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« je crois que je me suis toujours senti à part » :
entretien avec dan clowes

Jean-Pierre Mercier

[janvier 2010]

Invité en janvier 2009 du 36e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, Dan Clowes a participé aux Rencontres internationales. Devant une salle comble et attentive, il a évoqué pendant une heure son parcours, son œuvre, le cinéma, les Simpsons et... Scarlett Johansson.

Je crois que c’est la première fois que vous venez à Angoulême ?

Je ne suis pas revenu en France depuis mes dix-neuf ans et je n’ai jamais été à Angoulême auparavant. C’est une grande première pour moi.

Lloyd Llewellyn
Comment considérez-vous cette manifestation, comparée à ses équivalents américains comme la Convention de San Diego ? Est-ce différent ou bien le même univers de bande dessinée ?

Ici comme à San Diego on trouve un nombre incalculable de productions incompréhensibles et dépourvues d’intérêt à mon goût. Mais les productions françaises sont moins repoussantes que les américaines. Ici, on est plutôt dans… Boule et Bill. Je n’avais jamais entendu parler de Boule et Bill alors qu’ils sont extrêmement connus. J’ai demandé à un ami « Connais-tu quelqu’un qui aime Boule et pas Bill ? » (Rires). La production américaine est très commerciale. Ils appellent cela un festival de bande dessinée mais c’est plutôt de cinéma ou de jeu vidéo qu’il est question - des trucs avec des éléments de fantasy comme ceux que l’on utilisait dans les bandes dessinées avant qu’elles n’évoluent vers ce qu’elles sont maintenant. Ici, il s’agit vraiment de bandes dessinées. Cela me plaît et m’enthousiasme.

Dans vos histoires on trouve souvent un personnage qui se livre à un plaidoyer en faveur de la bande dessinée comme moyen d’expression capable de traiter les « grands sujets ». Dans Lloyd Llewellyn, il y a ce moment où le personnage parle de bande dessinée pour la défendre. Cela reflète-t-il votre propre opinion ?

Extrait de Lloyd Llewellyn, Concrete Vixen

Ces histoires ont plus de vingt ans et je ne me reconnais plus dans l’auteur qui s’exprimait. Je ne peux en aucun cas me porter garant de cette personne car je ne la connais plus et je ne me souviens plus de ce que j’ai écrit à cette époque. Je ne me relis jamais après publication. J’ai plutôt tendance à vérifier la qualité d’impression et des choses comme ça mais je ne reviens jamais sur mes histoires pour les relire, pour me divertir, car l’étape suivante consisterait à me tirer une balle dans la tête. À cette époque, je travaillais dans le domaine de la bande dessinée qui n’attirait pas du tout l’attention des médias. Aux États-Unis, le public sur lequel on pouvait alors tabler était celui des fans de super-héros et il n’y avait aucun intérêt pour ce que je faisais. C’était très frustrant. Je me disais « Il doit y avoir des lecteurs pour un autre style de bandes dessinées que les super-héros ».

Quels auteurs ont été déterminants dans la décision que vous avez prise de travailler dans le domaine de la bande dessinée ? Vous rendez très souvent hommage à la revue Mad. Y a-t-il d’autres auteurs qui ont joué un rôle important ?

Sans aucun doute Mad Magazine en effet, en particulier les numéros d’Harvey Kurtzman. Kurtzman a inventé ce type d’humour. Il a révolutionné l’humour de la bande dessiné mais plus largement l’humour populaire américain de ces cinquante dernières années. Pour ce qui est de faire de la bande dessinée, j’ai été très influencé par la bande dessinée underground et Robert Crumb en particulier. Il a utilisé un éventail tellement varié de styles différents et d’histoires, des tonnes d’histoires. Et son travail n’a jamais semblé prétentieux ou maniéré comme s’il cherchait à faire de la littérature. C’était juste la sensibilité d’un adulte qui tentait de se confronter aux choses de façon très personnelle dans ce milieu particulier.

Vous avez suivi les cours du Pratt Institute, une école d’art. Qu’est-ce qui vous a amené à étudier dans cette école et ensuite aller vers l’illustration et enfin la bande dessinée ?

Il n’y avait pas d’école de bande dessinée. Il n’y avait rien qui ressemble à cela donc je me suis dit qu’il fallait que je m’installe à New York qui est le centre du monde de l’édition, au moins je serai dans le milieu de la bande dessinée. Je n’avais jamais été à New York avant. Et je suis allé aux Beaux-arts pour apprendre le dessin, le design et tout ce genre de choses. Mais à l’époque, à la fin des années 70, on était dans la période du « conceptuel ».Votre projet de diplôme pouvait très bien se résumer à des boules de papier toilette. Je voulais apprendre le lettrage et toutes ces choses plutôt ennuyeuses et démodées que personne ne savait plus faire. C’était vraiment bien d’avoir le temps d’expérimenter et de me demander ce que je voulais faire plutôt que de me faire aspirer par le monde de l’art et toute cette faune. Cela a renforcé mon désir de faire de la bande dessinée.

formation et premiers pas professionnels

Art School Confidential fait-il écho à ce que vous pensiez des écoles d’art à l’époque. Où est-ce simplement une histoire sans rapport avec votre propre expérience ?

