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les femmes mènent l’avancée de la bande dessinée nordique

Ville Hänninen

[Avril 2020]

Traduit du finnois par Kirsi Kinnunen, avec l’aimable collaboration d’Anne Cavarroc.

Pendant longtemps, la bande dessinée a été considéré comme un divertissement majoritairement masculin. Au moment même où elle gagnait ses lettres de noblesse en tant qu’art à part entière, les femmes ont été de plus en plus nombreuses à s’y consacrer. Cette tendance a été particulièrement forte dans les pays nordiques ces dernières années.

Mon travail de journaliste et essayiste m’amène souvent à effectuer des recherches dans les archives photographiques des associations d’artistes finlandais. Pas besoin de remonter plus loin que les années 1950 et 1960 pour être surpris par leurs photos d‘assemblées générales : c’est plein à craquer d’hommes. On y repère peut-être une ou deux femmes pour la forme, mais guère plus.
Depuis les contestataires années 1960, la présence des femmes dans la plupart des domaines artistiques s’est affirmée d’année en année, lentement, mais sûrement. Aujourd’hui, elles sont majoritaires au sein des associations d‘écrivains ou d‘artistes plasticiens – métiers dont la bande dessinée s’approche sans doute le plus.
Dans la bande dessinée, on observe la même évolution, mais au ralenti. Sur ce point, le 9e art a longtemps fait tache. La bande dessinée plonge ses racines dans la culture populaire, et même si à une époque une partie des magazines BD (notamment ceux consacrés aux histoires romantiques) était destinée aux filles, l’écrasante majorité de la production pour enfants était faite par les garçons pour les garçons (et elle l’est toujours, mais ce serait le sujet d’un autre article).

Le tournant décisif s’est produit à l’orée du XXIe siècle et le basculement a été puissant et durable. La majorité des étudiants en bande dessinée sont désormais des femmes, et les femmes comptent pour la majeure partie de la création contemporaine la plus intéressante. Et c’est le cas, à mon avis, dans tous les pays nordiques.
Ce phénomène s’explique par la force de l’exemple. En Suède, des autrices telles que Liv Strömquist ou Sara Granér, dont le propos est ouvertement social et satirique, ont encouragé les femmes à entrer dans l’univers de la bande dessinée. Une fois que les pionnières ont montré l’exemple, faire de la bande dessinée apparaît alors comme un choix professionnel valide.
À mon sens, l’effet le plus notable de ce changement ne relève pas tant de la politique des genres que de l’approche artistique. Le genre et la situation socio-économique d’un individu ont tous les deux une influence sur sa pensée et ses créations. En Allemagne Anke Feuchtenberger, et en Finlande Kati Kovács et Katja Tukiainen, se distinguent dès les années 1990 par leurs thématiques et leur manière de les traiter. La nouvelle voie qu’elles ont tracée, loin des vieilles traditions de la bande dessinée, s’inscrit désormais dans le paysage.
Le travail créatif de nombreuses autrices nordiques se base plutôt sur leurs études artistiques que sur la lecture des bandes dessinées et je pense que cela explique justement leur ouverture d’esprit. Sans avoir à trimballer un pesant bagage de références, elles peuvent se permettre une liberté d’expression dans la forme aussi bien que dans le fond.

Quelques mots sur la bande dessinée finlandaise

Je préfère illustrer ce constat nordique avec l’exemple de la bande dessinée finlandaise, puisque c’est celle que je connais le mieux. Le tout premier ouvrage de bande dessinée réalisé par un artiste finlandais (Professori Itikaisen tutkimusretki, « L’Expédition du professeur Itikainen », d’Ilmari Vainio) est publié en 1911 aux éditions WSOY. Avant et après cet ouvrage, les bandes dessinées paraissent principalement dans les pages des quotidiens ou des magazines. L’exemple mondialement connu est Moomin le troll (1954–1975) de Tove et Lars Jansson. En Finlande tout comme dans les autres pays d’Europe occidentale, la bande dessinée relève d’une forme de culture populaire, alors que les ouvrages indépendants racontant des histoires longues demeurent longtemps l’exception.

