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louis cance, l’homme de "hop !"

[Juin 2017]

Né en 1939, Louis Cance a eu une première vie comme dessinateur (dans Record, Lisette, Vaillant et Amis Coop) ; il anime depuis 1973 le plus vieux fanzine d’études sur la bande dessinée paraissant en France, Hop !
Neuvième Art l’a rencontré chez lui pour évoquer cette double carrière...

Thierry Groensteen : Dans de précédents entretiens, vous avez déjà raconté que vous êtes issu d’un milieu très modeste, mais que vous n’en lisiez pas moins plusieurs illustrés chaque semaine...

Louis Cance : Quand j’étais tout petit, ma mère m’achetait des Zozo, Bibi Fricotin, Nounouche..., et on avait un parent qui faisait régulièrement la ligne de chemin de fer Paris-Aurillac ; quand il arrivait à Aurillac, il venait coucher chez nous. Dans le train, à l’époque, les gens lisaient beaucoup, et ils abandonnaient leurs journaux sur place. Donc il arrivait toujours avec une poignée d’illustrés... Plus tard ma mère m’a acheté Coq Hardi, Donald, Tarzan, Vaillant... Ce n’était pas trop cher, par rapport au coût de la vie, et je préférais des livres aux jouets.

(Photo Thierry Groensteen)

Vous avez toujours vécu à Aurillac ?

Oui, sauf dans ma toute petite enfance où j’étais encore dans mon village natal, Sansac-de-Marmiesse, à quelques kilomètres d’ici. Mais j’ai perdu mon père à l’âge de deux ou trois ans, dans un accident, et quand il est décédé ma mère est venue s’installer à Aurillac pour y chercher du travail. J’étais son seul enfant.

À quel moment avez-vous songé à faire de la bande dessinée votre métier ?

Tout petit. À l’époque, on ne demandait pas aux enfants ce qu’ils voulaient faire, on leur cherchait un travail. Mais moi, quand on m’interrogeait, je disais que je voulais être peintre-illustrateur. J’avais trouvé des blocs de sténo, avec lesquels je me fabriquais les petits fascicules d’une collection que j’avais baptisée « Justus ». Je recopiais des bandes dessinées qui existaient déjà : Les aventures de Red Ryder, par exemple, « par Louis Cance d’après Fred Harman ». En général, je faisais la couverture, et je calais très vite sur l’intérieur. Mais déjà à cette époque je m’intéressais aux auteurs, je savais reconnaître leur style...

Avez-vous jamais pris des cours de dessin ?

Non, jamais. J’ai appris en regardant ce que faisaient les autres.

Comment s’est passée votre entrée dans la profession ?

J’ai été obligé de travailler à quinze ans, et je me suis retrouvé apprenti employé de commerce d’un grossiste en mercerie-bonneterie. Je continuais à dessiner après mes heures de travail. Et un jour je me suis décidé à essayer de publier une histoire.
Des jeunes de Lyon avaient créé un journal, L’Écureuil. Ils avaient participé à une émission de Pierre Bellemare, « Vous êtes formidables », à la suite de quoi les Éditions Dupuis leur avaient imprimé un numéro, et Franquin, Peyo, Sirius avaient fait des couvertures. Mon tout premier travail publié, une histoire de Résistance, a paru là.
L’Écureuil n’a connu que treize numéros. Mais j’avais remarqué que, dans une publication qui avait pour titre Johnny Texas et qui émanait des éditions du Puits Pelu, à Lyon, on publiait de nouveaux dessinateurs, des débutants. J’ai envoyé deux pages d’essai, les deux premières d’un western, dans le style réaliste. L’éditeur m’a répondu qu’il avait déjà beaucoup de westerns, qu’il fallait trouver autre chose. Comme j’aimais bien les romans d’espionnage, j’ai fait deux nouvelles pages sur ce thème-là. Ça n’a pas convenu non plus. Pour ma troisième tentative, j’ai choisi un policier de la police montée – en souvenir de la BD américaine King of the Royal Mounted. Et cette fois j’ai été accepté. J’ai dessiné un épisode complet, en huit ou dix pages, je ne sais plus, le premier des aventures de Red Devil. Nous étions en 1959, j’avais vingt ans. J’ai été payé, avec un chèque. Mais je n’avais pas de compte bancaire, donc je ne pouvais pas l’encaisser ; j’ai dû leur renvoyer le chèque et demander à recevoir un mandat.

Quels étaient les dessinateurs qui vous inspiraient particulièrement, ceux que vous auriez voulu pouvoir égaler un jour ?

Il y en avait beaucoup. Gillon, Poïvet, Mathelot, Hubinon, Marcello... mais aussi les Américains. Comme j’avais lu beaucoup de bandes dessinées, je n’avais aucun mal à concevoir des mises en page, à varier les vignettes...

Pépé Dynamite

Red Devil n’a pas vécu très longtemps...

Non, et pour cause : j’ai fait trois épisodes et puis j’ai été rattrapé par le service militaire, qui a duré vingt-neuf mois dont une grande partie en Algérie. J’ai fait croire que je savais taper à la machine, ce qui était faux, et j’ai été affecté à un emploi de bureau, dans une batterie de commandement. J’ai tout de même participé à certaines opérations de combat parce que quelquefois on ramassait tout le monde, même ceux qui étaient dans les bureaux. C’est à l’armée que j’ai appris à taper à la machine !

