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« ma référence ce n’est pas la planche, c’est le carré ». entretien avec nidonite

Gaëlle Kovaliv

[mars 2023]

Nidonite est partout ! Autrice suisse, suivie par plus de 60000 abonné·es sur sa page Instagram, @nidonite, où elle poste ses bandes dessinées humoristiques, elle a aussi une série Webtoon, Chocolat et piment qui a cumulé plus de 4 millions de lectures. Elle est aussi active sur TikTok où elle est suivie par plus de 133 000 personnes. Elle possède en outre de nombreuses casquettes : motarde, militaire, féministe, elle déjoue toutes les attentes.

Quel est ton parcours dans le milieu de la BD ?

Je suis une autodidacte. J’ai commencé le dessin en lisant des mangas, en particulier Dragon Ball. Du jour au lendemain, depuis mes 12 ans, j’ai dessiné tous les jours, en tâtonnant et expérimentant. Lorsque j’ai commencé à publier sur les réseaux sociaux, j’ai lancé plusieurs comptes et concepts. J’ai commencé à percer lorsque je me suis mise à publier de manière assidue sous mon pseudonyme actuel. J’ai peu à peu accru ma communauté, gagné la confiance du public et de différents mandataires et je suis désormais reconnue comme illustratrice.

Quels réseaux utilises-tu ?

Je poste mes dessins sur Instagram, où mes lecteurs et lectrices sont les plus réactifs et réactives. Je reposte le contenu sur Facebook.

Sur TikTok je ne mets que des vidéos, jamais de dessins (ndlr : depuis cette entretien, Nidonite a posté quelques publications se situant à cheval entre la bande dessinée avec l’usage de bulles pour les dialogues et le clip d’animation puisque les mêmes textes sont enregistrés en bande sonore). À la base, j’y mettais les vidéos drôles que je filmais avec mon téléphone. Maintenant je m’en sers pour répondre aux questions que mon public me pose. J’y parle de moto, d’armée, de féminisme et d’humour

J’ai aussi Snapchat et Youtube. J’hésite à passer à Twitch, car j’ai envie de faire plus de contenus audiovisuels.

Ce qui est assez amusant, c’est qu’on me dit que j’ai un ton différent selon les plateformes, notamment que j’ai l’air énervée en vidéo, ce qui n’est pas le cas de mes dessins.

En quoi les contraintes du réseau (format, conditions d’utilisation…) sont-elles une contrainte ? Jouent-elles au contraire un rôle créatif/ludique ?

Les contraintes ont conditionné ma créativité. Ma référence ce n’est pas la planche, c’est le carré. Je le vis comme quelque chose de positif car j’ai toujours un point de départ, d’où je varie parfois, mais au moins j’ai une base en pixels, donc une qualité en tête, qui constitue un bon standard pour commencer chaque projet.

Comment gères-tu, en particulier les conditions de l’algorithme pour rester visible ? As-tu des stratégies particulières ?

C’est dur, mais il faut poster le plus possible : au minimum une fois par semaine (plus si possible) et aux meilleures heures. Et ça doit surtout être pertinent aux yeux de l’algorithme et de la communauté : trouver le créneau qui nous rendra unique. Ce qui a véritablement lancé ma communauté, c’est le fait d’être très réactive. J’ai beaucoup misé sur l’interaction, en particulier au tout début. J’ai aussi fait des partenariats avec des gros comptes qui relayaient des contenus artistiques ou à buzz, en échange de portraits que je leur offrais.

Nidonite © 2021

Aujourd’hui j’ai un peu levé le pied, mais ça a été des heures de travail. Je pense que j’ai atteint une bonne taille, mon nom commence à être reconnu en dehors du réseau grâce à de nombreux entretiens et interviews. Et aussi, je dois avouer que j’en avais assez d’offrir du travail gratuitement à Instagram, surtout que le changement d’algorithme est problématique : il va favoriser les réels donc mes dessins fixes ne sont plus du tout vus par mes abonné·es. En réalité, je pourrais tout à fait exploiter ce système et tirer profit du succès des réels parce que je sais faire des animations, mais j’ai pas envie.

Combien de temps passes-tu sur les réseaux ?

En tant que consommatrice : en tous cas deux heures par jour. Mais j’y suis de moins en moins et surtout, ça devient principalement pour communiquer avec mon entourage.

As-tu l’impression d’avoir fédéré une communauté autour de ton travail ?

Sur Instagram, j’ai effectivement construit une communauté assez engagée et réactive qui s’est fédérée autour de mes dessins, souvent assez contre-normatifs et de centres d’intérêts communs. J’ai aussi pas mal de lecteurs et lectrices qui m’ont rejoint sur Instagram après m’avoir connue sur Webtoon.

Sur TikTok je ne poste pas du tout de dessin et l’algorithme du réseau fait que ce sont surtout les utilisateurs et utilisatrices proches géographiquement qui voient mon contenu.

