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instantanés d’Erlangen (2) : de quelques expositions

En même temps que les soixante ans des Peanuts, le Salon d’Erlangen célébrait le personnage de Mecki, parvenu au même âge et même un tout petit peu plus. Le nom de Mecki ne vous dit rien ? Il y a fort à parier que vous avez déjà été exposé à ce sympathique hérisson, sous la forme d’une illustration ou d’une peluche. Sa silhouette nous est familière, même si ses aventures n’ont jamais été traduites sur notre sol. Il est à peu près aussi populaire en Allemagne que Rupert Bear peut l’être en Angleterre.

Mecki est apparu en 1949 comme mascotte de l’hebdomadaire Hör zu, qui deviendra le grand magazine de télévision du groupe Springer. Il se transforma en personnage de bande dessinée deux ans plus tard, sous le crayon de Reinhold Escher. Chaque année, à l’approche de Noël, des livres illustrés lui seront consacrés, et il fera aussi carrière sur les écrans. Escher ne suffisant pas à la tâche, un deuxième dessinateur, Wilhelm Petersen, alternera avec lui jusqu’en 1969 (un troisième, Heinz Ludvig, venant en renfort pendant quelques années). Ce n’est qu’en 1970 que la formule des vignettes légendées est abandonnée et que Mecki devient une BD à bulles.

Tout cela était évoqué dans une exposition très complète (plus de 200 originaux), proposée par le Wilhelm-Buch-Museum de Hanovre. Le monde de Mecki m’y est apparu assez pittoresque, et creusant agréablement sa propre voie, à distance de l’hégémonie disneyenne sur tout le genre animalier. Dans ses meilleurs moments, Escher n’était pas dépourvu d’une verve à la Dubout. Malheureusement la plupart des épisodes sont gâtés par des couleurs affreuses. De ce fait, les plus beaux originaux étaient incontestablement ceux, en noir, blanc et sépia, de la première grande aventure à suivre de Mecki le hérisson, en 1953-54.

La profession de scénariste n’est pas très fermement établie dans le petit monde de la BD allemande. On chercherait vainement un seul nom qui puisse rivaliser avec nos Van Hamme, Christin, Giroud, Lapière, Arleston, Cauvin, Jodorowsky, quant à la notoriété et au nombre des collaborations. C’est dire si les ambitions de Peer Meter n’y passent pas inaperçues. À cinquante-quatre ans, et vingt ans après une première expérience ponctuelle dans ce domaine, l’écrivain fait une entrée fracassante dans l’univers des bulles en menant six projets de front, avec autant de dessinateurs (plus exactement avec un dessinateur et cinq dessinatrices). L’ensemble de ces œuvres étaient présentées côté à côte à Erlangen, sous la forme d’une grande et passionnante exposition. Pour l’heure, seul un des six albums a été publié : Gift, illustré par Barbara Yelin (en français : L’Empoisonneuse). 2010 verra encore la parution de deux autres histoires de tueur en série, Haarmann, dessiné par Isabel Kreitz (dont Casterman a publié il y a peu L’Espion de Staline), et Vasmers Bruder, illustré par David von Bassewitz. À cette trilogie succéderont en 2011 trois autres albums, dont les protagonistes seront des enfants (citons les trois dessinatrices : Nicola Maier-Reimer, Julia Briemle et Gerda Raidt). Peer Meter n’a pas l’intention d’en rester là, et mûrit déjà d’autres projets. Il sera peut-être le premier grand scénariste d’outre-Rhin.

Une page de Vasmers Bruder, par David von Bassewitz.

Un mot encore de l’exposition sur le newspaper strip américain concoctée par Alexander Braun, qui avait déjà été montrée en 2008 au musée Huelsmann de Bielefeld. Elle rassemblait une grande quantité de planches originales de premier ordre, où voisinaient des auteurs tels que Caniff, Hogarth, Gould ou encore Walt Kelly, ce dernier particulièrement bien représenté. Les pionniers comme McCay ou Feininger étaient, pour leur part, évoqués par des pages imprimées provenant des journaux d’époque. Ce genre d’exposition est un véritable régal pour l’amateur. Mais comment s’accommoder d’un catalogue (Jahrhundert der Comics – Die Zeitungs-Strip-Jahre, 246 pages, 335 reproductions) qui se présente comme un ouvrage de référence sur l’histoire du comic strip alors qu’il ne reflète que les préférences de l’auteur, telles qu’elles s’incarnent dans sa collection personnelle ? Je suis ravi que Charles Forbell soit surreprésenté (Chris Ware le cite parmi ses influences majeures, même si son unique strip, Naughty Pete, ne connut qu’une existence éphémère, en 1913) mais je ne peux tout de même pas accepter que ce soit au détriment de Harold Gray, de Frank King, de Segar et de Schulz, ni comprendre que la création contemporaine soit représentée par le seul Tony Millionaire ! Il me semble que l’on peut parler de tromperie sur la marchandise, et qu’un tel livre, pour superbe qu’il soit, est trop partiel et partial pour offrir les services que le lecteur en attend.