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un certain déficit

Je n’ai pas cru devoir parler ici de l’insipide dossier que la Nouvelle Revue française a consacré à la bande dessinée (n° 592, janvier 2010) – une première, tout de même, et le plus remarquable est sans doute que la rédaction n’ait pas jugé nécessaire de se justifier auprès de ses lecteurs de ce dévergondage –, et je viens seulement de lire, avec un peu de retard (voilà ce que c’est que d’habiter la province), le numéro spécial de la revue Hermès, publiée par le CNRS (n° 54, septembre 2009).

Le propos d’Hermès est d’« étudier de manière interdisciplinaire la communication dans ses rapports avec les individus , les techniques, les cultures, les sociétés ». La bande dessinée est un objet nouveau pour cette revue, qui a l’ambition de porter sur elle « un regard singulier (celui des sciences de l’information et de la communication) ouvrant des horizons de recherche à partir d’un point de vue particulier (la tension entre art et média) », dixit Dominique Wolton, le directeur de la publication.

De fait, ce numéro a pour titre : La Bande dessinée, art reconnu, média méconnu. Et la première réflexion qui m’est venue est que cette double assertion – que le texte d’introduction de Wolton reprend sans vraiment l’expliciter – pourrait, et peut-être devrait, être renversée. Car enfin, il me semble que c’est bien en tant que média que la bande dessinée est impossible à ignorer, même par ses détracteurs : son poids dans l’édition (elle truste régulièrement les premières places sur les listes des livres les plus vendus) lui confère une légitimité socio-économique certaine, ainsi que je l’écrivais en ouverture de mon essai Un objet culturel non identifié. Et ce même livre tentait d’expliquer pourquoi son statut comme art demeurait, en revanche, incertain, précaire, entâché de suspicion. C’est pourquoi le titre de ce numéro d’Hermès me paraît pour le moins sujet à discussion.

Wolton n’a pas voulu d’un discours savant sur la bande dessinée, il se flatte d’avoir donné une large place aux non-spécialistes. Prenant acte du fait que « le déficit de recherche sur la BD est abyssal » (p. 25), il voulait avant toute chose « donner envie aux chercheurs en sciences humaines et sociales d’explorer cet objet ». Et en effet, en dehors d’Alain Chante, Jean-Paul Gabilliet ou Bernard Tabuce, la plupart des signatures sont nouvelles venues dans ce champ de recherche.

À l’arrivée, qu’avons-nous ? Une suite quelque peu hétéroclite d’articles pour la plupart très brefs, proposant des aperçus sur les sujets les plus variés (tels que la bande dessinée et… le dialogue nord-sud, le commerce équitable ou le monde de la finance), et n’avançant que très peu de pistes de réflexion. D’art, il n’est pour ainsi dire pas question.

L’iconographie du numéro est très pauvre (signalons tout de même une contribution dessinée inédite de Morvandiau, en quatre planches). L’organisation du sommaire est peu intelligible (ainsi deux articles sur les blogs BD et la bande dessinée en ligne figurent dans la partie 2 du numéro, mais l’article « web et bande dessinée : panorama critique » arrive, lui, dans la partie 3) ; et certaines erreurs factuelles sont gênantes. La création du Club des bandes dessinées par Lacassin, Resnais, Forest et quelques autres est datée (p. 51) de 1971 (au lieu de 1962) ; l’OCNI, cité ci-dessus, serait paru en 2000 (p. 207), soit deux ans avant la création de la maison d’édition qui l’a publié (le livre est en réalité de 2006) ; et l’on se demande comment le titre de l’essai de Benoît Peeters Case planche récit a pu devenir « Ça se planche… » (p. 124) !

Morvandiau dans Hermès - © chez l’auteur

Tout cela sent la précipitation et, finalement, trahit le peu de considération que le monde universitaire français a, encore aujourd’hui, pour la bande dessinée, objet futile dont on peut s’emparer sans connaissance préalable, sans précautions méthodologiques et sans trop de rigueur.

Le constat fait par Wolton demande à être légèrement corrigé : le déficit de recherche sérieuse sur la bande dessinée est, en effet, préoccupant.