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ce bon vieux baron rouge

Nicolas Tellop

[Mars 2017]

« Il ne pensait pas.
Il aboyait et galopait à quatre pattes.
C’était un adorable petit chiot.
Je ne sais pas comment il en est venu à marcher, à penser mais c’est certainement une des meilleures trouvailles. »

Lui, c’est Snoopy. Dans la façon dont Charles M. Schulz en parle, une petite quarantaine d’années après sa création, s’entrevoient les raisons qui ont fait de lui l’atout majeur des Peanuts. D’abord protagoniste plus ou moins secondaire des aventures de son jeune maître Charlie Brown et de ses amis, l’animal a peu à peu conquis ses galons d’icône. Cet « adorable petit chiot » est sûrement le meilleur ambassadeur de la série, le principal responsable de son extraordinaire popularité. Peanuts n’est pourtant pas une bande dessinée évidente : sa beauté et sa poésie ne s’offrent pas si facilement au lecteur ; elles se révèlent, parfois imperceptiblement, graduellement, lentement, plus qu’elles ne s’imposent. Si la plupart des strips ne font pas vraiment rire, tous laissent rêveur – tous résonnent en nous longtemps après la lecture. L’art de Schulz s’infuse, s’apprécie d’autant mieux par une fréquentation assidue, régulière, qui laisse aux péripéties le temps de vieillir et de se charger de sens. L’auteur a eu à cœur dès le départ de créer une œuvre riche et subtile, et ce n’est pas un hasard si son modèle a toujours été Krazy Kat de George Herriman, série cérébrale et magnifique dont l’ombre plane sur le monde enfantin des Peanuts. Or, Snoopy est cette ombre. Il est l’expression de ce qui fascine tant dans le travail de Schulz et qu’il est si difficile de définir. Ceci n’empêche pas le petit chien d’être un personnage immédiatement attachant, qu’il jappe ou qu’il médite. Les autres sont eux aussi très mignons, mais le chien emporte tous les suffrages, et il existe certainement plus de personnes qui aiment Snoopy qu’il y en a ayant vraiment lu ses bandes dessinées. Snoopy, c’est le cheval de Troie des Peanuts, celui par qui l’œuvre va marquer plusieurs générations et poursuit son chemin encore aujourd’hui – celui qui, parce qu’il est « adorable », ne laisse pas soupçonner d’abord la complexité dont il est tissé.

Sunday du 14 février 1965

La philosophie dans un nuage

Son dessin est l’abrégé de sa séduction instantanée : le trait simple et rond cerne une forme toute blanche, si l’on excepte ses oreilles et les petites taches noires dans son dos (pour cette raison rarement visibles). Il est la puissance de l’expression graphique incarnée, l’étendu de tous ses possibles à partir d’une palette pourtant restreinte. Année après année, Snoopy s’impose comme l’idée même du chien, une idée absolue, un modèle auquel confronter tous les autres chiens, de bande dessinée ou non. Surtout, il est vraiment devenu lui-même à partir du moment où cette idée en est « venue à penser ». Lorsque Schulz prononce cette phrase en 1987, sans doute ne cherche-t-il pas à y cacher un quelconque sous-entendu, et pourtant il dit quelque chose de moins anodin qu’il n’y paraît – il dit en l’occurrence que Snoopy « en est venu à marcher, à penser », comme si la décision avait été prise par la créature plutôt que par le créateur. Ainsi ne dit-il pas que c’est l’une de ses meilleures trouvailles, mais « une des meilleures trouvailles », ce qui laisse encore planer une incertitude sur son attribution. Se peut-il que Snoopy se soit lui-même déterminé à avoir une activité intellectuelle ? Pour poser le problème autrement, il faudrait se demander dans quelle mesure le petit chien n’a pas commencé à exprimer quelque chose malgré Schulz, que l’auteur ne se serait approprié qu’ensuite. Ces interrogations n’auront probablement jamais de réponse, mais elles ont le mérite de soulever l’ambivalence de Snoopy, qui est beaucoup plus qu’un chien – et même plus qu’un simple personnage. Ce qui est certain, c’est que l’animal est le point nodal de la bande dessinée, celui qui fait le lien entre tous les personnages et qui en reflète toutes les préoccupations. Ainsi la série a-t-elle pu être rebaptisée, en Français, Snoopy et les Peanuts, le beagle se hissant en tête d’affiche et en chef de file.

