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contrat d’édition et bande dessinée numérique

rencontre professionnelle

[mars 2011]

Les œuvres de bande dessinée s’exportant désormais sur les supports numériques, la Cité a voulu proposer aux auteurs de connaître un peu mieux les conditions et pratiques contractuelles émergentes : avenant au contrat initial ou contrat séparé, clauses spécifiques aux droits numériques, etc.
Le 10 décembre 2010, la Cité recevait donc, pour évoquer ces questions et faire profiter les auteurs de quelques recommandations, Isabelle Sivan, avocate spécialiste du droit d’auteur et du livre numérique, et Valérie Barthez, responsable juridique de la Société des gens de lettres (SGDL). Geoffroy Pelletier, directeur général de la même SGDL, nous faisait l’honneur de sa présence et de sa participation aux débats de la journée, animés par Sébastien Cornuaud, juriste en charge de l’accompagnement des auteurs à la Maison des auteurs, à qui l’on doit cette retranscription.

Que ce soit via la lecture directe en ligne (streaming) ou via le téléchargement de fichiers sur des appareils de lecture divers (ordinateurs, téléphones portables, PDA, tablettes de lecture de type iPad ®, « liseuses électroniques » autrement appelées « e-books » ou « e-readers », comme le Kindle ® d’Amazon…), les œuvres littéraires et artistiques s’exportent largement désormais sur les supports numériques. Aux côtés des œuvres musicales et audiovisuelles, les œuvres picturales et graphiques (dessins, photos, etc.), la bande dessinée, le livre jeunesse, la littérature n’échappent pas à cette mutation.
Pour les auteurs, le secteur de l’édition et l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, la question des conditions d’exploitation de ces œuvres sur ces supports et réseaux est primordiale. Avenant au contrat initial ou contrat séparé, clauses spécifiques aux droits numériques, nouveaux types de contrats par de nouveaux venus dans ce secteur d’activité, quelles conditions et pratiques contractuelles voit-on émerger dans le secteur de l’édition en ligne ? Quelles recommandations peut-on faire aux auteurs ?
Pour évoquer ces questions, la Cité réunissait le vendredi 10 décembre 2010 Isabelle Sivan, avocate spécialiste du droit d’auteur et du livre numérique, et Valérie Barthez, responsable juridique de la Société des gens de lettres (SGDL). Geoffroy Pelletier, directeur général de la même SGDL, nous faisait le plaisir et l’honneur de sa présence et de sa participation aux débats de la journée, animés par Sébastien Cornuaud, juriste en charge de l’accompagnement des auteurs à la maison des auteurs.

« Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion ». Partant de cette définition donnée par l’article L. 132-1 du Code de la propriété intellectuelle, maître Isabelle Sivan s’attacha à exposer à l’auditoire le panorama des offres éditoriales numériques et les modes de diffusion existants ou prévisibles puis à lui expliquer le contenu des clauses du contrat d’édition et à détailler comment certaines gagneraient à être rédigées à l’heure des exploitations numériques des œuvres, ce pour une meilleure protection des intérêts aussi bien de l’éditeur que des auteurs signataires.
Chacun de ces points fit l’objet d’un échange constructif entre Isabelle Sivan, Valérie Barthez, Geoffroy Pelletier, Sébastien Cornuaud et le public présent. Nous tâchons de vous donner ici un aperçu de cette journée fructueuse.

panorama des offres numériques

Pour Isabelle Sivan, on peut distinguer deux grands types d’offres : les offres éditoriales à proprement parler et des offres qu’elle qualifie de « promotionnelles ».

