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partie 1 : contexte d’émergence de la bande dessinée numérique en France

Julien Baudry

[avril 2012]
Parler des prémices de la bande dessinée numérique avant les années 2000, c’est vainement essayer de la définir rétrospectivement, de la circonscrire dans des limites souvent incertaines à une époque où on en parle encore peu, et où elle n’existe qu’à l’état de fragments hétérogènes. L’objectif de cette première partie, qui fait office de préambule aux articles qui vont suivre, est justement de délimiter le terrain d’étude à une définition toute subjective de la bande dessinée numérique comme objet culturel de transition entre un champ analogique bien connu à l’histoire presque bicentenaire et un futur « nouveau média » hybride et encore en cours de définition en 2012.
Pour remplir cet objectif, j’examinerai trois contextes qui, à mes yeux, expliquent l’apparition d’une bande dessinée numérique française vers la fin des années 1990 : l’influence des webcomics américains, les évolutions propres à la création artistique numérique et sa rencontre avec la bande dessinée, et enfin la naissance d’une communauté d’intérêt autour de la bande dessinée sur le web.

En guise de préambule à une histoire de la bande dessinée numérique en France, il me faut commencer par la seconde moitié des années 1990, période qui voit l’éclosion d’un nouveau média attaché à deux traditions, celle des arts numériques et celle de la bande dessinée.
Ce texte constitue une introduction aux quatre articles qui suivront. Il cherche à composer une vision ouverte de la bande dessinée numérique, non limitée à une seule définition, et considérée en fonction de trois contextes d’apparition spécifiques qui conditionnent son émergence en France : l’influence américaine, la culture multimédia et le Web francophone.

Le premier contexte important est l’influence américaine : la bande dessinée numérique a pris racine aux États-Unis plutôt qu’en France, et c’est outre-Atlantique que se constitue un précédent, avec ses propres codes. Dès lors, la première définition de la bande dessinée numérique que je propose est une simple analogie avec les webcomics américains. Il y aurait une équivalence des deux côtés de l’Atlantique entre le webcomic et la bande dessinée numérique (le terme webcomic est parfois employé dans un contexte francophone). La comparaison est juste, mais insuffisante, car le terme webcomic renvoie par définition à de la bande dessinée publiée en ligne, alors que la vision de la bande dessinée numérique que je vais tenter de porter dans cette introduction historique se veut bien plus large que la seule diffusion en ligne.
D’où le second contexte qui replace cette fois la bande dessinée numérique au sein d’une vaste culture multimédia en formation avant les années 2000. Le terme multimédia n’est plus guère utilisé mais il reflète bien l’idée d’une bande dessinée numérique issue de l’hybridation entre différents médias. Néanmoins, un observateur ingénieux pourrait rétorquer que, de nos jours, il n’y a plus vraiment d’œuvres numériques qui ne passent pas par Internet. D’où la nécessité de revenir, dans le troisième contexte, à une réflexion sur le Web français et à une définition de la bande dessinée numérique qui, sans être un simple calque des webcomics, se confond en partie avec la bande dessinée en ligne. Si bande dessinée en ligne il y a, c’est qu’un microcosme favorable se développe sur le Web francophone pour accueillir ces créations, et je tenterai de décrire ce microcosme.

le spectre du webcomic américain


Il me semblait utile de préciser que la situation de la bande dessinée numérique en France se caractérise par la présence d’un élément externe qui plane doucement sur elle et revient parfois dans le débat : l’antériorité américaine du webcomic. En effet, la bande dessinée numérique s’est développée bien plus rapidement aux États-Unis qu’en France et, si l’on se penche sur le nombre d’auteurs, le succès et la médiatisation, la situation de la France du milieu des années 2000 est déjà atteinte aux États-Unis au moins depuis la fin des années 1990. Par conséquent, les initiatives américaines sont bien plus variées et nombreuses et c’est en moquant le retard français que l’on compare souvent les deux pays en matière de bande dessinée numérique. Cette dernière serait davantage entrée dans les mœurs outre-Atlantique. L’argument ne saurait malgré tout exclure le fait que la bande dessinée numérique française possède ses spécificités.
En raison de l’antériorité l’américaine, et parce que, dans le fond, l’histoire de la bande dessinée numérique américaine n’est pas si connue en France, j’ai souhaité commencer par un rappel synthétique sur le sujet. Mais de multiples précautions oratoires s’imposent. Tout d’abord, la bibliographie sur le webcomic est déjà conséquente (le retard français est aussi bien dans la création que dans l’étude !) et en partie traduite. D’où mon désir de ne livrer ici qu’une version abrégée d’une histoire complexe et dense. Il sera plus intéressant pour mon lecteur avide de découvrir le monde des webcomics de se pencher sur les quelques titres cités en notes [1].
Antériorité ne signifie pas que la bande dessinée numérique n’existait pas en France quand elle a commencé aux États-Unis, et encore moins qu’elle a été « inventée » aux États-Unis, une telle assertion ayant assez peu de sens. Dire que la bande dessinée numérique a été inventée aux États-Unis reviendrait à supposer qu’elle est d’essence américaine et que son histoire en France est celle de l’exportation d’un concept au-delà de l’océan. Mais le jeu des influences réciproques est bien plus complexe, et ce serait opérer un raccourci trop rapide que de croire que la bande dessinée numérique, inventée aux États-Unis, ait directement sauté en France par la magie de la diffusion universelle des contenus numériques sur Internet. Ce serait surtout oublier de répondre à quelques questions : les œuvres numériques américaines ont-elles fait l’objet de traduction ? Peut-on déceler une influence directe d’auteurs américains chez tel auteur français de bande dessinée numérique ?
Et il faudra bien un jour y répondre. De mon côté, ma réflexion sur la bande dessinée numérique américaine, outre la rapide synthèse historique introductive, sera guidée par deux interrogations qui restent d’ailleurs pour une large part en suspens :
1. En quoi (et pourquoi) la situation américaine diffère de la situation française ?
2. Quelle influence des webcomics américains pouvons-nous supposer en France ?

Les premiers auteurs américains à avoir construit l’histoire de la bande dessinée numérique américaine (se détachent les noms de T. Campbell et Steven Withrow qui commencent à rédiger sur le sujet autour de 2004-2006) distinguent généralement deux périodes. Ils situent avant 1996 une époque pionnière appelée « âge de pierre » ou, plus simplement « early webcomics », puis entre 1996 et 2006 un « âge d’or ». On peut ensuite déceler, à partir de 2006, une institutionnalisation des webcomics et véritablement parler d’un marché florissant et autonome, avec intervention de grands acteurs de l’édition de comic books tels que Marvel et DC.
Cette chronologie est déjà en elle-même un signe fort de l’avance prise aux États-Unis. L’âge d’or, qui correspond théoriquement à la période où le succès est le plus grand, est déjà diagnostiqué autour de l’an 2000, date à laquelle les créateurs français sont encore peu nombreux et, surtout, en restent encore à un degré de diffusion confidentiel. En outre, il est intéressant de signaler que cette histoire du webcomic, écrite non par des témoins mais par des acteurs (Campbell et Withrow dessinent eux-mêmes plusieurs webcomics), héroïse l’autonomisation de la bande dessinée numérique dans le cadre d’Internet. Ainsi, T. Campbell écrit dans l’introduction de son History of Webcomics : « Le Web offre un lieu alternatif de publication où les bandes dessinées peuvent être aussi grandes, ou aussi petites, que le souhaite l’artiste, désormais libéré des contraintes des agences de presse ou des coûts de publication. N’importe qui dans le monde peut les trouver, à condition de posséder un ordinateur et une connexion. » [2]. Derrière plane l’idée, qui reviendra notamment sous la plume de Scott McCloud, théoricien du mouvement, que les webcomics sont une alternative à un marché du comic papier en crise. Elle se situe en cela dans une mouvance pro-Internet défendant la valeur du réseau comme espace de liberté porteur d’une modernité et de l’avenir de la culture.
En bref, l’attitude américaine est fortement marquée par un héroïsme du webcomic largement absent dans les discours français, et très lié au discours de défense du réseau Internet comme espace de libre expression. Si, aux États-Unis, les webcomics ont été vus comme une des voies d’avenir de la bande dessinée dès le début des années 2000, bénéficiant de l’advocacy de théoriciens prestigieux comme Scott McCloud, puis devenant une catégorie des Eisner Awards dès 2005, il faut attendre, en France, la fin de cette même décennie pour que la médiatisation de la bande dessinée numérique soit suffisante pour qu’elle soit considérée comme autre chose que l’antichambre de la bande dessinée papier. Cette distinction est essentielle : elle modifie en profondeur, selon nous, la perception de la bande dessinée numérique comme objet culturel. Très tôt vécue positivement aux États-Unis comme une branche autonome, elle ne bénéficie que partiellement de ce statut en France.

de l’âge de pierre à l’âge d’or
Revenons à présent sur les origines des webcomics, intimement liées au développement précoce des réseaux qui composent déjà l’hyper-réseau Internet. Il faut considérer ici l’avance prise par les États-Unis en la matière. Sur les premiers réseaux payants Quantum Link et CompuServe ou sur des réseaux universitaires comme Usenet, plusieurs webcomics sont déjà échangés par mails ou par forum, dont certains migreront ensuite sur le Web : T.H.E. Fox de Joe Ekaitis (1986, à la fois dans la mouvance du pixel art et du furry), Witches and Stitches d’Eric Monster Millikin (1985), Where the Buffalo roams de Hans Bjordhal (1991) [3]. Ces premières œuvres, nées et diffusées spontanément au sein des premières communautés Internet, donnent aux webcomics une préhistoire ancienne qui correspond en réalité à l’usage précoce des réseaux d’échanges de fichiers en ligne comme moyen de communication.

