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gai-luron : masques et jeux de rôles

Peter Tischer

[janvier 1996]

Si Gai-Luron appartient à la période d’apprentissage de Gotlib, dès cette époque se mettent en place les thèmes et les procédés qui feront la gloire de l’auteur de La Rubrique-à Brac. Les gags présentés par le chien flegmatique furent aussi un formidable laboratoire d’effets comiques, dont l’examen attentif débouche ici sur une réflexion plus générale à propos des ressorts de la bande dessinée humoristique.


Gai-Luron ou Guillaume Tell ?


La première page de la première série de bande dessinée de Gotlib fut publiée en septembre 1962 dans le numéro 906 de l’hebdomadaire Vaillant sous le titre Nanar et Jujube. [1] Autodidacte, Gotlib considère l’époque durant laquelle il dessina cette série comme ses années d’apprentissage : « J’apprenais la technique. Il n’était pas question pour moi de me mettre à raconter ma petite histoire personnelle, comme je l’ai fait par la suite. Je voulais seulement assimiler les rudiments techniques, aussi bien sur le plan dessin que sur le plan du scénario, du gag. » [2] » Nanar et Jujube raconte les aventures d’un petit garçon et de son renard. Ce thème permet au jeune dessinateur d’introduire beaucoup de personnages différents ; parmi eux figurera le chien Gai-Luron. Ce quadrupède, qui ne semble pas du tout drôle, entre en scène le 12 juillet 1964. Il devient peu après le personnage principal de la série, qui portera bientôt son nom et sera fortement marquée par son caractère. Les personnages humains disparaissent, seul le renard jujube reste comme deuxième protagoniste de la série.

Après trois ans de travail pour Vaillant, Gotlib se fait engager au journal Pilote, mais continue à dessiner Gai-Luron quelques années encore. C’est seulement en 1970 que Henri Dufranne, qui assiste Gotlib depuis 1968, reprend la série, mais sans grand succès. [3] (...) Considérée dans sa totalité, l’œuvre de Gotlib comprend aussi bien des séries avec un personnage central revenant régulièrement (Gai-Luron, Hamster Jovial, Pervers Pépère), que des séries renonçant à cette caractéristique : Les Dingodossiers (avec René Goscinny), La Rubrique-à-Brac, les Rhââ Lovely et Rhâ-Gnagna. La série Gai-Luron traite déjà à fond de nombreux sujets typiques des travaux ultérieurs : conscience de soi et identité, fiction et réalité, conventions artistiques et processus de création. Ces deux derniers thèmes font de Gai-Luron une série qui annonce la nouvelle bande dessinée française. En effet, à la fin des années soixante, celle-ci affine et développe de plus en plus nettement ses possibilités d’expression, répondant ainsi à un public d’adultes plus exigeant, et échappant à une réputation de pur divertissement pour jeune public.

Gai-Lurzan


Lors de sa première publication dans Vaillant, Gai-Luron a d’abord été lu par les enfants. Aujourd’hui pourtant, les mêmes gags trouvent leurs lecteurs parmi les adultes, qui s’en procurent les recueils aux éditions Audie. Contrairement aux gags de Gaston, les épisodes de Gai-Luron ne sont pas parus en album dans l’ordre de leur création, Marcel Gotlib a préféré publier les aventures de son chien de façon thématique. La numérotation des gags renseigne sur l’époque de leur création. Les épisodes ne commencent pas par le numéro 1, mais portent le numéro de Vaillant dans lequel ils ont été publiés [4] . On ne sait pas très précisément à quel moment Dufranne a repris Gai-Luron. En tout cas, on peut parler d’une collaboration des deux auteurs entre 1968 et 1970, période durant laquelle la participation de Dufranne s’est accrue. (...) [5]

Du chien paresseux au quadrupède sans qualités

Gai-Luron chien paresseux ?


Ce qui frappe en premier lieu dans le personnage de Gai-Luron est son expression de visage mi-fatiguée, mi-ennuyée. Ainsi, dans le premier album, le héros ne sourit que dans deux gags. Dans une préface plutôt humoristique, l’auteur définit ainsi son personnage : « Il paraît triste mais ce n’est que de l’indifférence. Il parle peu mais n’en pense pas plus. (...) C’est un « grand calme » en apparence ... Or - et c’est là où se trompe l’ennemi - c’est vraiment un grand calme ». Gotlib sous-évalue volontairement le tempérament du chien ; celui-ci n’est pas « calme » mais flegmatique. De nombreux gags dans la première période de la série naissent de cette caractéristique, de la confrontation entre la fatigue et la paresse de Gai-Luron et le dynamisme pétulant du renard Jujube, le héros initial de la série. Il arrive souvent que Jujube, avec son grand besoin d’activité, ait le dessous face à son ami.