Art School Confidential n’était qu’une histoire de quatre pages. Il fallait que je remplisse quatre pages d’un comic book. Je n’avais pas d’idée et je me suis dit « Je vais faire un petit quelque chose sur les Beaux-arts en utilisant des moments précis de ma propre expérience. ».

{Art School Confidential}, planche 1, Dan Clowes

Je pensais que personne n’accrocherait hormis trois ou quatre amis qui auraient reconnu dans ce travail des choses dont nous avions discuté pendant des années. Mais bien entendu, cela a plu et c’est mon travail le plus republié, bien qu’il ne soit que très rarement réimprimé de façon légale. Les jeunes le photocopient et l’accrochent au mur de leur département d’art et il est immédiatement arraché. Il m’est souvent arrivé que des étudiants me racontent que leurs enseignants leur donnaient des exemplaires de cette bande dessinée leur premier jour d’école d’art, ce que je trouve choquant.

Comment est-on passé de ces quatre pages à un long métrage de cinéma ?

Il a fallu allonger un peu la sauce pour transformer la bande dessinée en film, sinon ça aurait fait un court-métrage de trois minutes et demie. À l’origine, je ne voulais pas appeler le film Art School Confidential. Pourtant, tous ceux qui ont participé à ce film ont toujours accroché avec ce titre. Je voulais que ce soit un travail singulier qui se passe dans une école d’art. Et tout le monde me renvoyait à cette histoire de bande dessinée. Le film est devenu ce drôle de mélange. J’essayais d’écrire cette histoire d’amour étrange à la Hitchcock et tous les autres cherchaient à en faire une comédie. Et les deux se sont mélangés de cette drôle de façon.

En parlant d’influence, les spécialistes de la bande dessinée américaine mentionne toujours vos relations avec les frères Hernandez. Cela se retrouve-t-il dans votre travail ?

Je me sens proche des frères Hernandez [1] Ils furent vraiment les premiers pionniers de ma génération. Crumb et tous les autres ont tous travaillé dans les années soixante. Ils étaient en plein dans la culture hippie. La bande dessinée n’était pas vraiment de la littérature, c’était plutôt un accessoire pour fumer de la drogue. Les frères Hernandez sont arrivés quinze ans après et ils ont décidé de faire de la bande dessinée telle qu’ils la concevaient. Il n’y avait pas de marché pour les histoires d’adolescents hispaniques à Los Angeles : ils l’ont fait et ça a marché. Alors, les gens se sont mis à reconnaître leur talent. Cela m’a beaucoup inspiré de voir que l’on pouvait faire ce que l’on voulait et trouver ses lecteurs. J’ai toujours senti un vrai lien avec ceux de cette génération.

Si j’ai bon souvenir, votre premier strip a été publié dans un numéro de Love and Rockets.

J’avais 22 ans et je vivais à New York à cette époque et j’essayais de trouver du travail en tant qu’illustrateur professionnel. Mais je n’avais vraiment pas de chance. Les gens regardaient mon travail et disaient « Oh, ça ressemble à des bandes dessinées » et quand je ne travaillais pas, j’essayais désespérément de ne pas mettre la tête dans le four. J’ai décidé de dessiner mes propres bandes dessinées et j’ai inventé une histoire à partir de rien sur un personnage qui s’appelait Lloyd Llewellyn. Je pensais que c’était drôle d’avoir autant de « L » dans son nom. Ça vous donne une idée de la façon dont je voyais le personnage au départ. J’ai commencé par une histoire écrite en trois ou quatre mois et une fois achevée, je me suis demandé « Qu’est-ce que je peux en faire ? ». Cela faisait des années que je n’avais pas été dans une librairie de bandes dessinées. Alors j’y suis allé et j’ai feuilleté toutes les nouveautés. Certaines m’ont semblé intéressantes. J’ai donc recopié les adresses et j’ai écrit aux différentes maisons d’éditions. Quelques mois plus tard, une entreprise qui s’appelait Fantagraphics m’a appelée pour me dire « Pourriez vous nous écrire une bande dessinée mensuelle ? ». À cette époque, j’espérais juste un retour. J’espérais simplement qu’on me dise « Continuez à travailler comme ça et on vous publiera dans cinq ou dix ans ». Décrocher une bande dessinée mensuelle, c’était comme un rêve devenu réalité. C’est arrivé huit ans plus tôt que prévu, voilà…

Pouvez-vous établir une chronologie rapide de votre parcours et de quand vous avez décidé de devenir auteur de bande dessinée professionnel ?

