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la femme est prada : quand la bande dessinée nourrit la mode

Bastien Pépin

[Janvier 2021]

Le 21 septembre 2017, la créatrice Miuccia Prada dévoilait pour la marque portant son nom la collection Femme printemps-été 2018, baptisée Real Life Comix (« Les bandes dessinées de la vraie vie »). La particularité de cette collection était d’avoir été réalisée en collaboration avec neuf autrices et illustratrices, connues ou non.

Brigid Elva, Joëlle Jones, Stellar Leuna, Giuliana Maldini, June « Tarpé » Mills, Natsume Ono, Emma Rìos, Trina Robbins et Fiona Staples voyaient leurs travaux imprimés, découpés ou encore tricotés dans les vêtements, mais aussi sur les murs du lieu de défilé. Miuccia Prada a volontairement choisi des autrices très différentes les unes des autres : « J’ai choisi celles qui correspondent à ma conception de la femme jeune, combative et militante. Je voulais des personnalités variées, et puis que cela montre le côté humain, le côté simple, souvent trop sous-estimé des femmes. J’ai choisi des femmes plus vraies, plus normales – peut-être même pas jolies, et qui ne se comportent pas comme des super-héroïnes. »

Collection Prada printemps/été 2018 © Vogue

Les visuels issus de leurs travaux sont très reconnaissables et le style de Miuccia Prada l’est tout autant. Arrivée au sein de l’entreprise Prada en 1978, Miuccia Prada se distingue par son avant-gardisme décalé et chic ; elle met en avant sa recherche d’innovations techniques à travers les coupes des vêtements mais aussi en sélectionnant des matériaux que nous pouvons considérer comme inhabituels. Ainsi, en 1984, elle créa un sac en Pocono, un tissu fait de nylon tissé aussi finement que de la soie, généralement utilisé pour les parachutes et les tentes militaires. Ce goût pour l’avant-gardisme se retrouve dans nombre de ses collections, notamment celles de l’automne / hiver 1991-1992 et de l’automne / hiver 2018-2019.


Collection Prada automne/hiver 1991-1992

Pour Real Life Comix, ce sont 55 tenues comprenant robes, pantalons, chemises, vestes, sacs, chaussures et accessoires qui furent présentées au 21 via Bergamo, à Milan. Ces tenues ne représentent pas toutes le travail des autrices mais reprennent les codes de la bande dessinée. Tous les éléments présents essayent de réduire la distinction entre le monde imaginaire des autrices et les concepts de la marque Prada. Les autrices participant à cette expérience avaient été choisies dans une liste comprenant une cinquantaine de noms, proposée à Miuccia Prada par ses équipes. De différents âges, de différents pays, et avec des productions bien différentes, elles se réunissent toutes derrière le travail de June « Tarpé » Mills, décédée en 1988.
Le 6 avril 1941, celle-ci créa la première héroïne de comic books, en la personne de Marla Drake. Le lecteur suit l’histoire d’une riche héritière devenue par hasard une justicière sous le nom de Miss Fury. Ses aventures mélangeant nazis et histoires d’amour. Elle se bat contre hommes et femmes, ne faisant aucune distinction. La censure américaine frappa la série en 1947 pour une scène de bain de la baronne Erica Von Kampf. Tarpé Mills a toujours souligné la dimension sexuelle de ses personnages féminins, n’hésitant pas à les représenter dans des tenues suggestives, parfois déchirées pour plaire au public masculin.