Ce qui allait beaucoup vous servir plus tard...

Oui, en effet. À mon retour en France, je me suis marié. J’ai travaillé un peu avec mes beaux-parents, qui avaient un commerce. Le samedi et le dimanche, je dessinais. J’ai envoyé des courriers, des projets, à tous les éditeurs qu’il y avait sur la place. Delporte me répondait à Spirou, Sanitas à Vaillant, mais les réponses étaient toujours négatives – ce qui m’énervait un peu parce que je voyais des dessinateurs qui me paraissaient moins compétents que moi qui étaient publiés ! Je ne savais pas du tout comment cela se passait dans le métier, je n’avais aucune idée des tarifs, rien.

Louis Cance dans son bureau, avec son épouse. (Photo Thierry Groensteen)

Vous cherchiez plutôt à percer dans le dessin réaliste, or vous allez vous retrouver à dessiner Pif le chien, après Roger Mas, dans Vaillant à partir de 1967.

Je m’essayais à tous les genres. Le chanoine Buffière, des éditions des Remparts, est passé par Aurillac. J’avais été prévenu par un imprimeur et je suis allé lui présenter mes dessins. Il leur a réservé un accueil bienveillant mais il m’a dit : « Ce n’est pas moi qui décide, je suis associé avec les frères Spada, en Italie » – qui publiaient Mandrake, Le Fantôme et compagnie. Il m’a proposé de dessiner une reprise du Fantôme et de la leur soumettre en même temps qu’un personnage à moi, un pilote d’avion revenu à la vie civile, un peu à la Steve Canyon. Il est parti avec ça en Italie et, au retour, m’a passé commande de 32 pages par mois ! J’ai donc pris un mois de congé pour voir si j’arrivais à tenir ce rythme. Mais à la fin du mois, je n’étais arrivé qu’à la moitié. En plus, on m’avait annoncé le prix, en lires : j’avais fait la conversion et m’étais aperçu que ce n’était rien du tout. Alors j’ai décidé de monter tenter ma chance à Paris et je me suis aperçu que les tarifs y étaient beaucoup plus convenables. J’ai profité d’une réunion du Club des bandes dessinées...

Vous aviez adhéré tout de suite au Club présidé par Lacassin ?

Ah oui, tout de suite ! D’ailleurs j’avais déjà été en relation avec Lacassin plus tôt, par le biais des petites annonces de Pilote, qui permettaient aux collectionneurs de faire des échanges de vieux illustrés. J’ai connu un tas de passionnés par ce biais-là, en faisant des échanges avec eux. À l’époque, il était assez facile de récupérer ce qui me manquait. Donc, je rencontre Lacassin à Paris, qui m’aiguille vers Pilote, Record, la SAGE et la SPE. Alors j’ai fait la tournée des éditeurs. Je suis rentré à Aurillac avec des promesses, sans plus. Mais Record a tenu parole et m’a commandé un premier récit quelque temps après.

Alors, cette reprise de Pif, comment s’est-elle faite ?

C’est venu après. J’ai d’abord travaillé pour Record, puis je suis passé à Lisette – où j’ai été reçue par une dame un peu coincée qui m’a reproché d’avoir, dans une histoire inspirée des Nibelungen, dessiné une princesse un peu trop pulpeuse qui, selon elle, ressemblait à Brigitte Bardot ! – et je ne suis retourné voir Vaillant qu’ensuite. En fait, le côté politique du magazine m’embêtait un peu. Comme lecteur, j’avais laissé tombé Vaillant étant jeune parce que je sentais trop le message politique insidieux, par exemple dans Fils de Chine dont, par ailleurs, j’appréciais beaucoup les dessins.
À la rédaction, j’ai été reçu par Georges Rieu. Il m’a fait commenter les différents séries du journal. Arrivé à Placid et Muzo, j’ai fait la moue : ce n’est plus celui d’Arnal, qui était super, j’ai dit. Ça vous plairait de reprendre les personnages ?, m’a demandé Rieu. J’ai dit oui, et il m’a demandé de faire un essai sur une page. Je l’ai dessinée, en reprenant le principe des vers de mirliton qui était typique d’Arnal. J’ai envoyé ma page et je n’en ai plus eu de nouvelles pendant des mois. Puis, un beau jour, j’ai reçu un télégramme : « Prière de téléphoner d’urgence, en PCV, à Vaillant. » N’ayant pas le téléphone à la maison, je suis allé à la poste. Rieu m’a annoncé que, Roger Mas étant empêché pour raisons de santé de continuer Pif, j’étais pressenti pour poursuivre la série comme chef de studio, avec d’autres dessinateurs sous mon autorité. Ça impliquait que j’aille m’installer à Paris, ce qui ne me disait rien. Mais voilà que, peu après, Arnal accepte de reprendre Pif. Il faisait les crayonnés et me déléguait l’encrage. Vaillant essayait de monter ce fameux studio, dans une grande salle, à l’entrée de la rédaction, où travaillaient déjà Mandryka, le frère de Tabary et Pierre Le Guen. Je suis resté huit jours sur place, puis je suis rentré dans mon Cantal et nous avons travaillé à distance : Arnal m’envoyait ses crayonnés, que je retournais encrés. Seulement, Arnal ne parvenait pas à produire quatre pages par semaine. Son rythme se ralentissait. C’est ainsi que j’ai pu faire ma première histoire de Pif tout seul.
J’avais lâché mon autre travail pour me consacrer pleinement à la BD. Ma femme m’avait remplacé au magasin...