Le changement se produit à partir des années 1970 et la tendance commence à vraiment s’affirmer dans les années 1990. La bande dessinée gagne ses lettres de noblesse en tant que forme d’art dotée de sa propre histoire et ses propres lois. C’est à cette époque que naissent également les organisations de promotion et de défense de la bande dessinée finlandaise. La Société finlandaise de la bande dessinée est fondée en 1971 pour soutenir la visibilité et la diffusion d’une bande dessinée finlandaise de qualité. Le festival de bande dessinée de Helsinki, organisé depuis 1979, met en avant l’importance et l’attrait de la bande dessinée finlandaise, et, en parallèle, épouse le rôle de passeur avec l’international.

Du point de vue féminin, le tournant essentiel en Finlande s’opère dans les années 1980 qui voient l’apparition de plusieurs petites maisons d’édition spécialisées. En suivant l’exemple américain de la revue RAW et celui d’éditeurs français tels Futuropolis et, un peu plus tard, L’Association, elles publient des bandes dessinées de qualité traduites en finnois et introduisent sur la scène finlandaise le canon et les nouvelles tendances du 9e art.

À cette époque, le nombre d’auteurs et d’autrices finlandais commence à augmenter. La production de bande dessinée croît fortement dans les années 1990, et la tendance se poursuit jusqu’au début des années 2010. Alors que fin 1980, le nombre d’ouvrages de bande dessinée finlandaise se compte encore avec les doigts de deux mains, au début des années 2010, on atteint près de 100 parutions par an. Cela illustre bien l’échelle du changement même si, depuis, ce nombre a quelque peu diminué, suivant l’évolution générale du marché du livre en Finlande. Bien sûr, du point de vue français, ces chiffres paraissent minuscules, mais pour un pays de cinq millions d’habitants, c’est considérable.

Le nombre d’autrices a suivi l’augmentation du nombre de parutions de bande dessinée. D’abord manifeste chez les étudiantes, la tendance se confirme désormais dans les titres publiés. Le 9e art, considéré depuis si longtemps comme un divertissement masculin, est en train de devenir une discipline artistique paritaire.
Dans les années 1980, seules quelques femmes, telles que Kati Kovács et Riitta Uusitalo, exerçaient le métier d’autrice. C’est le journal Naarassarjat (« Bandes dessinées femelles », publié entre 1992 et 1993), qui, sous la direction de Johanna « Roju » Rojola et Kata Koskivaara, lance le premier l’assaut des femmes sur la profession. Le journal ouvre aux femmes les portes d’une aire de jeux jusqu’alors dominée par les hommes. Plusieurs autrices encore actives aujourd’hui ont fait leurs débuts dans ce journal. À l’époque, les lecteurs masculins se plaisent à moquer les autrices et leur trait prétendument bâclé, ou encore le manque de cases fermées.

Ces dernières décennies, les traditions s’effritent, d’autant plus lorsque le 9e art rue dans les brancards. Plusieurs jeunes artistes poussent les limites du genre aussi bien sur le plan visuel que narratif en explorant des points de vue personnels. Tiina Pystynen traite de la féminité, de la sexualité et des éléments tabou qui s’y rattachent. Fort malheureusement, elle n’a pas encore été publiée en français. Dès les années 1990, Katja Tukiainen choisit l’autobiographie comme son genre d’élection, et une décennie plus tard, Kaisa Leka ainsi que des dizaines de blogueurs et blogueuses BD la suivent sur la même voie.
Aujourd’hui, parallèlement à la bande dessinée autobiographique, de nouvelles approches sont apparues, mais dans l’ensemble, les exemples les plus intéressants de la bande dessinée féminine rappellent toujours que dans une bonne bande dessinée, le style et le propos font un, et le dessin, vivant, respire.
Le nombre d’ouvrages de bande dessinée finlandais publiés en français dépasse aujourd’hui la centaine, et de nouveaux titres sortent régulièrement sur le marché français. Parmi eux, plusieurs excellents exemples incarnent cette narration vivante et organique.

Le poids de la perte

Le style puissant et les thématiques de La Terre perdue (L’An 2, 2018) de Hanneriina Moisseinen bouleversent le lecteur. Situé à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, c’est un récit sur le déracinement provoqué par la guerre ; celui des humains comme celui des animaux.