© United Feature Syndicate

Il n’est pas rare de faire rimer Snoopy avec philosophie. Ses réflexions sur de nombreux sujets (l’existence, le bonheur, l’identité, le temps…) en font un métaphysicien en puissance – en puissance seulement parce que ses raisonnements se concluent souvent par une pirouette humoristique ou un clin d’œil poétique. Quelquefois, il conserve durant tout le strip la position allongée au sommet de sa niche, comme perdu dans ses rêveries, et d’autres fois il conclut ses pensées par un regard adressé au lecteur, qu’il rend complice de ses traits d’esprit. La plupart du temps, il s’agit d’avouer que ces questions le dépassent ou alors de les ramener à la hauteur d’un chien (certaines concernent d’ailleurs sa gamelle de nourriture) – ce qui a pour effet d’en souligner la futilité. Snoopy n’est philosophe que par la parodie. Charlie Brown ou Linus disent eux aussi des choses très profondes – aphorismes charmants ou fatalistes selon les cas – mais les introspections canines semblent l’emporter. Finalement, ce qui compte, ce n’est pas tant les pensées philosophiques de Snoopy que le fait qu’il ait des pensées philosophiques. Inlassablement, Schulz pointe du doigt la curiosité qui consiste en ce qu’un chien ait quelque chose à dire. Mais dès lors, son principal enseignement n’est pas contenu dans sa parole évanescente : ce que « dit » Snoopy relève plutôt de ce langage divin qui s’écrit sur le monde, aux yeux des bestiaires médiévaux, à travers les animaux. De strip en strip, le comportement du beagle semble traduire un lexique symbolique qui fait sens pour notre réalité. Plus qu’un chien, plus qu’un personnage, plus qu’un philosophe, Snoopy est un signe qui ne cesse de se renouveler, de se corriger, de se transformer pour tendre au lecteur le miroir de sa propre condition. En ce sens, quand il danse frénétiquement ou qu’il reste prostré sur le toit de sa niche, quand il trotte ou qu’il marche, quand il est acteur ou victime des gags mis en scène dans la bande dessinée, l’animal exprime autant, si ce n’est encore plus, que lorsqu’il verbalise ses réflexions. Snoopy est l’emblème protéiforme d’une certaine modernité – à peu de choses près : la nôtre.

© United Feature Syndicate

Sémiologie de Snoopy

Snoopy en vautour

En tant que signe, Snoopy dispose d’une certaine élasticité. Pour qu’il soit un référent, à l’image des mots, il faut qu’il puisse adopter un éventail de formes qui lui permette d’enrichir son lexique. C’est pourquoi il semble fait d’une matière malléable et métamorphique, propice à toutes les transformations et tous les travestissements. Avec un peu d’imagination, son dessin pourrait s’abstraire jusqu’à celui d’un nuage blanc aux boucles arrondies, et c’est peut-être justement parce que Snoopy est un nuage qui esquisse autant de formes que le lecteur est capable de rêver. Il suffit de le regarder suffisamment longtemps pour s’apercevoir qu’il est, comme un nuage, tout autre chose que ce qu’il semblait être. Ainsi le chien adopte-t-il les comportements et les apparences d’un espion, d’un patineur artistique, d’un champion de bras de fer masqué, d’un joueur de bowling, de golf ou de hockey, d’un corsaire, d’un chef scout, d’un légionnaire, d’un écrivain, d’un lion des montagnes et même d’un cruel vautour, perché sinistrement sur la branche d’un arbre. À chaque fois, il se déguise ou il tord son corps pour se conformer à l’image vers laquelle il tend. Ces mutations fantaisistes, qui apparaissent et disparaissent subitement, comme autant de toquades, ont commencé à partir du moment où Snoopy s’est mis à penser. Sa vie psychique se répercute alors sur ses occupations, celles d’un simple chien ne suffisant plus. Lorsque Lucy lui stipule que sa piscine gonflable est interdite aux chiens et qu’il plonge quand même, il lui glisse « mais tu ne parlais quand même pas de moi !? », comme s’il ne pouvait plus s’identifier à son espèce (du moins à un chien comme les autres).

Snoopy écrit dans sa chair graphique une fiction qui infiltre la réalité et la contamine. « J’aimerais être un piranha », se dit-il un jour. « Si j’étais un piranha, je serais tapi quelque part en Amérique du Sud, au fond d’un torrent tropical en attendant que ma victime approche et… » Et, après s’être fait une tête de vorace petit poisson carnivore, il se jette sur Linus qui passait par là. Celui-ci raconte à sa sœur ce qui lui est arrivé : « Eh bien je traversais ce torrent dans la jungle d’Amérique du Sud, tu vois, quand… » Le strip décrit à merveille la façon dont l’imaginaire de Snoopy interfère avec l’univers des Peanuts, jusqu’à ce que l’un influence et transforme l’autre. Surtout, il souligne combien les fantasmes du chien ne sont pas toujours innocents, celui-ci révélant dans cet exemple une violence larvée, peut-être trop refoulée pour s’exprimer directement, nécessitant le prétexte d’un jeu de rôle.