Comme je l’ai dit, on m’a proposé de faire Lloyd Llewellyn à vingt-trois ans. J’ai fait six numéros très rapidement et l’éditeur a trouvé que ça ne se vendait pas assez bien et le projet a été annulé. De nos jours, une bande dessinée avec des ventes similaires serait un top-seller chez Fantagraphics. C’est le résultat de l’essor récent et miraculeux de l’industrie de la bande dessinée de ces vingt dernières années. (Rires). Des ventes terriblement faibles en 1985 seraient un succès aujourd’hui. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé pour une imitation de Mad Magazine qui s’appelait Cracked Magazine, la publication la plus médiocre qui soit. Un de mes amis était directeur artistique de Cracked. Après y avoir travaillé vingt ans, il a cherché un autre boulot et il ne pouvait même pas se faire embaucher comme directeur artistique d’un magazine pornographique. « 0h, Cracked Magazine ? Il n’y a rien de plus mauvais que ça. » Je devais prendre une décision. Voulais-je vraiment faire de la bande dessinée ? J’ai donc décidé que j’allais me battre pour cela. « Je vais tenter une dernière chose avant de laisser tomber. » J’ai décidé de faire exactement la bande dessinée que je voulais, sans me soucier d’un éventuel marché ou de ce que les lecteurs pouvaient en penser. J’ai décidé que je ferai ma propre version de Mad Magazine. Une vision noire, tordue, compliquée - l’anthologie d’un seul homme mais pleine de styles et de genres différents - qui a fini par s’appeler Eightball.

Eightball n°1, octobre 1989

C’est dans ce comic book que, petit à petit, vous avez publié la plupart des histoires dont les albums ont été traduits en français ces dernières années.

Presque que tout ce que j’ai fait de bien se trouve dans Eightball. Pour un lectorat européen, et même pour les lecteurs américains ce n’est pas très clair. J’essaye de m’expliquer : « Eh bien, ces histoires ont d’abord été publiées dans un comic book qui s’appelle Eightball, maintenant elles sont publiées sous forme de livres et elles sont quelque peu différentes mais fondamentalement les mêmes. » C’est un vrai bazar.

Je voudrais maintenant parler de Like a Velvet Glove Cast in Iron. Le scénario était-il développé a priori ou la progression de l’histoire s’est-elle faite de façon plus « organique », une idée en amenant une autre et vous donnant l’envie de continuer ?

À l’origine, je savais que cela continuerait sur plus d’un chapitre puisque j’ai écrit « à suivre » à la fin du premier. Mais c’était parce que je ne pouvais me résoudre à une fin. Je me disais qu’il faudrait bien que je l’envisage à un moment ou à un autre, que je pouvais bien rajouter encore un ou deux chapitres. Je n’avais pas de projet bien arrêté. Et puis bientôt, cela a littéralement dévoré ma vie et pris de plus en plus d’ampleur. J’avais de plus en plus d’idées. À un certain moment, mon cerveau a été possédé par l’univers de cette histoire. Je voulais que cela ne s’arrête jamais. Les gens me disaient « On ne comprend plus ce qui s’y passe ». Cela devenait tellement compliqué. C’est une histoire dont je suis très fier même si la plupart des gens qui la lisent la trouvent complètement étrange. Et à chaque fois que je feuillette, ces histoires je me demande si quelqu’un d’autre que moi peut vraiment saisir ce qui s’y trame. C’est très très personnel. J’expérimentais pour comprendre, pour voir jusqu’à quel niveau personnel et singulier je pouvais tirer mes idées et mes rêves et que, ce faisant, les lecteurs comprennent quand même de quoi je parlais.

Ce qui est fascinant dans cette histoire, c’est la répétition de certains schémas. Vous démarrez par exemple chaque chapitre avec une grande image rectangulaire d’un visage. On dirait un cauchemar éveillé qui offre une vision vraiment sombre des États-Unis de cette période, quelque part entre Hitchcock et Kafka, une noirceur qu’on retrouve d’ailleurs dans certain autres de vos travaux.

Extrait de Like a Velvet Glove Cast in Iron, Dan Clowes

Oui, bien sûr. Je lisais Kafka et j’étais très influencé par Hitchckock, les films policiers et par le réalisateur américain Russ Meyer qui faisait ces films porno soft complètement dingues dans les années soixante. C’était une vision de l’Amérique. Ca a été écrit pendant la fin de l’ère Reagan quand George Bush senior était le président. C’est drôle parce que dans le dernier chapitre, la Maison Blanche est prise d’assaut par ces hippies radicaux. J’ai du dessiner cela avant les élections de 1992. C’était l’élection entre Georges Bush senior et Bill Clinton. Il fallait que je prédise qui allait gagner avec six mois d’avance parce que je devais faire ce livre bien avant les élections. J’ai choisi Clinton. C’était vraiment quitte ou double à ce moment-là. On devrait me demander de prédire le président à chaque élection.

Vous avez fait la bonne prédiction pour les dernières élections ?

Eh bien oui. Une nouvelle édition de Ghost World est sortie, une version annotée que j’ai du finir bien avant les élections et j’y fais référence à « notre prochain président Barack Obama ». J’en suis donc à deux gagnants.

Ce qui est frappant dans Velvet Glove et qui est la matrice de beaucoup de vos histoires postérieures, c’est le personnage sans défense qui fonce vers un destin tragique et finit mutilé à la fois mentalement et physiquement. On retrouve par exemple ce trait dans David Boring qui, pendant un chapitre entier, est blessé et incapable de se défendre.

