas du tout ! Comme son ami Reiser, c’est un travailleur colossal, toujours en train de songer, d’esquisser, de chercher, de rayer, de trouver, pour finalement nous proposer quelque chose de mûri, d’achevé, de cohérent.

Le résultat est là, sur les cimaises de la BnF, qui a du mal à tenir l’ensemble de cette œuvre gigantesque, des mille et une facettes du travail d’une vie. C’est d’ailleurs la principale frustration de l’exposition, chaque aspect n’étant que survolé par quelques dessins, alors que notre mémoire en redécouvre d’autres que les premiers suggèrent. Il faut donc prendre cette rétrospective pour ce qu’elle est : l’introduction à d’autres travaux de monstration, plus serrés, plus spécialisés peut-être, où son travail sera décortiqué plus avant. L’érotisme, l’écologie, la politique, les relations amoureuses, les relations parentales, l’autobiographie, l’illustration, la bande dessinée, l’actualité, la publicité, le Maghreb, le voyage, le gag, autant d’angles sous lesquels aborder son travail : organisateurs, à vos cimaises !

Cette exposition sonne comme une entrée dans le Larousse : l’étape finale d’une reconnaissance officielle, acquise de longue date dans le cœur du public. On critique Wolinski, on ne le conteste pas à la place où il est. Trop de dessins ont pu lasser certains, trop d’éclectisme politique déconcerter ses amis de Charlie hebdo, trop de corps féminins tentateurs énerver les féministes, une trop grande décontraction dans ses réponses aux interviews le faire passer pour peu profond : Wolinski est un timide adulé qui a l’intelligence de préférer l’intelligence des autres. Son passage à la rédaction en chef de Charlie mensuel, qui reste le modèle absolu du magazine de BD, a montré qu’il était digne de ses amis, un grand connaisseur du dessin et un des crayons marquants de son temps. Qui pourrait en dire autant ?

Yves Frémion

Le catalogue, Wolinski 50 ans de dessins, réalisé sous la direction de Martine Mauvieux, très bien fait (BnF / Hoëbeke), reproduit beaucoup de documents et dessins parfois inédits. Avec des contributions de Cavanna, Massin, Elisabeth Roudinesco, Franz-Olivier Giesbert et Maryse Wolinski. 160p., 29,50€.

[1] Y compris dans le milieu de la BD ; c’est pourquoi il faut saluer l’initiative d’un autre président du Salon d’Angoulême, Blutch, qui imposa une remarquable exposition officielle, unique en son genre.