Extrait de Miss Fury, par June "Tarpe" Mills

Bien que créant des personnages de femmes fortes, sexualisées et aventureuses, elle publiait sous le nom androgyne de Tarpé : « Cela aurait été une déception majeure pour les enfants s’ils avaient découvert que l’auteur de personnages aussi virils et géniaux était une fille [1]. »
On peut retrouver chez Miuccia Prada l’idée, non pas de se dissimuler, mais d’assumer son statut de créatrice pour rendre le pouvoir aux femmes : « […] Ce que nous portons sur nos épaules en tant que femmes, combien notre existence est difficile – plus difficile que pour les hommes, je crois. À titre personnel, je dois dire que j’ai de la chance. Je travaille dans une entreprise civilisée. J’étais jeune au moment de la révolution féministe, je n’ai jamais vraiment eu de problèmes. Mais cela ne veut pas dire que les problèmes n’existent pas. J’étais très privilégiée. »

Défilé Prada SS08, Look 1 © Vogue
Collection Prada printemps / été 2018 © Vogue

Cette conscience de sa chance et son combat féministe se ressentent dans ses collections, conçues en collaboration avec d’autres artistes, comme les collections printemps / été 2008, printemps / été 2014 ou encore Croisière 2018 [2]. Si Miuccia Prada a choisi de s’exprimer à travers la bande dessinée, c’est tout d’abord qu’elle a un goût certain pour ce moyen d’expression : « Nous avons effectué de longues recherches pour identifier ces artistes, toutes des femmes, jeunes pour la plupart, mais aussi certaines ayant travaillé dans les années 1940 et 1960 [...]. Elles ont en commun une forme de militantisme dans leur façon de camper la vie de leurs personnages. Surtout, j’ai réalisé qu’à travers les comics, on pouvait témoigner avec légèreté des choses puissantes et sérieuses. Comme ce que j’essaie d’exprimer à travers ma mode. »

Les autrices de bande dessinée considèrent que la mise en avant des femmes artistes dans leur discipline a été très tardive et est encore trop peu répandue. Selon Trina Robbins, il s’agissait d’un « club d’hommes », « extrêmement misogyne ». Quand, devant ses collègues masculins de l’underground, elle émettait une objection : « Ce n’est pas drôle, décrire le viol, la torture et le meurtre d’une femme n’est pas drôle », ils répondaient : « Tu n’as aucun sens de l’humour [3] ».
Les autres autrices ont toutes des témoignages similaires à partager. Quand Brigid Elva arriva dans le milieu de l’illustration, ce fut pour elle une révélation de découvrir que les histoires de femmes étaient exclusivement dessinées par des hommes. Stellar Leuna, en dépit de sa double condition de femme asiatique, a fait face à beaucoup de commentaires assimilant son travail à celui d’hommes blancs.

Dans les travaux des autrices que nous avons citées, l’on peut observer d’importantes différences dans les styles, les thématiques et aussi les choix de publication ; de la collaboration avec Marvel, pour Joëlle Jones, au comic indépendant de Trina Robbins, et de l’auto-publication, pour Brigid Elva, aux fumetti de Giuliana Maldini. Cette diversité a permis à Miuccia Prada de composer des tenues avec de nombreux styles qui se répondent, jouant sur les multiples visages de la femme dans le monde de la bande dessinée.

Trina Robbins considère que les dessinatrices portent une attention très grande aux vêtements, quand leurs collègues hommes se concentrent sur le fait de faire porter à leurs figures féminines des choses moulantes et courtes.
Pour Miuccia Prada, la séduction est un élément assez délicat : « Les armes de séduction sont toujours les mêmes. Plumes. Lingerie. Lorsque vous êtes une féministe instruite, parfois vous rejetez cela, mais il est vrai que ceux-ci sont restés les mêmes pendant de nombreuses années. Comment se fait-il que le désir soit nécessairement lié à ces choses ? Est-ce que cela signifie que la séduction est quelque chose de profondément humain, ou que c’est une structure sociale ? C’est une question sérieuse. » En dépit d’une éducation de plus en plus attentive au sujet, il y a eu peu d’évolution dans les mentalités. La Collection printemps / été 2018 de Prada apporte des nouvelles réponses, par l’usage de la bande dessinée et, à travers cet autre média, la convocation du regard d’autres femmes ayant abordé le sujet.