Extrait de Like a Velvet Glove Cast in Iron, Dan Clowes

Après avoir fini Velvet Glove, en le feuilletant, je me suis rendu compte que ça parlait clairement de mon mariage avec ma première femme. D’ailleurs, la seule personne qui s’en soit rendu compte est ma première femme. C’est tout ce que je peux en dire. C’est plus une question pour mon psy que pour moi, j’en ai peur.

visions de l’adolescence

Dans votre univers, on trouve une sensibilité adolescente ou post-adolescente. Les personnages principaux sont souvent des jeunes adultes post-adolescents qui ont du mal à trouver leur place. Est-ce quelque chose que vous avez connu ? Ou quelque chose que vous constatez autour de vous ? Êtes-vous conscient du fait que vos personnages ont du mal à faire des choix ?

Je crois que je me suis toujours senti à part. Je n’ai jamais bien saisi à quel groupe j’appartenais. J’ai toujours rêvé d’appartenir à une bande. Mais il y avait toujours quelque chose qui clochait. À un moment, je me suis dit « Maintenant que je suis un dessinateur, j’ai enfin ma place dans le cercle des dessinateurs », mais même cela reste fondamentalement aléatoire. Il y a seulement certaines personnes avec lesquelles je me sente bien. J’ai toujours eu une opinion de moi changeante, un rapport en pointillé avec la définition de moi-même. Je m’intéresse à cette période de la vie où, adolescent, on est sur le point de se transformer en adulte. Il faut choisir qui on est. Il faut se définir. Quelqu’un comme Enid dans Ghost World peut essayer un nouveau personnage chaque jour.

Extrait de Ghost World, Dan Clowes


Mais il y a un moment ou vous devez dire « Je suis ce type-là ».C’est comme ce dessinateur américain, non pardon, canadien, Seth, qui s’habille toujours avec des vêtements des années vingt ou trente. Il a choisi cela à un certain moment. Si, tout d’un coup, il se mettait à porter des vêtements de sport dernier cri, tout le monde dirait « Oh, je savais qu’il était bidon ». Donc, il a fait ce choix auquel il est obligé de se tenir et d’une certaine manière, je l’admire pour cela. Je crois que je n’ai jamais fait le choix de qui j’étais et du truc qui m’appartient en propre.

Même aujourd’hui ?

Même aujourd’hui. C’est sans espoir.

Votre vision de l’humanité est assez triste et sombre.

Je ne crois pas que ma vision soit triste ou sombre mais je l’ai entendu dire à de nombreuses reprises. Puisque ceux qui lisent mon travail le pensent, je les crois. J’essaye tout simplement de donner mon point de vue sans aucun filtre. Je tente de ne pas m’autocensurer et de faire en sorte que mes personnages ou l’intrigue ne soient pas dépendants de l’empathie ou du goût des lecteurs. J’essaye de montrer le monde tel que je le vois et de le faire avec mes propres questionnements et émotions d’une façon qui me semble pertinente, ou enthousiasmante ou authentique.

de la bande dessinée au cinéma

Vous parliez de Ghostworld. C’est sans doute l’album qui a eu le plus grand succès en France, en partie à cause du film qui en a été tiré. Il nous donne une vision des États-Unis qui n’est peut-être pas nouvelle, mais qui n’est pas fréquente, celle de la vie de tous les jours. Il me semble que c’est également un exercice sur les moments creux, ce qui nous ramène d’une certaine manière à la question de l’adolescence, à ce qu’on ne peut pas dire à cet âge, à ce qui doit être tu, à ce qui est tabou.

Tout cela est sûrement vrai. Ces personnages sont tout simplement venus à moi. J’ai d’abord pensé à une histoire très différente. Cela se passait dans le futur et ils étaient sur une autre planète. Je voulais qu’ils portent des toges. J’avais toutes ces notes incompréhensibles mais j’ai créé les deux personnages et soudain ils sont devenus de vraies personnes qui avaient besoin de vivre dans un vrai monde. L’histoire n’avait plus besoin d’éléments imaginaires et c’est devenu autre chose. J’ai vraiment eu l’impression que je ne contrôlais pas du tout cette histoire. J’ai manipulé légèrement les événements en faisant aller un des personnages à l’université alors que l’autre n’y allait pas, mais c’est le seul dispositif de narration que je leur ai imposé. Je voulais juste qu’ils vivent leur vie comme ils l’auraient fait cet été déterminant après l’obtention du baccalauréat.

Comment ce livre est-il devenu un film ? Quelle a été votre implication dans ce processus ? En d’autres mots, ce n’était pas un film « commercial », mais bien plutôt ce qu’en France on appelle un « film d’auteur ». Comment avez-vous vécu cette aventure ?

