Consulter Neuvième Art la revue

des cases qui bougent

Les nouveaux modes de diffusion numériques, sur les écrans d’ordinateur ou de téléphone, conduisent parfois à enrichir, par du son ou du mouvement, les bandes dessinées adaptées. À mesure que ces nouveaux procédés se banaliseront, on assistera sans doute à la naissance d’un genre nouveau, à la frontière de deux médias : la bande dessinée animée.

Aussi bien, nombre de séries d’animation japonaises pour la télévision se caractérisent-elles déjà par une réalisation à l’économie, donc une animation limitée. On est, finalement, face à des images fixes, analogues à celles de la bande dessinée, avec des éléments d’animation parfois réduits à peu de chose (une bouche qui parle, des yeux qui clignent, des zooms avant et arrière).

Le concept de bande dessinée abstraite – voir ici même l’entrée précédente – ouvre peut-être une nouvelle voie à l’hybridation entre la structure de la bande dessinée et le dynamisme de l’image animée. Déjà, il est patent que nombre de planches abstraites s’apparentent à une séquence d’animation figée, avec des formes engagées dans un processus de métamorphose, c’est-à-dire, littéralement, de dé-formation. C’est par là que la BD abstraite est narrative quand même : quand elle nous conte précisément cela, l’histoire d’une forme.

Mais, de même qu’il existe, Molotiu nous l’a révélé, une bande dessinée abstraite, il existe aussi, depuis longtemps, une tradition expérimentale de films d’animation abstraits – tradition que l’on peut même faire remonter au temps du phénakistiscope. J’ai précisément eu l’occasion de visiter récemment, au musée de la Photographie de Tokyo, une exposition sur ce sujet, où, aux côtés de films d’autres artistes (tels Lazlo Moholy-Nagy ou Len Lye – le premier étant, au départ, peintre et photographe, le second, écrivain et sculpteur), était particulièrement mis à l’honneur le fascinant travail de Takashi Ishida. Ce jeune vidéaste pratique un abstractionnisme à la fois lyrique et cérébral, nourri de calligraphie, intégrant quelquefois des prises de vue réelles, et utilisant la couleur, le rythme, le son, la poussée et le retrait du dessin en train de se faire puis de se défaire sous nos yeux, pour un résultat véritablement hypnotique.

On peut imaginer une page de bande dessinée abstraite où, à l’intérieur de chaque case, il y aurait du mouvement. Quelques tentatives ont déjà été faites en ce sens, par exemple par la finlandaise Satu Kaikkonen, qui a posté quelques réalisations de son cru sur le blog d’Andrei Molotiu (http://abstractcomics.blogspot.com), en date du 5 novembre 2009. On peut certainement aller beaucoup plus loin, même si la limite qui se présente bientôt est celle des capacités perceptives et cognitives du spectateur. Comment se rendre attentif simultanément à six ou huit images mouvantes, juxtaposées au sein d’un multicadre, à la façon des vignettes d’une bande dessinée ? Car c’est bien de simultanéité, de synchronisme, qu’il s’agit, en lieu et place de la consécution ordonnant la lecture des images, quand elles sont fixes. Naturellement, les animations pourraient être plus ou moins coordonnées, à l’unisson, ou bien, au contraire, jouer des partitions dissonantes. Il me semble qu’il y a là tout un champ d’expérimentation, dont il y a fort à parier qu’il sera investi dans les prochaines années.