Quelle place accordes-tu aux réactions de tes lecteurs et lectrices dans ton travail ?

Quand on me pose plusieurs fois la même question, par exemple à propos de l’armée, je fais un post pour y répondre. Mais la plupart du temps, je poste ce dont j’ai envie.
Et je ne me laisse pas tellement influencer par les réponses, surtout négatives, je ne vais même pas les lire car je sais que ma communauté va répondre pour moi et me défendre.

Est-ce que tu perçois des différences de réaction selon le type de contenu posté ?

Certains thèmes font clairement plus réagir que d’autres. Par exemple, lorsque je parle de sexualité ou de droits des femmes ou alors que je montre des choses qui sont habituellement associées à la virilité, ça fait plus réagir, et ce dans les deux sens : plus de réactions négatives, mais aussi positives.
Mais je joue de cette différence, je m’en sers comme un outil. Depuis des années, j’ai ce que j’appelle « des posts filtres ». Quand je remarque que mon audience change et que j’ai trop de personnes qui sont… un peu limitées dans leur manière de penser (pour le dire gentiment), je publie exprès des contenus qui les provoquent pour les faire fuir. Par exemple, des posts sur la sexualité. Mais j’ai la chance d’avoir globalement un public nombreux et sympa.

Et je note aussi une différence : j’ai plus de commentaires injurieux ou de réactions lorsque je publie des vidéos dans lesquelles je montre ma tête, que ce soit sur TikTok ou Instagram.

As-tu déjà fait face à des commentaires injurieux ou à du harcèlement (sexuel ou moral) ?

Oui, à deux reprises. Mais globalement je me protège : je ne vais pas lire ce qui est écrit car je me dis que ces gens ont surtout envie de dire quelque chose, pas spécifiquement d’être lus par moi. Ou alors je viens après coup, quand ma communauté a déjà commencé à répondre, donc j’ai une distanciation qui vient naturellement. Je ne le prends pas contre moi, je me dis que mon espace de commentaires est simplement un microcosme, un endroit représentatif de la société.

Il y a cependant une chose que je fais préventivement, en particulier sur TikTok où je reçois le plus de commentaires : j’ai utilisé des mots-clés pour filtrer. Je pense que parfois, ça me sauve un peu la vie. Je n’ouvre pas les messages, je les fais défiler.
Selon les réseaux, je demande aussi à un ami d’ouvrir à ma place car je reçois parfois des dick pics, en particulier sur Snpachat. Ou alors je fais des captures d’écran des trucs les plus stupides, je vais voir si j’en fais quelque chose un jour.

En réalité, j’ai une vie qui ne correspond pas aux attentes liées à mon genre : je voyage seule, souvent à moto, je fais du circuit, de la musculation, je travaille à l’armée, je parle de sexualité, et ça, ça déclenche souvent des torrents de commentaires. Je ne veux pas faire de lien direct, mais depuis que j’aborde ces sujets, mon public est passé de 15 à 50% d’hommes et ça a fait grandement augmenter les messages stupides . Ces hommes sont énervés, mais continuent de me suivre, je ne sais pas trop pourquoi.

Lorsque l’on m’insulte sur l’un des réseaux c’est systématiquement à cause de mon ethnie d’apparence magrébine, de ma religion parce que je porte le voile ou de mon genre. On va mobiliser un ou les trois pour m’expliquer pourquoi je suis une merde ou que je fais de la merde. La conjonction des trois rend le tout particulièrement inflammable, y compris dans le dessin. J’ai reçu notamment des commentaires du type : « Mais pourquoi c’est la voilée qui dit ça ? », alors qu’il n’y avait rien de politique derrière, c’était juste un personnage comme un autre. Ce sont mes dessins et donc mon vécu, c’est tout. Cependant, je crois que ce qui pose le plus problème, c’est mon genre, pas mon voile. Pour cette raison, je me présente en premier lieu comme une féministe, mais qui milite pour que toutes les femmes puissent faire ce qu’elles veulent.

Nidonite © 2022

Avez-vous déjà subi un vol de compte ou de dessins ?

Oui. Dans les hordes de harcèlement que j’ai subies, il y a apparemment des gens qui se sont organisés pour signaler mon compte Instagram en masse et le faire supprimer. J’en ai parlé sur TikTok où j’ai beaucoup plus d’abonné·es, et j’ai ouvert un compte de secours où j’ai rapidement atteint 12 000 followers. Mon compte principal a fini par être réouvert, je m’en sers actuellement surtout pour mes contenus de moto.