Est-ce alors l’instinct animal qui fait laborieusement surface dans la conscience de Snoopy ? Certainement pas : il ne faudrait pas tomber dans l’écueil d’une espèce de psychanalyse canine. Si Snoopy se fait le vecteur d’une violence, ce n’est pas la sienne, mais celle du monde qui l’entoure. De la même façon qu’un nuage reste un nuage même lorsque l’on y a décelé une forme quelconque, Snoopy reste lui-même, envers et contre les rôles qu’il joue. C’est celui qui regarde qui voit le nuage prendre telle ou telle apparence, comme Linus qui disait à Lucy « tu vois » en lui expliquant l’origine de sa morsure. Dans ce cas-ci, Snoopy n’est que le signe d’une violence, sans doute celle qui avait conduit Umberto Eco à comparer les enfants de Peanuts à des monstres ayant tous une part de sadisme dans leurs rapports aux autres. La série est un petit théâtre d’impuissances et de jalousies, d’envies et de frustrations, d’amours déçues et de désirs méchants – le petit théâtre de la vie au 20ème siècle, sous le vernis du confort matériel et du moralisme puritain. Mieux qu’un piranha, c’est toute une humanité que le chien reflète alors. Fantaisiste et déraisonnable, il laisse affleurer à la surface de la réalité ce que l’être se doit de conserver dans la pénombre de son inconscient. À ce titre, l’ultime transformation de Snoopy se joue dans le regard de Patty Pastille-de-menthe (Peppermint Patty) qui ne s’aperçoit jamais que c’est un beagle. Elle voit en lui un « gamin », certes « bizarre », mais tout de même « un sacré bon bloqueur » au baseball. C’est sans doute elle qui détient le secret du personnage, plus humain qu’il n’y paraît.

Search and destroy

Si l’on en croit les livres d’emblème médiévaux, le chien représente aussi bien le sacrilège, la bêtise ou la bouffonnerie que la générosité, le courage, l’amour des Saintes Écritures ou la précieuse mémoire du passé. Dans les Hieroglyphica d’Horapollon, il s’identifie tant au rire ou à l’éternuement qu’à un scribe sacré ou même à un prophète. Snoopy est tout cela à la fois. Puisqu’il est le réel et son impossibilité, il est simultanément toutes les facettes du chien en tant que symbole de nos contradictions. C’est un pitre, un clown, un bouffon, mais aussi et par là même un prophète – celui qui fait percer à la surface des choses ce qui en est d’ordinaire méconnu et dissimulé. Mais de quoi Snoopy serait-il au juste le prophète ? Une de ses incarnations les plus récurrentes pourrait nous apporter un élément de réponse.

Première apparition de Snoopy en as de la Première Guerre mondiale,
le 10 octobre 1965.

En octobre 1965, sans préambule ni préparation aucune de la part de Schulz, Snoopy se présente le cou enroulé dans une écharpe, et sur la tête un casque en cuir surmonté de lunettes de pilote. C’est sa première apparition en tant qu’as de l’aviation de la Première Guerre Mondiale. Sa niche est censée figurer quant à elle un Sopwith Camel, devant laquelle il pose ou qu’il fait mine de piloter en montant sur le toit. Une véritable saga commence alors dans les marges des Peanuts, puisque les aventures de Snoopy aviateur vont durer des années, alimentées par ses combats à répétition avec le maléfique Baron Rouge, sa Némésis de l’armée allemande, authentique et légendaire figure de l’histoire de l’aviation militaire. Le scénario est presque immanquablement le même. Snoopy commence par planter le décor grâce à sa sempiternelle formule d’introduction « Voici l’as de l’aviation de la Première Guerre mondiale », suivie de la situation dans laquelle il se trouve. Ensuite, il prend ou est pris en chasse par une escadrille ennemie, et finit abattu par le Baron Rouge. D’autres péripéties se déclinent autour de sa vie à l’arrière du front, ou ses errances dans le No Man’s Land à la suite d’un atterrissage forcé. Cette obsession du chien pour la grande histoire des combats aériens est curieuse. Certes, elle est doublement auréolée de l’héroïsme attaché aux pionniers de l’aviation ainsi que de l’idéal chevaleresque qui colle à l’image des aviateurs au sein de ce conflit – sorte de fantasme aristocratique ayant échappé à la boucherie lestée au sol, entachée de boue et de sang. Mais il n’y a pas que cela. La série a pour habitude de jouer sur la répétition et sur l’épuisement des motifs, parfois sur une durée très restreinte (une semaine ou un peu plus), le plus souvent d’une année sur l’autre suivant le cycle des saisons. Mais les retours du Baron Rouge sont beaucoup plus irréguliers, imprévisibles et très nombreux. Visiblement, l’as de l’aviation échappe à la logique habituelle des Peanuts, peut-être pour mieux la souligner.