Original au trait, avec indications de couleurs sur calque.

Au début, sur Pif, vous faisiez tout, mais par la suite vous avez été secondé par différents scénaristes...

Oui. Ils voulaient tout contrôler, et ils étaient toujours dans cette idée de monter un grand studio, qui ne s’est concrétisée que plus tard, quand ils ont embauché Motti et Corteggiani. Ils ont même essayé de faire écrire des épisodes par Maurice Biraud, le comédien et animateur radio, qui ne connaissait strictement rien à la bande dessinée ! La rédaction a insisté pour que je vienne à Paris. Ils proposaient de me trouver une maison, du travail pour ma femme. Les membres du Parti communiste d’Aurillac étaient même passés voir ma belle-mère pour lui expliquer que c’était une belle opportunité...

Une dizaine d’années après votre reprise de Pif, quand vous avez commencé à travailler pour Édi-Monde/Hachette, c’était le contraire : c’est vous qui écriviez les scénarios de bandes dessinées Disney qui étaient dessinées par Marin, Cavazzano, Gen-Clo, Esposito...

Oui, j’ai dû écrire une trentaine d’histoires. J’aurais voulu en dessiner moi-même. J’ai fait une planche d’essai sur Donald et une autre sur Mickey. Mais, quand je les ai présentées, ils m’ont dit que ça ressemblait trop à Pif. Je vous les ferai voir, vous pourrez en juger... Pour moi, c’était bien du Disney.

Planches d’essai pour Donald...
... et Mickey

Au début des années 1970, dans Formule 1, vous avez animé le personnage de Pépé Dynamite. C’était déjà le nom d’un héros de Jean Trubert dans les années trente... Y a-t-il un lien entre les deux ?

Non, je ne le connaissais pas celui de Trubert, je l’ai découvert après. La coïncidence est fortuite. D’ailleurs c’est ma scénariste, Claire Godet, qui a proposé le nom. Notre héros vivait dans un petit village de Calabre, avec son âne. Il y avait sa femme, un gamin, et deux bandits, des jumeaux appelés les Scampi Fritti.

Il n’y avait pas beaucoup de femmes scénaristes, à cette époque...

En fait si, il y en avait surtout dans les journaux catholiques ou pour filles. Claire Godet, je ne l’ai jamais rencontrée. Elle fournissait ses scénarios à la rédaction, qui me les faisait suivre.

Je reviens au Club des bandes dessinées, qui s’est transformé en CELEG. Il y a eu ensuite la SOCERLID. Vous étiez membre de ces associations, mais sans y prendre véritablement un rôle actif...

Non, pas vraiment. J’avais quelquefois envoyé des renseignements au CELEG, pour Giff-Wiff. En revanche, j’envoyais plus régulièrement des informations sur la BD française à Ran tan plan, que publiait André Leborgne, en Belgique, depuis 1966. Mais c’est surtout venu quand Jacques Glénat a lancé Schtroumpf. Comme pour Lacassin, c’était quelqu’un avec qui je correspondais déjà. Pour Schtroumpf, j’ai commencé à établir des bibliographies. Louis Teller faisait la partie belge, et moi la partie française. Je me demande comment j’en trouvais le temps !

Pour ne pas être trop longs, nous allons devoir passer sous silence une partie de votre carrière de dessinateur, notamment votre travail pour Amis-Coop. Venons-en à Hop !

Hop !, ce n’est pas moi qui l’ai créé. Des lycéens d’Aurillac (dont Michel Pouget) qui voulaient faire un fanzine scolaire étaient venus me voir, sachant que j’étais dessinateur. Finalement je me suis laissé embringuer dans leur projet. Très vite, il s’est poursuivi en dehors du lycée. D’abord sous le titre Wigwam, dont il n’existe qu’un No.0. Mais on nous objectait que c’était difficile à prononcer, alors nous avons opté pour une onomatopée toute simple, Hop !

... dont le premier numéro est daté hiver 1973/74. Vous en êtes déjà alors le rédacteur en chef.

Voilà. Nous étions allés voir un imprimeur local, mais nous ne savions pas comment le payer. Il nous a conseillé de démarcher les commerçants pour qu’ils prennent des annonces publicitaires payantes. Il avait procédé de cette façon pour financer un journal sur les joueurs du Stade. Seulement, le sport et la BD, ça fait deux. Je lui ai dit : écoutez, si vous me trouvez les annonceurs, on imprimera chez vous. Quelque temps plus tard, il a dû reconnaître que c’était plus dur qu’il ne le pensait. J’ai démarché un peu de mon côté aussi, et on a finalement réussi à ramasser de quoi faire un premier numéro. Mais nous avons été trompés par le fanzine toulousain Haga, qui revendiquait – mensongément – un tirage de plusieurs milliers d’exemplaires. Donc nous avons tiré Hop ! à 3000 exemplaires, ce qui était évidemment beaucoup trop. Il a fallu les payer. Nous avons encore pu sortir le No.2, mais pour le troisième, nous n’avions plus un sou. Et puis nous en avions placé un peu partout dans la région. Mais après, il fallait les récupérer, et ils n’étaient plus bons que pour la poubelle.