Un épisode typique, de ce point de vue, est celui où Gai-Luron parcourt entre neuf heures et neuf heures et demie toutes les étapes habituelles du réveillon de la Saint-Sylvestre, y compris le toast du nouvel an, tout en demandant à son ami ahuri de ne pas le réveiller trop tôt après cette nuit d’ivresse. Une autre fois, Jujube lui fait prendre un excitant qui a pour seul effet que Gai-Luron remuera la queue dans son sommeil. Il est également trop fainéant pour les nombreux jeux que Jujube veut lui apprendre. En revanche, il remporte un championnat inventé par lui-même : « Il s’agit de penser fortement à des moutons qui sautent une barrière. Ensuite il faut les compter à haute voix. Celui qui s’endort le plus vite a gagné. » Comme l’indiquent suffisamment ces exemples, les deux protagonistes n’ont qu’un attribut chacun : la lassitude excessive ou la suractivité. Au début, l’humour de la série repose seulement sur cette opposition. Ce duo de héros ressemble alors à celui que forment Gaston et Fantasio. Mais ce sont seulement les gags clownesques de Franquin parmi les plus anciens que l’on peut comparer avec le travail de Gotlib, car contrairement au dessinateur belge, Gotlib n’inclut jamais ses personnages dans un univers « réel ».

Droopy, le héros placide de Tex Avery


Comme les héros d’une fable, Gai-Luron et Jujube vivent dans un espace non défini, proche de la nature, et ce contexte n’a guère d’influence sur l’action. Il est vrai qu’il existe une certaine ressemblance entre Gai-Luron et Gaston, Franquin étant un modèle pour Gotlib. Mais Gai-Luron doit davantage à Droopy, personnage de Tex Avery, le réalisateur américain de dessins animés. La ressemblance graphique entre les deux chiens est d’ailleurs évidente. [6] La parenté va au-delà de l’apparence extérieure : Gai-Luron et Droopy sont des héros assez analogues, l’immobilité du personnage principal étant aussi le motif central dans les dessins animés. Dans Dumb Hounded (1943), on peut voir le chien de Tex Avery confronté à un adversaire aussi excité que Jujube, un loup évadé de prison. Pendant sa fugue, le loup monte successivement dans une voiture, un train, un bateau, un avion et à cheval, traverse en quelques secondes toute l’Amérique et fait même un crochet au Pôle nord, pour constater à chaque fois que Droopy est déjà arrivé avant lui. Pourtant Droopy semble ne jamais bouger ; son calme stoïque et son expression de visage impassible rendent fou son adversaire. Gai-Luron ne fait rien d’autre avec, Jujube. Mais contrairement à Tex Avery, Gotlib n’a pas l’audace de pousser à l’extrême le paradoxe absurde d’un héros triomphant grâce à sa passivité. (...)

Un motif aussi simple ne peut être reconduit indéfiniment sans lasser le lecteur. Pour cette raison, Gotlib va renoncer de plus en plus au thème caractéristique de la paresse. Désormais, ce sont les différents rôles que va prendre le héros qui deviendront source d’humour. Mais pour cette évolution même, c’est peut-être encore Droopy qui sert de modèle. Car Droopy est, malgré sa paresse, un personnage aux talents multiples. Il se présente dans les seize films réalisés par Tex Avery, entre autres, comme shériff, torero, scout, domestique ou fan de jazz. De même, Gai-Luron va multiplier les métamorphoses. Dans le premier album, on peut déjà l’admirer en Père Noël et en cuisinier. D’autres gags nous le montreront par exemple en astronaute, gentleman mondain, ou peintre.
Ce ne sont pas seulement les activités variées du personnage qui sont remarquables, mais le manque total de signe particulier du héros : l’expression quasi impassible de son visage s’oppose comme en contrepoint à la spécificité de chacun des emplois. Gai-Luron change constamment de personnalité.

S’il n’a pas peur de l’espace en tant qu’astronaute, lorsqu’il s’agit de nager, il choisit, par prudence, de mettre un scaphandre. Terriblement timide face à l’autre sexe, il n’en est pas moins capable, après avoir été dédaigné par l’élue de son cœur, de lui jeter un bouquet de fleurs au visage. Dans quelques épisodes, Gai-Luron semble très intelligent, tandis que dans d’autres gags sa capacité mentale paraît très modeste. C’est ainsi qu’il s’obstine à essayer de franchir un portail fermé, qu’il pourrait parfaitement contourner. Dans un autre gag, il prend du hongrois pour de l’anglais parlé avec un accent africain. En revanche, il se montre très malin lorsqu’il s’agit de faire à son ami un poisson d’avril. Et, pour ne plus avoir à entendre les plaintes du renard dépressif, il aura l’idée de construire un personnage en bois à qui Jujube, leurré, confiera ses soucis [7].