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Au moment où Snoopy commence son duel acharné avec le Baron Rouge, l’engagement américain dans la guerre du Vietnam n’a cessé de se durcir depuis trois ans. En 1962, les forces US en présence sur le territoire vietnamien étaient au nombre de 1200 soldats. L’année suivante, ils sont portés à 15 000 hommes, et ils sont finalement un peu de 150 000 lorsque Snoopy pilote pour la première fois sa niche transfigurée en biplan de combat. 1965 est également l’année où le Pentagone lance sa tristement célèbre opération « Search and Destroy », dont le caractère meurtrier n’a pas besoin d’être davantage explicité. Il ne fait aucun doute que l’humanisme de Schulz ne peut que se révolter face à une telle aggravation du conflit, même s’il n’en parle pas directement dans les Peanuts. En 1968, à l’occasion de ses vacances à la plage, Charlie Brown rencontrera tout de même un petit garçon noir nommé Franklin, qui parvient à glisser au détour d’une conversation que son père est au Vietnam – ce qui est marquant dans la mesure où les grandes vacances sont souvent l’occasion pour le petit garçon de rencontrer enfin des alter ego, et l’amitié qui se noue entre les deux est ainsi placée sous le signe d’une solitude partagée (celle du malheureux et incompris Charlie se réfléchit dans celle de Franklin, orphelin en puissance). Mais en 1965, Schulz n’évoque pas explicitement l’actualité qui est en train de se nouer tragiquement de l’autre côté du globe. Le spectre fantasmé de la Grande Guerre pourrait, en revanche, en prendre le détour symbolique.

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En adoptant les traits d’un as de l’aviation, Snoopy dit plusieurs choses. D’abord, il fait de la Première Guerre mondiale le modèle sur lequel sont élaborées toutes les guerres du 20ème siècle, la matrice des cataclysmes qui en ont ébranlé le cours jusqu’à lui donner l’apparence d’un monstre vorace avalant dans son holocauste les hommes par poignées entières. Ce conflit inaugural, raisonnablement lointain, suffisamment oublié, est d’ailleurs régulièrement vecteur d’un fervent antimilitarisme dans le cinéma de l’époque, des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick (1957) à Pour l’exemple de Joseph Losey (1964), en attendant le traumatique Johnny s’en va en guerre de Dalton Trumbo (1970). De son côté, en mettant en scène cet incessant affrontement de Sisyphe, Snoopy illustre avec une théâtralité burlesque toute l’absurdité de la guerre et son inévitable naufrage. L’ennemi qu’il combat n’est jamais visible, toujours hors-champ, et pour cause : il est imaginaire, il se l’est inventé. Discrètement, s’élabore le théorème des affrontements menés pendant la seconde moitié du siècle, jamais nécessaires, jamais vraiment motivés, toujours un peu fictionnalisés et qui font de l’autre un adversaire commode, un excellent prétexte à intervenir sur les territoires étrangers et convoités. Dès lors, les balles qui criblent la niche ne sont tirées par personne d’autre que soi-même – si Snoopy est touché, il n’est touché qu’à cause du scénario qu’il s’est lui-même élaboré. La défaite que connaît invariablement le beagle, au sein même de son fantasme (dans lequel tout devrait lui être au contraire possible), illustre l’indécrottable fatalité qui s’attache à la guerre, qui ne se solde donc que par l’échec, quoi qu’en dise l’histoire. Les USA, l’Angleterre, la France sont sortis victorieux de la Grande Guerre, et le Baron Rouge a bien dû finir par rendre les armes, mais Snoopy dit le contraire – il dit que nous n’en sommes jamais sortis, que nous ne faisons que la perdre encore, que nous poursuivons des chimères, que le Vietnam se terminera lui aussi par un désastre, toujours le même. Tel est le double sens des interrogations qui déchirent notre héros : « Cette fichue guerre finira-t-elle un jour ? Combien de temps encore faudra-t-il voler ? J’en ai assez de cette guerre ! » Le célèbre cri que le chien lance au ciel, comme à l’adversité ou aux Dieux eux-mêmes, « Malheur à toi, Baron Rouge ! », résonne comme une imprécation désespérée contre les lois immortelles de la guerre.

Et puis, en même temps qu’il est l’invocation du fantôme d’une guerre passée, qui ne s’est effacée que pour rejaillir chaque fois plus forte et plus brutale, le running gag en est également l’exorcisme. Les vols à bord du Sopwith Camel rêvé dessinent une façon de s’élever au-dessus de la réalité, d’atteindre la strate du réel qui survole l’horreur des affrontements menés au cœur de la jungle et des ruines d’un pays martyrisé. Que ce soit justifié ou non, les « chevaliers du ciel » apportaient un semblant d’humanité à une guerre qui n’était qu’un jeu de massacre effréné – Snoopy en ressuscite l’idéal et ainsi révèle en creux la honte du conflit vietnamien. Ses aventures contre le Baron Rouge fonctionnent exactement comme son rapport au réel, tel qu’on l’a évoqué précédemment : elles sont l’image d’une réalité, celle de la guerre du Vietnam, en même temps que sa négation. Voici l’as de l’aviation de la Première Guerre mondiale, voici le réel, voici ce que ne sera jamais aucun conflit, voici la plus grande farce de Snoopy : trahir la farce atroce que constitue la politique militaire des États-Unis.

