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« j’ai commencé à publier parce que ça faisait rire deux, trois personnes ». entretien avec sandrine deloffre

Gaëlle Kovaliv

[mars 2023]

Sandrine Deloffre est une autrice prolifique sur les réseaux sociaux. En plus de sa page personnelle @Sandrine.deloffre, où elle est suivie par plus de 30 000 abonnée·es, on lui doit aussi les séries « Sandrine et Flibuste enquêtent pour Mâtin » et « La Jungle » (avec Sassou Lecoq au scénario) sur le compte de Mâtin quel journal.

Quel est ton parcours dans le milieu de la BD ?

À l’issue de mes études de communication, j’ai été coordinatrice générale du Lyon BD Festival, pendant 8 ans. En parallèle, j’ai commencé le dessin (très tard), j’avais déjà 30 ans quand je m’y suis mise. Je publiais des illustrations sur Instagram, des cartes de vœux méchantes, intitulées les Cartes de Désavœux . C’est comme ça que j’ai été éditée pour la première fois, dans une maison d’édition BD.

Carte de désavœux. Deloffre © 2022

Par la suite, j’ai été contactée pour du dessin de presse et de la bande dessinée, c’était nouveau pour moi puisque je n’avais jamais fait ça avant. Je me suis dit que j’allais dire oui quand même, et j’ai dit oui, et je viens de sortir ma première « vraie » bande dessinée chez Dargaud Sandrine et Flibuste.

J’ai également publié deux livres d’illustrations de type humoristique : Contes et légendes et Art et Essai, le premier en autoédition et le second aux éditions Exemplaire (ce qui reste en partie de l’autoédition).

Aujourd’hui je publie régulièrement des strips de mes aventures avec mon chien, ou bien des strips qui parlent du comportement exécrable de certains hommes sur internet ; ça s’appelle « Jean-Michel contre Internet » et ça fera sans doute l’objet d’un livre en autoédition.

Quels réseaux utilises-tu ?

Je publie beaucoup sur Twitter, c’est mon réseau favori même si c’est la bouche de l’enfer, je trouve le public plus réactif et je trouve plus facile d’y échanger, de rebondir. J’y raconte beaucoup de bêtises et je réagis beaucoup à l’actualité. J’échange beaucoup, avec d’autres auteur et autrices de BD, et avec mes followers. J’y publie également tout mon contenu BD.

Je publie aussi sur Instagram, mais ce n’est pas mon réseau favori, j’ai du mal à m’y retrouver, je trouve que c’est plus compliqué d’échanger avec d’autres artistes ou avec le public. Je n’y publie pas non plus de façon très régulière. C’est pour ça que Twitter est mon réseau favori ; j’ai toujours quelque chose à dire. Je me moque aussi énormément des Jean-Michels. C’est vraiment propre à Twitter, et ça m’a permis de lancer un bon nombre de projets.

Je vais parfois sur Facebook pour faire plaisir à ma mère.

Exemple d’un post sur les Jean-Michels. Deloffre © 2021

En quoi les contraintes du réseau (format, conditions d’utilisation…) sont-elles une contrainte ? Jouent-elles au contraire un rôle créatif ou ludique ?

Cela m’embête plus qu’autre chose. J’ai énormément d’admiration pour celles et ceux qui réussissent à faire de ces contraintes une force créative, de jouer avec les formats, le sens de lecture, le format vidéo… Moi, je dois déjà apprendre à dessiner, ça me laisse très peu de temps pour le reste.

Trois premières slides d’un épisode de Contes et légendes. Deloffre © 2022
Slides 4, 5 et 6 d’un épisode de Contes et Légendes. Deloffre © 2022

La vérité, je vais te dire, parce qu’on se dit tout, c’est que je ne réfléchis pas à tout ça. Je publie des choses à n’importe quelle heure, je ne suis pas régulière, je n’utilise pas de hashtag, je suis un très mauvais exemple.

Quatre dernières slides d’un épisode de Contes et légendes. Deloffre © 2022

As-tu l’impression d’avoir fédéré une communauté autour de ton travail ?

Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire. Je pense que des gens me suivent parce qu’ils apprécient mes excellentes blagues et mes illustrations, mais je ne sais pas si j’ai fédéré une communauté ; ce n’était pas le but. Par contre, je peux emmener ces gens à me suivre sur des projets idiots (comme la campagne présidentielle de mon chien), et sur des projets moins idiots (comme de la bande dessinée qui parle de maltraitance animale).

Série Sandrine et Flibuste contre les maltraitances animales pour le compte Mâtin quel journal ! Deloffre © 2022

Quelle place accordes-tu aux réactions de tes lecteurs et lectrices dans ton travail ?

C’est très important, c’est comme un petit bonbon qu’on me donne de temps en temps, pendant que je produis de nouvelles choses. Je parle bien sûr des réactions positives : car les réactions négatives, je les déteste, j’aimerais qu’elles meurent (mais il y en a peu, car les gens sont adorables, comme moi).

Je note aussi que les gens sont beaucoup plus agressifs quand je me moque des hommes blancs hétérosexuels. Je ne comprends pas pourquoi ; c’est pourtant très drôle.

Combien de temps passes-tu sur les réseaux sociaux ?

Instagram, c’est un quart d’heure le matin pour distribuer des cœurs à tout va. Par contre, je passe énormément de temps sur Twitter, en pointillés pendant ma journée de travail. Auteur de BD, c’est un métier un peu solitaire, et mon chien n’a pas énormément de conversation.

As-tu déjà fait face à des commentaires injurieux ou à du harcèlement (sexuel ou moral) ?