Double page de Coma Deep (2014)

En dépit de leur diversité, les œuvres utilisées dans Real Life Comix ont en commun plusieurs éléments. Tout d’abord des héroïnes qui s’intéressent à leur condition de femmes et qui n’hésitent pas à mettre en avant leurs questionnements quant à leur sexualité ou à leur place dans la société.

Couverture de Hex

Prenons pour exemple le fanzine Coma Deep, écrit et dessiné par Brigid Elva sous le nom de Brigid Deacon, publié chez Eyeball Comix en 2014. Le titre n’est plus trouvable mais sur le site internet Brokenfrontier – Exploring The Comics Universe, Andy Oliver explique ainsi cette bande dessinée : « Coma Deep tombe très fermement dans cette catégorie de bande dessinée qui donne une responsabilité au lecteur afin de créer son propre sens de ses pages. Il y a là un courant de conscience cauchemardesque dans lequel l’auteur nous invite à faire le tour d’un paysage mental fracturé – une force narrative sacrifiée à une procession d’images inquiétantes, d’intensité séquentielle et de symbolisme étrangement hypnotique. La bande dessinée existe au sein de la bande dessinée dans ce méta-environnement car les personnages et les situations se glissent dans et hors d’eux-mêmes créant un monde étourdissant, étouffant et claustrophobe. »

Brigid Elva ne part pas d’idées et de concepts précis dans ses bandes dessinées et illustrations mais transmet des sensations. Le scénario n’est pas le point fondateur, il s’agit de transmettre l’expérience personnelle de l’autrice. Cette première bande dessinée est un exutoire qui pourrait être considéré comme une autobiographie. Sur Tumblr, dans l’un de ses posts ayant pour sujet Coma Deep, elle dit : « Je commence avec celui-là parce que c’est le plus personnel – vous et votre espace pouvez être violés de beaucoup de façons, elles sont toutes aussi réelles. »

Extrait de Hex

Elle puise également son inspiration dans notre culture populaire et notamment dans le thème de la sorcière, qu’elle développera dans un second fanzine, Hex, un recueil d’illustrations. Dans celui-ci, nommé également Artist as a Witch, elle casse les codes de la beauté féminine en mettant à l’honneur les corps voluptueux, les odeurs et les poils. Ici, aucun texte pour guider le lecteur qui se voit accorder une complète liberté pour interpréter les dessins de l’autrice. C’est elle-même qu’elle présente à travers cette série de dessins, à la frontière de l’autoportrait. Nous devinons toutefois que le terme de witch renvoie non pas à la sorcière de la culture populaire mais à son sens historique désignant des femmes aux multiples talents : prêtresse, spirite, magicienne, herboriste, guérisseuse ou encore sage-femme. La sorcière est une érudite et, comme le dit Elizabeth Petroff dans son ouvrage Medieval Women’s Visionary Literature, publié à New York en 1986 : « La sorcière est toujours au centre vital des choses. Elle nous conduit à notre vraie nature. »

En 1893, l’américaine Matilda Joslyn Gage, militante pour le droit de vote des femmes mais aussi pour les droits des amérindiennes et l’abolition de l’esclavage, publia un livre intitulé Femme, Eglise, Etat. Elle proposait de relire tous les écrits au sujet de la chasse aux sorcières et de remplacer le mot « sorcière » par « femme ». Cette nouvelle lecture féministe aida à appréhender l’ampleur de cette chasse aux femmes indépendantes et possédant des connaissances. Le féminisme s’est attribué la culture de la sorcière, notamment dans les années 1970 aux États-Unis et en Europe (citons la revue Sorcière, publiée en France de 1976 à 1981 sous la direction de Xavière Gauthier). Cette image de la sorcière est alors devenue un symbole de résistance et de revendication face au machisme. Puisque celles-ci étaient traquées et tuées pour le fait d’être médecin, guérisseuse ou avorteuse, les sorcières devinrent aussi un des symboles du droit à l’avortement.