Au départ, le réalisateur Terry Zwigoff m’a contacté. Il avait déjà réalisé le fameux documentaire sur Robert Crumb. J’ai fait sa connaissance et je me suis dit que si un jour je devais faire un film, ce serait avec ce type. On avait le même sens de l’humour et il comprenait de quoi je parlais. Je ne pensais pas qu’on ferait un film. On m’avait déjà proposé plusieurs petits projets de films. Tout le monde s’excite, tout par en eau de boudin et rien ne se fait. Donc, je me suis dit que si on pouvait se faire payer pour écrire un script de film ce serait l’argent le plus facilement gagné de ma vie. J’avais tout simplement à taper le dialogue de la bande dessinée, transformer les dessins en descriptions et écrire dans le style « Enid assise sur un banc, dit cette phrase ». J’ai fait cela pendant une semaine et ce fut le plus imbécile des films jamais écrit. On l’a montré à la productrice qui nous avait engagés et elle nous a dit « Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous devez transformer le livre en film, vous ne faites pas une simple transcription, vous êtes censé écrire un film. » C’est à ce moment-là que j’ai décidé de complètement abandonner tous les éléments de l’histoire… J’ai mis la bande dessinée de côté et je ne l’ai plus regardée. Terry avait eu l’idée d’un nouveau personnage, un vieux collectionneur de disques, basée sur plusieurs personnes que nous connaissions et sur Terry lui-même. Je me suis dit que c’était une façon plutôt intelligente et drôle de donner du relief à l’histoire et Terry et moi avons longtemps planché dessus. Nous ne savions pas du tout ce que nous faisions en terme de scénario. Je n’avais rien fait de tel auparavant et nous avons procédé par essais et erreurs. Cela a fini par prendre cinq ans avant que le film ne se fasse. Et finalement quand le film s’est fait, je n’en revenais pas. Terry a été très généreux et j’avais ma place sur le tournage en permanence, il avait l’impression de ne pas connaître les personnages aussi bien que moi. Il me faisait confiance pour vraiment comprendre les deux filles que j’avais créées et il me laissait choisir les vêtements d’Enid et décider de la décoration de leurs chambres et de ce genre de choses. C’était quelque chose d’étrange et de très personnel et beaucoup d’objets dans la chambre d’Enid viennent de ma propre chambre. Chaque fois que je regarde ce film, je pense « C’est tellement bizarre de voir mon petit taille-crayon, celui que je vois tous les jours. » C’est une expérience très frustrante parce que dans la bande dessinée et dans l’écriture d’un scénario, je peux entendre les voix des personnages dans ma tête de façon très particulière. La façon dont chaque phrase doit être dite m’apparaît comme une évidence. Je sais exactement quel ton ils devraient avoir et je ne peux pas les imiter, je peux les entendre dans ma tête mais je ne peux pas le dire et l’expliquer. Je ne suis pas un acteur. Souvent, je trouvais que la façon dont l’acteur parlait était le contraire de ce que j’imaginais. Je disais « Ca ne colle pas ! » et tout les autres rétorquaient « Non, c’est très bien, c’est très bien ! ». C’était tellement frustrant mais, sur le long terme, quand vous voyez le film après le montage, vous vous rendez compte que leur version fonctionne tout aussi bien et parfois mieux. Ce n’est peut-être pas la meilleure version mais elle est valable. Vous devez permettre aux acteurs d’investir les personnages de leur propre sensibilité. Dans ce genre de film, c’est le dialogue qui compte et vous devez laisser les acteurs être les personnages ou ça sera complètement figé.

Vous êtes bien intervenu au stade du story-board et du premier montage, n’est-ce pas ?

On a essayé un peu mais quand vous faites un film comme celui-ci, vous ne pouvez pas le story-boarder. Le story-boarding, c’est pour un film de Spielberg où vous devez tout prévoir et faire en sorte que tout fonctionne avec les grues, les caméras et tout le reste. Dans un film comme le nôtre, la veille du tournage, on vous prévient « Voilà la pièce où vous allez tourner » et vous n’avez pas la moindre idée de ce à quoi elle ressemble. La porte peut se trouver d’un côté ou de l’autre. Vous ne pouvez pas savoir avant de l’avoir vue. Donc Terry et moi, on se levait beaucoup plus tôt et on allait sur le tournage et on se déplaçait en lisant le texte des personnages tout en se demandant comment ils se déplaceraient dans la pièce. Donc en fait, je n’avais rien à voir avec l’aspect visuel du film mais dans la salle de montage, j’avais des idées bien précises sur la façon dont cela devait être fait. Terry en a eu assez de moi et au bout d’un moment, il m’a demandé de partir. Il avait sa propre vision du film. Je préfère la bande dessinée bien sûr mais j’ai trouvé que le film était vraiment bien. J’en ai été très content. Le public l’a apprécié et on s’est bien amusés.

Dans la bande dessinée, vous avez fait le choix de travailler avec cette dominante bleue qui baigne toutes les pages et donne une ambiance très particulière…

Je me souviens quand j’étais un adolescent de l’âge d’Enid, je marchais dans les rues et que j’avais été frappé par le fait que… Je vivais dans la ville de Chicago, et si on marchait vers six heures du soir, on remarquait que les gens étaient rentrés du travail et avaient allumé le poste de télévision. Il y avait cette lumière sombre et une absence totale de couleurs dehors, à l’extérieur. Et à l’intérieur, dans les maisons et les appartements, cette espèce de lumière bleue.