Quant à l’habileté manuelle de Gai-Luron, elle n’apparaît pas non plus de façon cohérente. Dans un épisode, il arrive facilement à attraper un chien avec une laisse. Une autre fois, il s’emmêle désespérément dans une ligne de canne à pêche. Enfin, le caractère de Jujube varie, lui aussi, selon les besoins du gag. Par exemple, Gotlib remplace quelquefois la soif d’activité de son personnage par un comportement flegmatique. Les personnalités des deux héros se rejoignent alors. Mais ils n’empruntent pas les spécificités de l’autre, ils se vident plutôt du peu de caractéristiques qu’ils ont. Ils peuvent l’un et l’autre incarner chaque type de personnage. Ils sont interchangeables ; leurs intérêts, leurs conduites et leurs problèmes évoluent et, n’étant plus typés, ils ne sont plus prévisibles. (...)

Les parodies, ou Gai-Luron à contre-emploi

Gotlib se sert très tôt de la grande faculté d’adaptation de ses personnages pour leur faire jouer des scènes ou des situations de conflit qui ont été inventées par d’autres auteurs. A partir de 1966, au lieu d’imaginer de simples épisodes humoristiques, l’auteur utilise Gai-Luron de plus en plus souvent comme véhicule de satires littéraires. Dans la bande dessinée, le gag est une forme brève. Des genres comme la fable ou le conte, aux structures semblables, ou encore des scènes célèbres extraites d’œuvres plus longues, s’offrent naturellement à la dérision de Gotlib. Dans de nombreuses parodies, qui restent souvent proches de l’original le personnage principal de la série se présente en héros rattrapé par son vice congénital, la paresse.

Prince Gai-Luron


Ainsi, dans la version gotlibienne de la belle au bois dormant, c’est le chien qui incarne le prince. Perrault le décrivait comme un chasseur jeune et courageux. Le texte off de Gotlib présente « Prince Gai-Luron » sous un jour encore plus positif, mais le Gai-Luron représenté dans les images est beaucoup moins adroit et tombe de cheval lors d’une chasse. La princesse chez Perrault est d’une beauté renommée, tandis qu’elle s’avère ici très laide, si bien que le héros préfère s’endormir à son tour. Dans un autre gag, Gai-Luron joue la laitière dans la fable de La Fontaine Perrette et le pot au lait. On s’attendrait à ce que, chez Gotlib, le pot de lait n’arrive pas jusqu’en ville, parce que Gai-Luron trébucherait en s’abandonnant à sa rêverie quotidienne. En fait, l’auteur conduit le rêve de Perrette jusqu’au bout : la réussite commerciale est totale, Gai-Luron devient directeur d’un grand groupe laitier, mais, accablé de travail, il rapporte alors le lait à Jujube et explique : « C’est vraiment trop de boulot pour moi. »

Dans une parodie de la scène du balcon de Cyrano de Bergerac, c’est encore la paresse qui fait échouer Gai-Luron. Gotlib se souvient donc du vieil attribut de son personnage, lorsqu’il s’en sert aux fins de parodier des héros traditionnels. Un héros n’est-il pas généralement défini par son dynamisme ? Gai-Luron, prisonnier de sa passivité, se révèle aux antipodes d’un héros traditionnel : il s’agit d’un contre-emploi. (...) Toutefois, même dans les parodies, Gai-Luron et Jujube n’ont pas toujours le même comportement. Dans Gai-Luron de la Manche, le chien ne se montre pas fainéant, mais an contraire plein d’élan et d’esprit chevaleresque. Il n’est trompé que par sa courte vue. Pendant ce temps, son compagnon fidèle Jujube-Pança commente les actions de son maître avec un air discret et plutôt ennuyé. Gotlib prend donc la liberté de modifier les qualités et les aptitudes de ses personnages en fonction du scénario que lui inspire chaque parodie. Cela apparaît aussi dans trois épisodes qui parodient de manière différente les aventures de Tarzan.
Dans ces divers gags de « Gai-Lurzan », le chien tient le rôle du seigneur de la jungle, et Jujube celui d’un aventurier en danger dans la forêt vierge (...), mais leur comportement varie. La seule constante est qu’ils ne respectent pas les « clichés » des rôles qu’ils incarnent, et « déçoivent » donc les attentes traditionnelles du lecteur.

Gai-Lurzan, la parodie de Tarzan


Dans une série comme Canardo, de Sokal, le genre détourné et parodié (en l’occurrence : le récit policier) inspire d’amples récits, au déroulement relativement lent, qui permettent à la satire de s’appliquer à toutes les caractéristiques du genre. Gai-Luron, lui, se trouve à chaque parodie plongé dans un nouvel environnement, introduit dans un lieu servant de décor stéréotypé. Ce qui s’y passe est souvent extrêmement comique, mais on ne peut ignorer par quels moyens ce comique a été atteint. A l’intérieur de ce système, Gotlib ne peut se moquer que de quelques aspects particuliers, et ne peut développer un personnage véritablement vivant. (...) Gai-Luron a toujours la même apparence, pourtant il n’est jamais le même. Peut-être Gotlib se laisse-t-il guider par la conviction que ce genre de bande dessinée « à gags » ayant besoin d’une nouvelle chute comique chaque semaine, il faut renoncer à préciser la personnalité des personnages.