Le roman des origines

Quelques mois avant que le chien ne joue au pilote des temps anciens, Linus et Lucy ont posé d’une certaine façon les termes de cette référence. « Il se met à pleuvoir », fait remarquer Linus alors qu’il se balade avec sa sœur. Celle-ci lui répond : « Logique… Il pleut toujours sur notre génération ! » Le choc des générations est au cœur des révolutions culturelles des sixties. Jeunes et moins jeunes ne se comprennent plus. Une barrière semble s’élever entre la morale des anciens et les rêves des modernes, si bien que toute question d’héritage semble compromise, jusqu’à être niée ou rejetée. Voilà pourquoi Lucy estime qu’elle et ses pairs n’ont pas beaucoup de chance. Elle s’en explique dans le strip suivant : Notre génération s’est fait avoir… On nous a refourgué tous les problèmes du monde… » Lorsque Snoopy joue aux as de l’aviation de la Première Guerre, il met précisément sur le devant de la scène une de ces générations précédentes qui ont légué tant de soucis aux Peanuts. Loin d’avoir réglé tous les problèmes en mettant un terme au conflit en 1918, l’armistice a semé les graines de tous les dérèglements à venir – la montée en puissance du nazisme et de l’impérialisme japonais en sont les fruits les plus certains. En se projetant au cœur de la Grande Guerre, le chien fait cohabiter passé et présent, il remonte la généalogie des catastrophes, il unit les peines d’hier à celles d’aujourd’hui. La pluie qui s’abat sur Lucy et Linus est faite de la même matière que l’avion de Snoopy piquant du nez : une image de la chute qui n’en finit pas de se réaliser. Que son crash se perpétue par-delà les décennies et se répète encore et encore à chaque scénario n’a rien d’anodin : la trahison de l’histoire ne prendra pas fin avec Lucy, puisqu’elle ne propose comme solution rien d’autre que sa prolongation en « coin[çant] la prochaine génération ». Les inlassables duels avec le Baron Rouge ne sont donc pas seulement une incarnation de la guerre, ils sont le signe de la reproduction d’une fatalité qui conduit l’humanité à toujours se trahir elle-même. Ce n’est pas pour rien que son principal adversaire, la meilleure chance que nous ayons, soit Snoopy : un chien.

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L’apparition du pilote de la Grande Guerre coïncide également avec une problématique récurrente au cours de l’année 1965 : les origines. Brusquement, en mai, le chenil de Daisy Hill se rappelle à la mémoire de Snoopy. « Je me demande ce que sont devenus tous mes frères et sœurs », s’interroge-t-il mélancoliquement, avant d’ajouter plein de regrets : « Qu’est-ce qu’on s’amusait bien au chenil de Daisy Hill ! » Ce vague à l’âme n’est sans doute pas étranger à la fête des mères qui vient d’être célébrée, et à laquelle Schulz a alors consacré une page dominicale avec Snoopy en vedette. Charlie Brown reçoit un coup de téléphone pour son compagnon, à qui il passe le combiné. On ignore le discours tenu à l’autre bout du fil, mais il pousse le chien à avoir un sanglot. Charlie lui fait la morale sitôt le téléphone raccroché : « Tu devrais avoir honte ! Elle a raison, tu sais… Tu aurais dû l’appeler pour la fête des mères ! » Et Snoopy de se lamenter sur le toit de sa niche : « Je ne pense jamais à ces choses-là ! » À partir de cet instant, il y pensera pourtant beaucoup, de sorte que la mère et avec elle les origines ne cessent de revenir avec insistance dans la vie du petit chien. L’été venu, il écrira avec l’aide de Charlie une carte adressée à sa mère, et il aura encore un sanglot – cette fois-ci non parce qu’il l’a oubliée, mais au contraire parce qu’il pense à elle. La souffrance semble donc attachée au passé, qu’on s’en souvienne ou pas.