Je me suis aussi beaucoup fait voler des dessins au début. À l’origine ça m’énervait énormément, surtout quand les personnes qui les repartageaient sans me créditer allaient jusqu’à supprimer ma signature pour mettre la leur ou les modifier quitte à les décontextualiser. Je pense que beaucoup de monde confond la création artistique et les memes [1]. Je pense que pour en faire des bons, il faut aussi du talent, mais ça n’a rien à voir. Heureusement, je remarque que cela se fait de moins en moins souvent-

Penses-tu parfois à quitter les réseaux ? Pour quelles raisons ?

Je me rends compte que je donne beaucoup, et gratuitement à Instragram, ce qui explique aussi que j’y sois de moins en moins, mais je ne veux pas la quitter pour autant. J’aimerais une plateforme plus régulée, mais surtout où me rémunérer directement. J’ai beaucoup de choses en parallèle donc je ne suis pas assez régulière et assidue pour des réseaux du type Patreon ou Tipee, mais Twitch me paraît être une bonne alternative possible.

Nidonite © 2022

Justement, es-tu rémunérée pour ta production en ligne ?

Oui, c’était le cas avec Webtoon pour ma série Chocolat et piment.
Les réseaux sociaux me permettent une rémunération indirecte, puisque ma présence et ma visibilité en ligne font que je reçois beaucoup de proposition de collaboration ou de commandes d’illustrations. Je dois cependant dire que j’ai souvent la flemme, donc je ne réponds pas toujours . Mais grâce à ça, j’ai la chance de tirer revenu et de produire des choses très différentes, ce qui me plait beaucoup.

Tu fais aussi des NFT, peux-tu m’en parler ?

Je suis toujours partante pour les nouvelles expériences. Or, il y avait autour de moi des personnes prêtes à payer pour que je leur crée des NFT. J’ai réalisé que ça ne me coûtait qu’un peu de temps, donc j’ai saisi l’occasion d’expérimenter. C’était vraiment un test, donc je l’ai fait, une fois, pour voir. Je continue cependant à avoir des demandes, mais pour le moment, je n’ai pas le temps d’y donner suite. Le problème c’est que les NFT ne restent en ligne qu’un mois maximum, et qu’il faut se connecter par ordinateur, pas téléphone. J’ai dû gagner entre 1500 et 2000 CHF [2], mais la plateforme que j’utilisais a été fermée sans explication, il faut que j’investigue un peu ça, parce que je n’y ai plus accès en ce moment. Mais je ne m’inquiète pas, c’était surtout une expérience.

C’est cependant une expérience intéressante économiquement, car je touche des royalties de 10% chaque fois que quelqu’un revend une de mes œuvres. C’est ce qui est arrivé récemment : je viens de toucher une somme à la suite de la revente d’un de mes NFT. Vu ce que j’ai perçu, ça m’a permis de constater que la personne l’a vendue quatre fois plus cher que le prix auquel je le lui avais cédé : je lui ai vendu à 160, elle l’a vendue à 600 ! Donc je dois bien avouer que cette sorte de spéculation m’arrange, surtout que je n’ai rien à faire.

En réalité, la bande dessinée est seulement l’une de mes sources de revenu. Je travaille à temps partiel en tant qu’experte « femmes et diversité » de l’armée suisse, et je suis aussi en train de suivre un Master de sciences des religions.

Nidonite © 2023

Ta production en ligne est-elle publiée en livre ?

Non. Je suis en train d’écrire et dessiner un projet, mais ça me prend beaucoup plus de temps que prévu. C’est une nouvelle histoire qui reprend le personnage que j’ai développé sur Instagram. J’aimerais qu’il soit publié en francophonie, je ne sais pas encore chez qui. J’attends le coup de cœur, trouver une évidence. Mais je n’ai vraiment pas de doute sur le fait que mon projet soit accepté, ce qui me permet ce luxe. Car c’est avantageux pour une structure éditoriale d’avoir quelqu’un qui a la double casquette d’illustratrice et d’influenceuse.

Je serai vraiment très fière d’avoir un jour une bande dessinée papier. Mais ce n’est pas une nécessité, je n’ai ainsi pas de problème à me considérer comme une autrice sans livre imprimé, car j’estime que je fais un bon travail, pas le meilleur du monde, bien sûr, mais j’ai construit un univers, une identité en ligne, avec un dessin qui n’est pas classique. Et surtout, j’ai été repérée puis éditée chez Webtoon. C’est quand même LE type d’édition des temps modernes, et en plus une structure reconnue et extrêmement lue par toutes celles et ceux qui aiment la bande dessinée numérique. Ça m’a vraiment donné un statut auquel je n’aurais pas pensé avant de signer avec eux.

Merci beaucoup pour toutes tes réponses et ton temps. À très vite sur la route ou sur les réseaux !

Entretien réalisé le 22 août 2022

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Bibliographie

[1] Il s’agit d’images ou de brèves vidéos partagées en masse par les utilisateurs et utilisatrices d’Internet.

[2] Entre 1500 et 2000 €.