des offres purement éditoriales
À défaut d’une définition du livre numérique, on a vu apparaître ces derniers mois diverses offres éditoriales dont la plus présente est encore le livre dit « homothétique » en noir et blanc ou en couleurs : c’est-à-dire la reproduction, sur format numérique (du pdf aux formats dédiés de type ePub ou html par exemple) de livres d’abord conçus pour être imprimés et commercialisés en tant que tels. Cette offre est, à l’heure actuelle, celle qui concerne le plus directement le secteur de la bande dessinée et dont les droits d’exploitation font l’objet de négociations très serrées entre représentants des éditeurs (le groupement bande dessinée du SNE) et représentants des auteurs (le groupement auteurs de bande dessinée du SNAC).
Mais à côté de ces livres numériques homothétiques on voit poindre de nouvelles expériences éditoriales : le livre audio (avec ajout de sons et de musique) ; le support vidéo associé au livre ; les versions multilingues ; l’offre d’actualisation et de mise à jour (qui concerne plutôt l’édition scientifique, juridique, universitaire…) ; l’offre de liens renvoyant vers un site internet dédié ; la bande dessinée adaptée pour une lecture sur smartphone (de type iPad ®, Blackberry ®…) ; la possibilité d’ajouter des contributions de lecteurs ; le rendez-vous régulier avec le lecteur ou le retour du feuilleton (pensez aux Autres Gens, par exemple) ; l’impression à la demande ; le livre bi-media (intégrant une puce ou un « flash code » par exemple) ; et d’autres formes d’exploitation à venir.

des offres « promotionnelles »
À côté de cela, on peut encore relever des offres qu’on pourrait effectivement qualifier de « promotionnelles ». Là on pense plus particulièrement à la pratique grandissante de la prépublication de l’œuvre en ligne en tout ou partie avant la réalisation d’une édition imprimée (pratique assez courante chez les éditeurs de bande dessinée) : la mise à disposition gracieuse, pour le lecteur, du ou des premiers épisodes d’une série ou bien d’inédits (voir le site d’Ego comme X), mais aussi la mise en ligne intégrale, et a priori, puis, si l’œuvre rencontre une certaine audience, la publication « papier » ou imprimée (c’est le cas de Manolosanctis par exemple)…

tenir compte des modes de diffusion et d’exploitation de l’œuvre numérique…


Or il faut bien comprendre qu’à chacune de ces offres éditoriales ou promotionnelles correspond, en droit, une forme nouvelle ou supplémentaire d’exploitation de l’œuvre qui doit (ou non) être envisagée par le contrat d’édition. Mais ce n’est pas tout, le contrat doit également prendre en considération comment sera diffusée l’œuvre (téléchargement, consultation de type streaming, location…), sur quels supports (ordinateur, pocket book, tablettes tactiles, liseuses, smartphones, consoles de jeu vidéo…) et via quels réseaux (Internet, téléphonie mobile…).
Mais il y a plus : il faut encore déterminer à quel(s) mode(s) de perception de rémunération auprès du public cette exploitation donnera lieu (paiement à l’achat, abonnement, « gratuité », revenus de substitution en paiement de « l’insertion » de bannières publicitaires…).
La première question à élucider, avant même la rédaction du contrat, est d’ailleurs de savoir si l’exploitation numérique souhaitée sera principale ou secondaire, si elle sera faite directement par l’éditeur ou confiée en tout ou partie à un licencié, ou bien si elle sera le fruit d’une coédition (ou coproduction) entre l’éditeur et une entreprise associée.

…pour rédiger au mieux ou négocier les clauses du contrat d’édition

Cela peut paraître une évidence mais la première clause du contrat à regarder est celle relative à son objet : c’est dans celle-ci qu’est fixée l’obligation principale qui sera celle de l’éditeur, elle définit l’esprit du contrat.