Vous avez toujours travaillé avec le même imprimeur ?

Non, il y en a eu trois différents, mais toujours à Aurillac. On s’est fâchés avec le premier, et le deuxième n’avait pas le matériel approprié.

Sauf erreur, les lycéens qui étaient à l’origine du projet ont assez vite disparu dans la nature, et vous vous êtes retrouvé seul aux commandes...

Beaucoup ont quitté Aurillac pour poursuivre leurs études ailleurs. Pendant quelques années, notre petit groupe (Michel Pouget, ses deux frères et quelques autres) se réunissait tous les week-ends, mais oui, la rédaction était chez moi dès le début, et c’est moi qui tapais les textes... C’était intéressant, ça me plaisait, et j’avais l’avantage de connaître pas mal de dessinateurs.

Vous étiez vous-même un auteur, mais doublé d’un fan et d’un collectionneur... ce qui est un profil assez rare.

Oui, c’est vrai.

Vous avez réussi à mener de front, pendant un certain nombre d’années, la rédaction de Hop ! et votre carrière de dessinateur...

Oui. Et quand Pif m’a licencié pour raisons économiques, en 1990, je me suis demandé comment j’avais réussi ce tour de force ! J’avais obtenu le statut de journaliste pigiste et je leur coûtais trop cher en charges sociales. À ce moment-là, j’étais encore à dix ans de la retraite. Je ne travaillais déjà plus pour Édi-Monde, il ne me restait qu’Amis-Coop, mais ils ont cessé de paraître très peu de temps après, donc j’ai été licencié de ce côté-là aussi. Je suis allé m’inscrire à Pôle Emploi et j’ai touché les indemnités de chômage pendant sept ou huit ans.

Votre travail sur Hop ! a toujours été bénévole ?

Oui, entièrement. Sauf quand Pôle Emploi a voulu me radier : je leur ai dit que je travaillais pour une revue associative, et ils m’ont conseillé pour que j’obtienne un « contrat emploi solidarité », qui a duré trois ou quatre ans. Pour être retraité, j’avais suffisamment cotisé, mais je n’avais pas l’âge.

Hop ! est publié par l’Association d’étude du mode d’expression graphique de la bande dessinée (AEMEGBD). Cette dénomination très pompeuse ne vous ressemble pas...

Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée, ni qui ai rédigé les statuts. Comme il y avait plusieurs clubs de bande dessinée à l’époque, je pense que les frères Pouget avaient voulu se démarquer...

Guy Pouget, qui est cité comme directeur de la publication jusqu’au No.95 – ensuite c’est vous – était l’un des frères de Michel ?

Oui, son frère aîné. Cela faisait longtemps qu’il ne s’occupait plus de rien.

Dans les tout premiers numéros, il y avait des personnages « mascotte » qui apparaissaient dans Hop ! Un escargot et une sorte de dinosaure avec des petites ailes... C’est vous qui les dessiniez ?

On les dessinait à deux, avec Michel Pouget. Nous voulions faire une page de gag, mais ça s’est arrêté très vite faute de temps.

Mais beaucoup de dessins sont signés Lewis, qui, j’imagine, vaut pour Louis...

Oui, Lewis, c’était moi. Je voulais faire croire que nous étions plusieurs...

Vous utilisez plusieurs signatures : Louis Cance, « Oncle Louis », Lewis ou encore « La rédaction »...

Eh oui, c’est toujours moi...

Votre diffusion a été assurée très tôt, et jusqu’au No.38 (1985), par les éditions Glénat...

Oui, Futuropolis a été le premier diffuseur, puis Jacques Glénat m’avait fait cette proposition. Mais pour pouvoir être diffusé par lui dans le circuit des librairies, il a fallu augmenter notre tirage. Nous avions nos abonnés, et Glénat nous prenait 800 ou 1000 exemplaires. Mais les représentants ne se donnaient pas beaucoup de mal pour nous placer. Un jour, j’ai eu un choc, en voyant revenir quinze colis d’invendus, livrés devant ma porte. C’est moi qui, dès lors, me suis trouvé en situation de lui devoir de l’argent ! Hop ! a eu du mal à s’en remettre... J’avais réédité les premiers numéros, alors que Glénat en avait encore du stock, ce que j’ignorais !

Quel est le tirage de Hop ! aujourd’hui ?

630 exemplaires. On tourne toujours autour de 500 abonnés, avec un renouvellement constant.

Le stock des anciens numéros de Hop !

On ne trouve plus Hop ! dans aucune librairie ?

À Paris, on peut encore l’acheter chez Lutèce, chez Impressions et chez Fantasmak, la librairie de Thomassian...

Même si Hop ! est largement « l’œuvre d’un seul homme », comme l’a écrit Michel Pouget dans le spécial 10e anniversaire, vous avez tout de même des collaborateurs. Pour la première période, je relève en particulier les noms de Dany de Laet (le correspondant belge, avec Alain Van Passen, membre de l’équipe de Ran tan plan), Gérard Thomassian, Jacques Dutrey et Marc-André Dumonteil, dit Marc-André, qui prend le titre de rédac’chef adjoint en 1997, au No.74...

