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souvenirs sur Henri Van Lier (1)

Le nom d’Henri Van Lier n’est pas très familier aux amateurs de bande dessinée. Pour le très petit monde de ce qu’Harry Morgan appelle la « stripologie », Van Lier reste surtout l’auteur d’un texte paru dans le volume Bande dessinée, récit et modernité (Futuropolis - CNBDI, 1988), qui réunissait les actes du colloque que j’avais organisé au Centre culturel international de Cerisy l’année précédente. Il y proposait un concept de son cru, celui de « multicadre », pour décrire l’architecture de la page de bande dessinée. Rapidement repris par Benoît Peeters, Jan Baetens et moi-même, le mot devait passer dans l’usage.

Henri Van Lier à Cerisy, en présence de la délégation du Centre belge de la bande dessinée (Guy Dessicy et son épouse ; à l’arrière-plan, Michel Leloup).

S’il s’intéressait particulièrement à Hergé (il faut relire cet autre texte magnifique, « Tintin ou la collecte du monde », dans Le Musée imaginaire de Tintin) ainsi qu’à McCay, Moebius ou encore Masse, Van Lier n’aura que peu écrit sur la bande dessinée. En revanche, il laisse – pour m’en tenir aux arts visuels – deux livres fondamentaux sur la photographie (Philosophie de la photographie et Histoire photographique de la photographie), de nombreux articles de l’Encyclopedia Universalis ainsi qu’un manuel, Les Arts de l’espace, déjà ancien mais toujours éclairant, que je me plaisais encore à citer, l’année dernière, dans La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres (voir p. 329).

Né à Rio de Janeiro en 1921, docteur en philosophie, Henri Van Lier a longtemps enseigné la sémiologie à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) de Louvain-la-Neuve. Je n’eus pas la chance de compter parmi ses étudiants, mais la première fois que, encore adolescent, je l’entendis, à l’occasion d’une conférence du cycle « Jeunesse et Arts plastiques », au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, je fus ébloui, ensorcelé par son verbe étincelant.
Sa communication orale, pendant la décade de Cerisy, laissa, elle aussi, de très vifs souvenirs à tous ceux qui y assistèrent. Et beaucoup se demandèrent d’où sortait donc ce géant ébouriffé qui faisait des moulinets de ses grands bras, citait D’Arcy Thompson et récitait Dante dans le texte avant de chanter Mozart a cappella, sans jamais perdre, au milieu de toutes ces digressions, le fil d’un discours constamment neuf, suggestif, jubilatoire ?

Henri Van Lier croqué par Harry Morgan, pendant le colloque de Cerisy.

Henri Van Lier est mort il y a un an, le 28 avril 2009.

Après avoir réédité ses deux livres sur la photographie, Les Impressions nouvelles se préparent à publier l’œuvre à laquelle il aura consacré toutes ses forces dans les vingt dernières années de sa vie, Anthropogénie, vaste récit du devenir de l’homme, s’appuyant sur un éventail de connaissances extraordinairement vaste et divers. Un volume de 1040 pages, dont une dizaine consacrées à la bande dessinée, ce qui, dans un système philosophico-scientifique à vocation totalisante, est en soi assez extraordinaire.

Sur le site de l’éditeur (www.lesimpressionsnouvelles.com), on peut lire plusieurs textes d’hommage à cet homme exceptionnel, dont Benoît Peeters écrit très justement : « S’il avait été Français, Van Lier aurait sans doute la réputation d’un Michel Serres ou d’un René Girard. Mais Belge, il est resté dans l’ombre, particulièrement en Belgique. Il semblait d’ailleurs ne pas s’en porter plus mal. » Un hommage lui sera rendu après-demain, jeudi 15, sous la forme d’une après-midi complète de rencontres et de témoignages, au siège de la Délégation générale Wallonie-Bruxelles, 274 boulevard Saint-Germain, à Paris. Il me tenait à cœur de dire ici combien la rencontre d’Henri Van Lier, puis son amitié, furent parmi les grands bonheurs de mon existence.

(à suivre…)