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les comics disney :
western printing, dell comics, gold key et gladstone

[Octobre 2003]

La Western Printing & Lithographing Co était détentrice des licences d’exploitation de nombreux personnages de différents médias (newspaper strip, radio, cinéma, télévision, etc.), et en particulier des personnages de funny animals des dessins animés de Disney, de la Warner, de la MGM, de Walter Lantz, etc. Entre 1938 et 1962, l’exploitation de ces licences fut externalisée auprès de Dell Publishing Co (qui avait été l’un des pionniers du périodique de bandes dessinées aux États-Unis avec le tabloïde The Funnies, 1929). Cette délégation concernait les seuls comic books vendus dans le circuit des marchands de journaux. (Les comics offerts par les commerçants au titre de primes et les autres produits d’édition, livres d’images à colorier, jeux de société, petits livres d’or, etc., étaient donc réalisés par Western Printing de façon autonome.)

Le premier Donald, tel que Floyd Gottfredson
l’a introduit dans les aventures de Mickey en 1934.

Aux termes de ce partenariat, la décision de lancement d’un comic book, son financement et sa distribution appartenaient à Dell ; la production concrète de ce comic (y compris la réalisation des bandes dessinées !) et l’impression étaient, quant à elles, assurées par la Western Printing. (Carl Barks travailla donc sa vie durant pour Western Printing et non pour Dell.) Ceci explique qu’un comic book Disney paru entre 1940 et 1962 contienne le © Walt Disney Productions, la mention d’éditeur Dell Publishing Co (et le logo Dell sur la couverture) et la mention d’imprimeur – ou l’expression « designed and produced by » – Western Printing & lithographing Co. Dans le cas des Walt Disney Comics and Stories, l’éditeur n’est toutefois pas Dell (dont le logo figure pourtant en couverture) mais une filiale appelée K. K. Publications.

Un tel arrangement peut paraître bizarre puisque Western Printing, détentrice des droits sur les personnages, devenait en pratique un sous-traitant de Dell, qui, en fonction des maquettes que lui soumettait la Western Printing, prenait la décision de lancer telle ligne de comic books et donnait l’ordre à la Western d’en réaliser le contenu. D’un autre côté, le succès de la formule ne fait aucun doute, et il faut l’attribuer d’une part au sens éditorial de Dell et d’autre part à sa maîtrise de la distribution. Les Dell Comics dominèrent le marché pendant un quart de siècle, avec des funny animals, ceux de Disney en tête, des personnages comiques (Little Lulu) et des versions comic books de personnages célèbres du strip, en particulier ceux du King Features Syndicate.

Dell visait le marché des jeunes enfants et les différentes évolutions des comics (par exemple la première vague de superhéros, celle des années 1940, ou la vogue des love comics après guerre) ne nuisirent aucunement à la prédominance dans les kiosques américains des canards disneyens et de leurs concurrents à longues oreilles ou à vibrisses. Dell échappa même à la crise de relations publiques du secteur provoquée par des agitateurs populistes tirant à boulets rouges sur les comic books, comme le célèbre Dr Wertham. Loin de faire amende honorable en adhérant à l’organisme professionnel d’autocensure, le Comics Code Authority, Dell affirma sa spécificité, imprimant le slogan « Dell Comics Are Good Comics » dans la marge inférieure de ses fascicules. Un certificat autoattribué (A Pledge ta Parents) précisait hautement que les Dell Comics avaient toujours été et restaient irréprochables. Les historiens de la BD citent des tirages de 2 voire 3 millions d’exemplaires par numéro pour Walt Disney’s Comics and Stories.

Cependant l’accord de partenariat entre Western Printing et Dell contenait en germe sa propre destruction ; des querelles sur le partage des bénéfices étaient inévitables. En 1962, l’activité d’édition de comics pour le circuit commercial fut réintégrée par Western qui publia les mêmes comics, mais sous le logo Gold Key. Dell publia alors d’autres comics, mais, sans les vaches à lait qu’étaient les personnages de Disney et de la Warner, la firme déclina et elle disparut en 1973. Dans les années 1970, la Western subit elle-même la crise des comics. Elle tenta de vendre ses titres à la fois chez les marchands de journaux, sous le logo Gold Key, et chez les marchands de jouets, sous forme de pochettes surprise, sous le nom d’éditeur Whitman, bien connu pour les albums d’enfants, livres à colorier, etc. En 1981, la vente en kiosques et le logo Gold Key disparurent. Cela suffit à tuer aussi la formule Whitman et, en 1984, la Western se retira du secteur de la BD. On ne publiait plus de comics Disney en Amérique !

Le flambeau disneyien fut repris par Gladstone en 1986 (son responsable, Bruce Hamilton, publiait depuis 1983 la célèbre Carl Barks Library, splendide réédition intégrale en noir et blanc). Gladstone reprit l’édition des principaux comics parus à l’enseigne de Dell puis de Gold Key, en continuant leur numérotation et en mélangeant reprints de Carl Barks et matériel nouveau. En 1990, Walt Disney révoqua sa licence, apparemment avec l’intention de publier lui-même des comics. Le feuilleton se poursuivit pendant toutes les années 1990. La licence fut finalement reprise en décembre 2002 par la firme Gemstone, les premiers comics Disney paraissant au cours de l’été 2003. Le défi est devenu, paradoxalement, de reconquérir le marché des comic books par le bas, la plupart des jeunes enfants n’ayant jamais tenu en main un comic book de toute leur courte existence.

(Cet article a paru en octobre 2003 dans le No.9 de la revue Neuvième Art, p. 37.)