La bande dessinée numérique s’adapte rapidement au mode de diffusion par le réseau Internet tout au long des années 1990 et plusieurs créateurs se lancent dans l’aventure. Le lectorat reste encore restreint jusqu’au milieu de la décennie, mais les séries se multiplient, principalement sur le format de comic strips régulièrement mis à jour, format canonique pour la publication de bande dessinée aux États-Unis depuis le début du XXème siècle et particulièrement adapté à une publication en ligne, mais pas seulement. Parmi ces premières œuvres, les plus notables sont Netboy de Stafford Huyler (1994), Argon Zark !, de Charley Parker (1995), Kevin and Kell de Bill Holbrook (1995). Si les deux premiers (qui ne sont d’ailleurs pas des strips) sont lancés par des dessinateurs et graphistes encore peu connus à l’époque, le troisième est l’œuvre d’un dessinateur ayant commencé à être publié par les syndicates américains dès 1985. Pour l’historien T. Campbell, l’apparition de Kevin and Kell apporte une certaine forme de professionnalisme au monde des webcomics. Les succès auprès des premiers internautes de Netboy et Argon Zark !, sont incontestables et annoncent celui d’un tout nouveau domaine de la bande dessinée. Tous deux, et particulièrement le webcomic du prolifique Charley Parker, s’adressent explicitement au premier public de l’Internet américain : des amateurs d’informatique, de jeux vidéos et d’Internet. Argon Zark !, est en effet une célébration haute en couleurs des possibilités alors incroyables du réseau Internet : Argon Zark, le héros, est un informaticien de génie qui invente un protocole permettant d’envoyer physiquement des personnes sur le réseau. Il teste son invention sur lui-même et l’accompagnent dans son voyage Zeta Fairlight et le robot Cybert. Des aventures qui miment l’aspect novateur de la navigation sur le réseau.

Déjà se dégagent deux grandes caractéristiques des webcomics américains, mises en avant par les premiers historiens. D’une part l’impact des premiers webcomics est d’autant plus fort qu’ils abordent des thèmes intéressant spécifiquement une communauté d’internautes encore composée de geeks, avant même qu’Internet soit envahi par un plus large public. Chacun s’adresse à une communauté différente, et apparaissent des sous-genres complexes tels que le nerdcore strip (pour informaticien), le gamer strip (pour joueur de jeu vidéo) ou le furry (avec des personnages animaliers). À la suite d’Argon Zark !, et de Netboy, d’autres webcomics se concentrent sur les thèmes de l’informatique et des jeux vidéos : Helen, sweetheart of the Internet par Peter Zale (1996), User friendly par J.D. Frazer (1997), Penny Arcade de Jerry Holkins et Mike Krahulik (1998), PvP de Scott Kurz (1998), Ctrl+Alt+Del de Tim Buckley (2002). Leurs caractéristiques est de suivre l’évolution galopante des nouvelles technologies et de participer, par l’usage de références récurrentes, à l’édification d’une culture Web. C’est le début de « l’âge d’or » des webcomics : à mesure que le nombre d’internautes augmente, l’audience quotidienne de certains d’entre eux dépasse les ventes de classique des comic books : Sluggy Freelance de Pete Abrams atteint 300.000 lecteurs quotidiens en 2003. Corollairement, les premières plateformes d’hébergement et portails apparaissent pour fédérer ces premières œuvres, les plus importantes autour de 2000 étant Big Panda puis Keenspot.

D’autre part, une première forme de professionnalisation apparaît relativement tôt, notamment parce que des dessinateurs professionnels comme Bill Hollbrook publient en ligne dès le milieu des années 1990. Mais le principal promoteur de l’autonomisation professionnelle du webcomic est sans doute Scott McCloud, dessinateur par ailleurs connu pour être un théoricien de la bande dessinée. McCloud commence sa carrière de dessinateur vers 1984 et de théoricien en 1993 avec Understanding comics. En 2000, il publie l’essai Reinventing comics dans lequel il encourage les créateurs et les lecteurs de bande dessinée à se tourner vers Internet où peut naître un nouveau modèle de bande dessinée favorable à l’expérimentation. Il conçoit notamment la théorie de l’infinite canvas selon laquelle la publication en ligne permet de se dégager de la contrainte spatiale de la page en jouant sur le défilement vertical, les hyperliens ou encore les interactions du lecteur. Il promeut ainsi une bande dessinée numérique spécifiquement conçue pour une lecture sur écran. Son second apport théorique est d’ordre économique : il défend un modèle de micro-paiements grâce auquel le créateur serait rémunéré directement par les lecteurs, sans passer par des intermédiaires comme dans le cas de l’industrie papier. Il serait donc possible de gagner sa vie grâce aux webcomics. Dès 1998, il met ses théories en pratique en publiant des webcomics dont une version numérique de son comic book Zot !. Ne nous méprenons pas : les idées de Scott McCloud n’ont pas fait l’unanimité, ni parmi les dessinateurs professionnels, ni parmi les amateurs de webcomics. Néanmoins, son principal apport aura été de lancer très tôt le débat sur la professionnalisation des auteurs de webcomics. En réalité, seuls quelques créateurs dont Scott McCloud et Pete Abrams parviennent à vivre uniquement de leurs publications en ligne, rémunérés par la publicité, par des adaptations papier, par des appels aux dons, par des conférences et un merchandising efficace. Un second modèle économique apparaît en 2002 avec le site Modern Tales. Reprenant le principe des portails hébergeant plusieurs webcomics à la fois, il rompt avec la gratuité jusque là dominante pour proposer un système d’abonnement qui permet de rémunérer les auteurs.

Pour T. Campbell, l’une des explications de la professionnalisation précoce des webcomics aux États-Unis est la crise du comic book papier : « L’album de BD traversait une crise économique profonde (…). Ce contexte permet de comprendre plus facilement pourquoi les amateurs de BD se tournèrent vers le Web afin de pratiquer leur art, même s’ils travaillaient, sans aucune rétribution, pour quelques douzaines de lecteurs. » [4] Faisant face à une baisse des ventes, les dessinateurs se seraient tournés vers Internet comme une solution à la crise, Scott McCloud incarnant, à travers Reinventing comics, le versant le plus radical d’une attitude où la publication en ligne n’est pas seulement un moyen de se créer un public, mais une véritable alternative d’autoédition face aux lois de l’édition papier. Cette théorie est alléchante : ne pouvant pas être publiés dans un marché en crise, les créateurs se tournent vers Internet et parviennent à se faire connaître sans l’aide d’intermédiaires. En outre, plusieurs auteurs de comic strips choisissent de transférer leur production papier en ligne, comme Max Cannon avec Red Meat en 1996. Mais la corrélation n’est pas si évidente (notamment parce que la crise touche surtout le comic book et moins le comic strip), et la crise du comic book n’est pas forcément une explication suffisante de l’engouement américain pour la bande dessinée numérique.

une comparaison franco-américaine
Je résume ici les trois principales caractéristiques des débuts des webcomics aux États-Unis :
1. un rattachement précoce à Internet comme moyen de diffusion et d’échanges ;
2. une forte interdépendance entre les premiers webcomics et un lectorat de passionnés d’informatique ;
3. une professionnalisation des pratiques, relative mais effective au moins d’un point de vue théorique.
Ce sont ces trois caractéristiques qui doivent être examinées pour comparer les situations française et américaine et éventuellement comprendre la précocité américaine par rapport au retard français.

1. Il faut d’abord pointer le retard pris par le public français dans la prise en main du réseau Internet. Alors que les années 1980 voient le développement de plusieurs réseaux informatiques concurrents essayant de diffuser des contenus numériques, les situations américaine et française obéissent à des logiques opposées. En France domine le réseau Minitel, mis en place et géré par le ministère des Postes et Télécommunications selon une tradition de monopole politique d’État des technologies de communication datant des années 1920. Dans le même temps aux États-Unis se constitue un réseau global et ouvert reliant entre eux plusieurs réseaux autonomes d’ordinateurs : le réseau Internet, d’abord imaginé pour les militaires et finalement concrétisé et utilisé par des universitaires. La décennie 1990 voit le triomphe mondial d’Internet qui se globalise, s’étendant au reste de la planète. Il est propulsé auprès du grand public grâce au World Wide Web de Tim Berners-Lee, un système d’hyperliens reliant entre eux des contenus publics mis en ligne et facilitant grâce à des interfaces visuelles la recherche d’informations. Le paradoxe français est que le succès réel du réseau Minitel durant les années 1990 a retardé la connexion des foyers français à ce qui allait devenir le plus vaste réseau mondial de télécommunications [5]. Il faut attendre le début des années 2000 pour que le réseau Internet dépasse le réseau Minitel en termes d’abonnés et se généralise vraiment en France. La comparaison statistique est éloquente : en 2000, 14% de la population française dispose d’un accès à Internet contre 44% de la population états-unienne. Il faut attendre 2006 pour atteindre les 50 % de la population française connectée, un seuil atteint dès 2001 aux États-Unis.
L’une des explications possibles du retard français en matière de bande dessinée numérique serait simplement le retard général en matière d’accès à Internet, devenu le principal moyen de diffusion de contenus numériques, là où le Minitel demeurait très institutionnel et peu ouvert à la publication par les particuliers. Il n’y aurait pas eu en France, à la fin des années 1990, le même écosystème favorable à la diffusion numérique de bandes dessinées, comprenant possibilité de publication et de diffusion à grande échelle, qu’aux États-Unis. On remarquera d’ailleurs que la plupart des bandes dessinées numériques créées en France dans les années 1990 ne sont pas conçues pour être diffusées sur le réseau, mais plutôt vendues comme des CD-Rom.

2. Sur le deuxième point, la comparaison entre la France et les États-Unis est assez semblable au premier : la lente apparition d’Internet a ralenti le développement d’une culture Web en France. Ou, du moins, cette culture Web française ne s’est pas traduite par des bandes dessinées. Toutefois, sans doute faut-il ajouter là un second élément. L’importance de la hiérarchisation des cultures dans la France des années 1990 a pu empêcher la rencontre entre le monde de l’informatique et la bande dessinée. La donnée communautaire, essentielle au début des webcomics s’adressant spécifiquement aux internautes dans une sorte de langage réferentiel et codé, n’a pas eu la même ampleur en France.
En 2001, Patrice Flichy décrit un « imaginaire d’Internet » largement dominé par une vision américanocentrée, même si elle tend dans ses discours à l’universalisme [6]. La France de cette époque est marquée par l’absence d’une grande revue fédératrice (à l’image de Wired aux États-Unis) et par la frilosité des acteurs qui ont lancé le succès d’Internet aux États-Unis : les entreprises et les universitaires. L’imaginaire français d’Internet est resté traumatisé par l’idée d’un « retard » insolvable et d’une culture subordonnée aux influences américaines.

