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« cette collaboration est surtout une aventure amicale ». entretien avec Florine Binel et Laurent Ignacio - @Agathe Time

Gaëlle Kovaliv

[mars 2023]

Florine Binel et Laurent Ignacio sont aux manettes du compte @Agathe Time, un feuilleton fictionnel dont les épisodes paraissaient de manière hebdomadaire, entre le 1er mars et le 13 décembre 2021. Cette série humoristique imagine ce que deviendrait Léonard de Vinci s’il était convié au XXIe siècle pour résoudre les problèmes de notre époque. Au moment où parait cet entretien, en mars 2023, elle est suivie par près de 500 abonné·es.

Qui êtes -vous et quel est votre parcours dans le milieu de la BD ?

Laurent : Je suis surtout un gros lecteur de bandes dessinées. Il y a quinze ans, j’ai eu un blog sur lequel j’ai aussi un peu dessiné, mais mal ☺. L’histoire derrière Agathe Time c’est que j’avais un peu des envies d’écrire quelque chose et Florine avait un peu envie de dessiner, donc on s’est dit « allez vas-y on le fait. ». Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis dans le monde de la BD.

Florine : C’est pareil, c’est en autodidacte la BD. C’était un hobby que j’avais en parallèle de mes études d’arts plastique et arts appliqués. J’ai commencé un blog pendant que j’étais à la fac. J’y mettais des petits strips pour faire rigoler ma famille et mes amis. J’ai toujours aimé ça, j’aime bien raconter des petites histoires en BD. J’ai un compte Instagram en plus d’Agathe Time : @humeurdegraphiste

Comme la bande dessinée n’est qu’un loisir, on a de la peine à se déclarer « auteur ou autrice de bande dessinée », sachant qu’on est graphistes (et aussi illustratrice dans le cas de Florine) à plein temps. D’autant que nous n’avons pas vraiment le sentiment d’appartenir à un groupe, une communauté d’artistes. Même si Florine a un temps appartenu à un groupe de dessinatrices en ligne, mais rien n’y a été fait depuis un moment.

Comment est né le projet Agathe Time ?

Cette collaboration est une aventure amicale. On parlait souvent de nos déboires de graphistes et de nos envies. Laurent a depuis longtemps l’envie de faire venir Léonard de Vinci à l’époque moderne, sans jamais vraiment savoir quoi en faire. Parmi ses autres envies, celle de parler d’un personnage disposant d’une machine à voyager dans le temps, avec des petits épisodes ou des strips dans lesquels il rencontrerait notamment des dinosaures. En en parlant avec Florine, on s’est rendu compte qu’il était peut-être possible de combiner les deux.

Les premiers éléments se sont alors très rapidement mis en place en une journée à peine. Les premiers gags, les premiers axes sont arrivés très vite, Laurent en a écrit une dizaine la première semaine.

Annonce de la série. Agathe Time © 2021

Comment travaillez-vous ?

La collaboration se fait entièrement à distance. On ne s’est pas vus une seule fois depuis que ça a commencé, c’est marrant.

Laurent fait le scénario et indique parfois des indications de mise en scène précises. Florine relit le texte pour valider ce qu’elle pense fonctionner ou pas avant de se mettre à dessiner. Florine propose des croquis à Laurent qui les valide ou les ajuste en fonction de ce qu’il avait en tête.

Sur quel(s) réseau(x) publiez-vous et pourquoi ceux-ci ?

C’est publié sur un site indépendant Agathetime.fr, où on peut tout retrouver. Et c’est aussi sur Instagram car c’était là que ça se passait : c’était notamment l’époque de l’explosion du compte de Théo Grosjean et de la création de plein d’autres pages qui fonctionnaient très bien. On a aussi mis Agathe Time sur Facebook, car une partie de notre lectorat n’est pas sur Instagram, en particulier parmi nos proches.

Le site permet de garder le format de la planche alors qu’Instagram offre une lecture case par case, cela permet donc aux lecteurs et aux lectrices de choisir ce qu’ils et elles préfèrent comme modalité de lecture.

On travaille plutôt en pensant en format « planche », notamment dans la création. En termes d’unité d’écriture, on se dit qu’une planche = un gag, tout en se contraignant à un gaufrier de six cases pour Instagram. On ne joue donc pas tellement sur les modalités permises par le diaporama de cases et la disparition de la dimension panoptique : quand il y a un surgissement ou une surprise, c’est plutôt un heureux hasard. C’est aussi une unité graphique puisque Florine dessine directement des planches.

Par contre, pour la diffusion sur les réseaux sociaux, on a clairement fait le choix du diaporama de cases, y compris sur Facebook où l’interface est plus grande. C’est un choix pour accroître la lisibilité, parce que la lecture se fait principalement sur le téléphone et on voulait quelque chose de facile à appréhender.

Premier épisode version planche. Agathe Time © 2021

En quoi les contraintes d’Instagram (format, conditions d’utilisation…) sont-elles une contrainte ? Jouent-elles au contraire un rôle créatif ou ludique ?

Les épisodes ne sont pas conçus pour être lus de manière complètement autonome. Il y a bien un gag pour clore chaque épisode, mais il faut retourner sur le compte et lire depuis le début pour comprendre qui sont les personnages et ce qu’il se passe.

Trois premières slides du premier épisode. Agathe Time © 2021

Nous n’avons pas eu de contrainte spécifique de fonds, car notre projet est grand public par nature, on fait du comique de situation, pas d’humour noir ou en rapport avec l’actualité. Le fait d’être diffusé sur Instagram n’a donc pas représenté une contrainte d’écriture de fond. Les modalités de l’interface ont parfois été plus frustrantes, on aurait par exemple voulu pouvoir faire des cases panoramiques, mais on a respecté le format carré imposé par la plateforme dans la façon de construire nos épisodes.