De Laet et Van Passen, je les avais rencontrés à la première assemblée du Cercle des Amis de la Bande dessinée, animé par Leborgne. Avec Dutrey – un type adorable mais un sacré fumeur – on se voyait chaque année à Angoulême, comme avec d’autres rédacteurs, de manière informelle. Marc-André – heureusement qu’il est là ! – est un amateur de BD et un bon dessinateur, qui a fait beaucoup de publicité. Il a une vingtaine d’années de moins que moi, est de Limoges, et l’adresse Internet de Hop !, c’est chez lui. On se voit de temps en temps. Thomassian est très précieux aussi, parce qu’il connaît beaucoup de choses et a des archives monumentales...

Après ces collaborateurs de la première heure sont arrivés plus tard Gilles Ratier, Jean-Paul Tiberi, François-Xavier Burdeyron, Alain Beyrand, François Hue...

Tiberi est un vieil ami. On se connaissait déjà du temps où il s’occupait de Haga. Plus récemment encore sont arrivés Jean-Jacques Lalanne, Jean Depelley, Francis Saint-Martin, Evariste Blanchet...

En dehors des Belges, Hop ! a d’autres correspondants étrangers, pas forcément dans les pays auxquels on s’attendrait. Vous en avez très vite eus en Yougoslavie, en Roumanie... jamais en Asie !

La Roumanie, c’est à cause de Pif. Comme le magazine y était diffusé, on me connaissait. Quand Dodo Nita est venu à Aurillac, il était très heureux de rencontrer le dessinateur de Pif qu’il avait connu.

Numéro "spécial 30 ans", décembre 2003.

Vous n’avez jamais eu de démarche plus volontaire pour trouver des correspondants en Angleterre, en Italie, au Japon...?

Non, pas spécialement. Je n’ai jamais cherché à recruter, parce qu’on a toujours eu beaucoup de matière à passer. Guy Delcourt, quand il était aux États-Unis, m’avait envoyé un article. Kim Thompson aussi, à l’époque où il habitait en France et n’était pas encore l’éditeur de Fantagraphics...

Une chose m’a toujours frappé, s’agissant de Hop !, c’est que vous ne cherchez guère à différencier un numéro de l’autre. Les sommaires tendent à se ressembler, parce que beaucoup de dossiers sont publiés en plusieurs livraisons. Sans parler des interminables feuilletons qu’ont été les souvenirs de Marijac, les articles de Dutrey sur Kurtzman, ou l’entretien avec Roger Lécureux, publié en neuf parties ! On a l’impression que ce sont les mêmes noms qui reviennent à la une, encore et encore...


J’essaie toujours de diversifier le sommaire des numéros. Si je fais un numéro entier sur un seul dessinateur (on l’a fait deux fois : un numéro sur Jijé concocté par Dutrey, et un autre sur Charlier, réalisé avec Ratier), ceux qu’il n’intéresse pas seront mécontents. C’est pour cela que j’en arrive à fractionner les dossiers. Mouminoux, j’en ai pour cinq ou six numéros, encore. Après tout, la formule « À suivre » a toujours été le principe des journaux de bande dessinée...

Mais Hop ! est trimestriel. Attendre trois mois la suite d’un sujet, quand on est intéressé, c’est long !

Ah oui.... Mais les lecteurs ne se sont jamais trop plaints de cet aspect.

Si l’on regarde plus près la liste des auteurs abordés dans les 20 premiers numéros, on peut distinguer trois grandes familles : les collaborateurs de Vaillant (Arnal, Mas, Motti, Monzon, Erik, Cézard, Dufranne), les dessinateurs travaillant pour la presse catholique (Gloesener, Alain d’Orange, Liquois, Forget, Breysse) et les auteurs de chez Dupuis (Jijé, Franquin, Peyo, Leloup, Berck, Roba, Cauvin, Thierry Martens). Le Lombard est beaucoup moins représenté (De Moor, Tibet), et, de façon surprenante, Dargaud ne l’est presque pas...


Je n’ai jamais cherché particulièrement à maintenir un équilibre entre les éditeurs. Si Dupuis a été mieux traité, c’est grâce à Thierry Martens, qui m’a beaucoup facilité les choses. Ça s’est rééquilibré sur le long terme puisque, côté Lombard, il y a eu les Funcken, Franz, Aidans, Reding, Azara, Weinberg, Denayer... et côté Dargaud Martial, Parras, Ribera, Giraud, Gigi, Greg, Tabary, Godard...
Et puis il y a les auteurs que l’on voudrait faire et que l’on ne fait pas, parce que d’autres s’en chargent à notre place en leur consacrant un numéro de revue ou un bouquin. Même si la bibliographie manque souvent ! Il y a aussi ceux qui nous quittent avant qu’on n’ait eu le temps de se pencher sur leur carrière. Par exemple, Jidéhem, ça fait trois ou quatre ans que je voulais le faire, maintenant c’est trop tard.
Quand je prépare un dossier, je relis tout ce qui a déjà été écrit sur l’auteur. Ça prend du temps, et le temps c’est mon ennemi, c’est ce qui me manque le plus...