3. Sur le troisième point, le constat est plus nuancé. Je le montrerai par la suite, mais le multimédia a pu être au cœur de la réflexion de certains auteurs professionnels, principalement Benoît Peeters, Bernard Hislaire et les fondateurs du site Coconino World (Thierry Smolderen, Josépé, Dominique Bertail et Guillaume Navailles), ce qui tendrait à dire qu’une professionnalisation de la bande dessinée numérique aurait pu être possible très tôt en France. Toutefois, il faut encore mettre en balance cet argument avec le premier, qui apparaît définitivement de plus en plus décisif : le développement d’Internet a pu être un contexte favorable aux États-Unis, mais beaucoup moins en France. Difficile de voir un public potentiel dans un réseau qui intéresse moins d’un quart de la population ! Les expériences menées en ligne par des auteurs français sont restées relativement déconnectées des productions amateurs et aucun dessinateur en ligne français ne peut vraiment affirmer qu’il vit uniquement de son art numérique. Quant aux productions numériques diffusées sous forme de CD-Rom, elles ne sont pas parvenues à créer un marché. Néanmoins, les auteurs n’ont pas été les derniers à investir le Web : l’expérience de Coconino est, dès 1998, une expérience de professionnalisation de la bande dessinée numérique. Simplement ne l’ont-il pas abordé prioritairement sous l’angle économique.
En effet, si le principe de gratuité de la bande dessinée numérique a été remis en cause aux États-Unis dès le début des années 2000, ce n’est pas le cas en France où il faut attendre 2009-2010 pour voir se développer des expériences payantes. Tandis que les auteurs professionnels sont restés attachés au modèle économique du papier, suffisamment satisfaisant, la bande dessinée numérique reste longtemps en France un domaine gratuit grâce à l’accès en ligne. À l’inverse de leurs collègues américains, les auteurs professionnels dans les années 1990 n’ont pas développé de discours interprétant la bande dessinée numérique comme une chance économique pour la profession. Nous verrons plus tard que les discours de Peeters portent surtout sur l’aspect esthétique.
On pourrait relier cet attachement au modèle de la bande dessinée papier à l’absence de crise manifeste de la bande dessinée en France, contrairement aux États-Unis. L’histoire de la bande dessinée situe plus volontiers la crise du medium au début des années 2010. C’est du moins ce qui ressort des rapports de l’ACBD rédigés par Gilles Ratier : la production de bande dessinée n’a fait que croître pendant la décennie 2000, et ce n’est que récemment que l’idée d’une crise qui toucherait les auteurs commence à circuler. Beaucoup de nuances sont nécessaires, comme a pu le montrer le récent ouvrage collectif Vive la crise ?, qui venait démontrer tous les paradoxes du marché de la bande dessinée [7]. Toujours est-il que, même en 2012, l’investissement de la bande dessinée numérique par des auteurs professionnels reste restreint et, qu’au contraire, le numérique est parfois vu avec méfiance par des auteurs qui se préoccupent, à juste titre, des droits de diffusion numérique. Quelques initiatives récentes que nous aborderons (Les autres gens, 8comix) semblent montrer que les mentalités changent. Mais si l’on se replace dans les années 1990, on ne peut parler d’un même mouvement de professionnalisation de la bande dessinée numérique en France qu’aux États-Unis.

Enfin, il me paraît nécessaire d’évoquer un quatrième argument pour différencier les situations américaine et française, lié cette fois aux habitudes respectives de lecture de bande dessinée. Aux États-Unis (et on pourrait en dire de même au Japon), la bande dessinée est généralement un produit « jetable », comme le montrent ses modes de diffusion. Le comic strip est diffusé dans la presse, c’est-à-dire dans un support par définition éphémère ; le comic book est publié en courts fascicules périodiques sans couverture rigide. En revanche, la particularité française de ces dernières décennies est la montée en puissance de l’album, support qui met en valeur la beauté et la pérennité de l’objet livre. Il s’agit certes de généralisations de ma part : le graphic novel américain bouleverse les codes outre-Atlantique et la presse de bande dessinée n’a pas complètement disparu en France. Néanmoins, les habitudes dominantes voient le lectorat français insister sur l’intérêt de la possession d’un ouvrage papier que l’on peut emprunter et offrir, intérêt qui expliquerait le faible succès de la bande dessinée numérique lorsqu’elle ne peut se lire qu’en ligne. D’autre part, avec les comic strips, les Américains sont habitués à concevoir la bande dessinée comme un produit « en plus » au sein d’un média, le journal, qu’ils achètent pour de tout autres raisons. Ce schéma de lecture est le même sur le Web dont la bande dessinée numérique est une des composantes, de même que le comic strip est l’une des composantes d’un journal papier. Cet argument mériterait d’être précisé et nuancé, mais il vient confirmer l’impact des différences culturelles entre les deux pays.

quelle influence des webcomics américains en france ?
Une question est centrale pour tout le reste de ma réflexion : quelle influence a pu avoir l’apparition des webcomics aux États-Unis sur le développement de la bande dessinée numérique en France ? Y répondre permettrait de clarifier la question des limites du domaine de l’objet culturel dont j’essaie de retracer l’histoire. En effet, plus l’influence américaine est faible, plus la France devient un contexte à part entière, autonome, qui verrait naître une bande dessinée numérique « autre ». Un certain paradoxe si on pense que le réseau Internet est vu comme un réseau mondialisé qui abolit les frontières. Mais sans doute cette affirmation est-elle déjà fausse tant la réalité du Web est moins celle d’un réseau homogène et mondialement partagé que celle d’une multitude de communautés, certes potentiellement connectées entre elles sur un même réseau, mais dans les faits séparées par diverses barrières : politique, technique, linguistique, idéologique... La question de l’influence américaine permet aussi de résoudre celle de la naissance américaine du webcomic : ne peut-on pas plutôt considérer plusieurs naissances simultanées, en plusieurs points du globe ? Une convergence des pratiques guidée par deux changements de paradigme technique ? Je vais tenter d’émettre quelques hypothèses pour répondre à cette question. J’espère que mes lecteurs garderont à l’esprit qu’il ne s’agit que d’hypothèses et que cette question pourrait être reprise plus en détail, malgré toutes les difficultés qu’elle pose. Mon objectif est plus de poser les questions que d’y répondre.

Le premier obstacle à l’influence américaine est la langue. C’est le plus évident, mais aussi le plus trompeur et le plus difficile à évaluer, car la connaissance de la langue anglaise tend à être de plus en plus répandue dans la population française et l’accès à des œuvres en langue anglaise s’en trouve facilité. Néanmoins, j’explorerai la piste d’une méconnaissance par le public français (y compris par le public français « averti ») des évolutions américaines en émettant deux remarques.
La première concerne l’absence de système de traduction pérenne. Depuis l’entre-deux-guerres, et même avant si on considère le dessin de presse, la bande dessinée papier américaine a fait l’objet d’échanges de part et d’autre de l’Atlantique par le biais de traductions (plus ou moins heureuses) et de systèmes d’importation en France, par des agences de presse comme Opera Mundi. Le Chicago Tribune a ainsi diffusé en France Winnie Winkle et The Gumps dans les années 1920-1930. En 2012, beaucoup de grands éditeurs français ont leur collection de comics, la société italienne Panini Comics est un des principaux importateurs de bandes américaines (de Marvel et DC) en France tandis que d’autres pans plus confidentiels du champ des comics sont diffusés par l’édition alternative française (Cornelius, Vertige Graphic, Rackham, Ça et Là...). Une grande partie de la bande dessinée américaine est traduite pour la France et le festival d’Angoulême prime régulièrement des auteurs américains [8]. Qu’en est-il des webcomics ? Un certain nombre d’entre eux font l’objet de traductions régulières depuis 2005 grâce aux bons soins des membres du portail Lapin, un des éditeurs numériques français. Il s’agit principalement de comic strips d’humour absurde qui correspondent à la ligne éditoriale du portail qui, par ailleurs, publie en album certains de ces webcomics [9]. En dehors de cette initiative bienvenue pour faire connaître la production américaine, les autres webcomics ne sont pas traduits, du moins pas en version numérique. Autrement dit, jusque vers 2005, les amateurs français de webcomics devaient forcément en passer par l’anglais [10] et, même après cette date, ils doivent se contenter d’un petit nombre de webcomics traduits par rapport à la réalité de la production. Néanmoins, grâce aux traductions proposées sur le portail Lapin, certaines séries américaines comme Plus fort que le fromage et Les Céréales du dimanche matin connaissent un vrai succès auprès des internautes francophones.
Il faut aussi se poser la question des webcomics américains traduits en version papier en français. En France, la publication papier de séries d’abord crées sur le Web commence autour de 2004. Mais, ce principe étant admis, il faut attendre 2007 pour que des webcomics américains se trouvent être traduits. Deux cas de figures existent. Le premier concerne une fois de plus l’exception que constitue le portail Lapin qui publie la version française de Plus fort que le fromage : la bande dessinée numérique est logiquement publiée en papier d’après sa version française. Mais il s’agit plutôt là d’une exception, le cas le plus courant est celui du webcomic déjà publié dans une version papier américaine qui arrive dans le marché français par le biais des traductions papier « classiques », sans en passer par une traduction numérique. C’est le cas de Mom’s Cancer de Brian Fies, le vainqueur du premier Eisner Awards du meilleur webcomic, traduit chez Ça et Là en 2007 ou encore de Body World de Dash Shaw, traduit chez Dargaud en 2010... L’avènement par une maison d’édition américaine reste le déclencheur de la traduction.
Sur la traduction des webcomics, on observe :
1. que les traductions de webcomics commencent assez tardivement, au mitan de la décennie 2000, en réalité quand on commence vraiment à parler de bande dessinée numérique en France ;
2. qu’elles concernent des titres spécifiques qui ne sont pas forcément les plus connus aux États-Unis, ce qui tend à construire un décalage entre la perception des webcomics en France et leur réalité américaine.
Ainsi, on chercherait en vain des traductions de webcomics très célèbres de « l’âge d’or » tels que PvP, Penny Arcade (pourtant publiés en album aux États-Unis) ou encore Sluggy Freelance ou les productions de Scott McCloud. La connaissance qu’a le public français des webcomics américains est aussi parcellaire que celle que le public français des années 1930 pouvait avoir des comic strips américains. Seuls certains titres étaient traduits, les autres n’étant connus que par des bilingues et des voyageurs. Mais on m’objectera que le contexte est tout différent, les moyens d’échanges beaucoup plus aisés et l’anglais devenu langue internationale... Néanmoins, la bande dessinée étant généralement une lecture de loisirs, seuls les plus polyglottes et les plus passionnés ont pu avoir une bonne connaissance du paysage anglais. Je reste persuadé que l’image que le public français a des webcomics est affecté par des « miroirs déformants » [11], qui sont fonction des rares traductions disponibles.

