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zig et puce en l’an 2000 : rétrospective de l’auto

Annie Renonciat

1933 | Paru dans Dimanche-Illustré | 40 x 28 cm | encre de Chine et gouache blanche sur papier |Inv. 79.1.87

[Janvier 2007]

« Zig et Puce en l’an 2000 » est la septième planche de l’album Zig et Puce au XXIe siècle publié par Hachette en 1935. La fantaisie de l’image et la ligne claire du dessin masquent la complexité du propos qui confronte Saint-Ogan à la représentation du temps : conjuguant anticipation et rétrospective, l’artiste s’exerce à la mêlée des temporalités (présent, futur et passé) et, par l’évocation d’un défilé, s’affronte à l’expression de la durée dans le temps court et dans l’espace unique d’une planche. Sa mise en page procède de cette expérience.
L’action, censée se dérouler en l’an 2000, est datée par le titre, le texte (2e case) et le motif des hommes volants qui la ponctuent de place en place. La confrontation de ce présent anticipé (rêvé) et du présent de la lecture (1934), source d’effet comique, s’organise d’un double point de vue : au début de l’histoire, l’homme volant, qui franchit la case par la droite, semble surgi du futur, le rond de son ballon faisant écho aux zéros de l’an « 2000 » et au « o » de « l’auto ». En contrepoint, c’est par la gauche qu’il atterrit dans la dernière case où, cette fois, ce sont Zig et Puce qui paraissent venus d’un autre âge. Entre ces deux épisodes intervient la « rétrospective de l’auto », objet principal de la planche. Saint-Ogan en propose une traduction visuelle sous la forme d’un défilé, événement spatio-temporel (par sa longueur et sa durée) qui présente ici l’originalité de devoir « remonter » le temps. La conjugaison de ces trois contraintes conduit Saint-Ogan à délimiter dans la planche un itinéraire de circulation en S inversé, dispositif analogue à celui mis au point par Gustave Doré dans les Des-agréments d’un voyage d’agrément (1851) pour transcrire visuellement, sur une page unique, l’interminable longueur d’un défilé de « crétins ».

Nos habitudes occidentales, ainsi que les traditions de la bande dessinée, nous incitent, dans un premier temps, à « lire » ce défilé de gauche à droite et de haut en bas, mouvement du regard qui introduit dans l’image la temporalité du défilement et l’illusion de l’avancée des véhicules. Le point de vue du lecteur est alors analogue à celui d’un spectateur placé sur leur passage. Cependant, cette première approche se heurte à des incohérences. D’une part, à l’inverse des « crétins » de Doré, qui se déplacent dans le sens de la lecture et en se rapprochant du lecteur, les voitures de Saint-Ogan « remontent » les cases de bas en haut en roulant de droite à gauche : notre lecture linéaire avance donc dans le temps, de 1900 à 2000, à l’opposé de la rétrospective voulue par l’auteur. D’autre part, la construction de la perspective nous apparaît déroutante, hétérogène, conjuguant dans un même espace une vision de profil, qui relève de la succession temporelle (voir le Mylord Victoria de 1900, le « landaulet » de 1909 et le véhicule aéro-dynamique de 1934), et une vue plongeante, qui procède d’un système figuratif : vision réaliste qui relègue en hors champ une partie des spectateurs, oriente le regard du bas vers le haut de la planche et le conduit à remonter le temps, conformément à l’énoncé du titre.

Tout se passe comme si Saint-Ogan se plaisait ici à brouiller nos cadres perceptifs :
– en mélangeant les dates et les époques dans un temps qui devient relatif : présent rétrospectif dans un futur anticipé au regard des lecteurs de 1934 ; présent et futur dépassés pour les lecteurs d’aujourd’hui.
– en offrant le point de vue plongeant, aléatoire et inédit d’un homme volant de l’an 2000 et/ou la fiction (anticipation) d’un espace affranchi des lois de la géométrie.

La réflexion de Saint-Ogan sur son médium est ici manifeste : dans l’auto-référence (la « furette » de Zig et Puce et « l’auto-obus » renvoient à d’autres planches de la même série) comme dans la dénudation des codes : on remarque ainsi que le dessin des hommes volants de l’an 2000, qui évoluent dans un espace étranger à celui des cases (ici des bandes), traverse leurs cadres, mais que cette traversée s’effectue en-dessous des traits, donnant à voir et à méditer sur les lignes de construction de la planche, révélées pour ce qu’elles sont : un découpage conventionnel de l’espace et du temps.

Annie Renonciat