Gai-Luron se glisse de semaine en semaine dans de nouveaux rôles et costumes ; il n’est qu’un interprète, ou plus justement - l’expression anglaise recouvrant une plus large palette d’artistes - un perfomer.

Le jeune lecteur du Var

Pour mieux cerner le fil rouge traversant les gags de Gai-Luron, qui semblent s’enchaîner sans liaison, il faut revenir à la seule particularité constante du protagoniste : l’expression invariable de son visage. Tentons d’interpréter cette mimique impassible d’une manière symbolique. Un visage qui ne change pas est un masque. Alain Degru décrit le personnage de la manière suivante : « Dans la forme, Gai-Luron n’est qu’un masque. Prenez son image. Inscrivez dessous les sentiments les plus variés, les plus intenses que peut connaître un individu : enthousiaste, triste, écœuré, ému, passionné, affolé, gai. Vous avez le portrait de Gai-Luron. C’est un bloc inébranlable. » [8] »

Où Gai-Luron manifeste qu’il est conscient de se
produire devant des lecteurs


Cette interprétation peut être menée plus loin. Si Gai-Luron est porteur d’un masque, c’est qu’il sait que quelqu’un l’observe et pourquoi. La nouveauté du héros de Gotlib est la conscience qu’il a de sa fonction et de son rôle. Gai-Luron « SAIT aussi qu’il n’est qu’un personnage de bande dessinée ». (...) En fait, les deux « acteurs » principaux savent qu’ils ne font que jouer leurs divers rôles ; et qu’ils se trouvent face à un lecteur attendant chaque semaine quelque chose de nouveau. Rien de très étonnant, dès lors, à ce qu’ils adressent directement la parole au lecteur. Adresser la parole au lecteur est une nouveauté plus radicale que ce que l’on peut soupçonner de prime abord. L’image n’a pas, en effet, de narrateur ; elle n’a pas recours à un code symbolique (le langage), son « discours » ne se révèle pas tout de suite comme quelque chose de créé par une personne définie. (...) C’est pourquoi, dans la bande dessinée, il parait presque irréalisable de déléguer la fonction de narration à un personnage impliqué dans l’action.

Où Jujube manifeste qu’il est conscient de se
produire devant le lecteur


Seul le commentaire off peut établir de façon conséquente l’idée d’une personne agissant dans l’histoire, (l’album de Canardo La Cadillac en fournit un exemple.) Exprimer le point de vue subjectif d’un personnage en image semble presque impossible, en raison de l’absence d’un narrateur explicite. En d’autres termes, le dessinateur ne peut pas dessiner le Moi. L’image repose sur une perspective optique. Il serait donc théoriquement possible de présenter l’action du point de vue
d’un personnage, en dessinant à chaque vignette que voit ce héros-narrateur. Quelques dessinateurs utilisent cette technique de temps en temps. Mais elle est rarement maintenue, pendant une longue histoire, car une perspective rigoureusement subjective réduit d’une manière considérable les possibilités d’expression et les moyens stylistiques s’offrant au dessinateur.

Une difficulté encore plus importante est que le héros narrateur ne peut pas être lui-même représenté dans l’image (sauf à la rigueur dans un miroir). Ses propres actions sont donc difficilement communicables.

Cependant, la bande dessinée dispose d’une autre procédure qui lui permet de communiquer l’action du point de vue d’un personnage participant. Cette possibilité se fonde sur le fait que la narration est un acte de communication, consciemment tourné vers un public. Dans un texte littéraire, le « Je » du narrateur s’adresse, implicitement ou explicitement, à un récepteur. La représentation iconique de cette circonstance est le regard du personnage dirigé vers le lecteur. Par regard, un personnage manifeste qu’il est conscient de la présence du lecteur. Il peut dès lors monologuer et endosser la place d’un « Je » narrateur par le texte et l’image, Gai-Luron - pour en revenir à lui - parle de lui-même et de ses expériences à la première personne du singulier ; la position du personnage et la direction de son regard sont l’expression iconique de ce mode de narration.

Gai-Luron et Jujube amis ou ennemis ?