J’en reviens justement à Scott McCloud. Alors que nous avons vu un premier obstacle à la connaissance des webcomics en France, il existe pourtant un indice contradictoire qui tendrait à conclure qu’ils auraient pu être connus avant. En effet, l’ouvrage fondateur de Scott McCloud, Reinventing Comics, a fait l’objet d’une traduction par Vertige Graphic dès 2002, donc relativement tôt par rapport au démarrage de la bande dessinée numérique en France. Cette traduction parue sous le titre de Réinventer la bande dessinée, par Jean-Paul Jennequin, est publiée dans la foulée de L’Art invisible, traduction en 1999 par Dominique Petitfaux de Understanding comics du même McCloud (alors qu’aux États-Unis, les deux ouvrages paraissent avec six ans d’écart, entre 1993 et 1999). L’art invisible a eu un certain succès critique en France : les théories de Scott McCloud sur la bande dessinée ont été reprises et discutées par d’importants théoriciens comme Benoît Peeters et Thierry Groensteen. Réinventer la bande dessinée a, en revanche, fait moins de bruit à son arrivée en France et n’a pas connu la même fortune. Lorsque Delcourt rachète les droits de L’Art invisible pour le rééditer en 2007 en même temps que le troisième opus de Scott McCloud (Making Comics), il se garde bien de racheter en même temps les droits de Réinventer la bande dessinée, pourtant disponibles [12].
Cependant, un dernier argument me vient, comme pour contrebalancer les précédents, cette fois en faveur de l’idée d’une influence américaine sur la bande dessinée numérique française. On ne manquera pas de remarquer que certains auteurs français ont pu être des passeurs. Benoit Peeters et Thierry Smolderen, tous deux pionniers de la bande dessinée numérique française, connaissent les travaux de Scott McCloud. Smolderen a même une bonne connaissance de l’histoire de la bande dessinée américaine qui lui sert lors de la création de Coconino. Enfin, si on s’aventure sur les archives des forums français autour de 2000 on constate que certains webcomics étaient déjà connus. A ce titre, le Canada a pu servir de passerelle pour faire connaître des webcomics anglophones ou des auteurs bilingues. C’est le cas de Miss Dynamite, du Québécois Sirkowski, qui publie à la fois en français et en anglais. Il est très vite repéré et indexé par la communauté francophone d’amateurs de bande dessinée [13].

Il y a donc eu des jeux d’influences des États-Unis vers la France, mais ils restent relativement ponctuels. Il est difficile de savoir jusqu’à quel point ils ont pu être décisifs. Ils ont pu l’être au niveau des dessinateurs, certains d’entre eux, comme Phiip le dessinateur de Lapin, ayant une bonne connaissance des webcomics américains. Et puis, il est un autre argument en faveur d’une influence américaine faible ou en tout cas peu structurante. La bande dessinée (papier ou numérique) varie énormément entre les deux pays, du point de vue de ses modes de diffusion et de lecture, des thèmes abordés, des conditions économiques de la production, du statut au sein de la société... Cette situation dure presque depuis les premières bandes dessinées du XIXème siècle : les différences nationales sont extrêmement fortes à partir d’un même mode d’expression. Tant et si bien qu’on finirait par croire qu’il s’agirait de deux déclinaisons différentes, forgées par leur histoire respective. Ainsi, il ne faut pas s’étonner que webcomics et bande dessinée numérique française aient pris des chemins si différents : c’est autant lié à deux évolutions parallèles du Web qu’à deux évolutions parallèles de la bande dessinée. La bande dessinée numérique française est parvenue à développer toutes sortes de particularités qui en font bel et bien un domaine à part entière.
Il est donc à présent temps de se pencher plus en détail sur le domaine français avant 2000 : pendant que la bande dessinée numérique connaît son « âge d’or » aux États-Unis, qu’en est-il en France ?

quand le spectre du multimédia rôdait sur la bande dessinée

La bande dessinée numérique peut s’interpréter avant tout comme une évolution des pratiques des dessinateurs, pratiques de production comme pratiques de diffusion de leurs œuvres. Au sens strict, les termes de « bande dessinée numérique » s’avèrent parfaitement banals pour tout dessinateur du XXIème siècle qui soulignerait fort justement que de nombreuses bandes dessinées papier sont réalisées à l’aide d’outils numériques sans qu’on les affuble d’un tel surnom. Thierry Groensteen constate trois types d’usages nouveaux depuis les années 1990 [14].
1. La généralisation du scanner et des logiciels spécialisés, soit pour retoucher les images, soit pour réaliser l’assemblage de la page après avoir dessiné chaque image séparément.
2. Le remplacement du papier et du crayon par la tablette graphique, qui permet de dessiner à plat à l’aide d’un stylet numérique de la même manière qu’un crayon ou qu’un pinceau, le rendu final se générant immédiatement sur l’écran de l’ordinateur. Les possibilités de colorisation et de repentir amènent une nouvelle dimension au travail du dessinateur.
3. Certains dessinateurs utilisent leur ordinateur comme une banque d’images potentielles dans laquelle puiser lors de la réalisation de l’album. D’une façon plus générale, la pratique du scan s’est largement répandue et les éditeurs traitent avec des fichiers numériques et non plus avec des planches originales sur papier.
De là, peut-on dire que la bande dessinée numérique n’est finalement pas un objet si original et si moderne qu’on pourrait le croire ? Techniquement, beaucoup d’auteurs réalisent des bandes dessinées numériques, même si celles-ci sont diffusées ensuite dans des albums papier. C’est pour cela que je vais explorer deux pistes distinctes pour aller aux origines de la bande dessinée numérique : le numérique comme outil de création / le numérique comme outil de diffusion. D’abord explorer les expériences que mènent plusieurs dessinateurs pionniers dans les années 1980-1990 à réfléchir à une nouvelle pratique du dessin à l’aide d’outils numériques, dans une optique que l’on jugerait presque militante. Ensuite évoquer les premières tentatives commerciales de diffusion numérique de bandes dessinées sur ordinateur, qu’il s’agisse de Cd-Rom ou des premiers pas de la diffusion sur Internet. Les mots d’ordre des années 1990 sont « multimédia » et « interactivité », et les expériences qui y furent menées sont loin d’être primitives et naïves : elles témoignent au contraire d’une véritable curiosité pour un phénomène naissant, curiosité tantôt enthousiaste, tantôt suspicieuse, mais toujours fructueuse.

vers la bande dessinée créée sur ordinateur
L’évolution de la bande dessinée créée sur ordinateur n’est pas si difficile à retracer. Si cette pratique reste peu surprenante à notre époque, elle est, avant l’an 2000, l’objet d’une véritable revendication théorique de la part des auteurs qui en font usage. Ils ne se contentent pas de vivre l’ordinateur comme une simple transition pour un meilleur confort de travail, ils réfléchissent à ses implications concrètes. L’un des penseurs de ces « nouvelles images » en France est Benoît Peeters, par ailleurs théoricien de la bande dessinée. Mais avant lui, d’autres vivent déjà l’informatique comme une révolution.
Fréquemment citée comme première bande dessinée numérique, (au sens de « réalisée avec des outils numériques ») l’histoire « Et Dieu naquit la femme » de Gerbaud et Toffe, paraît dans la revue Zoulou en 1984 [15]. Comme le raconte plus tard l’un des deux auteurs, Philippe Gerbaud, par ailleurs artiste contemporain, « Et Dieu naquit la femme » est destiné à un dossier de presse pour le lancement de l’ordinateur Macintosh de la firme Apple [16]. La bande dessinée participe ici à l’effervescence informatique des années 1980-1990 et à l’équipement progressif des foyers en matériel informatique, jusque-là restreint à des tâches professionnelles. Son esthétique délicieusement futuriste donne le sentiment de vouloir associer l’informatique à un art brut et vivant. Elle précède le Shatter de Peter B. Gillis et Mike Saenz, considéré comme le premier comic book réalisé par ordinateur, en 1985. Mais ces deux œuvres ont un point commun : elles mettent le doigt sur le caractère moderniste de l’ordinateur. Dans Shatter, cela passe traditionnellement par une histoire de science-fiction, et la forme s’accorde avec le fond ; dans « Et dieu naquit la femme », un manifeste puissant sert d’introduction pour revendiquer les potentialités de l’ordinateur à créer des images vivantes.