Cette image de femme forte et surtout indépendante peut très bien résonner avec le statut d’autrice dans la bande dessinée. Bien que les femmes soient de plus en plus nombreuses dans la profession, elles restent tout de même peu représentées dans les bandes dessinées, comics, et plus encore dans le milieu du manga.
Les images de la femme indépendante telle qu’elle est illustrée dans Hex sont reprises par Miuccia Prada ; la couverture se retrouve sur plusieurs tenues.

Collection Prada printemps / été 2018 © Vogue
Collection Prada printemps / été 2018 © Vogue
Collection Prada printemps / été 2018 © Vogue

Le thème de la sorcière est également développé par Stellar Leuna, illustratrice australienne travaillant notamment pour des groupes punks locaux et internationaux. Les visuels de l’occultisme et du romantisme du XVIIIe siècle la passionnent ; son œuvre conjugue la nostalgie avec la recherche d’un monde meilleur. L’utilisation de son travail dans la collection comprend deux parties distinctes : une série d’illustrations nommée Fatale, publiée en 2014, est représentée sur les pièces, et une série de vidéos et de dessins a été créée spécialement pour Prada.

Witches Flying Over, par Stellar Leuna
Witches Flying Over, "World Burn", par Stellar Leuna
Witches Flying Over, par Stellar Leuna

Les visuels utilisés dans Real Life Comix présentent des scènes presque immobiles, silencieuses. World Burn, Punk Rock et Witches flying over mettent en scène des jeunes femmes dans des situations où le spectateur est encore fois libre d’interpréter la scène, parfois énigmatique. World Burn est un bon exemple, qui montre une femme avec des cornes, une cigarette et des lunettes de soleil à la forme particulière. Le point particulier de cette illustration est la scène se déroulant dans les lunettes de la femme. Une voiture et une maison sont en feu et l’attitude de la jeune femme ne laisse transparaître aucun stress, aucune tristesse, ce qui nous laisse supposer qu’elle a elle-même mis le feu à ces deux éléments. Le sens donné à cette illustration dépendra de l’interprétation que le lecteur fera des cornes présentes. La représentation de ces jeunes femmes est plus axée sur les émotions des spectateurs que sur une signification précise dictée par l’autrice, ce qui permet une liberté totale. Miuccia Prada rejoint ce principe à travers sa collection dont les vêtements ne suivent pas un schéma de pensée précis mais cherchent plutôt à susciter un émoi.

Les vidéos créées pour mettre en avant la collection de Prada reprennent les tenues de la collection ainsi que l’idée de la magie : dans un monde en flammes, trois femmes se découvrent des pouvoirs qui leur permettent d’aller de l’avant. Le fait que ces vidéos transforment une prise de vue réelle en une animation permet de scinder le conscient du subconscient, de montrer la mentalité de ces jeunes femmes. Prada veut mettre en avant les mystères enfouis, ce qui fait la particularité de chaque femme.
De nos jours, une collection n’est pas uniquement une série de vêtements mais tout un univers développé par les créateurs. Pour Real Life Comix, Prada utilise des vidéos, des photos bien sûr, mais aussi des illustrations, ainsi qu’une bande son créée pour l’occasion. Le lieu du défilé offre une trame contextuelle à toute la collection et permet une immersion pour le spectateur dans un monde de bande dessinée créé par des femmes, avec des femmes.

Vidéo 1/3 pour la collection Real Life Comix, par Stellar Leuna

Comme nous l’avons mentionné plus haut, d’autres thématiques sont mises en avant dans cette collection, comme l’image de la femme forte et indépendante, ainsi que la question de la sexualité. C’est à travers les œuvres de Trina Robbins, une autrice américaine féministe, que cet aspect s’exprime le plus directement. Elle fut, avec d’autres artistes, à l’origine du premier comic book exclusivement féminin [4], et l’une des artistes ayant participé à la publication bimensuelle du comic underground The East Village Other, en compagnie d’artistes tels que Robert Crumb, Kim Deitch et Art Spiegelman, pour ne citer qu’eux. Cette inscription dans l’underground a permis à Trina Robbins une grande liberté de création et l’usage d’un ton satirique, à une époque où la bande dessinée américaine mainstream ciblait le jeune public. Toutefois, les sujets que Trina abordait n’étaient pas conventionnels, même dans le contexte des comics underground : c’étaient le féminisme, la sexualité et les « héros » de la vie de tous les jours.