Quatre dernières slides du premier épisode. Agathe Time © 2021

Comment gérez-vous les conditions de l’algorithme pour rester visible ? Avez-vous des stratégies particulières ?

À part une structure visuelle très propre et rigoureusement systématique, avec une slide de titre, un nombre fixe de cases et une grande régularité dans notre calendrier – avec une publication tous les lundis matin à 7h, moment auquel il nous semblait les gens consultent leur téléphone – on n’a pas mis de chose particulière en place pour accroître notre nombre d’abonné·es.

On a un peu regardé en amont ce qui se faisait : la slide titre avec la numérotation, et le dégradé on l’a repéré chez Boulet. On a aussi mis une slide finale avec une invitation à suivre l’épisode prochain et à partager, aimer, commenter ce post.

Sinon, en termes de stratégie, on a principalement utilisé les hashtags. On sait que certaines et certains font de leurs publications des posts sponsorisés, mais on ne sait pas si ça marche. On voit par exemple tout le temps passer les contenus sponsorisés de comptes qu’on suit déjà, donc on se disait : « Si c’est tout ce que ça fait, ça ne vaut pas le coup… »

On a aussi eu un coup de pouce de Samboy qui était suivie par 10 000 personnes à l’époque. Elle nous a partagés en story [1], et on a gagné une centaine d’abonné·es ce jour-là. Florine a aussi fait un petit concours sur sa page personnelle pour inciter celles et ceux qui la suivaient d’aller voir sur Agathe Time. Ça n’avait pas eu beaucoup de succès donc on n’a pas réitéré l’expérience, même si Florine y a fait plusieurs fois de la pub.

Avez-vous l’impression d’avoir fédéré une communauté ?

Nous avons quelques lecteurs et lectrices qui likent régulièrement, certain·es repostaient en story, mais on parle d’échelles vraiment insignifiantes. Celles et ceux qui étaient les plus réactifs et réactives sont des proches. En réalité, nous n’avons pas du tout été assez actif et active en ligne pour que ça prenne.

Florine : J’ai plus de monde (un peu plus de mille followers) sur ma page personnelle, @humourdegraphiste car je fais tous les inktobers [2], ce qui ramène toujours des abonné·es. La différence s’explique aussi par le fait d’y poster plus régulièrement et parce que ce compte est plus vieux. La croissance est vraiment organique, prend son propre chemin à son propre rythme.

Combien de temps passez-vous sur les réseaux ?

Comme il n’y avait pas de modération à faire, le temps moyen consacré à chacun des posts n’excède pas une demi-heure par semaine, en comptant la mise en place de la publication. On pouvait parfois y consacrer une heure lorsqu’on crée ou épingle une story en milieu de semaine pour relancer l’épisode aux yeux de l’algorithme.

Avez-vous un moyen d’être rémunéré·e pour votre production en ligne ?

Non, on l’a tellement vécu comme un plaisir personnel qu’on ne s’est pas lancé dans ce type de démarches.

Aviez-vous l’objectif de faire publier votre récit ?

L’idée d’une transposition en livre était un espoir secret ou à moitié secret ☺, ce qui explique aussi le choix d’une conception en planches. On avait envie de mettre ce projet en ligne et de voir ce qui allait se passer en se disant que si ça marchait bien on essaierait d’en faire un livre. Mais on n’a pas fait de démarches pro-actives envers des structures éditoriales, on n’a pas le temps de faire des dossiers.
Néanmoins, si des structures comme Exemplaire nous disent qu’elles apprécient, on écrira la fin avec plaisir, mais comme on l’a vécu comme un loisir, on n’a pas le temps de le porter plus loin.

Où en est la série en ce moment ?

La série s’est arrêtée avant la fin faute de temps et de motivation. Le fait de ne pas décoller, de peiner à dépasser les 400 abonné·es a sonné le glas du projet avant la fin du récit, d’autant qu’on avait d’autres impératifs personnels et professionnels à cette époque. Mais Laurent a plusieurs pages sous le coude et on n’exclut pas de finir l’histoire dans le futur, quand on aura du temps et un regain d’inspiration. On a quand même envie de boucler ça bien, de manière drôle et propre.

À refaire, qu’auriez-vous fait différemment ?

Florine : Moi, personnellement, je choisirais un style plus facile à faire. Quand je dessine pour moi, j’ai un style qui va beaucoup plus vite qui me convient mieux. J’aime travailler en peu de couleurs, voire en bichromie, Je ne suis pas très patiente, donc j’aime quand ça va vite. Peut-être que ne suis pas faite pour la bande dessinée en couleur. Et je trouve frustrant le temps passé pour faire des détails notamment dans le décor, sachant que la lecture sur Instagram est très rapide, 15-20 secondes grand maximum, donc les lecteurs et les lectrices ne remarquent peut-être même pas tous ces petits détails.

Laurent : Oui, alors si c’est ça, peut-être que j’aurais dû faire les couleurs ☺

On espère avoir la chance de connaître la fin d’Agathe Time tout bientôt ! En attendant, merci à vous deux pour votre temps et vos réponses.

Entretien réalisé le 19 juillet 2022

Réseaux sociaux et sites

Agathe Time

Florine Binel

Laurent Ignacio

[1] Une story est une publication éphémère sous forme d’image ou d’image animée partagée par un·e internaute sur certains réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, Whatsapp.

[2] Défi graphique créé par Jake Parker en 2009 qui consiste à publier un dessin par jour pendant le mois d’octobre à partir d’une liste de thèmes journaliers proposée par d’autres utilisateurs ou utilisatrices