Extrait de Ghost World, Dan Clowes

La plupart des gens avaient encore des télévisions noir et blanc. Elles avaient cette lueur bleue bien particulière. Cela m’obsédait et c’est resté comme une image marquante de mon adolescence. Quand je repense à mes dix-huit ans, c’est l’image qui me vient. Et j’ai voulu saisir cela. Je voulais que l’ensemble soit comme baigné dans cette lumière. Dans le film, on a un peu essayé de le saisir. À la fin, on a tourné avec ce genre de lumière, mais ça n’a pas été très probant et nous ne l’avons pas utilisé.

David Boring

Wayne Boring est le nom d’un dessinateur de Superman. Avez-vous appelé votre personnage David Boring pour faire un clin d’œil aux amateurs de bande dessinée ?

Je ne pensais pas que le grand public saurait qui est Wayne Boring mais ce nom m’a toujours intrigué. C’était le dessinateur type du Superman des années cinquante. La version la plus ennuyeuse de Superman, sans couleur, sans inflexion, le personnage était dépourvu de charisme et c’était ce qui faisait que je l’adorais. Même le nom n’avait aucun relief sur la page et était sans vie et c’était ainsi que je m’imaginais David Boring. Je ne voulais pas que cela devienne un commentaire concernant ce dessinateur en particulier. Je pensais en fait au deuxième sens du terme « boring » (le premier signifiant « ennuyeux ») qui veut dire creuser quelque chose et je voulais que ce sens fasse allusion de façon plus spécifique à ce personnage et qu’il ne se limite pas au fait qu’il soit terne. Cette histoire est pleine d’excitation, de toutes sortes d’intrigues, d’explosions, de sexe et de toutes ces choses. C’est dans cette mesure que j’ai joué avec le sens du mot « boring ».

Dans vos histoires les personnages trouvent souvent des petits puzzles, des messages cryptés, des morceaux de papier déchirés qu’il faut reconstituer. On en trouve dans Velvet Glove, dans David Boring. Est-ce par jeu ou pour une raison plus profonde ?

Extrait de David Boring, Dan Clowes

Je ne peux pas vraiment faire de commentaires à ce propos. Parce que le mystère est voulu. Dans David Boring, je voulais que la construction de l’histoire conduise à se référer à certaines cases précédentes. Je crois que c’est un des aspects formidables de la bande dessinée. Si vous lisez la fin d’une histoire et qu’un événement se réfère à un moment précédent, vous pouvez très facilement revenir en arrière et trouver la référence recherchée. On ne peut pas faire ça avec un film. On peut revenir en arrière sur un DVD mais ce n’est pas une manière cohérente de regarder un film. Si vous lisiez un roman et que vous cherchiez la référence d’un mot, vous passeriez un temps fou à feuilleter votre livre et à chercher en vain. Je pense qu’une bande dessinée vous permet de faire des allers et retours facilement. Je voulais simplement guider le lecteur dans le livre. Et pas forcément de manière linéaire mais plutôt de façon à ce qu’il s’arrête à certains endroits pour ensuite retourner en arrière et comprendre à quoi différentes choses renvoyaient, pas forcément case à case mais une case là puis une case vingt pages en arrière et dix pages plus loin.

C’est le plaisir que vous prenez en plaçant ici et là des éléments qui permettent de comprendre l’histoire différemment ?

Oui, j’ai passé beaucoup de temps sur David Boring. C’est mon livre le plus construit. J’en savais beaucoup, beaucoup plus que ce qui se trouve sur la page, j’avais donc l’impression de contrôler tout l’univers de l’histoire. Je n’arrive pas à savoir si quelqu’un d’autre peut saisir tous ces détails. Bien sûr, comme je l’ai dit, je ne relis pas tout cela. Donc il faudrait que moi-même je me relise pour voir si aujourd’hui je pourrai saisir tout cela.

Ice Haven

Ice Haven fait référence à la tradition américaine des bandes dessinées, c’est en même temps une histoire urbaine, mais c’est également une anecdote terrifiante…

Je venais de finir David Boring quand j’ai commencé et je comptais juste faire une bande dessinée couleur très rapide de 30 ou 40 gags en un page. Je voulais juste écrire les plaisanteries les plus idiotes qui me venaient à l’esprit, évacuer tout ce sérieux qui m’avait habité pour David Boring. J’ai commencé comme ça et c’est devenu autre chose. Je regardais beaucoup de vieux numéros de suppléments bande dessinée extraits des journaux du dimanche des années cinquante et soixante. Vous avez cela en France ? Aux États-Unis, les journaux du week-end sont accompagnés de pages de très grand format pleines de bandes dessinées de styles très divers. Je me suis rendu compte qu’aucune bande dessinée en particulier ne m’inspirait. C’était l’ensemble de toutes ces bandes dessinées qui m’inspirait. C’était d’avoir sur une page ces Vikings tout raides en train de se battre et sur une autre des petits chiens se livrant à des occupations tellement mignonnes. C’était tout ce mélange qui me plaisait dans la bande dessinée et qui constitue, selon moi, la particularité essentielle de la bande dessinée américaine.