l’objet du contrat


Aujourd’hui encore, de manière habituelle, l’obligation principale de l’éditeur se résume souvent à devoir procéder à une publication imprimée de l’ouvrage (en bande dessinée, à une publication sous la forme d’un album cartonné ou non). C’est souvent là l’exploitation principale, « primaire », envisagée : toutes les autres adaptations et exploitations, y compris l’exploitation numérique, devenant alors « secondaires ».
Mais la position générale des éditeurs, y compris de bandes dessinées, semble bien plutôt être aujourd’hui, et de plus en plus sûrement, de revendiquer l’exploitation numérique comme faisant partie intégrante de l’exploitation primaire, donc des droits dits primaires cédés par l’auteur à l’éditeur et, donc, en conséquence, de l’obligation principale de l’éditeur.
Pour Isabelle Sivan (anciennement Responsable juridique des éditions du Seuil), l’éditeur a tout intérêt à faire attention à une formulation de l’objet du contrat en ce sens : ceci l’engage en effet a priori à procéder à une publication imprimée ET à une publication numérique… ce qui n’est peut-être pas son souhait véritable. Peut-il le faire seul ? En a-t-il les moyens et les compétences ? Voilà des questions à se poser.
L’auteur, lui, doit davantage faire attention à un objet qui prévoierait une publication imprimée OU numérique : là, l’engagement de l’éditeur à son égard n’est peut-être pas très clair (y aura-t-il une double publication et, si oui, dans quel ordre, dans quel(s) délai(s) ?).

l’étendue de la cession

À la suite de la clause relative à l’objet du contrat vient en principe une clause définissant précisément l’étendue de la cession consentie par l’auteur à l’éditeur (attention, car bien souvent dans les contrats d’édition de bande dessinée cette étendue est directement incluse dans la clause « objet »).
L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que pour que la cession d’un droit soit valide, ce droit prétendument cédé doit faire l’objet « d’une mention distincte dans l’acte de cession ». En conséquence, chaque mode d’exploitation envisagé doit faire l’objet d’une mention en bonne et due forme pour que la cession soit valide.
On trouvera par exemple détaillés dans cette clause les droits de reproduction et de représentation sous telle ou telle forme (un album de bande dessinée imprimé, une bande dessinée numérique homothétique, etc.), les droits d’adaptation (par exemple du papier au numérique ou du numérique au papier…), des droits de traduction (en toutes langues ou non, en prévision des versions multilingues), etc., autant de clauses habituelles mais qui peuvent être adaptées ou avoir des conséquences ou prolongements en vue d’exploitations numériques de l’œuvre.
Mais cette clause devra également comprendre de manière explicite, lorsque l’éditeur envisage de telles utilisations, la possibilité d’intégrer des œuvres préexistantes ou de nouvelles œuvres créées pour être incluses « dans » l’œuvre de bande dessinée (musiques, dessins, photos, etc.), notamment lorsqu’on projette de publier une œuvre de type multimédia.
Bref c’est tout type d’utilisation de l’œuvre envisagé qui devra être ainsi mentionné (utilisation sous forme d’extraits, intégrale ou partielle à titre promotionnel, le stockage numérique sous la forme de fichiers temporaires ou permanents, l’inclusion dans des bases de données, dans un « bouquet »…) et tout type d’ajout, suppression ou modification pressentis (ajout de liens hypertextes, ajout de sons, de textes ou d’images…). Ce ne sont pas seulement les droits patrimoniaux de l’auteur qui sont ici en jeu mais bel et bien son droit moral.