Hanneriina Moisseinen, La Terre perdue, page 139

Hanneriina Moisseinen expose les sentiments de tristesse et de perte d’une manière unique. Son précédent roman graphique, Isä (« Père », Kreegah Bundolo, 2013), autobiographique, raconte la disparition, restée inexpliquée, du père de Hanneriina, lorsqu’elle avait 10 ans. Le chagrin et l’incertitude qui se sont abattus sur la petite fille, et qui l’accompagneront toute sa vie, sont dépeints avec une grande maîtrise de la nuance.
La Terre perdue a pour trame de fond ce même thème de la perte. Là où Isä est la description d’un deuil individuel, La Terre perdue est drapée dans le linceul d’une perte collective. Comme pour une tragédie classique, nous devinons dès le début la fin de l’histoire, mais l’autrice nous révèle comment et par quels événements la fin arrive ainsi que ceux qui la subissent.

L’histoire est construite sur la souffrance des animaux et l’effondrement des esprits dans la guerre. La grande offensive de l’Armée rouge en été 1944 sur la frontière orientale de la Finlande déclenche un exode massif de la population. Ces événements sont observés du point de vue d’une vachère – et de ses vaches – et de celui d’un soldat ayant perdu la raison.
La singularité des ouvrages de Hanneriina Moisseinen réside dans sa façon de rythmer son récit. Elle oblige le lecteur à ralentir sa lecture et ainsi à prêter attention à une narration et une construction particulières. Dans Isä, le rythme de lecture est ponctué par de puissantes séries de vignettes brodées, alors que dans La Terre perdue, la densité de l’ambiance est instillée par les photographies documentaires en vis-à-vis de dessins au crayon d’une grande sensibilité. Le regard s’arrête, habilement piégé dans les détails d’une photo, puis s’en retourne au dessin.

La Terre perdue représente ce que la bande dessinée finlandaise actuelle offre de mieux : c’est un récit visuellement fascinant et empreint d’une poésie personnelle sur la psyché humaine.

Hanneriina Moisseinen, La Terre perdue, page 78

Plusieurs autrices choisissent un point de vue personnel et n’ont pas peur d’une expression subjective puissante. Cela ne les empêche pas pour autant d’embrasser de grands thèmes sociaux, ni de présenter une vision politique forte ou d’affirmer un engagement artistique intense. Leur démarche consiste tout simplement à donner la priorité à l’expression artistique ainsi qu’à la narration de récits.

Interprétations diverses de l’enfance

Un bel exemple récent de l’éminence de la bande dessinée finlandaise vient du côté féminin. Il s’agit de Satakieli joka ei laulanut (« Le Rossignol s’est tu », Suuri Kurpitsa, 2019), le premier ouvrage de bande dessinée de Juliana Hyrri, qui a été couronné au printemps 2020 par le prestigieux prix Kritiikin kannukset (« L’Étrier de la critique ») de l’Association finlandaise des critiques d’art. C’était la troisième fois seulement que le prix, décerné depuis bientôt 60 ans dans tous les domaines artistiques, a été attribué à un auteur de bande dessinée.

Extrait de Juliana Hyrri, Satakieli joka ei laulanut

Chez Juliana Hyrri, les expériences de l’enfance glacent le sang. Les enfants n’y ont aucun libre arbitre sur leur vie. Certes, ils sont des acteurs à part entière du monde qui les entoure, décrit à travers leurs observations, mais devant certains événements, ils sont impuissants. Et quand bien même ils ne le seraient pas, les choses arrivent « juste comme ça ». Quoi de plus horrible que le quotidien, sinon de rester sur le banc de touche quand les choses arrivent ? Ces événements-clés de l’enfance ont un impact dévastateur qui résonne dans une vie entière.

Satakieli joka ei laulanut puise sa quintessence dans des expériences primaires connues de tous, aussi bien dans la réalité que dans l’art : la perte de l’innocence, l’apparition prématurée de la violence, la honte à donner des sueurs froides, les premières notions de la perte et de l’abandon.

Extrait de Juliana Hyrri, Satakieli joka ei laulanut

Ici aussi, l’essentiel se trouve dans l’esthétique, dans la manière par laquelle l’art devient art. Le graphisme de Juliana Hyrri n’est pas sans rappeler les meilleurs travaux de Katja Tukiainen ou d’Amanda Vähämäki, mais il demeure néanmoins profondément personnel. Le choix de raconter du point de vue de l’enfant est consolidé par une joyeuse diversité de styles qui parviennent cependant à rester cohérents entre eux. La genèse de Satakieli joka ei laulanut s’est étendue sur plusieurs années, et les différents styles graphiques que Juliana Hyrri y emploie offrent la possibilité d’interpréter chaque histoire comme autant d’étapes de cette période de latence qu’est l’enfance. Elles s’imbriquent discrètement mais solidement les unes aux autres, en racontant beaucoup toutes seules, et encore plus ensemble.

