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le chaînon manquant de Mattioli

On pourra trouver le 17 novembre dans toutes les bonnes librairies un essai de ma main sur la parodie dans la bande dessinée (en prélude à une exposition sur le même sujet au musée de la bande dessinée), publié par Skira-Flammarion.

Dans l’un des chapitres, je m’interroge sur la parodie de genre, celle qui vise, non une œuvre en particulier, mais les codes, l’imagerie, les poncifs propre à un genre. C’est dans ce contexte que je m’intéresse notamment à l’œuvre parodique de Massimo Mattioli. Quand Squeak the Mouse parut (en 1984, chez Albin Michel), je me souviens d’avoir été sidéré. L’album mettait en scène, sur le rythme frénétique du slapstick et avec une jubilation communicative, des souris, des chats et des canards engagés dans des activités à caractère sadique ou pornographique. Les codes du genre animalier étaient détournés, mais dans le même temps ceux des films X ou gore (pénétrations en gros plans, sexe de groupe, meurtres sanguinolents, massacres à la tronçonneuse…) subissaient eux aussi un processus de renversement et d’étrangisation, du fait que les protagonistes étaient des funny animals de cartoon. Mattioli approfondit cette veine avec un tome 2 sorti en France huit ans plus tard, puis avec Joe Galaxy, Superwest et d’autres histoires qui ont fait l’objet de recueils à l’Association.

Jusqu’à Squeak the Mouse, Mattioli était surtout connu en France pour M le magicien, série d’humour nonsensique et poétique, au dessin minimaliste, parue dans Pif Gadget de 1968 à 1973. Sans doute, de Pif à Frigidaire, la revue italienne dans laquelle Squeak the Mouse vit le jour, il y a toute la distance entre un illustré pour la jeunesse et un magazine d’avant-garde réservé aux adultes. Cependant, j’ai pu écrire dans mon livre à paraître que l’on « n’attendait pas de l’auteur du poétique M le magicien des déchaînements de sexe et de violence ». Il se trouve que je n’étais pas, naguère, lecteur de Pif, ou très occasionnellement. J’avais donc oublié, si je l’ai jamais su, qu’après M le magicien, Mattioli y publia sporadiquement, mais tout de même pendant de longues années, une autre série, dont le héros était un petit lapin rose, photographe de presse de son état, répondant au nom de Pinky (il y eut 14 épisodes en 1975, 7 en 76, 3 en 77, 6 en 78, 3 en 82, 4 en 83, 9 en 84, 6 en 85, 1 en 87 et un dernier en 1989, soit tout de même un total de cinquante-quatre livraisons). En consultant, ces jours-ci, de vieux numéros de Pif, à la recherche de tout autre chose, je suis tombé sur quelques épisodes de Pinky et il m’est aussitôt apparu que cette série constituait une sorte de chaînon manquant entre M et Squeak.

Ce qui frappe dans Pinky, c’est tout d’abord la rapidité d’une narration qui ne s’autorise aucun temps mort. Le héros est toujours en quête d’un scoop pour son journal, « Le Bavard », et nous le suivons à la trace à travers la ville, où l’aventure est au coin de chaque rue. Mattioli va vite, ses histoires n’ont pas un atome de graisse, les personnages sont hyperexpressifs et l’humour est omniprésent. Les couleurs participent de ce ton joyeux et insouciant : des roses acides, des verts, des bleus, des rouges saturés, d’autant mieux mis en valeur que le fond de la page (marges extérieures et intercases) est noir.

Pinky – extrait de l’épisode paru dans Pif n° 336.

Autant l’univers de M le magicien était un monde clos, autarcique, autant Pinky fourmille de références et de clins d’œil, notamment à la peinture (Pinky enquête sur la disparition d’un « Picachou bleu » ; comprendre : un Picasso de la période bleue), à la bande dessinée, au cinéma et aux contes de fée (on peut croiser Superman, King Kong et le Petit Chaperon rouge dans un même épisode ; cf. Pif n° 339). De plus, le métier de photo-reporter permet à Pinky de radiographier la société ; l’air de rien, Mattioli parle des médias, de la sécurité, de la politique et de beaucoup d’autres choses. Bref, sous couvert d’histoires de petits lapins, il a déjà un pied dans la satire, l’autre dans la parodie, et s’exerce à introduire dans l’image arrêtée la vivacité du cartoon. Il lui suffira, le moment venu, de changer de support pour jeter le masque et épicer son propos.

Pinky fait les beaux jours de l’hebdomadaire Il Giornalino depuis 1973. Un gros recueil de ses aventures a été publié par Mondadori en 2006. Il est regrettable qu’il ne bénéficie pas d’album en France. Ses aventures restent délectables, et constituent tout de même l’œuvre à laquelle Mattioli aura consacré l’essentiel de sa carrière.