D’autres auteurs vont poursuivre dans la voie d’un dessin assisté par ordinateur : Jacques Landrain publie Digitaline en 1989 sur un scénario de Bob de Groot, mais le série reste sans suite (Le Lombard). Il faut dire que ces premières œuvres (« Et dieu naquit la femme », Shatter, Digitaline) emploient, consciemment ou non, un graphisme assez rigide qui peut dérouter des lecteurs habitués à une souplesse du trait au crayon. Est-ce les auteurs qui souhaitent délibérément montrer qu’ils ont utilisé un ordinateur, ou sont-ce les outils qui ne permettent pas d’imiter réellement le dessin manuel ? Durant les années 1990, l’évolution va aller dans le sens d’une plus grande transparence de l’utilisation des machines, comme si les outils numériques pouvaient servir à améliorer le dessin, mais sans avouer leur présence [17]. Fred Beltran dit s’être mis à ne plus travailler que sur ordinateur à partir de 1994. Il crée des rendus 3D des décors et des personnages pour les dessiner ensuite (à la tablette graphique) avec davantage d’acuité (comme pour sa série Mégalex, 1999-2008, Humano). Mais si l’ordinateur fait partie de sa démarche de travail (et qu’il le revendique), les œuvres crées ne possèdent pas de « particularismes » numériques. Enki Bilal (pour Le sommeil du monstre en 1998) puis Hislaire (pour Mémoires du XXème ciel, aussi en 1998) adoptent des méthodes de créations, retouches et assemblages des images par ordinateur. Ils inaugurent ainsi une pratique nouvelle destinée à se répandre.

Au milieu des années 1990, la démarche de François Schuiten et Benoît Peeters revient malgré tout à une forme de militantisme des « nouvelles images », mais avec plus de nuances et d’à-propos puisqu’il s’agit moins de militer pour le tout numérique que pour le dialogue entre les différents médias. En 1996, les deux auteurs, connus pour leur série Les Cités obscures, font paraître aux éditions Autrement un livre intitulé L’Aventure des images, sous-titré « De la bande dessinée au multimédia ». L’ouvrage s’inscrit incontestablement dans une réflexion globale des deux auteurs sur la nature du média « bande dessinée » et ses possibilités de dialogue avec d’autres médias. Pour François Schuiten, il s’agit surtout d’une démarche purement artistique qui lui permet de toucher à d’autres arts visuels (il participe à la conception de films tels que Gwendoline de Just Jaeckin dès 1984, puis à la scénographie de spectacles et expositions). C’est là une démarche que l’on retrouve facilement chez plusieurs confrères de sa génération, qui sont moins des dessinateurs que des « iconographes » multimédia : Philippe Druillet (plusieurs spectacles multimédia pour la Géode à Paris autour de 1996), Benoit Sokal (se lance dans le jeu vidéo avec L’Amerzone en 1999) [18]. Pour Benoît Peeters, le questionnement du média bande dessinée est un point fort de son travail, mise au net depuis son ouvrage théorique Case, planche, récit (1991) et ses recherches sur Rodolphe Töpffer (Töpffer, l’invention de la bande dessinée en 1994). Par ailleurs, il réalise des romans-photos avec Marie-François Plissart depuis 1983. Peeters et Schuiten réalisent deux films d’animation en images de synthèse (une technologie qui commence aussi à se répandre et à prendre de vitesse l’animation graphique) autour de l’univers des Cités Obscures : Les Quarxs (par Maurice Benayoun, 1991) et Taxandria (par Raoul Servais, 1994). Autrement dit, leur connaissance du numérique est réelle. Leur appétit à se tourner vers les nouvelles technologies n’a rien d’innocent mais relève de véritables interrogations sur leur métier apparues au milieu des années 1990. Interrogations esthétiques de fusion entre les médias (on ne parle pas encore de transmédia) auxquels le numérique semble apporter une réponse, et d’avenir de la bande dessinée.
L’aventure des images est un livre important à plusieurs titres. Il est d’abord un des premiers jalons dans la réflexion esthétique sur la bande dessinée numérique en France. Ensuite, il dénote par sa justesse de ton, refusant à la fois, face au numérique, le refus absolu et l’admiration béate : « Avant d’accueillir quoi que ce soit, un CD-Rom ou un CD-I est d’abord un support : c’est un disque capable d’accueillir simultanément des textes, des images fixes ou animées, des sons. Nulle raison de le sacraliser ou de le dénigrer en tant que tel. Il vaut ce que valent les contenus que l’on y introduit. » [19]. Les auteurs dénoncent d’abord l’illusion interactive du CD-Rom, avant de plaider pour une production numérique « de création » qui verrait collaborer des praticiens de différents domaines pour produire de véritables œuvres, avec un scénario abouti et un univers cohérent [20]. Quant à la bande dessinée, ils voient plus d’une possibilité pour l’associer au multimédia, derrière les problèmes pratiques de lecture sur écran. Le numérique permet selon eux une grande souplesse et une multiplication des approches, entre images, textes et sons. Et à la construction de lecture par essence artificielle de la page de bande dessinée répond l’architecture numérique qui permet de passer d’un contenu à l’autre. Ils évoquent le projet d’un CD-Rom sur Bruxelles où les passages se feraient par des portes et des ouvertures, une forme comme une autre de navigation séquentielle que reprendront par la suite certains spécialistes de la bande dessinée interactive avec lecture guidée. Il y a une vraie théorisation de la place de l’image dans une culture multimédia. Déjà est saisie une des caractéristiques de l’écriture numérique : la navigation par hyperliens. « Mais davantage que les contenus qui figureraient [dans le CD-Rom] ce qui nous préoccupe, c’est de mettre au point un mode de navigation spécifique. » [21].

La démarche de ces auteurs m’interpelle moins pour son côté « prouesse technologique » que comme la preuve qu’une poignée d’auteurs de bande dessinée a pu s’interroger, dès avant 2000, sur les potentialités nouvelles ouvertes par les outils numériques, et s’intégrer ainsi à des questionnements contemporains qui touchent tous les arts. Autour de 1996-1998, entre Beltran, Bilal, Hislaire, Peeters et Schuiten, il existe un véritable enthousiasme, sans doute poussé par l’attrait de la nouveauté, qui, paradoxalement, va avoir tendance à se réduire dans les années 2000 et ne revenir qu’à la fin de la décennie. À ce stade, les auteurs envisagent le numérique moins comme un outil de création à part entière que comme un moyen de prolonger des univers déjà existants. Mais certaines expériences de bandes dessinées numériques vont se pencher sur la création pure. Et contrairement aux attentes de Peeters, l’interactivité va être au cœur des premières créations.

le déclin rapide de l’édition de bande dessinée interactive
À la fin des années 1990, une voie semble se dessiner pour accélérer l’intégration du média « bande dessinée » à un environnement numérique qui se définit justement par sa puissance « multimédia », par sa capacité à mêler les arts et leurs héritages respectifs, comme le pressent Peeters. Plusieurs œuvres numériques voient le jour dans un système éditorial qui interprète le numérique comme une façon de concevoir des créations inédites où l’argument de vente (la « valeur ajoutée » numérique) serait l’interactivité, c’est-à-dire permettre au lecteur d’agir sur sa bande dessinée. Le contexte est favorable à une hybridation des médias dont l’objectif serait d’apporter de l’interactivité. On peut ranger ces œuvres interactives dans deux catégories qui correspondent à deux conceptions différentes de l’hybridation : des adaptations de bande dessinée préexistantes et les créations originales [22].

Une des voies de l’hybridation est l’adaptation d’œuvres célèbres de la bande dessinée sous forme numérique. Dans cette direction, ce sont d’abord des éditeurs de bande dessinée qui prennent l’initiative. En effet, cette première piste est inaugurée par la maison d’édition Albin Michel avec une adaptation sonore et multimédia des aventures de Jack Palmer de René Pétillon, sortie en 1995. Viennent ensuite les Humanoïdes Associés avec des éditions CD-Rom de La Trilogie Nikopol d’Enki Bilal à partir de 1996 [23]. Conçus en collaboration avec un infographiste, Maximilien Chailleux, ces CD-Roms reprennent les cases des albums en les adaptant à la lecture sur écran (agrandissement, réagencement pour une lecture case par case), une méthode assez proche des nouvelles pratiques numériques du dessinateur lui-même qui dessine case par case avant de réassembler la page. Quelques modifications sont apportées, comme le remplacement des bulles par des dialogues sous l’image, mais, dans l’ensemble, il s’agit bel et bien d’un calque de la bande dessinée.

D’autres œuvres numériques essaieront d’aller plus loin. En 1997, c’est la société Index+ qui, en collaboration avec France Télécom Multimédia, filiale de l’entreprise publique, imagine une adaptation du Piège Diabolique de la série Blake et Mortimer qui reprend les mêmes principes que La Trilogie Nikopol, mais en ajoutant à la lecture de la bande dessinée des séquences animées et du son. Les Humanoïdes Associés s’en inspirent pour poursuivre leur politique d’adaptation des albums de leur auteur-phare. Simultanément à l’album Le Sommeil du monstre, ils sortent un CD-Rom qui inclut du son sous la forme de bruit de fond (musique, bruitage) pendant la lecture. D’autres œuvres suivront en 2000 à destination des enfants (Une épatante aventure de Jules d’après Emile Bravo et Merlin à la plage d’après Joann Sfar et Munuera diffusé sur le site « Après l’école »).

Mais les premiers pas d’Index+ dans la bande dessinée numérique ne s’arrêtent pas à une simple adaptation de Blake et Mortimer. En 1996, ils éditent en CD-Rom une œuvre de bande dessinée numérique originale, Opération Teddy Bear, réalisée par Edouard Lussan. Le projet est en cours depuis 1984 et Edouard Lussan vient du monde de la création multimédia. L’atout de son œuvre, une aventure pendant la Seconde Guerre mondiale, est d’accompagner la bande dessinée elle-même d’une multitude de liens qui la documentent par des cartes et des fiches historiques (y compris des cartes se rapportant uniquement à la fiction et non à l’Histoire de France). L’apport numérique va bien au-delà de simples ajouts, comme le dit B. Gillet : « On peut donc en déduire (bien que chaque planche elle-même se subdivise en plusieurs intégrations progressives de dessins) que l’espace occupé par les apports documentaires est bien supérieur à la fiction – bédé (planches et itinéraires du héros) elle-même. ». L’autre qualité de cette production tient à la diversité des trouvailles interactives ménagées par les créateurs : apparition de cases, de liens, changement de forme du curseur de la souris, apparition d’animations...
Toutes ces trouvailles se retrouvent dans deux autres œuvres numériques originales qui marquent le passage de la diffusion par CD-Rom à la diffusion par Internet : Ramon et Pedro de Luz (1997, Multimania) et John Lecrocheur (1999, IO Interactifs [24]). À la différence d’Opération Teddy Bear, la diffusion se fait par Internet : dans les deux cas, l’œuvre est coproduite par Wanadoo qui la diffuse en partie auprès de ses abonnés (de même que France Télécom avait mis son nez dans Le Piège diabolique). Néanmoins, on remarquera que, dans ces trois cas d’œuvres originales où la forme de la bande dessinée est utilisée, elles sont produites par des sociétés extérieures au milieu de l’édition traditionnel, et impliquées dans la « nouvelle économie » informatique. Ces œuvres obtiennent de nombreux prix lors de festivals d’animation et de multimédia, mais à la reconnaissance critique répondent des interrogations sur la viabilité d’une nouvelle industrie culturelle, et surtout un silence du côté de la bande dessinée [25].