Au nombre de ces héros figure Angela Davis, militante du Mouvement des droits civiques aux États-Unis et ancienne membre des Blacks Panthers. Poursuivie par la justice avant d’être arrêtée en 1971 [5], elle était devenue, après sa libération, une figure forte de la politique américaine. Toutefois, sa position de leader du mouvement chez les Black Panthers ne lui permit pas d’être épargnée par le sexisme, son féminisme n’était pas bien vu.

Avis de recherche du FBI pour Angela Davis, 1970

L’illustration de Trina Robbins Angela Davis / Sister : You Are Welcome In This House fut diffusée pendant sa fuite, afin de permettre à ses sympathisants de la recueillir. Cette image de féministe hors-la-loi, l’autrice l’apprécie beaucoup : « L’idée était que vous mettiez ce dessin sur votre fenêtre pour annoncer que si Angela Davis passait à côté alors qu’elle était recherchée par le FBI, elle pouvait frapper à la porte et vous pouviez lui offrir un refuge. Quelle notion romantique ! Je veux dire, j’idolâtrai Angela Davis. Fuyant le FBI. Mon Dieu ! Elle était tel un personnage de bande dessinée [6]. »

Illustration de Trina Robbins parue dans It Ain’t Me Babe

Parallèlement à cette image, Prada utilise des planches du comic Rosie the Riveter, le modèle de la femme américaine participant à l’effort de guerre en travaillant, un dessin issu de la bande dessinée Dope s’inspirant très fortement de l’histoire de Billie Carleton, dont la carrière d’actrice fut stoppée par son décès dû à une overdose, et Sandy Comes Out, l’histoire vraie d’une jeune femme découvrant sa sexualité. Les thèmes sont très variés mais, bien sûr, les éléments présentés dans la collection ne permettent pas une lecture complète des histoires dans lesquelles ils ont été prélevés.

Joëlle Jones, Emma Rìos, Giuliana Maldini, Natsume Ono et Fiona Staples verront leurs dessins utilisés dans des proportions moins importantes ; ils se retrouvent moins sur les vêtements mais participent au décor du défilé. L’éclectisme est recherché à travers leurs styles graphiques différents, mais tous leurs travaux – Lady & Oldman, Saga, Qui regna l’amore, Tomboy, Lady Killer… – mettent en avant des personnages forts féminins et féministes. Il est intéressant de noter que, dans le cas de nos autrices, Marvel et DC Comics semblent avoir été des tremplins pour leur permettre de réaliser des œuvres plus personnelles par la suite. Trina Robbins fut la première femme scénariste à écrire des épisodes de Wonder Woman, en 1986. Son point de vue sur cette héroïne déjà mythique est le suivant : « Vous savez, le problème est qu’elle juste un personnage de comics. Donc malheureusement, elle change en fonction de qui l’écrit et de qui la dessine. La Wonder Woman originelle était fantastique ! Mais elle a été reprise par de nombreux artistes et ils étaient pour la plupart des hommes. Je crois que la plupart d’entre eux ne l’aimaient pas. Je pense qu’ils ont fait des choses pour la rendre moins puissante ». L’originalité de sa Wonder Woman est qu’elle est une amazone et qu’elle ne possède pas de super-pouvoirs : sa super-force et sa super-vitesse résultent de son entraînement. « L’idée était que chaque personne pouvait devenir Wonder Woman, si elle s’entraînait ».