sur le respect du droit moral

En effet, de la « simple » numérisation d’un livre conçu pour être imprimé à l’adaptation de celui-ci aux contraintes et usages du numérique, on risque potentiellement de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre telle qu’elle a été conçue et voulue par son auteur. Ainsi, ajouter ou supprimer des bulles, les faire apparaître avec des effets plus ou moins heureux, ajouter du son, des bonus, etc., dissocier des cases et même deux pages conçues pour être lues en vis à vis, afin d’en adapter la lecture aux écrans, constituent, pour Geoffroy Pelletier, autant d’atteintes potentielles à l’intégrité de l’œuvre.
Isabelle Sivan ajoute que le fait même de porter à la connaissance du public (on parle de « divulgation ») une adaptation numérique d’une œuvre déjà publiée et révélée au public par voie d’imprimerie pourrait porter atteinte au droit de divulguer l’œuvre, droit qui appartient au seul auteur. Mais elle précise que les juristes ne sont pas tous d’accord sur ce point : certains pensent que le droit de divulgation « s’épuise » (s’éteint) dès lors que l’œuvre est présentée pour la première fois au public. La question n’est pas tranchée et il y a là une incertitude juridique dont il faut tenir compte.
Tout cela devrait naturellement conduire les éditeurs à obtenir l’autorisation préalable expresse de l’auteur avant toute adaptation de l’œuvre. Les possibilités d’adaptations sont très généralement prévues dans le contrat d’édition dès l’origine mais le droit ainsi cédé ne porte que sur le droit patrimonial de l’auteur. Il faut bien avoir conscience que le droit moral ne peut, lui, jamais être réputé cédé : il est et reste une prérogative de l’auteur et de l’auteur seul. Aussi la Société des Gens de Lettres et les autres représentants des auteurs, au sein du Conseil permanent des écrivains (CPE), tentent-ils de négocier actuellement la transposition dans l’univers numérique d’un usage bien installé dans la chaîne du livre traditionnelle (quoi que pas toujours réellement respecté), à savoir le « bon à tirer » qui est normalement le préalable à toute impression. Ils recommandent ainsi l’adoption d’un « bon à diffuser » à faire signer à l’auteur avant toute mise en circulation d’une adaptation numérique de son œuvre.

la durée de la cession

S’agissant de la durée de cession des droits, une grande tendance se dégage de la pratique : la cession pour la durée maximale des droits, soit 70 ans après le décès de l’auteur ou du dernier vivant des auteurs. Quelques grands noms de la bande dessinée arrivent parfois à négocier des cessions plus courtes. En parallèle, des maisons d’édition de taille modeste ne souhaitent pas toujours s’encombrer de cessions trop longues qui les engageraient trop avant. Il est donc possible de voir des contrats emportant cession pour 30 ans à compter de la signature, voire moins.
Quoi qu’il en soit, la grande question du moment est de savoir si on doit céder tout ou partie de ses droits numériques pour la même durée que les droits de publication sous forme imprimée ou bien pour une durée plus courte : 3 ans, 5 ans… ?
Tout l’enjeu pour l’éditeur sera bien souvent d’obtenir la durée la plus longue et de veiller à ce que pendant cette durée le livre reste « disponible » sous une forme ou une autre afin de respecter son obligation « d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie… » (article L. 132-12 du CPI). Or jusqu’à présent l’exploitation permanente et suivie se mesurait à l’aune du nombre d’exemplaires disponibles. Isabelle Sivan nous invite à nous interroger sur ce qu’il en sera pour une œuvre uniquement disponible sous forme numérique : est-ce l’existence au moins théorique d’un « accès » permanent à l’œuvre (possibilité de téléchargement, de lecture streaming, de location, d’impression à la demande…) qui entrera en ligne de compte en lieu et place du stock restant ? Et quelle sera la position de la jurisprudence si on en vient à un conflit sur ce point ? Il y a là une inconnue dont éditeurs et auteurs doivent impérativement tenir compte.
Aussi, et ce afin de sécuriser au mieux les contrats, dans l’intérêt de toutes les parties signataires, Isabelle Sivan recommande plutôt des cessions courtes, renégociables à échance(s). C’est aussi l’avis des auteurs et de leurs représentants (SNAC-GABD, SGDL, Charte des auteurs et illustrateurs, etc.). D’ailleurs, ils négocient en ce sens avec le SNE : une proposition de clause de « rendez-vous » ou de « revoyure » est étudiée par les divers protagonistes, mais les discussions paraissent (provisoirement ?) suspendues entre le SNAC-GABD et le SNE à ce sujet. Espérons que cette situation ne perdurera pas : les échanges entre le Conseil permanent des écrivains et le SNE continuent.

la rémunération pourrait suivant les cas être…

proportionelle
Pour mémoire, par principe la rémunération de l’auteur doit être proportionnelle « aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation » (article L. 131-4 du CPI) de son œuvre. On ne voit pas pourquoi il devrait en aller autrement pour les droits numériques. Reste cependant à savoir sur quelle base le pourcentage peut ou doit être calculé. On y revient plus loin.

