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réponses à sept questions sur l’autobiographie

propos recueillis par Thierry Groensteen

[janvier 1996]

A l’occasion d’un dossier de 9e Art sur l’autobiographie, Thierry Groensteen avait interrogé huit auteurs ayant illustré leur vie en bande dessinée. Art Spiegelman était de ceux-là.

Neuvième Art : Pourriez-vous préciser pour quelles raisons vous avez entrepris de réaliser des bandes dessinées à caractère autobiographique : événement d’ordre privé, influence d’un autre auteur, occasion éditoriale...?
Art Spiegelman : Par narcissisme. Égocentrisme. À cause de Justin Green.

Avez-vous eu du mal, au début, à vous représentez vous-même ? La façon dont vous vous dessinez évolue-t-elle avec le temps ? De quelle façon et pourquoi ?
Oui. C’est toujours difficile. Je n’arrive pas à rendre les ressemblances. Au bout de treize ans, j’ai fini par apprendre à dessiner cette tête de souris, mais (soupir), c’était aussi la fin de l’histoire.

Vous est-il plus facile d’évoquer des périodes déjà anciennes de votre existence (enfance, adolescence) ou de travailler en prise directe sur le présent ? Pourquoi ?
Le passé est plus facile à distiller sous forme narrative. Le passé récent et le présent sont plus incohérents, mais j’ai fait aussi bien les deux que ni l’un ni l’autre.

Jusqu’à quel point interprétez-vous la réalité ou, au contraire, cherchez-vous à être exact, c’est-à-dire fidèle aux faits, aux lieux, aux impressions vécues ? Le personnage qui vous représente est-il complètement vous, ou avez-vous « inventé » un personnage de bande dessinée auquel vous auriez seulement prêté quelques traits autobiographiques ?
Je cherche à être exact.

Existe-t-il un « domaine réservé » que vous vous interdisez d’aborder ? Pour quelles raisons (pudeur, crainte de la réaction de vos proches...) ?
La zone interdite est la partie qui m’intéresse. La peur bien sûr est toujours là.

Dans quelle mesure diriez-vous que la pratique de la bande dessinée autobiographique a sur vous des effets cathartiques, voire thérapeutiques ?
Pas du tout. Je ne suis même pas certain qu’une psychothérapie soit thérapeutique.

Selon vous, en quoi les autobiographies dessinées se différencient-elles des autobiographies littéraires et autres écrits intimes ? Est-ce qu’elles disent la même chose autrement, ou est-ce qu’elles permettent d’exprimer certaines choses qui ne pourraient être dites autrement qu’en dessin ?
Toute chose n’existe que par sa forme.
La forme bande dessinée renferme un paradoxe : elle requiert plus de précision et de préparation que la forme littéraire, mais comme l’écriture manuscrite de l’artiste est visible, elle véhicule aussi une plus grande intimité.

Propos recueillis par Thierry Groensteen et parus dans le premier numéro de 9e Art en janvier 1996.

les livres d’Art Spiegelman.