D’un point de vue commercial, on constate deux stratégies simultanées : celle d’éditeurs de bande dessinée explorant de nouveaux types de produits dérivés (de même que les décennies précédentes avaient vu se développer des dessins animés sur les grandes séries franco-belges) ; celle d’éditeurs multimédia qui imaginent de nouveaux types d’objets culturels et empruntent pour cela à d’autres médias, dont la bande dessinée. Mais aucune de ces deux stratégies ne va réellement parvenir à capter un public et créer les conditions pour la naissance d’un marché.
Lorsqu’on considère, avec le recul, l’évolution de la bande dessinée numérique en France durant la période 1996-2000, on peut être surpris de voir autant d’effervescence, d’œuvres et surtout des tentatives pour constituer un système économique viable. Il ne faut pas hésiter à parler de tentatives prématurées puisque la plupart de ces expériences se présentent comme des séries mais n’ont connu aucun développement ultérieur. L’exemple symboliquement le plus marquant de cet échec se passe autour d’I/O Interactifs, l’entreprise responsable de John Lecrocheur : en 2001, elle est rachetée à 51% par Dupuis qui sent là une façon de pénétrer dans le multimédia, comme ses concurrents Albin Michel et Les Humanoïdes Associés. Mais en 2003, I/O Interactifs dépose le bilan [26]. Il faut attendre neuf ans pour voir à nouveau se poser la question d’une édition commerciale pour la bande dessinée numérique.
Selon Julien Falgas, l’échec des expériences pré-2000 est en partie imputable à l’éclatement de la bulle Internet, ce moment d’intense spéculation sur les entreprises liées aux nouvelles technologies. L’enchaînement logique des supports a conduit les éditeurs et les créateurs d’abord sur le CD-Rom, avant que l’audience d’Internet ne devienne suffisamment significative en France pour qu’il soit possible de miser sur ce nouveau média [27]. Vient s’ajouter à cela l’absence d’un réel public en France et une trop grande distance entre l’édition de bande dessinée et l’édition multimédia, qui a pu empêcher le dialogue entre les deux. Significativement, les Humanoïdes Associés, éditeur traditionnel le plus avancé dans les questionnements numériques, attendra 2009 avant de retenter une expérience. Comme l’explique J. Falgas à propos de John Lecrocheur : « La survie de cette production était suspendue à la généralisation d’usages de divertissements nouveaux pour un large public. Or fin 2002, les internautes français ne consacraient encore que six heures chaque mois en moyenne à Internet, c’est deux fois moins que le temps que les internautes français consacrent à Internet chaque semaine en 2010. ».

Malgré les échecs et la crise, la piste de la bande dessinée interactive va durer encore jusqu’en 2001, année durant laquelle apparaissent plusieurs œuvres qui relèvent de ce courant de la bande dessinée interactive hybridée : l’adaptation de la bande dessinée Le Tueur de Jacamon par Submarinechannel sur Internet, Supershoes par les frères Jouvray, une œuvre qui manque de se faire acheter par France Télécom. Après 2001, l’interactivité cesse d’être le fer de lance de la bande dessinée numérique et laisse la place au succès d’oeuvres moins élaborées, moins hybridées, plus proches de la bande dessinée traditionnelle, pour un plus large public.

échec de l’interactivité et de l’hybridation ?
Mais frappe surtout le caractère expérimental de ces ballons d’essai qui ne seront jamais confirmés par la suite, unica de la création numérique de la période. Sur le plan esthétique, qu’ont-elles pu apporter ? La caractéristique commune de ces œuvres est de mêler deux aspects : formellement, elles mettent l’accent sur l’interactivité ; commercialement, elles tentent de construire un marché nouveau qui prendrait appui sur les codes de la bande dessinée pour aller vers des œuvres singulières et hybrides. De toute évidence (et là encore, le constat de Peeters s’avère juste) l’interactivité est comprise comme ce que le numérique peut apporter à la bande dessinée : un nouveau mode de lecture qui implique davantage le lecteur, par des actions concrètes. Même s’il y a un emprunt aux codes narratifs du jeu vidéo, cela ne fait pas de ces œuvres des jeux vidéo : la lecture est bien la même que pour une bande dessinée.
On ne peut que relier cette tendance à l’interactivité avec le contexte d’une « euphorie multimédia » propre aux années 1995-2000. La généralisation des jeux vidéo et le saut qualitatif des images de synthèse laissent entrevoir l’avenir de la création artistique dans une fusion des différents modes d’expression : sons, images et textes. S’y ajoute également une forte dimension ludique qui fait participer le lecteur à l’histoire qu’il est en train de vivre. Dans la foulée apparaissent de nouveaux métiers liés aux images multimédia, ou de nouvelles compétences au sein de professions artistiques traditionnelles (la mutation de l’industrie des films d’animation en est un exemple). Le terme « multimédia » correspond alors à la première incursion des technologies numériques dans les industries culturelles. C’est tout un nouveau champ d’action qui s’ouvre pour les créateurs, un champ d’action où l’image est l’élément central, dépassant définitivement le texte.

J’avais parlé plus haut de deux conceptions différentes de l’hybridation dans le cas de la bande dessinée. S’agissant d’œuvres dérivées, l’œuvre numérique s’appuie avant tout sur une franchise bien établie (en l’occurrence la notoriété d’Enki Bilal ou la série Blake et Mortimer qui, simultanément, est relancée sous le crayon de Ted Benoît et la plume de Jean Van Hamme). C’est l’imaginaire de la bande dessinée qui prime dans l’hybridation, et cela se ressent dans des œuvres où les effets numériques sont toujours « en plus » : des bruitages, des agrandissements de case... En revanche, les œuvres numériques originales utilisent bien davantage l’environnement numérique et l’hybridation est plus profonde. John Lecrocheur est de ce point de vue là une œuvre assez admirable où la souris devient un véritable outil de lecture, et non un substitut pour passer de cases en cases. Mais la contrepartie de cette immersion numérique est que l’hybridation déroute les logiques propres à la bande dessinée, les maltraite en allant voir du côté d’autres médias, ce qui pourrait sembler, aux yeux d’un puriste, une « dénaturation » de la bande dessinée. Operation Teddy Bear est ainsi profondément ancré dans l’imaginaire des Cd-Rom ludo-éducatifs à la mode dans les années 1990 quand il offre des explications historiques sur la seconde guerre mondiale, et tente parfois de ressembler à un jeu vidéo dans son cheminement narratif par épreuves à surmonter. Dans le même sens, John Lecrocheur utilise les ressources de l’animation graphique lorsque certaines cases se mettent brusquement en mouvement. Mais cela doit-il pour autant les exclure du champ de la bande dessinée ? Non, bien au contraire, à travers l’hybridation, c’est un nouveau média qui est en train de se former.

Finalement, l’héritage de l’euphorie multimédia des années 1996-2000 tient davantage à la pénétration d’un lien fort entre interactivité et bande dessinée numérique, plutôt qu’à la construction d’un marché. Pendant que les États-Unis suivent plutôt la piste d’une libre diffusion de masse sur Internet, la France se caractérise par une intellectualisation plus forte de ces expériences de bande dessinée numérique. Néanmoins, même dans le cadre de la bande dessinée interactive pré-2000, c’est Internet qui s’impose comme l’horizon d’attente de productions numériques.

le contexte et les acteurs de la bande dessinée sur internet
avant l’an 2000


Si, aux États-Unis, c’est la croissance progressive du réseau Internet, puis du Web, qui favorise le développement d’une bande dessinée numérique (au point que l’on ne parle que de webcomics), la France en reste a un stade éminemment expérimental et n’investit qu’en partie le Web comme lieu de diffusion. Comme l’analyse Jean-Philippe Martin en 2003 [28], « les sites de bande dessinée occupent donc deux grandes positions inégales sur la carte des emplois de l’Internet. Les uns convoient de l’information sur la bande dessinée, les autres donnent à lire de la bande dessinée. », et les premiers sont, dans un premier temps, les plus nombreux, à une époque où il est plus facile d’aller sur Internet que de publier sur Internet.
Il n’empêche qu’avant 2000 se développe chez une partie des acteurs de la bande dessinée, des auteurs aux lecteurs en passant par les critiques et les éditeurs, une « culture Web » qui voit naître sur la toile ce qu’on pourrait appeler une « communauté d’intérêt » autour de la bande dessinée. Communauté d’intérêt est un bien grand mot : il ne s’agit pas de considérer une seule communauté échangeant des informations et des idées sur la bande dessinée, mais plutôt un ensemble de petites communautés en contact les unes avec les autres, constituées d’amateurs aux goûts et attentes variées. Pour devenir un espace de publication privilégié de bande dessinée, le Web doit se constituer en tant qu’environnement favorable, notamment en attirant les acteurs de la bande dessinée : auteurs et lecteurs. Il doit se structurer en un espace d’échange et de communication au sens large, et cela dans la limite des possibilités techniques imposées par les premiers services Web, souvent orientés dans une architecture client-serveur et avec comme forme de base le site Web.
Dans la deuxième moitié de la décennie 1990, cette communauté se structure autour d’espaces de référence et de réunions, pour certains si durables qu’ils demeurent encore aujourd’hui des lieux d’autorité de la sphère bande dessinée sur Internet. Il me semblait nécessaire, pour terminer ce préambule sur le contexte de la bande dessinée numérique avant 2000, de dresser une typologie des espaces de publication et de discussion que l’on trouve alors sur le Web francophone, et qui démontrent la vitalité du transfert du milieu de la bande dessinée sur Internet.

