Consulter Neuvième Art la revue

vies parallèles : les hors-série de métal hurlant

Gilles Ciment

[Janvier 2006]

Début janvier 1975 paraît le premier numéro de Métal hurlant, dont l’éditorial, signé Jean-Pierre Dionnet, affirme que les Humanoïdes associés, créés officiellement quelques semaines auparavant, se sont donné pour mission « de rééditer enfin Le Bandard fou [...], de sortir tous les trois mois un magazine de science-fiction en bandes dessinées [...], de préparer plein d’autres choses... »

Six numéros après, la revue devient bimestrielle et, emportée par son élan, se mue en mensuel dès septembre 1976 (No.9). Mais, comme hantés par le serment du 19 décembre 1974, les Humanoïdes associés lancent en octobre un nouveau trimestriel : Ah !Nana, entièrement réalisé par des femmes (lire ici-même l’article de Blanche Delaborde).
Tandis que durant l’été 1978 la censure interdit la revue féminine à la vente aux mineurs, la condamnant à disparaître immédiatement, les Humanos, éditeurs avant tout, concoctent un numéro hors-série de Métal hurlant, qui paraît en septembre.
Premier d’un long cortège de numéros spéciaux, ce Métal No.33 bis, préparé par Dionnet et Manoeuvre, est entièrement consacré à H.P. Lovecraft. Sous une splendide couverture de Giger, il réunit un ensemble de contributions de qualité tout en récits complets, de Breccia à Moebius, de Druillet à Nicollet, en passant par Caro, Chaland, Cornillon, Clerc, Ceppi ou... Margerin !
Le tout formant un ensemble de 150 pages plutôt homogènes et bien éditées.

Ce volume, mémorable, est aussitôt suivi d’un inoubliable « Spécial fin du monde », dont on peut dire qu’il marquera une génération de lecteurs qui garderont tous à l’esprit la couverture d’Aslan, mixant planète et crâne... Tout comme elle s’est particulièrement bien épanouie en littérature sous forme de nouvelles, la science-fiction fait dans ce recueil de courts récits une belle démonstration de son extrême diversité, où l’humour occupe une place de choix, de Pétillon à Margerin, en passant par Pertuzé, Chaland et Cornillon.

Le concept de numéros spéciaux thématiques semble plaire : ils deviendront donc trimestriels et, comme Métal même, ne seront pas exclusivement d’inspiration fantastique ou SF.
C’est ainsi qu’en 1979 paraissent cinq numéros : un fort intéressant « Guerre » (très américain et largement scénarisé par Archie Goodwin), mais aussi deux « Rock » et un « Humour » (couverture de Margerin parodiant Druillet), auxquels vient s’ajouter un numéro consacré au film de Ridley Scott Alien, et notamment aux contributions graphiques de Giger, Ron Cobb, Chris Foss et Moebius.
Est-ce parce que rock et humour sont des thèmes trop larges ou vagues ou parce qu’ils sont trop éloignés de l’identité historique de Métal ? Toujours est-il que les ensembles réunis manquent singulièrement de corps. Quant à la livraison consacrée à un film très attendu, si elle constitue un beau coup de marketing, elle s’éloigne franchement de la bande dessinée.

Dès lors, la périodicité et les contenus reflètent les hésitations de la revue mère et accompagnent son déclin. Ainsi, quoique toujours labellisés « trimestriels », seuls deux hors-série paraissent en 1980. Le premier se présente comme un « Spécial bizarre », qui doit se retourner à mi-pagination pour devenir, tête bêche, « Spécial classique » − comme si deux projets inaboutis n’entretenant aucun rapport avaient trouvé cette seule issue pour voir le jour. Quant au second, son titre très nostalgique (« Anthologie de l’âge d’or ») cache un objet bien mal ficelé, puisque consistant en un florilège de récits complets et gags parus dans les cinq premiers numéros, épuisés, de Métal. Sa couverture, signée conjointement par Druillet et Moebius, est ornée du célèbre logo du titre, qui a disparu depuis mai de la nouvelle formule de Métal hurlant. Déjà nostalgique sept mois après ! (Il est vrai que le numéro 57 de la revue, paraissant le même mois, voit le retour des Naufragés du temps.)

S’ensuivent d’inégaux « Vers un futur heureux », « Hollywood » et « Automobile » (1981), puis un troisième « Rock », une nouvelle livraison consacrée à un film (Conan le Barbare), un « Robot », un « Animaux » (1982). Tandis que la flamme vacille, que l’entreprise tourne visiblement au pensum, la rédaction semble chercher une nouvelle voie. Le numéro 0 de Casablanca sort en décembre 1982, préfiguration de Métal Aventure, revue bimestrielle lancée en septembre de l’année suivante. Ce millésime verra également naître un autre mensuel au 17 rue Monsigny, Rigolo, sous-titré « le rire rock » (concept très Margerin, fusion des deux tendances fortes − hors SF − de la revue) et sortir un quatrième « Rock », une troisième opération promotionnelle sur un film (Tygra) et un « Spécial Amour d’été » qui en dit long sur la perte d’inspiration d’une revue recourant au même marronnier que l’ensemble de la presse magazine de plage, et donnant soudain un autre sens à son sous-titre, « la machine à rêver »... Avec trois titres réguliers, l’un à dominante SF-fantastique et à vrai dire un peu fourre-tout, un autre aventure et un troisième humour et rock (mais qui disparaît à l’été 2004), plus besoin de spéciaux. L’été suivant pourtant, un hors-série « Métal Humour » vient raviver, l’espace de 100 pages, le souvenir peu indispensable de Rigolo, alors même que disparaît Métal Aventure. Deux ans plus tard, sans que plus aucun nouveau numéro spécial ni autre titre périodique ne soit sorti, c’est Métal qui s’éteint, après une lente agonie.

Gilles Ciment

(Cet article a paru dans le numéro 12 de 9ème Art paru en janvier 2006.)