forfaitaire
Mais, par exception, le contrat d’édition peut tout à fait légalement prévoir une rémunération forfaitaire (article L. 132-5) : les articles L. 131-4 (généraliste) et L. 132-6 (cas spécifiques à l’édition) du CPI précisent dans quels cas cela est d’ores-et-déjà possible. En transposant ces exceptions dans l’économie du livre numérique, on pourrait imaginer une rémunération forfaitaire dans le cas où, par exemple, les recettes proviennent d’un abonnement ou encore lorsque des revenus publicitaires sont générés mais « difficilement » ventilables entre les œuvres et les auteurs…

inexistante : « gratuité »
Enfin, il ne faut pas oublier que la cession peut également être consentie à titre gracieux. Et c’est bien potentiellement le cas qui risque de se présenter pour un certain nombre d’exploitations numériques, ce qui peut être acceptable dans une certaine mesure (par exemple lorsque l’exploitation ne génère pas de recettes : exploitations en tout ou partie de type « promotionnel »…) mais qui reste bien entendu discutable et sujet à négociation.

une rémunération calculée sur…

Mais revenons à la base de calcul des rémunérations. Dans tous les cas, l’auteur doit être en mesure d’estimer, suivant les modes d’exploitation de l’œuvre planifiés et les modes de rémunération choisis, quels types et niveaux de rémunération lui reviendront. Pour cela il doit connaître sur quel prix le pourcentage lui revenant sera calculé ou sur quelle base forfaitaire il sera payé. Cela doit idéalement être défini, dans la mesure du possible, dans le contrat. Lorsque ce n’est pas le cas il faudra pouvoir déterminer a posteriori la rémunération par voie d’avenant négocié.
Or ce serait là que réside la principale difficulté actuellement : les modèles économiques en étant encore à leurs balbutiements, il serait dans bien des cas difficile de prévoir quelle sera la base de rémunération des auteurs… et des éditeurs. D’où l’intérêt porté à un prix unique du livre et une TVA unifiée entre les éditions papier et électronique.

un prix unique ?
Dans la chaîne du livre traditionnelle on a pour référence un prix unique du livre. Aurons-nous la même chose pour le livre numérique ? Pour l’instant la loi ne l’impose pas mais une proposition de loi en ce sens a été déposée et amendée par le Sénat. Il semblerait qu’il y ait de fortes chances pour que le prix unique du livre numérique finisse par s’imposer… à l’horizon du 1er janvier 2012.
L’obligation pourrait être limitée aux seuls livres numériques homothétiques. Pourraient y échapper les autres types d’exploitations numériques. Pour l’instant on ne dispose pas d’une définition de ce qu’est, pour le droit, un livre « homothétique ». Une définition viendra prochainement par voie de décret : elle sera donc modifiable au besoin, et il faudra sans doute être vigilant à ce sujet.
Le problème qui se pose alors est de savoir si les diffuseurs basés à l’étranger respecteront ou non le caractère unique du prix du livre. Valérie Barthez et Geoffroy Pelletier pensent que le contrat de mandat passé entre les éditeurs et ces diffuseurs devrait permettre d’y arriver.

un prix conseillé ?
À défaut de prix unique, Isabelle Sivan recommande de recourrir à la notion de « prix conseillé » ou de « prix éditeur », prix qui sera décidé en amont et pourra être spécifié à l’auteur soit dans le contrat d’édition, soit par écrit séparé. Là encore, Valérie Barthez et Geoffroy Pelletier semblent confiants dans le fait que le jeu du contrat de mandat concédé par les éditeurs (fournisseurs de contenus) aux diffuseurs (ou hébergeurs et fournisseurs d’accès intermédiaires) devrait conduire ces derniers à respecter de fait un prix unique par type de livre numérique et par mode et type de réseau de diffusion. Mais sera-t-on à l’abri d’un opérateur décidant à un moment ou à un autre de « casser » le marché à son profit ?

les recettes de l’éditeur ?