La génération des rebelles suédoises

Dans ses grandes lignes, l’évolution de la bande dessinée suédoise est similaire à celle de la bande dessinée finlandaise, à une exception près : en Suède, elle est depuis longtemps bien plus engagée et féministe. En effet, la part des femmes dans la bande dessinée suédoise commence à augmenter dans les années 1980, d’abord lentement, puis en formant un véritable raz-de-marée. Au XXIe siècle, la masse critique est atteinte et la production s’emballe.

Les principales éclaireuses de ce phénomène sont sans doute les autrices réunies autour de la revue et la maison d’édition Galago. Galago, fondée en 1979, épouse depuis toujours une tendance gauchiste, qui s’affirme encore davantage sous la direction des éditeurs Mats Jonsson et Johannes Klenell. Pour les autrices Sara Granér, Liv Strömquist, Nina Hemmingsson et Nanna Johansson, entre autres, l’angle d’attaque est celui d’une critique sociale assumée et féministe. Alors que les auteurs et autrices finlandais·es sont traditionnellement plutôt introverti·e·s et peu expressif·ve·s sur le plan politique, leurs congénères suédois ne cachent pas leur jeu. Dans les parutions suédoises les plus intéressantes de ces dernières années, une bonne part excelle dans une critique sociale virulente – et féministe.

Cette critique insolente a également porté ses fruits sur le plan commercial. Les ouvrages de bande dessinée et de dessin satirique de Sara Granér et Liv Strömquist ont connu un énorme succès en Suède. Elles le doivent sans doute à la même recette que Hara-Kiri et Charlie Hebdo en France : l’intransigeance politique, qui ne signifie pas forcément un manque d’humour. En plus de leur public, les autrices suédoises connaissent les codes et traditions de l’humour, elles savent jouer avec ses clichés et ses scléroses souvent masculins. Les paradoxes et la bêtise de la pensée du quotidien font partie de leurs cibles récurrentes, abattues avec brio.

Unir le simple et l’universel

Les créations de Liv Strömquist en sont les représentantes parfaites. Livre après livre, elle s’attaque au caractère normatif de la société, au rapport de l’humain avec son corps et son droit d’en disposer, aux rôles de genre persistants siècle après siècle, ou encore à l’amour romantique et à la conception traditionnelle du mariage.

Extrait de Liv Strömquist, Kunskapens frukt (L’Origine du monde)

Liv Strömquist use du texte pour construire ses pages et combine ses dessins aux collages, alors que la bande dessinée traditionnelle se montre plutôt frileuse envers ces deux techniques. Liv Strömquist, tout en élégance, n’a pas la langue dans sa poche et son trait en apparence grossier facilite en réalité l’identification du lecteur.

Les meilleurs ouvrages de Liv Strömquist sont Les Sentiments du prince Charles (Rackham, 2012), L’Origine du monde (Rackham, 2016) et Grandeur et décadence (Rackham, 2017). C’est dans ces livres surtout que l’autrice suédoise déploie avec maîtrise son style : une rhétorique humoristique basée sur des paradoxes et des remises en question qui évoquent davantage le pamphlet ou l’essai que les cases traditionnelles des divertissements dans lesquelles l’histoire prime.

L’Origine du monde a pour sujet l’organe sexuel féminin et son rôle sociétal à travers les âges. Liv Strömquist étale devant nous toute une liste d’hommes célèbres qui s’y sont intéressés, des juges de l’inquisition à Sigmund Freud.

Grandeur et décadence brouille pour sa part les fréquences du capitalisme et expose l’énorme gouffre entre les classes dans les sociétés occidentales en se proposant d’étudier les caractéristiques émotionnelles de l’idéologie capitaliste. Alors que la rhétorique de la droite politique invoque la raison, Liv Strömquist demande malicieusement pourquoi chercher la pleine conscience dans les dogmes orientaux – puisque notre système capitaliste occidental n’a pas d’égal historique dans l’art de vivre dans l’instant présent ? Quant aux dégâts, on s’en occupera plus tard, et avec un peu de chance, ça tombera sur quelqu’un d’autre.