Le monologue ne dure pas longtemps, Gotlib simulant bientôt un dialogue entre les personnages et leurs lecteurs, dialogue qui passera par les réponses de Gai-Luron et de Jujube au courrier qui leur est adressé. Cette idée inspire à Gotlib de très nombreux gags. Tout d’abord, les personnages essaient d’ignorer la reconnaissance insuffisante dont bénéficie la série, mais ils doivent se rendre à l’évidence : ne leur parviennent que des lettres du Jean-Pierre Liégeois [9] . Ils tentent alors - avec un succès pour le moins mitigé - de répondre aux nombreuses questions de leur unique fan. Ce jeune lecteur n’existe pas, bien sûr, mais contrairement aux animaux parlants, il pourrait exister et les vrais lecteurs peuvent le ressentir comme leur représentant. (D’autant plus qu’il arrive que des enfants traitent les personnages de bande dessinée comme des personnes existantes et leur écrivent des lettres.)

<br

Réponse de Gotlib à un lecteur


La fréquence des épisodes dans lesquels Gai-Luron et Jujube reçoivent du courrier a bientôt pour effet que, même lorsqu’ils ne s’adressent pas directement à Jean-Pierre Liégeois ou plus généralement au lecteur supposé, l’impression prévaut que les personnages agissent comme s’ils tenaient compte de la présence du public. Ce sentiment est renforcé par les nombreux cadrages de face, et par les commentaires des héros qui doivent être interprétés comme des apartés, n’étant qu’indirectement liés à l’action. Ainsi le lecteur est introduit dans l’histoire. On lui donne la position d’un spectateur face à quelque chose se situant sur une scène. Quoi que fassent les protagonistes, leurs actions comportent désormais un message : Gai-Luron ne vit rien, il démontre quelque chose.

Pour le chien, cette fonction devient vite une obsession. Même dans quelques épisodes où Gai-Luron ne s’occupe apparemment pas du tout du lecteur, il ne peut peut s’empêcher d’être encore « en représentation ». Il fait une farce à Jujube en se déguisant en chanteur pop ou en personnage de bande dessinée ; ou il s’imagine dans ses rêves en animateur vedette. Pour son malheur, il ne réussit que rarement, et ne semble que moyennement doué. Son visage, impassible comme un masque, en est la raison. Il est vrai que Gai-Luron est un performer auquel aucun domaine n’est étranger. Il sera le cuisinier qui montre à la télé comment on casse les œufs, le sportif qui démontre comment on lance un boomerang, l’acteur qui rejoue une scène d’amour classique. Mais il n’est pas capable de s’adapter à ses rôles. C’est un artiste médiocre, qui ne peut jamais cacher complètement sa singularité. Ses rôles peuvent changer, sa mimique reste identique.

Jujube avant et après son opération
de chirurgie esthétique.
Remarquer la souris elle aussi relookée


Gai-Luron n’est donc pas un grand performer. Malgré tout, il lui semble important de faire une bonne impression sur le lecteur. La vanité et le narcissisme sont des caractéristiques typiques des personnages de Gotlib, et dans le cas de Gai-Luron ils sont pleinement justifiés du point de vue du comique. C’est toujours drôle de voir un vaniteux échouer dans ses entreprises, mais le lecteur ne rit pas seulement de la malchance de Gai-Luron, il s’amuse aussi du fait qu’une représentation qui lui était destinée a raté. Dans leur étude sur l’œuvre de Gotlib, Philippe Marion et Chantale Anciaux constatent que la relation avec les arts de la représentation est une constante chez cet auteur « Le spectacle : cette thématique générale semble aimanter une grande partie du mouvement parodique gotlibien, au-delà des utilisations ponctuelles d’œuvres ou de genres narratifs particuliers (le récit policier, la science-fiction) » [10]. Nous l’avons constaté, Gotlib avait déjà adopté cette thématique au milieu des années soixante. Il suffira de moins d’une année à son premier héros important pour, de simple personnage comique, devenir un animateur vedette. Cela aura des conséquences. La représentation scénique, le masque, les talents multiples sont des concepts qui ne décrivent pas seulement Gai-Luron, mais l’essence même d’un personnage de bande dessinée. Dans la mesure où les gags de Gotlib tiennent compte explicitement de la présence d’un récepteur et où le protagoniste est devenu un performer conscient de son rôle et faisant beaucoup d’effort, la communication « littéraire » devient un enjeu central de l’œuvre, à côté des péripéties qui en occupent la surface.

À travers son héros, Gotlib expose les caractéristiques les plus importantes d’un personnage de gag. Le héros d’une bande dessinée humoristique a le devoir d’être à la disposition de son lecteur, et cela d’une manière amusante et variée. Mais, contrairement au lecteur, Gai-Luron n’existe pas réellement (pas plus que les vedettes des autres BD), il n’est qu’un personnage graphique, une illusion, un fantôme. C’est le personnage entier, et pas seulement son visage, qui est un masque. (...)