Toujours est-il que dès lors le chenil occupe une grande part des aventures de Snoopy. Il écrit à l’établissement pour chercher la trace de ses frères et sœurs, les retrouve et organise une « réunion de portée ». Il est tour à tour excité, ému et anxieux, mais lorsqu’il revient du rassemblement familial, il pousse un soupir : « C’était bien en-dessous de mes espérances ! » Au strip suivant, il conclut ses ruminations sur le proverbial « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. » Dans la version originale, le chien dit plus simplement « you can’t go home again », toujours entre guillemets. Plus qu’à une maxime, Schulz fait sans doute référence au titre d’un roman posthume de Thomas Wolfe, publié en 1940 et traduit en français par L’Ange banni. Y sont racontées les multiples ruptures subies par George Weber, l’alter ego de l’auteur, après qu’il ait écrit un livre sur sa ville. La trop grande franchise de ses propos a scandalisé la bourgade, qui chasse le romancier lorsqu’il cherche à y revenir. S’en suivent des déceptions amoureuse, littéraire et financière, douloureux chemin menant vers la solitude mais surtout la lucidité. Pendant les quelques semaines consacrées à l’ombre de Daisy Hill, Snoopy devient George Weber, il fait l’expérience de « l’impossibilité à revenir chez soi », de la rupture inévitable avec les origines, de l’ascèse indispensable à l’affranchissement de toutes les désillusions. L’Ange banni fait plus ou moins suite à un roman fondateur de la littérature américaine de la première moitié du 20ème siècle : L’Ange exilé, une histoire de la vie ensevelie (Look Homeward, Angel – A Story Of A Buried Life), publié en 1929. Cette fois-ci, le romancier y apparaît indirectement sous les traits d’Eugène Grant, dont le livre raconte l’initiation et permet à Wolfe de régler ses comptes avec ses origines. Tout porte à croire que le livre écrit par Weber dans L’Ange banni est un reflet en abyme de L’Ange exilé. Nostalgie, déchirement, solitude et imaginaire salvateur sont les points cardinaux de ce récit animé par le désir de faire revivre une réalité perdue et de rechercher à travers elle le sens de l’existence, malgré l’angoisse qu’elle suscite. La charmante réunion de portée de Snoopy est gonflée de ces références lourdes et tortueuses qui ouvrent la voie vers la vérité profonde des Peanuts.

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Le bon vieux temps

Schulz n’a jamais aimé le nom qui a été donné à sa série. Il trouvait que Peanuts ne reflétait en rien la réalité de son travail et qu’il n’en était pas « digne ». Le titre qu’il a toujours souhaité, et qu’il a utilisé périodiquement pour les pages dominicales à compter de 1967, était Good Ol’ Charlie Brown. Le tout premier strip de la série est placé sous ce signe, au point d’en être l’étendard : les deux premières cases, on voit le petit maître de Snoopy se rapprocher progressivement de deux autres enfants assis sur un trottoir. En le voyant arriver, le garçon dit à la fille « Voilà ce bon vieux Charlie Brown ! », et puis « Ce bon vieux Charlie Brown… oui monsieur ! », et alors qu’il vient de passer : « Ce bon vieux Charlie Brown… » À la dernière case, le garçon change de tête et lâche amèrement « Comme je le déteste ! » Ici éclate toute l’ambivalence de la nostalgie contenue dans Peanuts. L’apparente affection que le garçon porte à Charlie semble relative à son éloignement, mais dès lors qu’il s’est approché trop près, dès lors que son souvenir s’est effectivement rappelé avec force et clarté, dès lors qu’il a été vu, ne s’exprime plus que le dégoût et l’aversion. Sans doute est-ce aussi ce que raconte Thomas Wolfe dans L’Ange exilé et L’Ange banni : le sentiment d’amour-haine qu’inspire le passé – l’amour surtout lorsqu’on en est séparé, la haine dès lors qu’on l’a de nouveau fréquenté. Snoopy fait la même expérience : « Ce bon vieux chenil de Daisy Hill », dit-il tout d’abord en substance, mais quand il en a ressuscité trop vivement le souvenir, la nostalgie s’étiole pour ne plus laisser place qu’au chagrin.

Alors, le thème principal de Peanuts n’est pas tant l’enfance que la nostalgie de l’enfance, avec toute l’ambiguïté propre à ce sentiment. La mélancolie de la série est charriée dans l’exploration d’un temps perdu, d’autant plus perdu qu’il n’a sans doute jamais existé. L’expression « Good ol’ Charlie Brown » est à cet égard doublement ironique : d’abord parce que « ce bon vieux » garçon semble trop jeune pour être qualifié ainsi, et puis parce qu’il ne paraît finalement pas si « bon » aux yeux des autres. L’enfance n’est pas un bon vieux temps, surtout selon Charlie pour qui elle se résume à une suite d’humiliations. S’en souvenir, y revenir, y rester ne peut se solder que par la déception. Une fois qu’il consulte l’aide psychologique proposée par Lucy, il lui avoue sa principale aspiration : « Je veux qu’on m’aime. » Il ajoute, comme en écho au premier strip de la série : « Quand enfin j’arrive, je veux qu’on se dise : ‘‘Ah voilà ce bon vieux Charlie Brown…’’ » Lucy ne lui donne qu’un conseil : « Tu peux oublier ! » Là encore, l’expression est double : elle est compréhensible au sens figuré, bien sûr (« tu peux laisser tomber »), et surtout au sens propre d’oublier, de laisser ces rêves dans l’obscurité de la mémoire. Car pour aimer son enfance, pour aimer Charlie, pour que Snoopy aime sa mère, il faut d’abord que l’oubli ait fait son œuvre. Il faut qu’un éloignement se soit opéré. Or, Peanuts raconte justement l’irréductible impossibilité de l’oubli. Schroeder n’est-il pas incapable d’aimer Lucy entre autres parce qu’il est trop préoccupé par la figure de Beethoven, imposante incarnation d’un passé auquel rien ne peut se substituer ?