Extrait d’Ice Haven, Dan Clowes

Et je me suis demandé ce que cela donnerait si je faisais un livre avec tous ces styles différents en interaction. Aux États-Unis, ce serait comme si vous lisiez une bande dessinée où Astérix ou un personnage équivalent perd son gant et sur la page suivante c’est un petit chien tellement mignon qui le ramasse. Ils sont ensemble alors qu’ils ne font pas partie du même monde. Ce fut ma motivation première. En fait j’avais déjà écrit une histoire sur un enfant qui se fait kidnapper. Je me suis dit que j’utiliserai cela comme départ pour l’intrigue de l’histoire et que je ferai tout fonctionner autour de cela.

On retrouve ici une référence à Hitchcock et particulièrement son film La Corde.

Certains personnages dans cette histoire s’inspirent des meurtriers américains Nathan Leopold et Richard Loeb. Dans l’Amérique des années vingt, ce crime était connu sous le nom du « crime du siècle ». Ce fut un peu l’équivalent du procès O. J. Simpson de notre époque. Deux adolescents brillants avaient décidé de tuer un autre garçon de leur quartier juste pour voir s’ils pourraient ne pas se faire pincer. Cette histoire m’a vraiment frappé parce que j’ai fréquenté la même école que ces garçons, mais cinquante ans plus tard. Donc leur histoire m’a hanté toute ma vie. À un moment, je me sentais comme l’un d’entre eux mais la plupart du temps j’avais l’impression que j’aurais été leur victime. Cela ne me quittait pas et je voulais en faire une histoire mais qui ne se limite pas à une simple redite, un docu-fiction ou quelque chose de ce genre. Mais cette histoire s’intègre tellement bien à Ice Heaven que ce fut finalement ma manière de faire quelque chose de ces deux personnages.

Extrait d’Ice Haven, Dan Clowes

Article publié dans neuvièmeart 2.0 en février 2010.

Tout au long de l’histoire, il y a une ironie sous-jacente qui disparaît totalement à la fin.

D’une certaine façon, c’était voulu. Je voulais que cela soit écrit dans le langage de la bande dessinée. C’est toujours ironique. On sent bien que le langage des personnages n’est pas vraiment réaliste, en particulier celui des personnages les plus « cartoon ». Je voulais que le langage utilisé exprime essentiellement une émotion sincère. Je voulais qu’en dernier lieu le contenu ne traduise pas la volonté de se moquer des personnages ou d’en rire mais qu’il traduise de véritables émotions exprimées par les personnages et, je l’espère, par moi-même.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

J’écris un scénario pour le réalisateur français Michel Gondry qui fait un film d’animation. Je ne fais aucun des dessins mais j’écris le script pour cet « objet » anti-utopique, futuriste qui, comme souvent avec Michel Gondry, défie toute description. Je ne tenterai donc pas de le décrire. En ce qui concerne la bande dessinée, c’est drôle parce que depuis que je suis là tous ceux qui m’ont interviewé m’ont dit « Vos bandes dessinées tournent souvent autour de jeunes adolescents ». Je me suis rendu compte qu’il y a deux ans, j’ai commencé une bande dessinée pour le New York Times chaque dimanche. C’est sur un homme d’âge moyen et sur son dernier rendez-vous. Depuis que j’ai fini cette histoire, j’ai passé cette dernière année à travailler sur une histoire plus longue, d’environ soixante-quinze pages. C’est sur un autre homme d’âge moyen. Je suis passé d’adolescents à des hommes d’âge moyen, sans rien entre les deux. Après cela, je ferai des hommes de quatre-vingt ans dans des maisons de retraites, ou des morts.

The Simpsons et Scarlett Johansson

Question dans le public : Vos personnages ne sont jamais très séduisants. Vos personnages nus, la nudité dans vos livres n’est jamais très séduisante. Que pourriez-vous dire à ce sujet ?

Extrait de Like a Velvet Glove Cast in Iron, Dan Clowes

En général, les gens nus, sont…, sont…, enfin vous savez. Il y a suffisamment de publications qui montrent la superbe nudité impeccablement coiffée de la race humaine. J’ai l’impression que c’est un minuscule aspect de la réalité, j’ai l’impression qu’il est bien plus intéressant de voir que nous nous répugnons tous un peu. Je ne veux voir personne ici nu… O.K. !

Question dans le public : Qu’est-ce que cela fait d’être l’un des personnages des Simpsons ?

Un des épisodes se déroulait dans une librairie de bandes dessinées. Le récit mettait en scène Art Spiegelman, Alan Moore et moi-même en train de dédicacer nos livres. C’était étrange de faire cela. De fait, si je dis à une personne que je fais de la bande dessinée, elle cesse de me parler. Mais si je dis que je suis passé dans Les Simpsons, alors c’est « Oh, mon Dieu, mais qui êtes vous ? ». C’est très, très bizarre. D’ailleurs, j’ai demandé aux producteurs si j’étais la personne la moins connue à apparaître dans les Simpsons. Et ils m’ont répondu qu’il y avait un type dans un des épisodes qui avait été deuxième pour le Prix Nobel, un physicien. Et il était notoirement le moins connu. Mais ils ont reconnu que je devais être le deuxième moins connu.

question dans le public : J’ai lu une interview d’un des frères Hernandez où on lui demandait s’il lisait les jeunes générations, celles qui le suivent et qui vous suivent. Et il a répondu « Non, je ne suis plus l’actualité de la bande dessinée, je ne suis plus qu’un vieux croûton. » et je me demandais si vous étiez vous aussi un vieux croûton ?