sites officiels et institutionnels : auteurs et éditeurs sur le web
Les sites officiels et institutionnels ne sont pas nécessairement les sites les plus précoces mais ont vocation à être des sites de référence. Ils témoignent d’abord d’un usage d’Internet à des fins de communication pure avec un lectorat, afin de leur livrer des services simples de type catalogues, nouveautés, notices d’albums, informations pratiques, contacts, dates de dédicaces... Le site Internet remplit dans un premier temps la même fonction qu’un encart publicitaire sur n’importe quel autre média, mais à une échelle beaucoup plus importante. Néanmoins, cette première étape est vite dépassée et, que ce soit les éditeurs ou les auteurs, le site Internet est rapidement utilisé de façon plus personnalisée.
Commençons d’abord par les éditeurs. La grande période de création des sites Internet institutionnels des éditeurs de bande dessinée se situe globalement entre 1998 et 2002 [29]. Il y a assez peu de différences entre les « gros » éditeurs et les moyens ou petits (en particulier la myriade de l’édition indépendante qui a émergé quelques années plus tôt) : d’après mon étude, qui mériterait certes d’être affinée, au début des années 2000, la plupart des noms de la bande dessinée sont présents sur Internet (à l’exception notable de l’Association dont le site ne devient fonctionnel qu’à la fin de l’année 2011).
Quant aux auteurs, les premiers arrivent également sur Internet à partir de 1996-1997. Ici, les choix éditoriaux sont plus variés : certains choisissent de se limiter à une page personnelle (ces espaces libres offerts par un fournisseur d’accès), d’autres conçoivent des sites complexes qu’ils interprètent comme une nouvelle occasion de créer (encore Hislaire et Benoît Peeters). Là aussi l’hétérogénéité est de mise : « On remarquera que les pionniers du web d’auteurs étaient loin d’être un groupe cohérent, l’auteur le plus grand public pouvait côtoyer l’amateur dans les listes de liens qu’on transmettait. » [30]. Certaines initiatives originales peuvent être signalées, comme le portail pastis.org qui regroupe vers 2000 les sites de Joann Sfar, des éditions Six pieds sous terre, du dessinateur Ambre ; même principe sur le site noosfere.com qui héberge (outre des sites d’auteurs de SF) ceux de Caza (dès 1997) et Jean-Claude Mezières. Enfin, il ne faut pas oublier :
1. que les auteurs ne gèrent par leur site eux-mêmes, celui de Joann Sfar sur pastis.org étant par exemple sous la garde de Fabien Delpiano, celui de Stéphane Blanquet a été créé par Omer Pesquer, également responsable du site des éditions Frémok ;
2. que des sites non-officiels conçus par des fans apparaissent parfois avant même les sites officiels.

Mais comme ce n’est pas mon propos ici de lister la participation des éditeurs et des auteurs de bande dessinée au début d’Internet, je vais me concentrer sur les manières dont ces sites vont devenir des lieux de création. Dans le cas des auteurs, Internet est souvent conçu au-delà de la simple vitrine publicitaire : c’est aussi un lien où l’on peut trouver des dessins inédits, voire des images d’archives (croquis, documents de travail). Des sites comme celui de Lewis Trondheim offrent assez tôt ce type d’objets, qui ne sont pas à proprement parler des « bandes dessinées numériques » mais témoignent d’une appréhension du Web comme espace de diffusion des oeuvres. Plus intéressants encore pour mon propos sont les auteurs qui vont utiliser Internet comme un prolongement créatif de leur travail papier, en profitant des possibilités du multimédia et de l’interactivité : j’étudierais dans la partie suivante le cas de ces auteurs-créateurs précoces sur le web.

espaces de discussion et de coopération : forum et annuaires
Sur l’Internet des premiers temps, deux espaces peuvent être vus comme des lieux d’échanges et de discussion susceptibles de fédérer et dynamiser une communauté : les forums et les annuaires.

Davantage orienté vers l’échange et la communication, moins vers la publication, la forme du « forum » est l’une des plus anciennes d’Internet, trouvant ses origines au-delà du Web (sur les interfaces Usenet) en tant qu’espace virtuel d’échanges et de discussion asynchrone (les réponses ne s’affichent pas immédiatement). Le forum fait bel et bien partie du premier Internet qui se définit avant tout comme un outil de communication même si, avec le Web, les forums peuvent s’associer à un site et permettre ainsi la publication. Pour une communauté donnée, le forum est important parce qu’il est le lieu de rencontre privilégié et, bien souvent aux débuts d’Internet, là où naissent des projets et que la communauté s’anime. Dans le cas de la bande dessinée, deux forums se détachent très nettement avant 2000 en termes d’influence et d’autorité, à une époque où la communauté d’intérêt web autour de la bande dessinée est suffisamment restreinte pour se croiser et se connaître : frab et le forum du site BDParadisio. C’est en leur sein que se retrouvent auteurs, éditeurs, amateurs, critiques...
« frab » est l’appellation courte du forum Usenet fr.rec.arts.bd [31]. Il est créé en 1996 et connaît le plus fort de son activité autour de 1998-2003. La communauté qui l’anime est plus restreinte que celle de BDParadisio, à l’origine un site créé en 1996. Son forum (1998) devient un lieu de débat sur la bande dessinée et capte un public assez large.
Si les forums ne sont pas à proprement parler des lieux de publications, s’il ne faut pas exagérer leur influence et la pertinence de leurs débats, ils peuvent être des lieux d’information sur des initiatives en faveur de la bande dessinée numérique, ou d’émulation pour une communauté de créateurs amateurs ou professionnels. C’est le cas du forum du site Bdamateur pour la bande dessinée (1998), de celui de Catsuka pour l’animation (2000), de Café Salé pour l’illustration (2002). De ces forums naîtront des projets de création collective ou personnelle de bande dessinée numérique que j’aurais l’occasion de croiser plus loin.

Quant aux annuaires, ils constituent une porte d’entrée indispensable, à l’époque du premier Web qui voit fleurir les moteurs de recherche pour mettre de l’ordre dans la masse d’informations (Yahoo en 1994, Altavista en 1995, Lycos en 1998, Google en 2000). En outre, ils sont le signe d’une communauté qui se rassemble et se reconnaît, avec ses leaders d’opinion et ses sites de références. Dans le domaine de la bande dessinée, l’annuaire le plus important de l’ère pré-2000 est Eurobd, dit le « webring de la bande dessinée », géré par Eric2. Cet annuaire apparaît en 1997 et veut rassembler le web francophone (incluant français, belge, suisse et québecois) qui gravite autour de la bande dessinée. Au-delà du simple répertoire de liens, il propose de créer une chaîne entre les sites de bande dessinée par l’insertion du lien Eurobd dans les sites membres. L’annuaire Eurobd remplit ainsi un rôle indispensable de hub dans les premiers temps du Web bédéphile.

le transfert d’une partie de la presse et des critiques et l’extension de leur champ d’action : les webzines d’actualité et d’étude
En réalité, le gros du transfert des « acteurs » de la bande dessinée vers Internet est celui du groupe des « commentateurs », au sens large, qu’ils soient professionnalisés (journalistes, critiques) ou complètement amateurs. Il est probable qu’en pleine crise de la presse de bande dessinée, Internet ait été vu comme un nouvel espace de discussion, plus ouvert que la presse traditionnelle. Là encore un certain nombre de sites gagnent avant 2000 une forme d’autorité. Ils s’intitulent eux-mêmes webzines au sens où ils conservent, de l’édition papier, le principe de mises à jour régulières. Ils viennent pallier au recul de la presse spécialisée en bande dessinée [32].
La première grande période de développement des sites spécialisés dans la bande dessinée est 1996-1998. On voit naître un certain nombre de webzines d’actualité et de critiques de bande dessinée aux orientations diverses, souvent à l’initiative de libraires. UniversBD et Actuabd, par Patrick Albray (1996, les deux sites finiront par fusionner en un seul « actuabd ») [33], BDParadisio par Catherine Henry et Alexandre Baudoux (1996), Bdsélection par Isa et Vincent Henry (1998), sont davantage axés sur une couverture de l’actualité de l’édition. Ils contiennent généralement le même type de contenu : des chroniques d’albums, des articles sur l’actualité des sorties, des entretiens avec les auteurs ; ils différent en cela assez peu des organes papier. En revanche, ils utilisent des listes de diffusion et des forums pour constituer autour d’eux une communauté fidèles de lecteurs et de contributeurs, comme dans le cas de BDParadisio.
Toujours en 1997, plusieurs fanzines d’étude plus spécialisés proposant une véritable réflexion sur la bande dessinée se transfèrent sur Internet sous la forme de webzines. Le plus ancien est The Adamantine, le fanzine du théoricien et auteur Harry Morgan qu’il créé en 1984 et finit par transférer sur Internet, pour des raisons expliquées dans son « éditorial grognon » [34]. Les Cahiers Pressibus est une publication qui existe depuis 1990, sous la houlette d’Alain Beyrand qui anime notamment en 1996 le débat de la « querelle du centenaire ». Ce webzine est spécialisé dans la bande dessinée de presse de l’après-guerre. Enfin, du9 est d’abord un fanzine créé en 1995 par Jessie Bi, repris sur Internet en mai 1997. Il se présente comme un « collectif de lecteurs » à parution mensuelle et s’intéresse à l’édition alternative, alors très dynamique. Autant d’espaces qui, quoique mettant moins l’accent sur l’aspect communautaire et populaire, promeuvent une forme d’exigence dans l’analyse de la bande dessinée qui manque singulièrement dans la presse papier. Ils sont plus à même d’attirer, par exemple, un public de chercheurs et de théoriciens (à une période où la critique savante de bande dessinée commence à gagner de l’ampleur [35].
Une troisième tendance de la communauté Web autour de la bande dessinée est l’encyclopédisme et le collectionnisme, sans doute la tendance qui donne lieu à une typologie de sites extrêmement variée, impliquant généralement une base de données dans la mesure où la base du collectionnisme est la recension. Parmi ces bases, on peut citer la Comiclopédia du libraire néérlandais Kees Kousemaker, de la librairie Lambiek : une encyclopédie, en anglais, des auteurs de bande dessinée des aires américaines, européennes et japonaises (le site Lambiek date de 1994, la Comiclopédia est plus tardive). Parmi les usages pratiques des bases de données en ligne, signalons aussi les bases de données d’albums dont la plus complète est celle de la Bédéthèque, un site fondé en 1998 qui vend même une application de gestion de bibliothèque de bande dessinée. Mais encore plus impressionnante est la base de bdoubliees.com (1999), qui recense l’intégralité des contenus des grandes revues de bande dessinée francophone depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Les divers acteurs de la bande dessinée ont envahi Internet et, au début des années 2000, il est évident que c’est là que se trouve à la fois les créateurs et le public de la future bande dessinée numérique. Parmi ces sites, certains vont rester largement à l’écart de l’effervescence de la bande dessinée numérique. D’autres, au contraire, vont générer, directement ou indirectement, des initiatives de création. Nous les croiserons dans la suite de mes articles.
Ce qui m’intéressait davantage dans cette présentation synthétique du paysage de l’Internet francophone gravitant autour de la bande dessinée était de montrer comment, en l’espace de quelques années (1996-2000), se structure une communauté web à partir de plusieurs points d’ancrage, certains généralistes d’autres spécialisés, mais dont il faut dans tous les cas admirer la longévité. Non seulement ce sont ces sites qui vont faire vivre la bande dessinée sur Internet durant la décennie 2000 mais, même en 2012, la plupart sont encore debout et dynamique, et ce malgré les évolutions du Web.
Je n’ai pas insisté ici sur plusieurs sites et communautés : le transfert d’une partie fanzinat amateur sur Internet, les expérimentations du dessinateur Hislaire avec XXeciel.com, la création en 1998 du site Bdamateur, destiné à fédérer la création amateur de bande dessinée en ligne, le site Coconino World, lancé en 1999 par Thierry Smolderen et Josépé, qui va diffuser à la fois des créations contemporaines et des rééditions numériques d’œuvres anciennes... Eux aussi constituent des espaces de référence de la bande dessinée sur Internet, et sont directement axés sur la création. Mais il m’importait, dans ce préambule, de présenter un contexte de diffusion et de création plus que de m’attarder sur les œuvres elles-mêmes, ce qui sera l’objet de la seconde partie de cette étude.