Les amuseurs face au rédacteur en chef de Vaillant


L’inaptitude de Gai-Luron en tant qu’artiste ou brillant animateur est particulièrement mise en évidence par le fait que les gags se succèdent d’une façon aléatoire, sans répondre à une logique dramatique interne de la série. Les artifices de la bande dessinée sont soulignés par les incessants changements de décor et de rôle, qui rappellent continuellement au lecteur que tout cela est simplement une tentative pour lui présenter quelque chose. Les gags de Gai-Luron s’enchaînent arbitrairement, en une suite incohérente et aléatoire, et le personnage en vient à personnifier l’impossibilité de la représentation, son nécessaire échec. L’ironie qui s’attache aux faiblesses de Gai-Luron n’est pas tournée seulement contre lui-même, elle vise le processus de création artistique d’une manière générale. En ce sens, la bande dessinée de Gotlib est une « Meta-BD ». (...)

À travers le personnage de Jujube, Gotlib aborde une autre problématique artistique. Dans quelques gags reliés entre eux, durant lesquels Jujube se soumet à une opération de chirurgie esthétique, l’auteur démontre que le succès d’un héros de bande dessinée dépend aussi de son apparence, et donc de sa réalisation graphique par l’artiste. L’intervention chirurgicale change l’apparence du second d’une manière considérable, ce qui a pour effet que le lecteur s’intéresse dès lors plus au comparse qu’au héros de la série. En comparant le personnage de Jujube avant et après l’intervention, le lecteur comprend mieux l’évolution du trait du dessinateur. Les premiers gags étaient dessiné de façon encore relativement réaliste, mais, avec une assurance croissante, Gotlib a évolué vers la stylisation de ses personnages. (…)

Gai-Luron face à Gotlib

Gotlib face à Gai-Luron


Les bandes dessinées sont certes des œuvres d’art, mais également des produits destinés à être vendus à un lectorat le plus large possible. À partir de 1967, Gotlib intègre ostensiblement cette dimension dans Gai-Luron. En la personne du rédacteur en chef de Vaillant, il met en scène un nouveau personnage, qui prend une influence considérable sur la réalisation de la série, et qui se laisse guider d’une façon primaire par des raisonnements commerciaux. Conformément à sa fonction, ce rédacteur en chef fictionnel veille en effet à ce que les différentes séries de son journal répondent aux attentes du lectorat. Dans le cas d’une bande dessinée « à gags », cela signifie que l’effet comique doit faire mouche. Des conflits répétés naissent entre Gai-Luron et lui, quand le rédacteur critique le comportement du héros trop capricieux. Gai-Luron doit souvent encaisser ses reproches et prendre la porte. C’est en vérité une présentation synthétique des éternels conflits entre auteur et éditeur que Gotlib nous propose. Le « produit » est ici critiqué directement à la place du créateur ; dans la réalité, ce serait l’artiste qui serait blâmé. D’ailleurs, les conflits entre Gotlib et la direction de Vaillant n’étaient pas rares : « On visait en priorité la distraction des enfants, rien de plus. Qu’un type ait du talent et le besoin de s’affirmer, cela importait peu. Combien de fois Marcel a-t-il entendu "Attention ! Vous oubliez que vous vous adressez à tels ou tels lecteurs", ou : "Les lecteurs ne vont pas comprendre ça ! ", ou “Vous allez traumatiser les lecteurs !” » [11]

Le personnage du rédacteur en chef représente les impératifs commerciaux que l’auteur d’une bande dessinée doit nécessairement prendre en considération lors de la réalisation d’une série pour un journal, et qu’il doit même faire siens, s’il ne veut pas provoquer toujours de nouveaux conflits avec son employeur. En ce sens, on peut dire qu’il représente l’une de ces nombreuses présences en miroir dans l’œuvre de Gotlib, qui ont été soulignées par Philippe Marion. [12] Le rédacteur en chef incarne les limites de la créativité de l’auteur, Gai-Luron également incarne une partie de Gotlib, à savoir son goût de la notoriété, son côté showman, Marion le relève : « ...ces multiples manifestations du narcissisme des personnages renvoient inévitablement au narcissisme de leur créateur, dont ils ne seraient que la métaphore ou le prolongement. En bref, comme le dit Gotlib, Gai-Luron c’est lui ! »

Gai-Luron bondit hors de l’encrier
pour se trouver face à son créateur


Conséquence logique de l’autoreprésentation de l’auteur à travers ses personnages : il finit par s’introduire lui-même dans son œuvre. Cette idée, de se transformer soi-même en personnage de bande dessinée, provient peut-être du journal satirique américain Mad, fondé par Harvey Kurtzman, journal que Gotlib connaissait bien : « Dans Mad, le trio Elder-Davis-Wood, avec une petite préférence pour Wood, je me suis enthousiasmé !, .. Et je crois qu’ils m’ont réellement influencé. (...) Je dirais même plus, non seulement sur le plan dessinateur mais sur le plan scénario également j’ai été influencé par Kurtzman, Harvey Kurtzman, par sa façon de raconter des histoires, par son style de gags qui pour moi répondait tout à fait à mon tempérament… »« [13]