Pour Stellar Leuna, cette super-héroïne permet de représenter les femmes dans leur différence : « Pas dans son apparence mais dans la façon dont elle peut être coriace et badass mais aussi aimante et douce. Elle se bat avec l’amour, la justice et la raison. Il n’y a pas un seul super-héros mâle qui fasse ça. Ils utilisent juste la force brute. C’est une super-héroïne unique sur plein de niveaux. » A travers ces propos, on ressent une envie, un besoin, de rendre aux femmes un pouvoir. Pas identique à celui des hommes, mais complémentaire.
Cela se ressent dans la majeure partie des travaux sélectionnés. Miuccia Prada appuiera en ce sens : « Quand la société décrit une femme comme forte, on dit d’elle qu’elle est masculine. Pourquoi ? Elle n’est pas masculine, elle est une femme forte. Je veux faire revivre mon militantisme à travers mon métier. »

Décor pour le défilé Prada printemps / été 2018
Décor pour le défilé Prada printemps / été 2018

Le fait que les noms des personnages, réels ou imaginaires, ne soient pas mentionnés, relève de la volonté de Miuccia Prada. En occultant le nom des personnages tout en mettant en avant celui des autrices, elle incite les personnes à faire des recherches par elles-mêmes. Prada interroge ses clients sur leur connaissance du monde de la bande dessinée et son implication militante. Ici, la bande dessinée n’est pas juste un motif. Les différentes autrices retenues ont toutes des questions qui leur tiennent à cœur et qui sont développées à travers l’ensemble de leurs œuvres. Elles représentent une nouvelle image de la femme dans leurs comics, mangas ou bandes dessinées.

Les premiers travaux de Trina Robbins procédaient du constat que la femme n’était alors pas mise en avant : « Au début des années 70, j’avais l’habitude d’avoir beaucoup de problèmes avec les femmes parce que j’aimais porter du rouge à lèvres rouge vif et des jupes longues, et vous n’étiez pas censé le faire ! J’étais censé être très sombre et ne pas porter de maquillage et porter une combinaison. Si vous vous aimez, vous voulez vous décorer. C’est comme si, parce que vous aimez votre maison, vous mettiez des rideaux de dentelle. » Il s’agit bien d’un point commun à toutes ces autrices, l’attention apportée aux tenues de leurs personnages et la volonté de souligner que mode et activisme peuvent être liés. Nous terminerons cet article par une courte citation de Stellar Leuna : « Les femmes peuvent être sexy et tendance tout en étant féministes. »

Bastien Pépin

[1] « It would have been a major let-down to the kids if they found out that the author of such virile and awesome characters was a gal. » Cité dans https://www.abc.net.au/news/2019-02-05/miss-fury-the-most-famous-superhero-youve-never-heard-of/10777988

[2] Avec des artistes comme James Jean, illustrateur américain, et les peintres muralistes Miles « El Mac » MacGregor, Mesa, Gabriel Specter et Stinkfish ainsi que les illustrateurs Jeanne Detallante et Pierre Mornet.

[4] Nommé It aint me Babe et publié en juillet 1970 par Last Gasp, une maison d’édition spécialisée dans les comics underground basée à Berkeley. Les autrices qui participent à cette édition sont Trina Robbins, Willie Mendes, Nancy « Hurricane » Kalish, Lisa Lyons, Carole Kalish, Meredith Kurtzman et Michele Brand.

[5] Angela Davis est poursuivie pour conspiration après que des armes à feu aient été utilisées lors de l’attaque armée d’une salle d’audience du comté de Marin, en Californie. Jonathan Jackson, un lycéen Afro-américain de 17 ans, voulait libérer plusieurs prisonniers du palais de justice. Quatre personnes trouvèrent la mort. Les armes étaient prétendument enregistrées au nom d’Angela Davis. Elle devient une fugitive, la troisième femme de l’histoire à figurer sur la liste des dix personnes les plus recherchées par le FBI.