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lolitas sous pression

Je rentre d’un séjour au Japon, où j’ai participé à quatre conférences ou discussions publiques en six jours. Le sujet que j’ai développé à la bibliothèque de mangas de l’université Meiji, à Tokyo, m’avait été suggéré par mes hôtes : ils voulaient que je parle de la loi du 16 juillet 1949 et plus généralement de la censure en France, en tant qu’elle concerne les bandes dessinées. Si cette question intéresse tout particulièrement les tokyoïtes, c’est parce qu’elle connaît ici une actualité immédiate.

Une première alerte avait eu lieu dans les années 1990, à la suite du scandale de lycéennes qui vendaient leurs charmes à des hommes d’âge mûr. Les esprits en avaient été marqués et la conséquence avait été, pour les mangas, l’instauration d’un système de labellisation des titres destinés aux adultes, qui jusque-là n’étaient pas signalés comme tels.

Ce qui se passe à présent est que quelques fonctionnaires zélés du service de protection des mineurs de la ville de Tokyo cherchent à faire passer une mesure qui interdirait aux mangakas de représenter, dans des activités sexuelles d’aucune sorte, des personnages mineurs d’âge ou des adultes qui seraient dessinés à la façon de jeunes filles et garçons.

Ikenai ! Runa Sensei, de Sumiko Kamimura - © Kodansha, 1987.

Cette nouvelle disposition a été discutée au conseil municipal en juin dernier, et a été rejetée par trois voix d’écart. Le résultat a surpris, et les partisans du projet, loin de désarmer, vont le soumettre à un nouveau vote en décembre. La période actuelle, entre les deux scrutins, donne lieu à un lobbying actif de la part des partisans et des adversaires de la censure. Nul ne peut prédire si le texte sera adopté, le résultat du prochain vote s’annonçant de toutes façons très serré.

En tout état de cause, la mesure ne serait d’application qu’à l’intérieur de la préfecture de Tokyo, mais il y a lieu de penser que d’autres préfectures lui emboîteraient le pas. Et comme c’est à Tokyo que sont concentrées les grandes maisons d’édition, l’industrie se sent très directement visée. Sur les sites des grands éditeurs de mangas, on est actuellement accueilli par une bannière qui, si l’on clique dessus, donne accès à une protestation circonstanciée contre la censure qui s’annonce.

Je préciserai, pour conclure, que les Japonais entretiennent depuis l’époque de la Seconde Guerre mondiale, une méfiance désormais atavique pour toute forme de censure. Ils ont gardé la mémoire de ces années pendant lesquelles toute manifestation d’une parole ou d’une pensée libre était rigoureusement interdite.