Dans les cas où il serait impossible de s’assurer du respect d’un prix unique ou conseillé, il restera la possibilité d’asseoir la rémunération de l’auteur sur les recettes encaissées par l’éditeur auprès de ses licenciés (exploitants de produits dérivés par exemple) ou mandataires (diffuseurs).
À la question de savoir s’il faudra alors se baser sur les recettes brutes ou les recettes nettes de l’éditeur, Isabelle Sivan répond sans hésitation, dans l’intérêt des auteurs et dans le respect de la jurisprudence actuelle, de bien veiller à ce que ce soit la mention « recettes brutes encaissées par l’éditeur » qui soit portée au contrat.
On pourra cependant craindre que ne se développe un usage proche de celui de l’économie des contrats d’auteurs dans l’audiovisuel, dans lesquels il est spécifié que lorsque les rémunérations de l’auteur sont calculées sur les recettes du producteur, elles le sont bien souvent sur les « recettes nettes part producteur » (les RNPP) : c’est-à-dire sur les recettes encaissées moins un certain nombre de frais et charges (pouvant inclure des frais d’agent ou de recours à un intermédiaire…) dont une liste est annexée au contrat d’auteur et respecte en principe une définition commune arrêtée par le biais de la négociation collective. Ce sera là une tâche supplémentaire pour les organismes représentant les auteurs que d’être particulièrement vigilants à ce sujet et de négocier dans l’intérêt général des auteurs.

les recommandations spécifiques de la SGDL

Quant à la rémunération des auteurs, ce qui apparaît primordial à la SGDL, indépendamment de la base de calcul de cette rémunération, c’est que l’auteur puisse percevoir en valeur absolue la même somme pour un exemplaire vendu de l’édition imprimée que pour un exemplaire téléchargé, consulté, loué de l’édition numérique : une sorte de droit fixe ?
Valérie Barthez et Geoffroy Pelletier précisent que les représentants des auteurs réunis au sein du Conseil permanent des écrivains préconisent et tentent de négocier une rémunération composée d’un minimum garanti (MG) auquel s’ajouterait un pourcentage, ce pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre : au-delà d’un à-valoir garanti pour chaque utilisation, il s’agit de veiller à ce que les recettes générées par un mode d’exploitation ne viennent pas compenser l’absence ou le déficit de recettes d’un autre mode… ce qui est encore bien souvent le cas.
Très sensible à cette demande de la SGDL, Tristoon, auteur présent, s’interroge tout de même sur son applicabilité effective. En effet, s’agissant d’édition imprimée, et ce malgré les aléas du marché, un éditeur sait à peu près comment calculer l’avance sur droits qu’il peut consentir à l’auteur (ce qui serait l’équivalent du minimum garanti) : il dispose du recul nécessaire et d’outils pour évaluer le premier tirage, base de calcul de l’avance. Mais comment peut-il estimer et déterminer à l’avance, et de manière réaliste et mesurée, un minimum garanti de recettes pour l’auteur, alors qu’il ne peut pas estimer celles lui revenant ? Il semble y avoir là une difficulté que les éditeurs ne manqueront certainement pas d’opposer à la proposition. Mais, rêvons un peu : des outils de mesure d’audience, de téléchargement, de consultation, etc., ne manqueront probablement pas de permettre de dégager des statistiques fiables d’ici peu.

quelques recommandations finales d’Isabelle Sivan à propos des contrats et avenants