Des ados cools et des matchs Tinder étonnants

De nombreuses autrices suédoises intéressantes et/ou qui ont du succès ont trouvé leur public parmi les vingtenaires et les trentenaires avec leurs problèmes générationnels. D’apparence faussement simple, le roman graphique Nattbarn (« La Gosse de la nuit », 2014) de Hanna Gustavsson crée la surprise. Il tire toute sa puissance artistique de l’ambiguïté entre ce qui est montré et ce qui est caché.


L’histoire raconte la vie d’Iggy, que ses parents et ses profs appellent Ingrid. Jeune de 14 ans, Iggy noue une relation avec le photographe de classe de son école, bien plus âgé qu’elle. Iggy méprise le nouvel amant de sa mère et veut juste que sa famille lui fiche la paix pendant qu’elle cherche un contact avec le monde extérieur en chattant et en parcourant, l’esprit agité, des sites pornographiques homosexuels et lesbiens.
Nattbarn présente Iggy comme quasiment dénuée de genre. En brouillant et cachant le côté fille d’Iggy, Hanna Gustavsson met plutôt l’accent sur l’interaction humaine, révélée à travers de petits gestes en apparence insignifiants. Les micro-mimiques, caractéristiques de la bande dessinée, y revêtent pourtant une grande importance. Le lecteur a l’impression de lire sur le visage des personnages bien plus que ce dont ils ont eux-mêmes conscience.

L’autrice transforme les faiblesses présumées d’Iggy en points forts. Iggy peut être agitée par un flot d’hormones, et en même temps, elle apparaît comme la personne la plus sensée de toute l’histoire. Elle est à sa façon consciente d’elle-même, et même dans son incertitude, elle reste droite dans ses bottes.
Au moment crucial de l’histoire, Iggy vole la casquette AC/DC de son photographe admiré et fait des selfies avec. Ses petites mimiques diaboliques expliquent pourquoi Nattbarn a été couronné du prix Urhunden (« Chien paria ») en tant que la meilleure bande dessinée suédoise en 2014.

Extrait de Hanna Gustavsson, Nattbarn

En 2018 en Suède, le succès surprise s’appelait Toujours tout foutre en l’air (Revival, 2019), roman graphique de Moa Romanova. Le personnage principal, Moa – l’homonymie laisse supposer qu’il s’agit de l’autrice elle-même – traîne sa vie sans y trouver aucun sens. Une célébrité rencontrée sur Tinder s’offre comme mécène de la jeune artiste, ce qui a pour effet de déséquilibrer Moa encore davantage.
Un tel résumé peut paraître sinistre mais peu de bandes dessinées m’ont autant emballé ces derniers temps. Moa Romanova tord tout en retenue les formes de son univers et joue avec les couleurs. Le résultat est à la fois absurde, drôle et touchant.

Et maintenant ?

Aux côtés de la communauté artistique qui s’est formée autour du journal Galago, et les auteurs et autrices qui en sont sortis pour travailler sur leurs propres ouvrages et élargir leur public, le collectif féministe Dotterbolaget (« Filiale »), créé en 2005, a également contribué à l’évolution de la bande dessinée suédoise. Constitué d’autrices qui se sont rencontrées pendant leurs études à l’école de bande dessinée de Malmö, les publications du collectif ont permis à Sara Hansson, Lisa Ewald et Karolina Bång (entre autres) de se faire remarquer par le grand public. De façon encore plus claire et plus précise que Galago, Dotterbolaget se consacre aux thématiques féministes, sans pour autant transiger sur l’humour noir.
Dotterbolaget a également mis le doigt sur les aberrations de la scène BD suédoise : en effet, la grande majorité des gardiens du temple, à savoir les éditeurs, les critiques et les enseignants, sont des hommes. Le débat ouvert par les femmes a certainement fait évoluer petit à petit la situation dans le pays. On souhaiterait pouvoir témoigner d’une même évolution à grande vitesse dans tous les grands pays de la bande dessinée.

Ville Hänninen

Extrait de Hanna Gustavsson, Nattbarn