Vous avez souvent écrit que Hop ! veut privilégier les auteurs moins médiatisés plutôt que les « vedettes actuelles ». Dans le No.12/13, Michel Pouget célébrait « les sans-grades de la BD », ceux qui « sans coups d’éclat ni renforts publicitaires », construisent « les fondations » de la BD. On peut dire que vous défendez plutôt une BD classique et populaire – même si vous avez mis plusieurs fois Moebius en couverture...

En tout cas, la notoriété de l’auteur n’a pas d’impact significatif sur les ventes de Hop ! Si on traite d’un dessinateur très connu, on va vendre dix ou vingt exemplaires de plus, c’est tout...

Le No.9 était un spécial Casterman qui ne s’avouait pas tel. Rien ne l’annonçait explicitement, mais au sommaire figuraient côte à côté Hergé, Pratt, Martin, Craenhals, Tardi et Kresse...

C’est Casterman qui nous avait financé ce numéro, à l’initiative de Louis Gérard, directeur de Casterman France à l’époque.

Une page de Hop ! montée... (Photo Thierry Groensteen)

Alors, je voudrais vous faire part de mon étonnement à la lecture de votre dossier sur Auguste Liquois (Hop ! No.10). En vous appuyant sur le récit de sa veuve, vous relatez toute sa carrière, et on lit : « Pendant la guerre, contacté par les Allemands, il préfère se retirer en Anjou où il vivote de sa peinture ». Or tout le monde sait qu’il a collaboré activement au Téméraire, surnommé par Pascal Ory « le petit nazi illustré ». D’ailleurs, quand vous publiez sa bibliographie dans le No.15, sa participation au Téméraire est mentionnée comme il se doit. N’auriez-vous pas dû corriger, au moins en note, cette vision quelque peu maquillée de son attitude pendant la guerre ?

Madame Cance : Tout le monde était son sur dos, à cause de cela. Louis n’a pas voulu hurler avec les loups.

Louis Cance : Oui, oh... je ne me rappelle plus. Je suppose que je n’ai pas voulu brusquer Madame Liquois, qui m’avait aimablement reçu et qui n’était sans doute pour rien dans les opinions de son mari.

Un autre motif d’étonnement, c’est le fait que quasiment aucun auteur du sexe féminin n’ait été traité dans Hop !, en quarante-cinq ans ! La seule dont j’ai relevé le nom est Marie-Mad, invitée du No.143...

Je ne sais pas s’il y en a eu d’autres, je ne crois pas. J’ai une liste, pourtant, des femmes dans la BD... Mais il faut les retrouver ! J’ai un dossier en préparation sur Manon Iessel, mais j’ai beaucoup de mal à trouver des renseignements sur elle...
Je me souviens de Véra, qui dessinait dans Tarzan. Roland Garel m’avait expliqué qu’il s’agissait de Véra Monosoff, d’origine russe, probablement. Mais dans la presse illustrée pour garçons, elles étaient très peu nombreuses...

Il y a des dessinatrices en activité, qui ont une longue carrière derrière elle, comme Annie Goetzinger ou Jeanne Puchol. Vous pourriez aller les voir...

Je ne sais pas si ça intéresserait tellement les lecteurs de Hop !...

C’est quoi, le profil type du lecteur de Hop !  ?

D’après ce que je peux savoir par les courriers que je reçois, ils lisent des BD classiques, populaires... Ce qui est étonnant, c’est que, même dans les nouvelles générations, il y en a encore qui s’intéressent à Cœurs Vaillants et à des illustrés d’autrefois. Je ne sais pas comment cette nostalgie se transmet de génération en génération... Une partie d’entre eux suivent de près les rééditions que proposent les éditions du Triomphe et les micro-éditeurs. Mais le prix des BD anciennes, celles d’avant-guerre en particulier, a enchéri. Un jeune qui voudrait se constituer une collection aujourd’hui, acheter des Junior par exemple, ne pourrait plus...

Si vous le voulez bien, on va passer en revue quelques-unes des rubriques de Hop ! Il y a la revue de presse, l’actualité des fanzines, les « scoops » (essentiellement des informations pour les collectionneurs), des compte rendus d’albums, qui font entre 3 et 6 lignes et qui sont généralement bienveillants mais cependant pas toujours exempts de critiques...

En général, les albums que je reçois sont ceux que j’ai demandés. Donc, a priori, ils m’intéressent...

Vous ne recevez pas en service de presse toute la production ?

C’est fini, ce temps-là. Au début je recevais des colis tous les jours. Maintenant il y a toute une série d’éditeurs (notamment Glénat, Soleil, Bamboo, le Lombard, Casterman...) qui ne m’envoient plus rien, et pour les autres il faut demander. J’achète certains albums qui m’intéressent... J’essaie de faire une petite sélection avec ça, mais ça se réduit sans cesse. Bientôt cette rubrique n’existera plus.

Quelles sont les séries récentes qui vous ont particulièrement plu ?

Je citerais Undertaker, le western de Meyer et Dorison, chez Dargaud. J’aime beaucoup Marini et Meynet aussi, je trouve XIII Mistery pas mal... et bien d’autres...