Oui, je suis plutôt vieux. Je cherche toujours à voir de nouvelles choses et je suis toujours en quête d’inspiration et de choses à voler, des choses que je pourrais intégrer. Il y a une nouvelle anthologie aux États-Unis qui s’appelle Kramer’s Ergot. C’est un ouvrage de bande dessinée de taille gigantesque. C’est plein de jeunes talents, des types qui viennent de se faire connaître qui font des trucs fous. J’adore la moitié et l’autre moitié me sidère pour la plupart de façon positive. Je vois bien qu’il est en train de se passer quelque chose que j’ai du mal à cerner. Et c’est très bien comme ça. Il y a beaucoup de chose intéressantes. J’ai circulé dans les bulles du festival d’Angoulême et j’ai vu plein de choses que j’aimerais pouvoir explorer un peu plus. C’est comme quand on fait un rêve où tout est dans une langue étrangère. C’est un peu aliénant et bizarre et vous ne savez pas si c’est intéressant ou juste étrange. Il y a beaucoup de très bonnes choses qui se font.

Question dans le public : Avez vous complètement arrêté Eightball ou allez-vous continuer ?

Aux États-Unis, le marché pour faire ces bandes dessinées, le petit fascicule bon marché qui sort relativement régulièrement, a pratiquement disparu. Ils ne sont pas assez chers, les magasins ne veulent pas les vendre. Toute ma vie, j’ai voulu faire des comic books. J’espérais pouvoir continuer ainsi mais ce n’est plus possible. Je me suis habitué maintenant à travailler sur un type d’album plus européen. Le dernier travail que j’ai fait m’a occupé toute l’année. Il sortira l’année prochaine et j’enchaînerai sur un autre projet que je mets en place. Il y a quelques années, j’ai souffert pendant un an d’un horrible problème cardiaque. Et j’ai passé un an sans pouvoir travailler. Cela m’a pris longtemps pour m’y remettre mais maintenant je me concentre sur la bande dessinée et évite de faire trop de films.

Question dans le public : Je reviens à Eightball. Beaucoup d’épisodes n’ont pas été traduits en français. Savez-vous ce qui va être publié chez nous ?

Je me suis fait une règle, il y a quelques années, de ne pas trop m’impliquer dans les détails des publications étrangères et il m’est très difficile de comprendre les spécificités des différents marchés. Et si je devais passer beaucoup de temps sur chaque édition, je ne ferai plus que cela. Je passerai ma vie à m’occuper de l’édition suédoise de Velvet Glove par exemple. Donc je ne sais pas pourquoi certaines choses sont éditées et d’autres non. Vous devriez encourager tous les éditeurs à tout republier, j’apprécierai. (Rires)

Question dans le public : Comment se fait-il que l’édition française de David Boring soit en noir et blanc tandis que dans l’édition américaine, toutes les parties « bande dessinée » sont en couleur ?

Aux États-Unis, le volume des ventes est tellement plus fort qu’ils peuvent se permettre de faire le livre avec des parties en couleur. Mon pauvre éditeur français, Cornélius, ne peut pas s’offrir de telles folies. D’ailleurs, je dois dire que mon éditeur préféré pour mon travail est Cornélius. J’adore leurs livres et tout ce qu’ils font.

Question dans le public : Excusez-moi, je vais vous poser une question idiote. J’aime bien Scarlett Johansson et je voudrais savoir si vous aviez travaillé avec elle et si elle a lu vos bandes dessinées ?

Je vous donne son adresse e-mail si vous voulez (rires). Elle avait quinze ans quand elle a fait Ghost World et elle avait bien plus d’assurance que moi ou que n’importe quel adulte que je connaisse. On devait aller à des réunions avec les producteurs du film et Terry et moi, nous étions assis et nous ricanions d’un rire nerveux, nous étions gênés et mal à l’aise et elle parlait des meilleurs restaurants sushis de Milan et de choses comme cela, à quinze ans, et j’étais convaincu qu’elle deviendrait immensément célèbre. Je voudrais simplement pouvoir bénéficier d’un minuscule pourcentage de ses revenus pour l’avoir découverte en tant qu’actrice adulte. Nous devrions avoir droit à 0,001% ou quelque chose comme ça. (Rires).

Propos recueillis le 31 janvier par Jean-Pierre Mercier dans le cadre des Rencontres internationales du 36e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Retranscription et traduction de Caroline Williams-Guyon. Mise en forme de Jean-Pierre Mercier, révision de Dan Clowes.
Merci au FIBD pour son autorisation de reproduction.

Article publié dans neuvièmeart 2.0 en février 2010.

les livres de Daniel Clowes.

[1] Gilberto et Jaime Hernandez, auteurs depuis le milieu des années 1980 de la série Love and Rockets dont les recueils ont été publiés en France aux éditions du Seuil et chez Delcourt.