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avant-propos

Thierry Groensteen

[janvier 2003]

Au regard de la Grande Littérature, la bande dessinée a mauvais genre (comme se plaît à le rappeler certaine émission hebdomadaire sur France Culture), et quand elle reprend à son compte la désignation de genre, elle ne se réfère pas à la typologie académique du lyrique, du dramatique et du narratif, mais bien à des catégories comme le western, la science-fiction, le récit de guerre, le polar, l’espionnage, le fantastique et quelques autres de la même farine. « Genres » à leur manière, tous hérités de la littérature populaire, et dans lesquels il est loisible de voir des sous-ensembles d’un genre (ou d’un sur-genre) unique : le récit d’aventures.

La bande dessinée traditionnelle s’est construite, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, sur ces fondations là. Le sommaire d’un magazine illustré, le catalogue d’un éditeur spécialisé ont été longtemps structurés par la déclinaison générique. Au reste, la notion de genre et celle de série - entendue comme ensemble de récits vouant les mêmes personnages à faire un éternel retour - se confortent et se complètent mutuellement : ce sont, comme dirait savamment Daniel Couégnas, deux « formes intertextuelles de la répétition » [1]. Les genres ont une histoire, qui est celle de leur émergence, de leur réception [2], de leur codification, de leur diversification souvent (voir les ramifications sans cesse plus nombreuses du continent « science-fiction »), de leur métissage parfois, de leur infléchissement au gré des modes et des attentes du public. Ils passent par des périodes de déclin et de renouveau.

On pouvait croire, s’agissant de la bande dessinée, que l’affirmation d’une production d’auteurs, en deux vagues successives (celles du début des années 1970 et celle des années 90), allait sonner le glas des genres conventionnels, ou les abandonner au domaine plus formaté de la BD jeunesse. Ces toutes dernières années ont montré qu’il n’en serait rien. Au contraire, on assiste à un retour de thématiques que l’on croyait usées, et ce sont souvent les plus brillants des « jeunes Turcs » de la nouvelle bande dessinée qui sont les plus empressés à en découdre avec leurs aînés sur leurs terres mêmes. Nous avons choisi d’interroger plus particulièrement le renouveau du western, du péplum et du récit de pirates. Manifestement, les modèles, en ces matières (disons Blueberry, Alix et Barbe-Rouge) ont perdu leur pouvoir d’intimidation : la relève est là, et sait nous repeindre les bons vieux genres aux couleurs d’aujourd’hui.

Cet article est paru dans le numéro 8 de 9e Art en janvier 2003.

[1] Cf. D. Couégnas, Introduction à la paralittérature, Seuil, "Poétique", 1992, p. 68. Rappelons ici le dossier « Genres et séries » déjà proposé dans 9e Art n°4, janvier 1999, p. 78-111.

[2] Ces deux aspects sont liés, car l’émergence d’un genre coïncide moins avec la publication des œuvres fondatrices qu’avec le moment où le public se met à percevoir le genre comme une catégorie spécifique. Pour le roman policier, cette cristallisation se produisit dans les années 1890.