Il y a aussi eu, à partir du No.17, une rubrique poil-à-gratter, « Les dessous de la BD », des billets souvent polémiques dans lesquels vous abordez les pratiques des éditeurs (rémunérations, diffusion), la censure, les conflits autour de la propriété de certains personnages...

Ça m’a souvent valu des réactions, voire des problèmes ! Ceux qui m’employaient comme dessinateur n’ont pas forcément apprécié... Je cherchais à informer sur les dessous de la profession et à défendre les auteurs. J’ai fait partie du syndicat de Le Goff [1] et, quand il ne s’est plus occupé de grand-chose, je suis passé chez Garel. Je m’étais bagarré, jusque devant une Cour d’appel (après que Vaillant eût attaqué l’URSSAF qui m’avait inscrit comme pigiste), pour obtenir la carte de presse et pour être salarié. Comme je n’avais pas de téléphone, à l’époque, tout était traité par courrier, et je pouvais donc facilement prouver mon assujettissement à Vaillant. Chez Vaillant, les conditions n’étaient pas très favorables aux dessinateurs. Ils s’acharnaient à ne pas vouloir reconnaître les dessinateurs comme pigistes. Fleurus, Mickey et d’autres, après les procès qu’ils avaient perdu, avaient accepté, mais eux ont refusé jusqu’au bout. Ce qui permettait à la rédaction de mettre n’importe qui à la porte du jour au lendemain et de faire dessiner la série par quelqu’un d’autre.

Dessin de Tardi par sympathie

Enfin, il y a une rubrique qui apparaît dans le No.30 et qui, par la suite, est appelée à grossir sans cesse : elle occupe plus de 10 pages à partir du No.94, plus de 20 pages dans le No.146 ; et l’éditorial du No.122 la revendique, à juste titre, comme un des « points forts » de Hop ! Je veux parler de la rubrique nécrologique « Remember »...

Elle enfle sans arrêt ! On s’est aperçu que la plupart des dessinateurs dont on apprenait le décès, généralement par Internet, n’étaient pas connus, ou très peu documentés.

Justement, comment est-ce que, dans l’urgence, vous arrivez à rassembler autant d’informations ?

Pour les Français, et un peu les Italiens, je peux m’appuyer sur ma documentation. Pour les étrangers, Marc-André fouille sur Internet, et contrôle le plus possible les informations. C’est difficile parce qu’on n’a pas toujours beaucoup de choses sur les auteurs disparus. Il arrive qu’on ne découvre leur existence qu’à ce moment-là.

Vue (très) partielle des archives dans la cave... (photo Thierry Groensteen)

Comment votre documentation personnelle est-elle organisée ?

Pour les auteurs auxquels je pense consacrer un jour un dossier, j’ai des chemises ouvertes et je glisse dedans des photocopies de tout ce que je trouve les concernant. Mais pour les autres, je n’ai rien de prêt. Ma documentation, ce sont les albums et surtout les périodiques répartis un peu dans toute la maison et beaucoup à la cave, dans des armoires et des cartons. Je conserve également tous les fanzines d’autrefois...

Et les Dictionnaires existants, comme le Gaumer chez Larousse ?

Ça aide aussi, ça donne des pistes. Mais il faut toujours vérifier.

Dans Hop ! aussi, vous commettez parfois des erreurs...

Bien sûr. Sur les dates, en particulier, et c’est agaçant. Quand je m’en aperçois, je publie un rectificatif.

À part l’importance prise par la rubrique « Remember », on peut dire que la formule de Hop ! est restée remarquablement stable à travers le temps.

Oui, à peu près.

Est-ce que Internet – qui n’existait pas en 1973 – ne rend pas ce type de magazine (ou du moins certains de ses contenus) obsolète ?

Si, certainement. C’est pourquoi il y a moins d’informations qu’avant dans Hop !, puisque les gens que cela intéresse savent comment les trouver autrement. Même si tout le monde n’a pas Internet... Il y a aussi des revues comme dBD, Casemate ou Zoo, qui suivent l’actualité de très près puisque ce sont des mensuels.

Nous avons parlé du rédactionnel, mais il y aussi l’exhumation et la réédition de BD anciennes. Vous avez commencé par des numéros « spécial BD » (No.18, No.26/27), puis sont venus quelques numéros s’apparentant à des albums : le 36 bis consacré à Lariflette, les 41 bis et 42 bis au Colonel X de Marijac et Mathelot, le 46 bis aux 3 Mousquetaires du maquis... À partir de 1993, Hop ! s’est dédoublé et vous avez alterné les numéros consacrés au rédactionnel (appelés « Actualités BD ») avec les numéros consacrés aux rééditions (appelés « Nostalgie BD »)...

J’ai lancé les « Nostalgie BD » à l’époque où j’étais employé de Hop ! Comme je pouvais y consacrer plus de temps, j’ai voulu voir s’il était possible de sortir deux numéros de plus dans l’année. Je n’y suis pas arrivé, parce que les BD rééditées, il faut les restaurer. Et c’est long...

(septembre 2007)
(juin 2016)

Comment les choisissez-vous ?