Reste à savoir dans quels cas et conditions l’éditeur peut se prévaloir de déjà détenir les droits numériques de l’auteur, et quels types de documents contractuels peuvent être présentés à l’auteur pour signature.
S’afgissant de contrats d’édition déjà signés, la position du SNE est que, depuis 1997/1998, les droits numériques étaient déjà envisagés et faisaient partie intégrante du contrat d’édition, le plus souvent en tant qu’obligation secondaire. Le premier réflexe à avoir est donc, pour l’éditeur comme pour l’auteur, de bien vérifier que ces droits sont explicitement inscrits dans le contrat : des droits numériques ont peut-être bien effectivement déjà été cédés à l’éditeur, oui mais lesquels ? L’iPhone et l’iPad, pour ne prendre que ces deux exemples, étaient-ils prévisibles en 1997/1998 ? Et s’ils l’étaient il faut encore s’assurer qu’une rémunération spécifique a bien été prévue. Car, certes l’article L. 131-6 du CPI sous entend que la clause « qui tend à conférer le droit d’exploiter l’œuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat » est valide mais il pose deux conditions : que cette clause soit expresse et qu’elle stipule « une participation corrélative aux profits d’exploitation ».
Bref, dans bien des cas, un avenant au contrat d’édition est nécessaire car une rémunération n’a pas toujours systématiquement et clairement été prévue pour tous les cas de figure qui peuvent se présenter : exploitation directe des droits par l’éditeur, exploitation par le biais d’un tiers licencié, exploitation en coédition… et une rémunération par support et réseau de diffusion n’est que rarement envisagée. Dans son intérêt, l’auteur se doit de considérer plus particulièrement deux points dans les avenants qu’on lui soumet : que l’édition numérique de son ouvrage ne constitue pas l’obligation principale de l’éditeur et ne s’intègre donc pas dans l’article « objet » du contrat premier, sauf à ce que l’auteur le souhaite bien entendu ; et que la durée de cession applicable aux droits cédés par le biais de l’avenant ne soit pas celle du contrat auquel il se rattache (70 ans après le décès de l’auteur dans la plupart des cas) mais bien une durée spécifique courte (3 ou 5 ans).
Quant aux contrats à venir, on peut s’attendre clairement à ce que les éditeurs proposent de plus en plus systématiquement des contrats « globaux » intégrant l’ensemble des droits prévisibles et imaginables. Tous les auteurs ne les signeront pas en l’état, mais quid des jeunes auteurs qui ne sauront quoi négocier ni ne seront peut-être en position de le faire ? La dernière université d’été de la bande dessinée organisée par Cité a donné un aperçu très clair des déclinaisons qu’éditeurs, producteurs, licenciés, exploitants divers et variés imaginent à partir d’une seule et même œuvre ou d’un univers artistique… dans une perspective « global media ». Mais quels éditeurs sont à même d’exploiter eux-mêmes tous ces droits ? Les droits numériques rejoindront-ils l’obligation principale de l’éditeur ? Et si oui, sera-t-il capable d’éditer seul la version numérique de l’ouvrage ? Ou bien devra-t-il recourrir aux services d’un tiers ou s’associer avec lui ? Attention, un éditeur qui se ferait céder les droits numériques à titre principal mais ne les exploiterait pas (directement ou indirectement) pourrait voir le contrat exposé à une résiliation…
Aussi Isabelle Sivan, issue de l’édition rappelons-le, recommande plutôt le recours à des contrats séparés dès lors qu’on ne s’inscrit pas d’entrée de jeu dans une stratégie « global media ». Et des contrats de courte durée.

en guise de conclusion

C’est tout l’enjeu des négociations qui ont eu lieu en 2010 entre le groupement BD du SNAC et le SNE, suite à « l’appel du numérique » lancé par le groupement, et qui malheureusement sont provisoirement suspendues. Mais, on le disait plus haut, les discussions continuent entre le CPE (qui réunit SGDL, SNAC, Charte, ATLF…) et le SNE. Après une rencontre intervenue le 25 novembre 2010, la prochaine devait avoir lieu le lundi 13 décembre. Espérons que celle-ci a été constructive et que la suivante, prévue le 16 janvier 2011, sera bien maintenue. Pour les divers représentants des auteurs, il s’agit maintenant de savoir s’il faut continuer ou non à discuter, l’objectif étant d’aboutir à un accord d’ici au prochain salon du livre.

Retranscription par Sébastien Cornuaud.
En médaillon : image extraite de Prise de tête, une bande dessinée interactive de Tony.

Article publié dans neuvièmeart 2.0 en mars 2011.