Les dessinateurs cités par Gotlib, qui réalisaient pratiquement seuls tout le magazine (au cours de la première période, qui s’étend d’octobre 1952 à mai 1955), se montraient relativement souvent dans leurs images. Ce procédé, nouveau et révolutionnaire pour son temps, fut même élargi par l’équipe de Mad jusqu’à leur inspirer une biographie fictive du dessinateur Bill Elder, qui remplissait en entier le numéro 22 du magazine (avril 1955). Dans Gai-Luron, Gotlib se montre plus modeste ; il dessine en premier lieu les conséquences de son absence, qui oblige le héros à confectionner lui-même les bulles dans lesquelles il s’exprimera. (...) Mais personnage et dessinateur finiront par se rencontrer. Et si, dans les gags se référant à Jean-Pierre Liégeois, le jeune lecteur n’apparaissait qu’à travers ses lettres, Gotlib se représente (de dos !) à sa table à dessin, à l’instant où Gai-Luron bondit hors de son encrier. Et le texte off d’expliquer : « Vous vous étonnez, chers lecteurs, de ce que le plafond de Gai-Luron débouche dans l’encrier de son dessinateur ! Et pourtant, réfléchissez, c’est bien dans son encrier que le dessinateur pêche, avec sa plume, tout ce qu’il met sur son papier pour vous amuser ! Croyez-le, ou ne le croyez pas, c’est dans l’encrier du dessinateur que vivent ses personnages, lorsqu’ils ne sont pas encore dessinés. Parole de dessinateur. »

Les amuseurs remplacent le créateur en vacances


(...) Gai-Luron a franchi la limite entre son environnement et celui de l’auteur seulement pour se plaindre que Gotlib lui balance toujours une souris dans les pattes, qui s’amuse parallèlement à l’action principale et se moque des événements. Comme les gags de Jean-Pierre Liégeois, les épisodes où l’auteur est présent effacent d’une manière amusante les frontières entre fiction et réalité. Le processus de création de l’œuvre, normalement invisible, se rappelle au lecteur. De plus, Gotlib utilise ces gags pour commenter ironiquement sa propre création, voire exposer par l’entremise de la fiction ses propres problèmes. (...) Ainsi cet épisode où Gai-Luron demande à son père spirituel pourquoi celui-ci interrompt toujours le gag en cours d’élaboration après trois vignettes, rayant ce qu’il a déjà dessiné et faisant des commentaires comme « pas fameux » ou « lamentable ». Il reçoit une réponse furieuse, mais compréhensible : « Alors ça ne se voit pas, non, que je n’ai pas d’idées !?! »

L’amour du paresseux


Cependant, vers la fin de la collaboration de Gotlib à Vaillant, les gags « métafictionnels » se font plus rares dans Gai-Luron. On ne retrouve que rarement des propos adressés aux lecteurs ; le rédacteur en chef et Gotlib lui-même disparaissent de la bande dessinée. La chienne Belle-Lurette remplace définitivement Jujube comme deuxième personnage principal après le gag n°1243. Cette substitution a pour conséquence un retour vers des contenus plus classiques et un style traditionnel de narration. Donc, à partir de 1969, on peut rire de Gai-Luron baby-sitter, karatéka, bruiteur à la radio et surtout admirateur de Belle-Lurette. (...) Ce retour à une bande dessinée plus conventionnelle ne se produit pas par hasard. Il coïncide avec le début de la collaboration de Dufranne avec Gotlib. Ce partage du travail s’accompagnait manifestement d’une plus grande distance à l’égard de la série. Désormais, Gotlib investissait la plus grande partie de son énergie créative dans la Rubrique-à-Brac destinée aux pages de Pilote. En 1970, Gotlib dessine une dernière fois sa propre tête dans un Gai-Luron premier style, Bien que le gag concerné (celui du n 1318) ne soit pas le dernier des épisodes publiés dans Vaillant auquel Gotlib ait participé, il peut être interprété comme un « adieu » de l’auteur à son premier héros ayant eu du succès - Gotlib placera significativement cet épisode à la fin du dernier album de Gai-Luron. La chute surtout, surprenante, signifie que Gotlib se voit arriver à un point où il n’arrive, plus à communiquer ce qu’il souhaite à travers des formes anciennes.