Ce sont surtout mes goûts personnels. Je puise généralement dans mes archives. Je photocopie les pages, je durcis les contrastes, je réinterviens à l’encre partout où il faut restaurer le trait, et j’utilise la gouache pour éliminer toutes les « pétouilles » et les grisés là où il y avait de la couleur. Parfois il faut sortir les textes séparément et les recoller par-dessus. Bien entendu, je demande toujours l’autorisation de reproduction, à titre gratuit. Ce n’est pas toujours simple.... Certains ne comprennent pas.

Les « Nostalgie » fonctionnaient initialement par séries de 4 numéros. La première série proposait Martial, Poïvet, Nortier, Marin, Gloësener et Erik. Mais par la suite vous avez même proposé des strips américains, comme Blondie, Beetle Bailey, Felix le chat ou Steve Canyon...

J’ai demandé les droits à RMP, qui les distribuait en France. Et plus tard à Agepresse. J’ai arrêté les bandes américaines quand ces agences ont disparu, parce que je ne savais plus à qui demander les autorisations.

Est-ce que Hop ! est toujours soutenu par le CNL ?

Non, j’ai arrêté de demander la subvention. À une époque, l’État avait décidé que les associations devaient déclarer les subventions qu’elles obtenaient, et payer des impôts dessus. J’ai estimé que dans ces conditions, ça n’en valait plus la peine. Le CNL finançait aussi une centaine d’abonnements qui partaient dans les centres culturels français à l’étranger. C’était dur à gérer parce que les centres en question s’en foutaient complètement. Je devais justifier de mes envois. Alors je demandais aux Centres de me retourner un avis de réception, mais très peu le faisaient. J’ai moi-même fait partie de la commission d’aide à la BD, pendant un moment. J’avais pris la suite de Francis Lacassin. J’étais dans la deuxième vague, avec Mougin, Vidal... Mes collègues voulaient aider la « nouvelle bande dessinée », le genre de Hop ! ne les intéressait guère.

Vous avez très longtemps eu un stand dans l’espace fanzine au festival d’Angoulême – qui vous a d’ailleurs décerné le prix du meilleur fanzine en 1992. Pourquoi avez-vous cessé d’y aller ?

Parce que je n’y trouvais plus mon compte. J’étais ami avec Pierre Pascal [2], je m’entendais bien avec Francis Groux (qui m’avait invité la première fois), mais la manifestation était devenue une machine infernale. Je n’arrivais plus à voir les dessinateurs, ils étaient mobilisés par leurs éditeurs, enchaînés à leur table pour dédicacer. Et puis l’année du passage à l’euro, il fallait avoir la double comptabilité. Moi qui n’aimais pas compter ! J’ai cessé de venir à ce moment-là. En plus, l’hôtel auquel je descendais chaque année, en face de la gare, avait changé de patron, et le nouveau était très peu gracieux...

Vous faites toujours Hop ! de la même manière qu’autrefois : textes tapés à la machine à écrire et maquette à l’ancienne, avec colle et ciseaux, au double du format de parution...?

Oui, toujours. Mais, comme ma machine à écrire m’a laissé tomber, j’apprends, en ce moment, à me servir d’un ordinateur. Quel bazar ! Le numéro de janvier 2017 est le premier qui ait été réalisé en partie sur ordinateur, mais c’est ma fille qui a tapé les textes. À présent, je m’essaie à le faire moi-même...

Les découpes de papier jonchent le sol...

Avant, j’allais à l’imprimerie avec mes feuilles, et je faisais moi-même les films sur place, sur le banc photo. Au début, il fallait même faire sécher les films. Puis est venue la développeuse automatique. Maintenant, c’est mon fils qui scanne les pages et qui les met sur un CD-Rom que je donne à l’imprimeur. À une époque, Hop ! sortait sur des cahiers de 4 pages, et c’est moi qui faisais l’encartage. Après quoi il fallait agrafer, et massicoter successivement sur trois côtés ! Maintenant c’est une machine qui s’en charge (sauf l’encartage qui se fait toujours à la main).

Hop ! apparaît comme un survivant, si l’on considère que la grande époque des fanzines d’information est terminée depuis longtemps (malgré Tonnerre de Bulles ou Papiers Nickelés).

Oui, en France c’est fini. En Italie, il y en a encore...

Hop ! vivra-t-il 50 ans ? Il faudrait qu’il paraisse jusqu’en 2022...

Houlaaa.... je n’en sais rien. Je souhaite continuer le plus longtemps possible, même si le rythme trimestriel est de plus en plus difficile à respecter. Il faut le tenir pour bénéficier du numéro de Commission paritaire et des tarifs postaux avantageux qui vont avec. Je ne crois pas que Hop ! pourra continuer le jour où je devrai m’arrêter. Il y a trop de contraintes...

Entre vos deux carrières, celle de dessinateur et celle de rédacteur en chef de Hop !, laquelle vous a apporté le plus de satisfactions ?

Les deux, finalement. Comme dessinateur, j’ai pu vivre en faisant ce qui me plaisait et en rencontrant plein de confrères que j’admirais. Et Hop ! m’a permis d’en rencontrer davantage, et d’échanger avec d’autres passionnés. Je n’ai pas de regrets.

Propos recueillis à Aurillac, chez Louis Cance, le 26 mai 2017.

[1] Le SNDP, concurrencé par la suite par la cellule de la CFDT animée par Roland Garel.

[2] Directeur du festival – qui s’appelait alors Salon – jusqu’en 1989.