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radioscopie des dessinateurs belges

À l’initiative de SMartBe, Association professionnelle des Métiers de la Création, une vaste enquête a été lancée pour mieux cerner le profil des dessinateurs belges, auteurs de bandes dessinées ou illustrateurs par la jeunesse. Un questionnaire détaillé a été adressé à 604 d’entre eux, dont 421 du côté francophone du pays ; le taux de réponses a été de 45 %, et les résultats de cette enquête viennent d’être rendus publics.

Intitulé Bande dessinée et illustration en Belgique : état des lieux et situation socio-économique du secteur, le document (qui a été principalement rédigé par Pascal Lefèvre et Morgan di Salva, les deux experts associés au projet) s’ouvre par une présentation des acteurs concernés par ce secteur d’activités, et rappelle ce qu’il en est de la politique de soutien conduite et financée par les pouvoirs publics. Une deuxième partie est consacrée au dépouillement des réponses au questionnaire. De ce document précieux et sans précédent, je vais extraire ci-après quelques informations et enseignements – qui ne concerneront que la Belgique francophone.

Commençons par le montant des aides publiques (qui vont à la création, à la diffusion et à la promotion des œuvres) : en 2009, la Communauté française Wallonie-Bruxelles a dépensé 133 000 € pour soutenir la bande dessinée, et 230 000 € pour soutenir l’illustration jeunesse. En ce qui concerne la sélection, parmi les projets soumis par les auteurs ou les éditeurs, de ceux qui méritent d’être aidés, la volonté est explicitement de favoriser la « bande dessinée de création », et celle-ci est définie dans les termes suivants : « le souci d’originalité et de recherche graphique, l’intégrité du discours proposé, l’originalité des thèmes ou encore l’absence de concessions vis-à-vis de contraintes éditoriales, au risque de ne pas plaire à un large public » (pour une définition plus précise des rôles et missions de la Commission BD, voir le site www.lettresetlivre.cfwb.be). Sans surprise, ce sont donc les maisons d’éditions dites indépendantes ou alternatives, telles que Fremok, La 5e Couche et L’Employé du Moi, qui s’adjugent l’essentiel des subventions. Il s’agit bien de subventions, non remboursables, et non d’avances de trésorerie comme celles que consent, en France, le Centre national du Livre.

Le rapport reconnaît que Bruxelles n’est plus la capitale de la bande dessinée qu’elle fut jadis ; pourtant, et même si les trois maisons d’édition « classiques » se sont toutes trois vendues à des groupes étrangers, Casterman, Dupuis et le Lombard figurent bien dans le catalogue des éditeurs, dans la mesure où celui-ci recense tous les « éditeurs francophones implantés en Belgique » et où ces trois maisons historiques y ont, en effet, conservé des bureaux (auxquels il convient d’ajouter ceux de Dargaud Benelux et de Glénat Benelux).

En ce qui concerne les éléments d’information fournis par les dessinateurs, ils éclairent notamment la nécessité où la plupart se trouvent de cumuler des activités multiples pour s’assurer de quoi vivre. Ainsi, 46,6 % des répondants déclarent n’exercer leur activité artistique que de façon intermittente (il est vrai que l’enquête a ciblé, dans une proportion de plus des deux tiers, des artistes qui soit travaillent pour de petits éditeurs, soit s’autoéditent – ils seraient 20 % dans ce cas, ce qui conduit à se demander si les auteurs de fanzines n’ont pas été abusivement amalgamés à une étude censée radiographier le milieu professionnel – soit exercent surtout leur activité dans la presse. Beaucoup sont en début de carrière.

Quant aux sources de revenus complémentaires les plus fréquemment mentionnées, viennent en premier les travaux de commande dans des domaines périphériques (publicité, communication visuelle), puis l’enseignement. Mais nombre de répondants exercent aussi une activité à temps partiel dans un domaine sans le moindre rapport avec le dessin. Et un quart des répondants reconnaissent tirer quelque revenu de la vente de leurs originaux.

Au final, l’enquête révélant que seuls 6 % des répondants ont des revenus supérieurs à 2000 € nets mensuels, et que près de 20 % doivent se débrouiller avec moins de 500 € par mois, elle jette une lumière crue mais nécessaire sur la situation de grande précarité que connaît une partie, hélas croissante, de la profession.

Le dernier enseignement que je retiendrai ici est que 28,2 % des répondants exerçant leur activité dans le domaine de la bande dessinée sont du sexe féminin (la proportion montant, sans surprise, à 61,5 % dans l’illustration jeunesse). C’est sensiblement plus que la proportion d’albums signés d’un nom d’auteure, ce qui laisse supposer que la féminisation en marche de la bande dessinée est une tendance de fond, qui va aller s’accélérant. Ce n’est certes pas moi qui m’en plaindrai, mon engagement de longue date en faveur de ce processus étant connu.

Il va sans dire que l’on se réjouirait de voir lancer une étude comparable sur la situation en France. Peut-être les organisations représentatives des dessinateurs pourraient-elles saisir le ministère de la Culture de cette suggestion ?