À plusieurs reprises, oui, le plus souvent lorsque je parle de féminisme, de sexisme dans les médias, dans l’espace public. J’ai réalisé quelques illustrations qui parlaient de ce thème, et je ne reçois jamais autant d’insultes que lorsque je les publie sur Twitter ; j’ai même dû fermer mes commentaires à plusieurs reprises, alors que je m’étais jurée de ne jamais le faire. Comme je m’essaye souvent à l’humour, on me prie également de retourner à la cuisine, de fermer ma grande bouche, ou bien plus simplement d’aller copuler avec un membre de ma famille directe. Comme je suis de gauche et que je suis féministe, c’est un double combo ; on me dit que les gauchistes ne savent pas faire rire et que les femmes ne savent pas faire rire non plus. Du coup, ça s’annule.

J’ai également reçu des menaces de mort lors de la prépublication de mes planches sur la maltraitance animale ; sur les articles qui concernaient la chasse, et la corrida. Ces planches expliquaient en quoi consistait la corrida, et la chasse à courre, en questionnant leur légitimité aujourd’hui. C’était un peu extrême apparemment.

Je n’ai jamais subi un harcèlement comme ça a pu être le cas pour d’autres illustratrices, ou militantes. Ça n’a jamais eu de répercussion sur mon travail, ni sur ma santé, et je m’estime chanceuse à ce niveau-là.

As-tu déjà subi un vol de compte ou de dessins ?
Ça m’arrive souvent, oui, notamment une fois par une grande marque qui a volé et détourné une de mes illustrations. J’ai gentiment écrit à la marque qui m’avait volé mon illustration, pour leur proposer un règlement à l’amiable. Ils ont compris leur erreur et ont accepté ma proposition.

Ça m’est également arrivé avec des particuliers, avec d’autres créateurs et créatrices. En général, je préviens une fois, et ça se règle toujours rapidement, lorsqu’ils retirent la « contrefaçon » de leurs réseaux. J’essaye de me forcer à insister lorsqu’ils refusent, car c’est important de sensibiliser au vol d’illustrations et à la contrefaçon. Souvent ils ne voient pas le problème puisque « c’est qu’un dessin », mais c’est épuisant, lorsque cela se produit toutes les semaines. Ça fait perdre un temps fou.

Penses-tu parfois à quitter les réseaux ? Pour quelles raisons ?

J’ai songé à quitter Twitter plus d’une fois, lorsque les insultes se faisaient trop fréquentes, et que l’ambiance ne me plaisait plus. Ça dépend vraiment des périodes, mais je pense que je suis arrivée à un stade où ça ne me fait plus grand chose, et Twitter reste un outil formidable, et un passage obligatoire pour la promotion de mes projets et de mes albums. Je ne le quitterai jamais. Concernant Instagram, je pense que c’est également indispensable pour publier mes strips et illustrations, et si j’apprends à m’en servir un jour, qui sait, je pourrai peut-être même toucher un nouveau public.

De manière générale, est-ce que le confinement a changé quelque chose ?

Je pense que j’ai eu envie de faire des choses plus collaboratives. J’ai par exemple mis en ligne des coloriages gratuits, à base de couronnes de fleurs et d’insultes d’enfants (ex : Patate Pourrie). J’ai également participé au projet Coronamaison, qui consistait à dessiner son « lieu de confinement idéal » lancé par Tim et Pénélope Bagieu. J’ai eu envie de me rapprocher des gens qui suivaient mon travail, avec du dessin, des jeux, des petits racontages de tranches de vie avec mon chien.

Globalement, je pense que le confinement (entre autres) m’a aussi poussée à abandonner tout le reste, et à me lancer à 100% dans la bande dessinée. C’est à ce moment que j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire de ma vie, alors, pourquoi pas essayer d’en faire une activité à temps plein ? Je te dirai dans 3 ans si c’était une bonne idée.

Justement, es-tu rémunérée pour ta production en ligne ?

Plusieurs de mes illustrations se retrouvent dans ma boutique redbubble, sous la forme d’objets, de goodies. Par ailleurs, je publie dans deux magazines exclusivement en ligne : Mâtin-quel journal ! et Curieux Magazine. Pour ces productions, je suis bien évidemment rémunérée.

Image conclusive de la série La Jungle avec Sarah Lecoq pour le compte Mâtin quel journal ! Deloffre & Lecoq © 2022

Ta production en ligne est-elle publiée en livre ?

Oui, pourtant ce n’était pas un objectif : je n’avais jamais dessiné avant ça (ou très peu), donc ça aurait été un peu prématuré de me dire « ça, mon pote, ça finira sur du papier un jour ». Je publiais parce que ça me faisait rire, et que ça faisait également rire deux ou trois personnes sur Instagram.

L’effet des réseaux sociaux a fait que les éditeurs m’ont proposé des projets en fonction de ce que j’y publiais. D’ailleurs, je ne pense pas que le nombre d’abonné·es soit un argument ; d’autant plus que dans mon cas ça ne veut rien dire, je suis sûre que la majorité des gens qui me suivent, me suivent pour mon magnifique chien Flibuste.

Par contre, pour l’autoédition, le nombre d’abonné·es est clairement important avant de se lancer, car il faut être certain qu’une communauté sera prête à nous suivre. Donc, c’est important pour moi, lorsque je lance un projet en solo, comme mon album d’illustrations Conte et Légendes par exemple.

Merci beaucoup, des becs à Flibuste et à bientôt !

Entretien réalisé le 13 septembre 2022.

Site et réseaux sociaux

Bd et livres

  • Cartes de désavoeux, Lapin, 2017, avec le pseudonyme Garage Deloffre.
  • Contes et légendes, Exemplaire, 2021.
  • Sandrine et Flibuste contre la maltraitance animale, Dargaud, collection Mâtin !, 2022.
  • Art & Essai, Exemplaire, 2022.