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l’Association, vingt ans après (1)

Donc, l’Association fête cette année ses vingt ans d’existence. Les anniversaires sont souvent propices aux bilans, celui-ci plus qu’un autre. Car il est certain qu’aucune maison d’édition n’aura exercé si grande influence sur la création de bande dessinée dans la période contemporaine.

Le catalogue de l’Association est un remarquable condensé d’à peu près toutes les grandes évolutions récentes du neuvième art : imposition de formats échappant au diktat du fameux « 48CC », annexion du domaine de l’intime, revival de la narration muette, internationalisation, exploration du patrimoine et redéfinition du canon, expérimentations formelles, reportages dessinés et récits de voyages, exploration de l’interface entre l’image imprimée et l’art de galerie, invention d’un nouveau discours critique, etc. Au carrefour de tous les enjeux artistiques, à l’avant-poste de toutes les aventures de la création, l’Association a eu un rayonnement symbolique infiniment supérieur à son poids économique.

Même si les décisions ont longtemps été collégiales, il n’est que juste de souligner qu’un individu a exercé sur cette entreprise un ascendant tout particulier, ne serait-ce qu’il est depuis l’origine la plume, donc la voix, inimitable, de l’Association – j’ai nommé Jean-Christophe Menu. Sans autre expérience de l’édition que l’animation de quelques fanzines, Menu restera comme l’homme qui aura su incarner, sans jamais en dévier d’un seul pouce, une certaine idée de la bande dessinée, et notamment aller jusqu’au bout de deux postulats révolutionnaires dans leur simplicité même : traiter les bandes dessinées comme de vrais livres et les dessinateurs comme d’authentiques auteurs.

Ce que l’on désigne aujourd’hui de par le monde sous le nom de « roman graphique » et que l’on a tant de mal à définir n’est peut être rien d’autre, à tout prendre, que la résultante de ces deux conditions.
Bien entendu, l’Association n’a pas été l’unique moteur de cette évolution. Il faut rappeler l’existence, dans la période antérieure, des éditions Futuropolis, celle du mensuel (A Suivre), et le formidable impact du chef-d’œuvre de Spiegelman Maus (1986) ; puis saluer les autres éditeurs alternatifs de la première heure, Cornélius, Amok, Fréon, Ego comme x…, qui ont contribué à faire de ce qui aurait pu n’être qu’une aventure isolée, un mouvement de fond.

C’est justement en cela que l’histoire de l’Association se distingue nettement de celle de Futuropolis, souvent invoquée comme modèle. La valeureuse maison d’édition animée par Robial et Cestac était rapidement devenue une curiosité sympathique, une anomalie dans un paysage éditorial qui ne bruissait que de bestsellers, de « retour de l’aventure » et d’essor de la BD en costumes, un monde où les « hommes en gris » avaient presque partout eu raison des éditeurs, au vrai sens du terme. Elle défendait d’autres conceptions de la bande dessinée et de l’édition, certes, mais se complaisait dans une marginalité revendiquée, qui ne troublait pas le système en place et ne le poussait pas à changer.

Au contraire, le travail de l’Association aura eu pour effet de remodeler l’ensemble du paysage. Son pouvoir d’influence a été considérable,
de même que son aura internationale, comme en a témoigné exemplairement, il y a tout juste dix ans, le Comix 2000.

Première page de l’appel à collaboration au Comix 2000, diffusé internationalement

Et je crois que l’une des raisons (insuffisamment soulignée à ce jour) de ce pouvoir d’influence a été que le faire de l’Association a constamment été doublé, accompagné, prolongé d’un dire. Futuropolis ne faisait pas de bruit tandis que, grâce à Menu, à la vertu de l’exemple se sont conjugués le pouvoir des mots, la force d’entraînement des idées. Il faudra bien publier un jour une compilation de tous les éditoriaux et communiqués de la « Mappemonde »…

(à suivre…)