Un mois après que Snoopy ait endossé pour la première fois le rôle du pilote de la Grande Guerre, le chenil de Daisy Hill fait son retour. L’établissement lui écrit pour l’inviter à faire un discours : « Ils pensent que tu as des choses à dire aux jeunes chiens… », lui explique Charlie Brown. Au premier abord, le beagle est enthousiaste, mais rapidement les doutes l’assaillent : « Qui suis-je pour apprendre la vie à une bande de jeunes chiens ? », s’interroge-t-il sur la route vers le chenil. En même temps que ses origines, Daisy Hill lui rappelle donc la problématique des générations successives. D’abord dépositaire au printemps de l’héritage du chenil, il en devient une forme de patriarche à l’automne, suivant ainsi parfaitement le cycle de la vie en même temps que celui des saisons. Mais de même que l’as de l’aviation questionne l’alternance des générations par la permanence de leurs erreurs, Snoopy décide de ne pas se rendre à l’invitation et ainsi ne pas en perpétuer le modèle. En mai, il y songeait en soupirant – sur le chemin d’y retourner en novembre, il s’arrête au pied d’un arbre et jette l’argument décisif pour ne pas s’y rendre : « En plus, j’ai le mal du pays ! » Les rapports se sont inversés, comme cela avait été déjà le cas avec la dialectique de la mère qui cause du chagrin par son oubli et puis à travers son souvenir. Le mal du pays, c’est précisément ce qu’avait ressenti Snoopy en repensant au chenil, et c’est maintenant ce qu’il éprouve au moment d’y revenir. Dès lors, le pays en question n’est pas celui des origines, mais celui des Peanuts. Et ce n’est pas parce que Snoopy y est finalement chez lui, mais parce que le monde du bon vieux Charlie Brown est un monde de regrets, le monde où l’exil du passé a conduit au bannissement du présent, un monde dont on n’est pas nostalgique mais qui transpire la nostalgie. Tout se passe comme si le sentiment perçu au printemps et celui se manifestant à l’automne s’annulaient, qu’il n’était pas possible de retourner au pays puisque la série est déjà elle-même le pays de la nostalgie. Peanuts aurait pu s’appeler « le mal du pays ».

Snoopy ne part finalement pas pour le chenil, il se cache dans un arbre. Il y reste un moment, au point que Charlie Brown le croit disparu. Comme c’est l’automne, les feuilles tombent et révèlent enfin la présence du chien au milieu des branches. La cachette n’est pas innocente : s’y devine la métaphore de l’arbre généalogique, l’abrégé de tout ce qui paralyse Snoopy au cours de ces quelques semaines. Peut-être à l’image de l’Amérique des années 1960 (et sans doute au-delà), le chien ne sait pas où se situer entre le passé et le présent, entre ce qui s’est échappé et ce qui est en train de lui échapper. Les feuilles mortes qui chutent de l’arbre toutes en même temps le poussent à faire face à la réalité : tout s’effondre, tout se ruine, tout part en lambeaux. Snoopy refusera de revenir sur cet épisode (la seule fois que Charlie aborde prudemment le sujet, le chien s’enfuit en hurlant), mais il pratiquera sa propre thérapie, qu’il avait d’ailleurs commencée un peu plus tôt : il continue à combattre le Baron Rouge. Ses scénarios rejouent curieusement la douloureuse expérience avortée du chenil : ils figurent l’amertume de la nostalgie et de l’échec, puisqu’à chaque fois il tombe en flammes comme les feuilles aux couleurs de feu de l’automne, signes respectifs de la déliquescence de l’être face au temps. La tocade de Snoopy s’y révèle dans toute sa douloureuse signification. Sa mère, la réunion de portée, le chenil de Daisy Hill (et plus tard, en 1968, Lila, la première petite maîtresse de Snoopy dont le souvenir le torture encore) : tous sont résumés dans le Baron Rouge. Le Baron Rouge, c’est le temps. Le temps qu’on ne cesse de combattre – un combat qu’on ne cesse de perdre.

La niche détruite par un incendie, strip du 19 septembre 1966.