Gotlib et Gai-Luron


Le gag en question se laisse résumer rapidement. Gai-Luron constate, à sa grande frayeur, que toutes les personnes qu’il rencontre en ville lui ressemblent. À son réveil, il se rend compte que tout cela n’était qu’un cauchemar, mais la toilette du matin après le lever lui réserve un choc encore plus grand. Une interprétation de cette scène n’est possible que si on envisage la réflexion dans le miroir en termes de réciprocité, de face-à-face. L’auteur et son héros sont deux personnes qui se reconnaissent mutuellement comme reflets d’eux-mêmes. (...) Dans la Rubrique-à-Brac, Gotlib se libère du principe du héros. Gai-Luron contenait déjà bien des éléments de l’œuvre ultérieure, mais Gotlib ne pouvait pleinement développer leur potentiel narratif qu’à l’intérieur d’une forme plus libre, en n’étant plus lié par les conventions de la série. Le cadre d’une série animalière à gags était à l’évidence trop restreint pour les préoccupations et ambitions de l’auteur. Cela ne veut pas dire que les possibilités narratives du gag animalier étaient épuisées. F’Murr a montré avec Le Génie des Alpages que des quadrupèdes ont encore leur place dans le paysage de la bande dessinée moderne.

Cet article reprend de larges extraits du chapitre 10 (« Von Masken und Heldenrollen -Die Auftritte des Gai-Luron ») du livre de Peter Tischer Der Gezeichnete Held, Stauffenburg Verlag, Tübingen, 1994, Cet ouvrage de 438 pages est consacré à l’étude de la bande dessinée humoristique d’expression française, et comporte des essais sur Spirou, Valérian, Canardo, Bernard Lermite, Modeste et Pompon, Gaston et Le Génie des Alpages. Texte repris avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.

Une flèche en plein cœur

Cet article est paru dans le numéro 1 de 9e Art en janvier 1996.

les livres de Marcel Gotlib : Gai-Luron Fluide Glacial.

[1Vaillant sera rebaptisé Pif-Gadget à partir du 3 mars 1969. Ce changement de titre n’affectera pas la numérotation. Pour des raisons de simplicité, on parlera toujours ici de « l’époque Vaillant » de Gotlib.

[2] Numa Sadoul, Gotlib, Albin Michel, "Graffiti", 1974, p. 42.

[3] L’auteur d’un bref article sur le successeur de Gotlib prétend que Gai-Luron a vécu une « deuxième jeunesse » avec Dufranne. Il admet néanmoins que le dessinateur, qui a également repris de nombreuses séries de divers auteurs, n’a pas réussi « à faire des choses très personnelles ». Dans une ancienne interview, « Falatoff a rencontré Gotlib pour Falatoff » (in Falatoff n° 1, oct 1971, p.16), Gotlib se sent un peu responsable de ce fait : « Je ne pourrais pas former un dessinateur, j’en ferais un deuxième Gotlib, c’est ce qui s’est passé avec Dufranne en faisant Gai-Luron. »

[4] Les gags numérotés de1000 à 1024 correspondent à l’année de publication 1964 ; 1025 -1076 =1965 ; 1077 - 1128=1966 ; 1129 -1181-1967 ; 1182 - 1230 =1968 ; 1231-1282 =1969 ;1283 -1334=1970,

[5] A partir du n°1275 des gags recueillis dans les albums, il sera cité sporadiquement comme co-auteur. Henri Filippini indique que les dessins sont de la main de l’assistant de Gotlib à partir du n°1290 et sont « texte et dessin de Dufranne » à partir du n°1356 (Histoire du journal Vaillant, Glénat, 1978, p. 47). Dans la monographie de Sadoul sur Gotlib, dont les références bibliographiques « sont fournies sous réserves par Gotlib », on trouve par contre les indications suivantes : « Dufranne encre la série à partir du 1199 (1968), il dessine sur scénarios de Gotlib à partir du n°1265 (1969) et il reprend seul la série à partir du n°1334 (1970) » (Gotlib, op. cit., p. 116).

[6] D’ailleurs Gotlib ne s’en cache pas. Le premier album de Gai-Luron contient la dédicace suivante : « Avec mille et mille pensées reconnaissantes pour Tex Avery et son Droopy. » (Gai-Luron ou la joie de vivre, p. 6).

[7] Les dépressions du renard reviendront comme running gag chaque automne.

[8] Alain Degru, « La saga de Gai-Luron », Les Cahiers de la bande dessinée, n°13, Glénat, 4e trim.1972, p. 16.

[9] Ce n’est certainement pas par hasard que ce nom de famille est identique au nom de jeune fille de la femme de Gotlib. En tant que première lectrice de beaucoup de ses œuvres, elle était en effet l’unique lectrice d’un gag durant une certaine période.

[10] Philippe Marion & Chantale Anciaux, « Les bulles de l’absurde », Les Cahiers de la bande dessinée n°80, Glénat, mars 1988, p. 91.

[11] N. Sadoul, Gotlib, op. cit., p. 48

[12] Philippe Marion, « Sous les feux de la bande », Les Cahiers de la bande dessinée 80, op. cit., p. 96-98.

[13] Gotlib : Interview de Claude Moliterni », Phénix n°8, SERG, 4e trim. 1968, p17-18.