Consulter Neuvième Art la revue

de l’influence de jules verne sur g.ri

Jean-Luc Guinamant

[Mai 2020]

Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, deux auteurs se partagent la vedette dans Les Belles Images. Pendant douze années, Georges Omry et G.Ri, c’est-à-dire Georges Mory et Victor Mousselet, y publient des centaines d’histoires, proposant notamment – à l’inverse de la plupart des autres contributeurs – des histoires à suites.

G.Ri et les histoires à suites

S’il m’est difficile de dater la première histoire de G.Ri dans Les Belles Images, n’ayant pas encore pu retrouver les premiers numéros, il semble que la dernière ait été « Les Esprits Justiciers », parue, en 18 vignettes, dans le No.1253 du 20 septembre 1928.
En ce qui concerne les histoires à suites, la dernière à paraître sous sa signature a probablement été donnée à un autre journal ; il s’agirait de « Le Tour du monde en tri-porteur », parue dans L’Aventure, périodique publié par Fayard de juin 1927 à mars 1929.

Voici les dix-huit histoires à suites qui se sont succédé dans Les Belles Images de 1905 à 1915, dans l’ordre chronologique :
- « Mythologie amusante », du No.33 au No.37 ;
- « L’Héritage de la famille Cassonade », du No.44 au No.52 ;
- « La Pilule hilarante », du No.61 au No.65 ;
- « Vacances féeriques », du No.72 au No.77 ;
- « Aventures merveilleuses », du No.85 au No.93 ;
- « Histoire fantastique du Roi Bobine XIX », du No.105 au No.114 ;
- « Au fond de la mer », du No.119 au No.128 ;
- « Dans l’infini », du No.140 au No.150 ;
- « Au royaume des jouets », du No.162 au No.171 ;
- « Dans les entrailles de la Terre », du No.178 au No.188 ;
- « Au pays des Rajahs », du No.204 au No.213 ;
- « Au pôle Nord », du No.220 au No.236 ;
- « Ce rêveur d’Oniséphore », du No.254 au No.263 ;
- « Etranges Aventures d’un Parisien en Chine », du No.340 au No.349 ;
- « Au pays de l’ogre Bouftout et de la fée Cocasse », du No.368 au No.377 ;
- « Le Savant Diplodocus à travers les siècles », du No.432 au No.442 ;
- « Le Tour du monde en Hydroaéroplane », du No.488 au No.499 ;
- « Dans La Planète Mars », du No.540 au No. 551 (août 1914 - mars 1915).

Comme l’a relevé Annie Renonciat dans l’album L’Ile de la fée Bijou (éditions 2024, 2019), l’auteur ne se prive pas de réaliser de multiples emprunts sous forme de « copie, citation, pastiche, parodie…, etc. »
Si Gustave Doré et Albert Robida ont, sans conteste, influencé G.Ri, qu’en est-il de Jules Verne, dont l’œuvre, comme l’on sait, est constituée en grande partie de romans d’aventures utilisant, ou anticipant, les progrès scientifiques au service d’un genre littéraire que nous nommons aujourd’hui science-fiction ?

De l’influence de Jules Verne

Dans un article paru dans Le Chasseur d’Illustrés en novembre 1968, Jean Monniot décrivait le style littéraire de G.Ri comme « simple et lapidaire, en quelques phrases courtes il commente l’image avec, de temps en temps, une petite remarque finement humoristique, un peu à la manière de Jules Verne ».

Cherchant à confirmer cette influence, on sera d’abord alerté par la proximité entre les titres de certaines de ces histoires à suites et ceux d’œuvres de Verne. Je pense en particulier à :
- « Au fond de la mer » et Vingt mille lieues sous la mer ;
- « Dans les entrailles de la Terre » et Voyage au centre de la Terre.

« Au fond de la mer » présente en effet des similitudes avec Vingt Mille Lieues sous la Mer, particulièrement lorsque les héros découvrent les poissons des profondeurs, des trésors engloutis, des épaves de navires et les ruines d’une ancienne ville (l’Atlantide). Mais c’est surtout avec « Dans les entrailles de la Terre » que, pour citer Jean Monniot, « nous sommes proche d’un plagiat bien plaisant à regarder ».

Dessin original de G.Ri influencé par Edouard Riou :
« Je m’imaginais voyager à travers un diamant »

Le roman de Verne Voyage au centre de la Terre est paru en 1864. Mais il faut comparer l’histoire de G.Ri avec la version de 1867, agrémentée de 56 illustrations réalisées par Edouard Riou.
« Dans les entrailles de la Terre » comprend 11 suites de 24 images et a paru du 12 septembre au 21 novembre 1907. A la différence de Georges Omry, qui, pour une histoire en 24 dessins, fournissait 4 planches de six dessins au format A4, G.RI proposait ses histoires en 24 dessins séparés, de format 12 x 10 cm environ. « Dans les entrailles de la Terre » est donc constituée de 264 dessins.

Si, dans le cas de Verne, la recherche du centre de la Terre est déclenchée par l’achat d’un manuscrit islandais du XII siècle, dans le cas de G.Ri le point de départ est un tremblement de terre faisant disparaître la maison de nos héros dans une crevasse. Par ailleurs, les voyages prennent un cours légèrement différent ; chez G.Ri, le héros rencontre un peuple vivant sous terre et ramène à la surface une femme qui deviendra son épouse.

Sur les 56 gravures de Riou, une trentaine illustrent proprement le voyage sous terre. En les comparant aux dessins de G.Ri, nous trouvons au minimum une dizaine de scènes très proches, comme celles du « voyage au travers d’un diamant » ou de la « vaste nappe d’eau ». Trois d’entre elles surtout relèvent plus de la copie que de l’inspiration : ce sont celles de la forêt de champignons, des algues immenses ondulant sur l’eau et enfin de la bataille des animaux préhistoriques.

Edouard Riou : « Ce n’est qu’une forêt de champignons »
Image correspondante chez G.Ri (dessin original)

Les titres des illustrations de Riou concernées sont les suivants :
- « Je m’imaginais voyager à travers un diamant » (gravure No.29 ; à comparer avec la vignette 140 de G.Ri) ;
- « Une vaste nappe d’eau s’étendait devant mes yeux » (gravure 36 / vignette 155) ;
- « Ce n’est qu’une forêt de champignons » (gravure 37 / vignette 170) ;
- « Des algues immenses vinrent onduler à la surface des flots » (gravure 39 / vignette 222) ;
- « Ces animaux s’attaquent avec fureur » (gravure 42 / vignette 234).

Edouard Riou : « Ces animaux s’attaquent avec fureur »
Image correspondante chez G.Ri (dessin original)

Si, comme l’a montré Annie Renonciat, Gustave Doré a inspiré G.Ri, nous pouvons dire que pour « Dans les entrailles de la Terre », l’influence d’Edouard Riou a été plus que certaine.

Jean-Luc Guinamant

Edouard Riou : « Une vaste nappe d’eau s’étendait devant mes yeux »
Image correspondante chez G.Ri (dessin original)