La série est fondée sur l’art de la répétition et de la variation. Chaque année, les mêmes péripéties reviennent, jamais tout à fait les identiques cependant, toujours avec un petit détail qui implique le décalage. Les vœux de nouvelle année, la Saint Valentin, le printemps, les matchs de baseball, les grandes vacances, la rentrée, Halloween, Noël : tout fait invariablement retour avec les mêmes effets, les mêmes gags, les mêmes chutes. Schulz semble composer sa série sur le motif de la rumination, entraînant année après année sa petite troupe dans un tourbillon auquel il lui est impossible d’échapper. C’est Lucy qui en a encore le pressentiment en janvier 1966, l’année qui succède aux questions sur les origines. « Je hais le nouvel an ! », s’exclame-t-elle. Les gens disaient que les choses s’arrangeraient, mais non ! À mon avis, ce n’est pas du tout un nouvel an… On nous a dupés avec un an d’occasion !! » L’expression est géniale en cela qu’elle synthétise l’alchimie de Peanuts, où chaque année est la déclinaison de la précédente. En effet, les aventures de Charlie Brown et Cie sont perpétuellement d’occasion, de seconde main, des succédanés – des fantômes. Les enfants sont eux-mêmes des fantômes condamnés à errer de décennies en décennies, de reproduire les mêmes gestes, les mêmes erreurs, les mêmes échecs. Alors que le temps passe, ils ne grandissent pas, ils ne vieillissent pas. Ils ne font que revenir et hanter un réel qui se dérobe toujours un peu plus sous leurs pieds. Ils ont été dupés : ils sont emprisonnés dans la chaîne des répétitions d’une existence qui n’est dès lors plus la leur.

La route est longue

Seul Snoopy échappe à cette fatalité, ne serait-ce que parce qu’il se renouvelle en jouant plusieurs rôles et en exorcisant ainsi le passage du temps. Quand il se cache dans l’arbre et qu’il s’imagine voler à bord de son Sopwith Camel, Snoopy dit autre chose que précédemment : il exprime le désir de s’élever, l’aspiration à être inatteignable, irrattrapable, hors du temps. « Ô temps ! suspends ton vol », écrivait le poète romantique – et il y a une espèce de romantisme dans cette revisitation d’un passé mythifié par Snoopy. En 1966, en marge de l’aviateur, le chien a incarné un autre topos romantique du début du 20ème siècle : le légionnaire, à propos duquel il fait explicitement référence au roman Beau Geste, de Percival Christopher Wren, paru en 1924 (il se surnomme alors lui-même « Beau Snoopy »). Le chien résume impeccablement le stéréotype : « La lune s’élève dans le ciel du désert… C’est un poste solitaire… Il est difficile de tenir ses pensées à distance de… Ah, mais c’est du passé ! Je dois l’oublier ! » Parle-t-il du chenil ou de sa mère ? Qu’importe, seul compte ce qu’incarnent à chaque fois le pilote et le légionnaire : un moyen d’oublier, ou du moins de surmonter le temps.

© United Feature Syndicate

Quand il est touché par le Baron Rouge, Snoopy ne fait pas que le maudire, il a également recours à deux formules récurrentes : « Transmettez mes salutations à Broadway » et surtout « It’s a long way to Tipperary ». Il s’agit de références à deux chansons : Give my regards to Broadway, écrite par George M. Cohan en 1904 pour sa comédie musicale Little Johnny Jones, et l’éponyme It’s a long way to Tipperary, un air de music-hall composé par Jack Judge et Harry Williams en 1912. Toutes les deux sont des chansons sentimentales sur l’éloignement et le retour au pays, très populaires auprès des soldats anglophones au cours de la Grande Guerre qui les voyait partir loin de chez eux (la première plutôt auprès des Américains, la seconde chez les Britanniques). « Say hello to dear old Coney Isle, if there you chance to be » et « Give my regards to old Broadway and say that I’ll be there ere long », raconte l’une, avec une nostalgie appuyée sur l’affectueux « old » qui rappelle le bon vieux Charlie Brown. L’autre évoque une route bien longue pour rejoindre Tipperary, « mais c’est là qu’est mon cœur ». Comme pour le légionnaire, l’aviateur de la Première Guerre se distingue donc par son isolement et la distance qu’il a prise vis-à-vis de ses origines. Malgré la mélancolie qui s’en dégage et le fait que ces rengaines coïncident souvent avec le crash de l’avion, il y a quelque chose de joyeux dans ces chants qui s’élèvent au-dessus de la catastrophe et qui se tracent un chemin « jusqu’au cœur ». Snoopy serre parfois le poing en les entonnant, comme s’il y puisait la force de continuer à se battre, comme si ces airs étaient des radeaux auxquels se rattacher en temps de mauvais grain. Sans doute parce que, davantage que des chants du retour, ce sont des chants du départ, la musique d’un au-revoir lancinant qui ne cesse de se rejouer, la partition d’une chute qui est avant tout celle des origines. Adieu à l’enfance, adieu aux années folles, adieu à l’insouciance – petit Poucet amer, Peanuts sème derrière lui les cailloux douloureux de cet inéluctable éloignement d’avec soi-même. Mais tout n’est pas perdu quand on a un petit chien joueur près du cœur – un petit chien qui, par les multiples rôles qu’il incarne, est finalement le signe que tout est encore possible.

Nicolas Tellop