Julien Baudry

• à suivre dans la partie 2 : la bande dessinée numérique à l’assaut du web (1996-2004)
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[1] T. Campbell, A History of Webcomics, Antartic Press, 2006 et Steven Withrow, John Barber, BD en ligne, la bande dessinée sur le web, outils et techniques, traduction de l’anglais par Laurence Seguin, atelier Perrousseaux, 2007.

[2] Campbell, op. cit., p.5, (traduction de l’auteur).

[3] Wikipédia (en), « Webcomics », url : http://en.wikipedia.org/wiki/Webcomics, page consultée le 16 octobre 2011.

[4] Withrow, op. cit., p.12.

[5] Même si de toute évidence, le Minitel ne suffit pas à expliquer le retard français, qui a bien d’autres causes.

[6] Patrice Flichy, L’imaginaire d’Internet, La Découverte, 2001, p.258-261.

[7] Actes de l’université d’été de la bande dessinée d’Angoulême, L’état de la bande dessinée : vive la crise ?, Bruxelles : Les Impressions Nouvelles/Angoulême : CIBDI, 2008.

[8] Sans oublier que le président du festival d’Angoulême 2012 était l’américain Art Spiegelman.

[9] Sur le portail Lapin, on retrouve notamment Saturday Morning Breakfast Cereal de Zach Weiner, traduit par Phiip, Bigger than cheese de Desmond Seah, traduit par Xavier, Red Meat de Max Cannon... Bigger than cheese a été éditée en France par les éditions Lapin, liées audit portail. Phiip, fondateur du portail Lapin, dit que ces traductions se font dans les règles, après accord avec les auteurs américains. C’est en fréquentant le forum du portail TopWebcomics qu’il a fait la connaissance de la plupart de ces auteurs, mais j’y reviendrai plus tard... (entretien mené le 27 février 2012).

[10] T. Campbell remarque lui aussi ce décalage, qu’il voit aussi bien dans la langue que dans les références culturelles : « Mais un lecteur des webcomics les plus populaires doit connaître la culture populaire américaine pour saisir le sens de tous les gags », Campbell, op. cit. (traduction de l’auteur).

[11] J’emprunte l’image éclairante des miroirs déformants et de la comparaison avec la bande dessinée américaine en France dans les années 1930 à Harry Morgan, Principes des littératures dessinées, Angoulême : éditions de l’an 2, 2003, p.158-159.

[12] Nous remercions Jean-Paul Jennequin pour les informations qu’il nous a livré sur la traduction française de Reinventing Comics.

[13] Un vieux post des archives de BDParadisio tend à prouver que les webcomics sont mal connus par les francophones au début des années 2000, à l’exception de quelques rééditions de classiques comme Calvin and Hobbes ou de vieux strips du King Feature Syndicate (url : http://www.bdparadisio.com/scripts/foritems.cfm?IdSubject=0906122102&StartPage=1, page consultée le 19 mars 2012).

[14] Thierry Groensteen, La bande dessinée, son histoire et ses maîtres, Paris : Skira-Flammarion/Angoulême : CIBDI, 2009, p.401.

[15] Jean-Noël Lafargue, « Bande dessinée sur ordinateur », 11 décembre 2010, url :http://hyperbate.fr/dernier/?p=14156, page consultée le 16 octobre 2011.

[16] Daniel Mallerin, « Les pionniers de la palette pixel » dans L’Echo des savanes, No.71, 1989.

[17] Loin de moi l’idée d’affirmer que l’évolution logique de la bande dessinée numérique doit être vers l’imitation du dessin papier. Au contraire, il s’agit d’une vision limitée d’un art qui peut profiter de nouveaux canons esthétiques.

[18] Est-ce lié à une curiosité intellectuelle qui pousse ces auteurs vers de « nouvelles images » ou à la recherche d’une nouvelle source de revenus au moment où le modèle de prépublication en revue des bandes dessinées commence à battre de l’aile ?

[19] Benoit Peeters et François Schuiten, L’aventure des images : de la bande dessinée au multimédia, Paris : Editions Autrement, 1996, p.159.

[20] Pour Peeters et Schuiten, l’exemple-type de ces œuvres numériques d’auteur est le jeu vidéo Myst, sorti en 1993. En pinaillant et avec le recul, on pourrait leur reprocher de ne pas voir que l’aspect ludique prime dans bien des productions numériques esthétiquement peu abouties, mais extrêmement sophistiquées et pensées dans leur interactivité.

[21] Peeters et Schuiten, op. cit., p.172.

[22] Une grande partie des paragraphes qui suivent a été réalisée grâce aux témoignages et idées de Julien Falgas, témoin des premiers balbutiements de la bande dessinée numérique. J’en profite pour le remercier ici.

[23] Bénedicte Gillet, « La bande dessinée adaptée en CD-Rom », 2000, url :http://membres.multimania.fr/bgillet/, page consultée le 16 octobre 2011. Beaucoup des analyses présentées ci-dessous proviennent de cette source qui est probablement la mise en ligne d’un mémoire universitaire sur la bande dessinée en CD-Rom.

[24] On peut encore lire John Lecrocheur à cette adresse : http://www.criticalsecret.com/n13/index.php#courant.

[25] Par ailleurs, je n’aborde pas ici les œuvres créées par des artistes multimédia qui s’apparentent de près à de la bande dessinée sans s’affirmer comme telles. Je pense ici aux productions d’un artiste comme François Coulon, qui travaille l’image, le texte et la vidéo, et qui réalise en 1990-1992 les œuvres Egérie et La Belle Zhora, très proche, par leur narration et leur combinaison de texte et d’image, des formes de la bande dessinée.

[26] Pour plus de détail sur la fin de I/O Interactifs : Denis Stinley, « Une œuvre et une entreprise décalée surgie de l’hypermédia », 2003, url : http://www.criticalsecret.com/n13/texte.php?id=21, page consultée le 19 mars 2012.

[27] D’autant plus que le formule de la bande dessinée numérique sur Cd-Rom n’a jamais vraiment fonctionné : sans doute l’objet était-il trop étrange, et n’attirait ni les amateurs de bande dessinée, ni les fans de multimédia.

[28] Jean-Philippe Martin, « Le deuxième monde du neuvième art », dans Neuvième art, No.9, janvier 2003. en ligne sur : le deuxième monde du neuvième art, page consultée le 16 octobre 2011.

[29] Les dates ont été établies de manière relativement empirique, en croisant les données disponibles sur le site de l’AFNIC pour les .fr, et sur Internet Archive pour les autres.

[30] Jean-Noël Lafargue, « Bande dessinée et Internet » dans Jade, No.35, printemps 2011, p.4.

[31] Jean-Noël Lafargue, op. cit., p.5.

[32] Comme l’écrit Thierry Groensteen en 2006 : « Plus que dans la presse écrite, c’est désormais sur Internet que l’on a la possibilité de lire de vraies critiques, fouillées, argumentées, des meilleures bandes dessinées mises sur le marché. ». Thierry Groensteen, La bande dessinée, un objet culturel non identifié, Angoulême : éditions de l’an 2, 2006, p.176.

[33] Patrick Albray, de son vrai nom Patrick Pinchart a été responsable du secteur Multimédia de Dupuis à partir de 1995, et ainsi des sites internet et CD-Rom édités par la maison d’édition ; en 2009, il fonde la maison d’édition communautaire en ligne Sandawe. Il possède ainsi des affinités certaines avec l’usage de l’outil numérique.

[34] Harry Morgan, « Editorial grognon », url : http://theadamantine.free.fr/grognon.html, page consultée le 16 octobre 2011.

[35] Au niveau international, il faut noter l’apparition en 1999 d’une liste de diffusion intitulée « Platinuum age comics » visant à regrouper les chercheurs travaillant sur la bande dessinée ancienne.